Interview de M. Arnaud Montebourg, député PS, à "France Inter" le 18 novembre 2004 sur son opposition à la Constitution européenne, sur la montée des courants populistes en Europe et sur la nécessité de faire une vraie politique socialiste afin de ne pas perdre des pans entiers de l'électorat que sont les perdants de la mondialisation.

Prononcé le

Média : France Inter

Texte intégral


Delphine Simon : Pour parler avec nous du référendum interne au PS sur le traité constitutionnel européen, Arnaud Montebourg, