Texte intégral
ENTRETIEN AVEC LA PRESSE FRANCAISE :
Je suis venu en Russie aujourd'hui et demain pour préparer la venue du président Poutine en France. Je suis venu avec une double casquette, avec une dimension franco-russe et une dimension Union européenne/Russie. A la fin octobre, les 30 et 31, aura lieu à Paris, le sommet qui est régulier entre l'Union européenne et la Russie. Ce semestre c'est la France, et il y aura une visite bilatérale franco-russe. Nous avons examiné des dossiers sur les deux plans. Sur le plan franco-russe, chacun sait ici qu'il y a une coopération et une relation ancienne et solide, qui a eu les problèmes que vous connaissez en raison des positions que la France a prises sur la question tchétchène à un moment donné, mais ça n'a jamais empêché que se poursuive une relation de travail forte sur d'autres plans. Mais il faut tout d'abord - alors qu'on a affaire à un nouveau président qui définit des nouvelles orientations - une nouvelle politique. Il faut encadrer toute une série d'aspects de la relation bilatérale. C'est pourquoi d'ailleurs après la visite à Paris du président Poutine, il y a aussi une rencontre des deux premiers ministres qui co-président une commission qui passe en revue tous les aspects la coopération. Cette réunion aura lieu à Paris le 18 décembre. Elle sera préparée - je n'entre pas dans les détails techniques - par une série de commissions. Alors on a travaillé sur ces différents points, à la fois les contenus et d'autre part les calendriers. Sur le plan franco-russe, sur le plan de la politique étrangère en général, beaucoup de coopération, beaucoup de convergences, sur les questions comme le Proche-Orient, le Moyen-Orient, l'Iraq, sur les questions de stabilité stratégique, l'affaire ABM, des échanges sur beaucoup de sujets. Je n'ai jamais cessé d'avoir une relation très suivie, très nourrie et très féconde, à mon sens, avec Igor Ivanov. (...).
Q - Quelle a été la réaction de vos interlocuteurs russes à la question qui d'après vous et d'après eux a gagné les élections en Yougoslavie et que va-t-il advenir ?
R - Je ne peux pas m'exprimer à leur place et ils le font. Il y des déclarations, il y des communiqués, donc je ne peux pas les engager, c'est à eux de dire comment ils apprécient la situation. Ils m'ont donné le sentiment en tout cas que la Russie n'apportait aucune espèce de soutien au maintien au pouvoir de M. Milosevic par des procédés artificiels. Par ailleurs ils insistent sur le déroulement légal des choses et là on retombe, c'est ce qu'ils disent, sur des difficultés parce qu'on assiste à une situation qu'il devient difficile de caractériser. Et je les sens très attentifs Ils font bien passer le message qu'il n'y a chez eux aucune espèce de complaisance ou de sympathie vis à vis au président Milosevic ou à son régime. Ca c'est clair. Notre position - je me suis beaucoup exprimé depuis dimanche au nom de la présidence -, le fond de ma position, c'est que les électeurs en République fédérale de Yougoslavie, le peuple serbe, ont montré un vrai courage. Il est tout à fait remarquable que les gens placés dans une telle situation par la politique de Milosevic depuis des années, aient même la force de braver une sorte de menace, pris le risque d'aller voter en masse, et pour voter comme, manifestement, ils l'ont fait, même si je ne veux pas rentrer dans les détails, parce que je n'ai pas d'éléments pour trancher. Mais cette démarche est remarquable. Je dis depuis dimanche que l'Union européenne doit être à la hauteur de ce courage historique, que les Serbes ont montré. On l'avait préparé, on l'avait envisagé, puisque déjà, il y a trois semaines à Evian, nous avions dit à Quinze, donc à l'unanimité, que si la démocratie l'emportait à Belgrade nous allions réviser radicalement notre politique. J'ai été un petit peu plus loin dimanche en disant que je demandais à la Commission d'examiner d'une façon plus précise, technique, juridique, ce que nous aurions à faire quand nous déciderons plus précisément de modifier cette politique d'embargo. Ce que l'on n'a pas encore décidé à cette minute même. Il faut qu'on soit prêt à le faire le cas échéant. C'est par message que nous nous étions adressé au peuple serbe et on avait d'ailleurs appelé cela "message au peuple serbe", il a été traduit en serbo-croate, diffusé par beaucoup de moyens. M. Kostunica nous a fait savoir qu'il avait été entendu et bien entendu, contrairement à d'autres déclarations parfois maladroites qui provoquaient des réactions en sens inverse. Alors, pour cette phase-là, je crois, que nous devons donner crédit à cette intention, à cette disponibilité, à cette attitude. Après, il ne faut pas se substituer aux Serbes. Ca se passe chez eux, c'est leur avenir qui est en jeu. C'est un peuple qui essaie de se dégager de ces liens, des chaînes mentales de la propagande, qui essaie de reconquérir sa souveraineté politique et civique. Notre désir est de l'aider de toutes les façons. Il faut les aider en les respectant, c'est-à-dire sans maladresse. Dans l'immédiat, je crois que ce que je peux ajouter à ça c'est que nous trouvons tout à fait légitime la demande de M. Kostunica de pouvoir vérifier les comptes de la Commission du groupe de vérification, de la Commission électorale. Au nom de la présidence, je soutiens cette demande. Et nous avons eu un échange très intéressant là-dessus, aussi bien avec M. Ivanov qu'avec le président Poutine, les expressions n'étaient pas tout à fait les mêmes mais je ne vois pas de contradictions. En tout cas dans les expressions mêmes si elles sont différentes. Mais nous nous sommes bien expliqués, bien compris, je pense de part et d'autre.
Q - Sur une réunion ministérielle du Groupe de contact ?
R - Elle est envisagée, mais la date n'est pas arrêtée parce que comme d'habitude on a beaucoup de mal à trouver une date qui convienne à tout le monde. Elle est envisagée à assez court terme, mais je ne peux pas vous le confirmer parce que pour le moment il y en a toujours un ou deux qui ne peuvent pas quelle que soit la date. Elle ne serait pas inutile. Je rappelle que le Groupe de contact au niveau ministériel, qui a joué le rôle clé pendant toute la période politico-diplomatique dans l'affaire du Kosovo, quand on essayait de trouver la solution, ne s'est pas réuni après que l'on soit passé à la phase militaire. Nous avons pu réunir à nouveau le Groupe de contact au niveau ministériel à New York. Il est très important par rapport à cette situation en Yougoslavie que chacun voit que les Européens, les Américains et les Russes ont une approche, globalement, quand même convergente, voire la même. Alors, peut être en allant dans le détail, il y des nuances mais il y a aussi une volonté d'aller dans le sens du changement démocratique voulu par le peuple serbe. Donc, une nouvelle réunion serait justifiée par les circonstances, mais je ne peux pas encore la confirmer.
(...)
Q - Sur les communiqués et déclarations du ministère russe des Affaires étrangères ?
R - Non, je pense qu'ils sont plus prudents que réservés mais que c'est sur des questions de méthode et de tactique, je ne pense pas qu'il ait un désaccord d'objectifs.
Si vous vous posez la grande question : est-ce que les Américains, les Européens et les Russes souhaitent ensemble qu'il y a un changement en Yougoslavie, qui permette à ce pays de trouver la démocratie et de retrouver le chemin de l'Europe. Je crois que la réponse est oui.
Et je ne sens ici aucune espèce d'attachement passéiste ou complaisant au régime de Milosevic. C'est quand même fondamental. Après sur le point de savoir comment il faut faire au jour le jour, il y a toutes sortes de nuances.
Q - (inaudible)
R - Je pense que les Russes, comme nous à notre façon, se demandent ce qu'ils peuvent faire d'utile. Donc il y a des déclarations qu'ils ne font pas tout simplement parce qu'ils doivent penser qu'elles ne servent à rien ou penser qu'elles ne facilitent pas les choses, donc ils ont leur façon de gérer cette affaire, qui tient compte de ce qu'ils sont dans l'histoire, de toutes sortes de liens. Mais l'essentiel est qu'ils n'aient pas de complaisance par rapport à ce régime, qui, j'espère, est en train de se désagréger. C'est pour cela que j'ai voulu dire qu'il y a une sorte d'accord global. Mais cela ne se traduit pas forcément par les mêmes déclarations.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que l'on pourrait revenir sur les entretiens que vous avez eus sur la Yougoslavie à la fois avec M Ivanov et M. Poutine ce matin. Connaître votre analyse de la situation yougoslave d'aujourd'hui et votre perception de la réaction russe ?
R - Notre analyse, c'est celle que j'ai exprimée déjà à plusieurs reprises au moment de la présidence européenne, c'est que quelque chose de fondamental s'est passé ce dimanche, quelque chose qui a commencé comme je l'ai dit, qui ne s'arrêtera plus. Qu'il est évident, par toutes sortes de recoupements, que les Serbes ont voté massivement contre M. Milosevic, qu'il faut saluer leur courage, car cela n'est pas évident dans ce régime, avec ce que l'on imagine sur le potentiel répressif, d'aller voter, d'aller voter en masse. Dans ce sens, et j'ai dit depuis dimanche plusieurs fois, que l'Europe devait se montrer à la hauteur du courage dont les Serbes ont été capables. C'est pour cela que nous avons rappelé notre engagement de lever les sanctions, l'embargo, dans l'hypothèse où la démocratie triomphait. Les Serbes ont entendu faire triompher la démocratie, nous sommes dans une situation entre les deux qui n'est pas encore dénouée, mais nous devons nous mettre en mesure de tenir cet engagement, dès que nous le déciderons. Cela, c'est la position européenne. J'ajoute que nous soutenons la demande de M. Kostunica qui demande à pouvoir vérifier les décomptes et les additions de la commission électorale. Cela paraît justifié, cela paraît légitime et cela paraît le nud du problème. Au moment où nous parlons. En ce qui concerne les Russes, j'ai constaté d'abord, et c'est très important, qu'il n'y a chez eux aucune forme d'attachement ou de complaisance par rapport à ce régime du président Milosevic, qui est, je crois, très profondément ébranlé depuis dimanche, que les Russes eux aussi soutiennent un changement qui permettrait à la démocratie de commencer à s'instaurer et à être construite dans la République fédérale de Yougoslavie et qui lui permettrait de retrouver le chemin de l'Europe. Donc ils soutiennent également ce mouvement, en même temps ils sont très prudents, ils se veulent légalistes, donc ils ont une autre façon d'exprimer leur position mais qui me paraît avoir le même objectif.
Q - Le deuxième tour du 8 octobre a-t-il un sens ?
R - Je ne veux pas me substituer dans cette appréciation à l'opposition démocratique concernée, donc à ce stade, j'enregistre ce qu'a dit M. Kostunica, à partir de ce grand mouvement démocratique de dimanche. Donc cela m'amène à redire que je soutiens la demande de M. Kostunica de pouvoir vérifier les comptes de la commission électorale. C'est le problème important d'aujourd'hui.
Q - Vous n'avez pas l'impression que quand les Russes disent qu'il faut éviter toutes pressions extérieures et intérieures, pour la pression extérieure ils s'adressent notamment un peu aux Européens.
R - Je ne pense pas qu'ils pensent à l'Union européenne mais je note qu'ils englobent bien les pressions intérieures et là je vois bien à qui ils pensent.
Q - La situation est extrêmement dangereuse en Yougoslavie et certains évoquent pour faire baisser un peu ce danger la possibilité d'offrir à M. Milosevic une terre d'accueil et beaucoup songent à la Russie bien sûr, avez-vous évoqué le sujet avec vos interlocuteurs ?
R - Non, ce sujet n'a pas été évoqué. Merci beaucoup.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 octobre 2000)
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ENTRETIEN AVEC LES AGENCES DE PRESSE :
Je vous rappelle que je suis venu à Moscou à double titre, pour la France et pour l'Union européenne. Je suis venu préparer la visite du président Poutine en France, fin octobre, qui comportera un sommet Union européenne-Russie et une visite bilatérale. C'est dans ce cadre que nous avons passé en revue, avec M. Ivanov et le président Poutine, tous les thèmes de cette visite. Sur le plan européen, il s'agit essentiellement de donner plus de sens concret à la notion de partenariat. Il s'agit de faire coïncider ce que l'UE peut proposer - programmes TACIS, accords de coopération scientifique et technologique, et beaucoup d'autres encore - avec les besoins de la Russie d'aujourd'hui, fondés sur les priorités du président Poutine. Il y a quelques mois, avec le ministre français de l'Economie et des Finances, M. Fabius, nous avons adressé une lettre commune à tous nos collègues. Notre proposition est qu'il faut continuer à encourager la Russie dans la voie de l'économie de marché, et qu'il faut aussi accepter de coopérer à l'édification d'un véritable Etat de droit, démocratique et efficace. Je n'entrerai pas dans le détail mais cela peut s'appliquer à beaucoup de choses.
Et puis dans le dialogue Europe-Russie, il doit aussi y avoir un échange d'informations mutuelles. J'ai dit que nous souhaitions en savoir plus sur les priorités actuelles de la Russie. En sens inverse, la Russie demande à en savoir plus sur les réformes qui se préparent en Europe et sur les projets de défense européenne.
Sur le plan franco-russe, il s'agit de poursuivre une coopération qui est déjà très active. En matière de politique étrangère nous avons de très grandes convergences. La visite du président Poutine, fin octobre, sera suivie d'une rencontre de travail des deux Premiers ministres à la mi-décembre à Paris. Ils y feront le point de tous les domaines de coopération. Compte tenu de l'actualité, nous avons évidemment beaucoup parlé de la Yougoslavie. Nous avons fait le point de nos informations sur la situation et nous nous sommes expliqués mutuellement nos positions, lesquelles sont très largement convergentes. Voilà le résultat de mes entretiens pour aujourd'hui, mais j'en ai encore beaucoup d'autres demain. Je viens, par ailleurs, de rencontrer le président de la Douma, M. Seleznev, avec lequel nous avons parlé d'échanges inter-parlementaires.
Q - Monsieur le Ministre, lors de vos entretiens, avez-vous abordé les questions de stabilité internationale ? Y a-t-il convergence sur ce point ?
R - Nous en avons parlé, mais assez rapidement car nous connaissons parfaitement nos positions mutuelles sur ce point. Nous avons, en Russie et en France, un même attachement à la stabilité stratégique. Nous avons redit notre attachement au traité ABM de 1972 et, en France comme en Russie, nous avons salué de façon positive la décision du président Clinton de reporter sa décision sur ce plan. Il n'y a pas d'élément nouveau sur ce sujet depuis mes dernières conversations avec Igor Ivanov.
Q - A l'issue de vos entretiens avec MM. Ivanov et Poutine ne vous semble-t-il pas que la pression occidentale sur Slobodan Milosevic pourrait être à l'origine d'une crise entre la Russie et l'Occident, comme ce fut déjà le cas lors de l'opération au Kosovo ?
R - Nos entretiens ne portaient pas sur les problèmes de pression. Je ne ressens absolument pas de risque de crise entre la Russie et l'Europe. Bien au contraire, je sens justement une convergence. Pour des raisons évidentes, la position de la Russie ne peut pas être tout à fait la même que celle de l'Europe. Je pense que vous connaissez les positions de l'UE, exprimées dimanche. Vous connaissez également la position de la Russie. Je parle de convergence parce qu'il me semble que, dans la position russe, il n'y a aucun attachement, ni aucune complaisance sous quelque forme que ce soit envers le régime de Slobodan Milosevic. Les responsables russes m'ont paru très conscients de l'importance de ce qui s'est passé dimanche à travers le vote des électeurs yougoslaves. Je salue, d'ailleurs, le courage de ces électeurs. Ca ne va pas de soi dans un tel régime d'aller voter aussi massivement dans ce sens.
D'autre part, je peux vous dire qu'en tant que Présidence européenne je soutiens la requête exprimée par M. Kostunica qui a demandé à pouvoir contrôler les comptes de la commission électorale. Compte tenu de ce que l'on est en droit de penser de cette commission électorale, cette demande de M. Kostunica m'apparaît comme légitime. M. Kostunica demande que l'opposition puisse comparer ses propres informations avec celles de la commission électorale. Cette demande m'apparaît légitime. Je vous rappelle que, dans cette commission, il n'y a ni représentant de l'opposition, je crois même qu'il n'y a pas de représentants des partis de la majorité, ni aucune personnalité indépendante.
Q - Votre appel en faveur de la levée des sanctions qui pèsent sur la Yougoslavie reste-t-il en vigueur ?
R - Tout à fait, mais je vais préciser. Lors d'une réunion qui s'est tenue en France, à Evian, il y a trois semaines, les quinze ministres européens ont annoncé qu'en cas de victoire de la démocratie, l'Europe reconsidérerait radicalement sa politique vis-à-vis de Belgrade. Selon nous, les électeurs ont fait le choix de la démocratie. En tout cas ils ont voulu la faire triompher. Ils ont fait preuve de courage et l'UE doit être à la hauteur de ce courage. J'ai donc demandé à la Commission européenne de nous dire de façon plus précise ce qu'il convient de faire pour pouvoir lever rapidement ces sanctions. Mais, pour l'instant, nous n'avons pas encore pris la décision définitive compte tenu du caractère très incertain de la situation de ces jours-ci. Mais nous nous sommes mis en mesure de pouvoir prendre cette décision très vite. Vous retrouverez ce soir cette ligne dans une déclaration publiée par les Quinze.
Q - Mme Albright a critiqué la France pour avoir autorisé un vol humanitaire à destination de l'Iraq. Quelle est votre position à ce sujet ?
R - Notre position reste inchangée. Nous avons autorisé un vol strictement humanitaire vers l'Iraq, car, d'après notre analyse juridique, cela n'est pas strictement interdit par les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU. Les Etats-Unis font une analyse différente. Mais je pense que notre analyse a autant de valeur que la leur. Il s'agit bien d'un vol humanitaire. Pour pouvoir suspendre l'embargo, il faudrait que l'Iraq accepte de coopérer avec l'ONU sur la base de la résolution 1284.
Q - Il s'agit de votre première rencontre assez longue avec le président Poutine. Quelles impressions en tirez-vous ?
R - Je l'avais déjà rencontré en février. Il était alors président par intérim et je l'ai rencontré longuement à ce moment-là. Cela pour vous dire qu'on en est plus aux premières impressions. On en est à travailler. Et nous avons beaucoup de choses à faire.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 octobre 2000)
Je suis venu en Russie aujourd'hui et demain pour préparer la venue du président Poutine en France. Je suis venu avec une double casquette, avec une dimension franco-russe et une dimension Union européenne/Russie. A la fin octobre, les 30 et 31, aura lieu à Paris, le sommet qui est régulier entre l'Union européenne et la Russie. Ce semestre c'est la France, et il y aura une visite bilatérale franco-russe. Nous avons examiné des dossiers sur les deux plans. Sur le plan franco-russe, chacun sait ici qu'il y a une coopération et une relation ancienne et solide, qui a eu les problèmes que vous connaissez en raison des positions que la France a prises sur la question tchétchène à un moment donné, mais ça n'a jamais empêché que se poursuive une relation de travail forte sur d'autres plans. Mais il faut tout d'abord - alors qu'on a affaire à un nouveau président qui définit des nouvelles orientations - une nouvelle politique. Il faut encadrer toute une série d'aspects de la relation bilatérale. C'est pourquoi d'ailleurs après la visite à Paris du président Poutine, il y a aussi une rencontre des deux premiers ministres qui co-président une commission qui passe en revue tous les aspects la coopération. Cette réunion aura lieu à Paris le 18 décembre. Elle sera préparée - je n'entre pas dans les détails techniques - par une série de commissions. Alors on a travaillé sur ces différents points, à la fois les contenus et d'autre part les calendriers. Sur le plan franco-russe, sur le plan de la politique étrangère en général, beaucoup de coopération, beaucoup de convergences, sur les questions comme le Proche-Orient, le Moyen-Orient, l'Iraq, sur les questions de stabilité stratégique, l'affaire ABM, des échanges sur beaucoup de sujets. Je n'ai jamais cessé d'avoir une relation très suivie, très nourrie et très féconde, à mon sens, avec Igor Ivanov. (...).
Q - Quelle a été la réaction de vos interlocuteurs russes à la question qui d'après vous et d'après eux a gagné les élections en Yougoslavie et que va-t-il advenir ?
R - Je ne peux pas m'exprimer à leur place et ils le font. Il y des déclarations, il y des communiqués, donc je ne peux pas les engager, c'est à eux de dire comment ils apprécient la situation. Ils m'ont donné le sentiment en tout cas que la Russie n'apportait aucune espèce de soutien au maintien au pouvoir de M. Milosevic par des procédés artificiels. Par ailleurs ils insistent sur le déroulement légal des choses et là on retombe, c'est ce qu'ils disent, sur des difficultés parce qu'on assiste à une situation qu'il devient difficile de caractériser. Et je les sens très attentifs Ils font bien passer le message qu'il n'y a chez eux aucune espèce de complaisance ou de sympathie vis à vis au président Milosevic ou à son régime. Ca c'est clair. Notre position - je me suis beaucoup exprimé depuis dimanche au nom de la présidence -, le fond de ma position, c'est que les électeurs en République fédérale de Yougoslavie, le peuple serbe, ont montré un vrai courage. Il est tout à fait remarquable que les gens placés dans une telle situation par la politique de Milosevic depuis des années, aient même la force de braver une sorte de menace, pris le risque d'aller voter en masse, et pour voter comme, manifestement, ils l'ont fait, même si je ne veux pas rentrer dans les détails, parce que je n'ai pas d'éléments pour trancher. Mais cette démarche est remarquable. Je dis depuis dimanche que l'Union européenne doit être à la hauteur de ce courage historique, que les Serbes ont montré. On l'avait préparé, on l'avait envisagé, puisque déjà, il y a trois semaines à Evian, nous avions dit à Quinze, donc à l'unanimité, que si la démocratie l'emportait à Belgrade nous allions réviser radicalement notre politique. J'ai été un petit peu plus loin dimanche en disant que je demandais à la Commission d'examiner d'une façon plus précise, technique, juridique, ce que nous aurions à faire quand nous déciderons plus précisément de modifier cette politique d'embargo. Ce que l'on n'a pas encore décidé à cette minute même. Il faut qu'on soit prêt à le faire le cas échéant. C'est par message que nous nous étions adressé au peuple serbe et on avait d'ailleurs appelé cela "message au peuple serbe", il a été traduit en serbo-croate, diffusé par beaucoup de moyens. M. Kostunica nous a fait savoir qu'il avait été entendu et bien entendu, contrairement à d'autres déclarations parfois maladroites qui provoquaient des réactions en sens inverse. Alors, pour cette phase-là, je crois, que nous devons donner crédit à cette intention, à cette disponibilité, à cette attitude. Après, il ne faut pas se substituer aux Serbes. Ca se passe chez eux, c'est leur avenir qui est en jeu. C'est un peuple qui essaie de se dégager de ces liens, des chaînes mentales de la propagande, qui essaie de reconquérir sa souveraineté politique et civique. Notre désir est de l'aider de toutes les façons. Il faut les aider en les respectant, c'est-à-dire sans maladresse. Dans l'immédiat, je crois que ce que je peux ajouter à ça c'est que nous trouvons tout à fait légitime la demande de M. Kostunica de pouvoir vérifier les comptes de la Commission du groupe de vérification, de la Commission électorale. Au nom de la présidence, je soutiens cette demande. Et nous avons eu un échange très intéressant là-dessus, aussi bien avec M. Ivanov qu'avec le président Poutine, les expressions n'étaient pas tout à fait les mêmes mais je ne vois pas de contradictions. En tout cas dans les expressions mêmes si elles sont différentes. Mais nous nous sommes bien expliqués, bien compris, je pense de part et d'autre.
Q - Sur une réunion ministérielle du Groupe de contact ?
R - Elle est envisagée, mais la date n'est pas arrêtée parce que comme d'habitude on a beaucoup de mal à trouver une date qui convienne à tout le monde. Elle est envisagée à assez court terme, mais je ne peux pas vous le confirmer parce que pour le moment il y en a toujours un ou deux qui ne peuvent pas quelle que soit la date. Elle ne serait pas inutile. Je rappelle que le Groupe de contact au niveau ministériel, qui a joué le rôle clé pendant toute la période politico-diplomatique dans l'affaire du Kosovo, quand on essayait de trouver la solution, ne s'est pas réuni après que l'on soit passé à la phase militaire. Nous avons pu réunir à nouveau le Groupe de contact au niveau ministériel à New York. Il est très important par rapport à cette situation en Yougoslavie que chacun voit que les Européens, les Américains et les Russes ont une approche, globalement, quand même convergente, voire la même. Alors, peut être en allant dans le détail, il y des nuances mais il y a aussi une volonté d'aller dans le sens du changement démocratique voulu par le peuple serbe. Donc, une nouvelle réunion serait justifiée par les circonstances, mais je ne peux pas encore la confirmer.
(...)
Q - Sur les communiqués et déclarations du ministère russe des Affaires étrangères ?
R - Non, je pense qu'ils sont plus prudents que réservés mais que c'est sur des questions de méthode et de tactique, je ne pense pas qu'il ait un désaccord d'objectifs.
Si vous vous posez la grande question : est-ce que les Américains, les Européens et les Russes souhaitent ensemble qu'il y a un changement en Yougoslavie, qui permette à ce pays de trouver la démocratie et de retrouver le chemin de l'Europe. Je crois que la réponse est oui.
Et je ne sens ici aucune espèce d'attachement passéiste ou complaisant au régime de Milosevic. C'est quand même fondamental. Après sur le point de savoir comment il faut faire au jour le jour, il y a toutes sortes de nuances.
Q - (inaudible)
R - Je pense que les Russes, comme nous à notre façon, se demandent ce qu'ils peuvent faire d'utile. Donc il y a des déclarations qu'ils ne font pas tout simplement parce qu'ils doivent penser qu'elles ne servent à rien ou penser qu'elles ne facilitent pas les choses, donc ils ont leur façon de gérer cette affaire, qui tient compte de ce qu'ils sont dans l'histoire, de toutes sortes de liens. Mais l'essentiel est qu'ils n'aient pas de complaisance par rapport à ce régime, qui, j'espère, est en train de se désagréger. C'est pour cela que j'ai voulu dire qu'il y a une sorte d'accord global. Mais cela ne se traduit pas forcément par les mêmes déclarations.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que l'on pourrait revenir sur les entretiens que vous avez eus sur la Yougoslavie à la fois avec M Ivanov et M. Poutine ce matin. Connaître votre analyse de la situation yougoslave d'aujourd'hui et votre perception de la réaction russe ?
R - Notre analyse, c'est celle que j'ai exprimée déjà à plusieurs reprises au moment de la présidence européenne, c'est que quelque chose de fondamental s'est passé ce dimanche, quelque chose qui a commencé comme je l'ai dit, qui ne s'arrêtera plus. Qu'il est évident, par toutes sortes de recoupements, que les Serbes ont voté massivement contre M. Milosevic, qu'il faut saluer leur courage, car cela n'est pas évident dans ce régime, avec ce que l'on imagine sur le potentiel répressif, d'aller voter, d'aller voter en masse. Dans ce sens, et j'ai dit depuis dimanche plusieurs fois, que l'Europe devait se montrer à la hauteur du courage dont les Serbes ont été capables. C'est pour cela que nous avons rappelé notre engagement de lever les sanctions, l'embargo, dans l'hypothèse où la démocratie triomphait. Les Serbes ont entendu faire triompher la démocratie, nous sommes dans une situation entre les deux qui n'est pas encore dénouée, mais nous devons nous mettre en mesure de tenir cet engagement, dès que nous le déciderons. Cela, c'est la position européenne. J'ajoute que nous soutenons la demande de M. Kostunica qui demande à pouvoir vérifier les décomptes et les additions de la commission électorale. Cela paraît justifié, cela paraît légitime et cela paraît le nud du problème. Au moment où nous parlons. En ce qui concerne les Russes, j'ai constaté d'abord, et c'est très important, qu'il n'y a chez eux aucune forme d'attachement ou de complaisance par rapport à ce régime du président Milosevic, qui est, je crois, très profondément ébranlé depuis dimanche, que les Russes eux aussi soutiennent un changement qui permettrait à la démocratie de commencer à s'instaurer et à être construite dans la République fédérale de Yougoslavie et qui lui permettrait de retrouver le chemin de l'Europe. Donc ils soutiennent également ce mouvement, en même temps ils sont très prudents, ils se veulent légalistes, donc ils ont une autre façon d'exprimer leur position mais qui me paraît avoir le même objectif.
Q - Le deuxième tour du 8 octobre a-t-il un sens ?
R - Je ne veux pas me substituer dans cette appréciation à l'opposition démocratique concernée, donc à ce stade, j'enregistre ce qu'a dit M. Kostunica, à partir de ce grand mouvement démocratique de dimanche. Donc cela m'amène à redire que je soutiens la demande de M. Kostunica de pouvoir vérifier les comptes de la commission électorale. C'est le problème important d'aujourd'hui.
Q - Vous n'avez pas l'impression que quand les Russes disent qu'il faut éviter toutes pressions extérieures et intérieures, pour la pression extérieure ils s'adressent notamment un peu aux Européens.
R - Je ne pense pas qu'ils pensent à l'Union européenne mais je note qu'ils englobent bien les pressions intérieures et là je vois bien à qui ils pensent.
Q - La situation est extrêmement dangereuse en Yougoslavie et certains évoquent pour faire baisser un peu ce danger la possibilité d'offrir à M. Milosevic une terre d'accueil et beaucoup songent à la Russie bien sûr, avez-vous évoqué le sujet avec vos interlocuteurs ?
R - Non, ce sujet n'a pas été évoqué. Merci beaucoup.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 octobre 2000)
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ENTRETIEN AVEC LES AGENCES DE PRESSE :
Je vous rappelle que je suis venu à Moscou à double titre, pour la France et pour l'Union européenne. Je suis venu préparer la visite du président Poutine en France, fin octobre, qui comportera un sommet Union européenne-Russie et une visite bilatérale. C'est dans ce cadre que nous avons passé en revue, avec M. Ivanov et le président Poutine, tous les thèmes de cette visite. Sur le plan européen, il s'agit essentiellement de donner plus de sens concret à la notion de partenariat. Il s'agit de faire coïncider ce que l'UE peut proposer - programmes TACIS, accords de coopération scientifique et technologique, et beaucoup d'autres encore - avec les besoins de la Russie d'aujourd'hui, fondés sur les priorités du président Poutine. Il y a quelques mois, avec le ministre français de l'Economie et des Finances, M. Fabius, nous avons adressé une lettre commune à tous nos collègues. Notre proposition est qu'il faut continuer à encourager la Russie dans la voie de l'économie de marché, et qu'il faut aussi accepter de coopérer à l'édification d'un véritable Etat de droit, démocratique et efficace. Je n'entrerai pas dans le détail mais cela peut s'appliquer à beaucoup de choses.
Et puis dans le dialogue Europe-Russie, il doit aussi y avoir un échange d'informations mutuelles. J'ai dit que nous souhaitions en savoir plus sur les priorités actuelles de la Russie. En sens inverse, la Russie demande à en savoir plus sur les réformes qui se préparent en Europe et sur les projets de défense européenne.
Sur le plan franco-russe, il s'agit de poursuivre une coopération qui est déjà très active. En matière de politique étrangère nous avons de très grandes convergences. La visite du président Poutine, fin octobre, sera suivie d'une rencontre de travail des deux Premiers ministres à la mi-décembre à Paris. Ils y feront le point de tous les domaines de coopération. Compte tenu de l'actualité, nous avons évidemment beaucoup parlé de la Yougoslavie. Nous avons fait le point de nos informations sur la situation et nous nous sommes expliqués mutuellement nos positions, lesquelles sont très largement convergentes. Voilà le résultat de mes entretiens pour aujourd'hui, mais j'en ai encore beaucoup d'autres demain. Je viens, par ailleurs, de rencontrer le président de la Douma, M. Seleznev, avec lequel nous avons parlé d'échanges inter-parlementaires.
Q - Monsieur le Ministre, lors de vos entretiens, avez-vous abordé les questions de stabilité internationale ? Y a-t-il convergence sur ce point ?
R - Nous en avons parlé, mais assez rapidement car nous connaissons parfaitement nos positions mutuelles sur ce point. Nous avons, en Russie et en France, un même attachement à la stabilité stratégique. Nous avons redit notre attachement au traité ABM de 1972 et, en France comme en Russie, nous avons salué de façon positive la décision du président Clinton de reporter sa décision sur ce plan. Il n'y a pas d'élément nouveau sur ce sujet depuis mes dernières conversations avec Igor Ivanov.
Q - A l'issue de vos entretiens avec MM. Ivanov et Poutine ne vous semble-t-il pas que la pression occidentale sur Slobodan Milosevic pourrait être à l'origine d'une crise entre la Russie et l'Occident, comme ce fut déjà le cas lors de l'opération au Kosovo ?
R - Nos entretiens ne portaient pas sur les problèmes de pression. Je ne ressens absolument pas de risque de crise entre la Russie et l'Europe. Bien au contraire, je sens justement une convergence. Pour des raisons évidentes, la position de la Russie ne peut pas être tout à fait la même que celle de l'Europe. Je pense que vous connaissez les positions de l'UE, exprimées dimanche. Vous connaissez également la position de la Russie. Je parle de convergence parce qu'il me semble que, dans la position russe, il n'y a aucun attachement, ni aucune complaisance sous quelque forme que ce soit envers le régime de Slobodan Milosevic. Les responsables russes m'ont paru très conscients de l'importance de ce qui s'est passé dimanche à travers le vote des électeurs yougoslaves. Je salue, d'ailleurs, le courage de ces électeurs. Ca ne va pas de soi dans un tel régime d'aller voter aussi massivement dans ce sens.
D'autre part, je peux vous dire qu'en tant que Présidence européenne je soutiens la requête exprimée par M. Kostunica qui a demandé à pouvoir contrôler les comptes de la commission électorale. Compte tenu de ce que l'on est en droit de penser de cette commission électorale, cette demande de M. Kostunica m'apparaît comme légitime. M. Kostunica demande que l'opposition puisse comparer ses propres informations avec celles de la commission électorale. Cette demande m'apparaît légitime. Je vous rappelle que, dans cette commission, il n'y a ni représentant de l'opposition, je crois même qu'il n'y a pas de représentants des partis de la majorité, ni aucune personnalité indépendante.
Q - Votre appel en faveur de la levée des sanctions qui pèsent sur la Yougoslavie reste-t-il en vigueur ?
R - Tout à fait, mais je vais préciser. Lors d'une réunion qui s'est tenue en France, à Evian, il y a trois semaines, les quinze ministres européens ont annoncé qu'en cas de victoire de la démocratie, l'Europe reconsidérerait radicalement sa politique vis-à-vis de Belgrade. Selon nous, les électeurs ont fait le choix de la démocratie. En tout cas ils ont voulu la faire triompher. Ils ont fait preuve de courage et l'UE doit être à la hauteur de ce courage. J'ai donc demandé à la Commission européenne de nous dire de façon plus précise ce qu'il convient de faire pour pouvoir lever rapidement ces sanctions. Mais, pour l'instant, nous n'avons pas encore pris la décision définitive compte tenu du caractère très incertain de la situation de ces jours-ci. Mais nous nous sommes mis en mesure de pouvoir prendre cette décision très vite. Vous retrouverez ce soir cette ligne dans une déclaration publiée par les Quinze.
Q - Mme Albright a critiqué la France pour avoir autorisé un vol humanitaire à destination de l'Iraq. Quelle est votre position à ce sujet ?
R - Notre position reste inchangée. Nous avons autorisé un vol strictement humanitaire vers l'Iraq, car, d'après notre analyse juridique, cela n'est pas strictement interdit par les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU. Les Etats-Unis font une analyse différente. Mais je pense que notre analyse a autant de valeur que la leur. Il s'agit bien d'un vol humanitaire. Pour pouvoir suspendre l'embargo, il faudrait que l'Iraq accepte de coopérer avec l'ONU sur la base de la résolution 1284.
Q - Il s'agit de votre première rencontre assez longue avec le président Poutine. Quelles impressions en tirez-vous ?
R - Je l'avais déjà rencontré en février. Il était alors président par intérim et je l'ai rencontré longuement à ce moment-là. Cela pour vous dire qu'on en est plus aux premières impressions. On en est à travailler. Et nous avons beaucoup de choses à faire.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 octobre 2000)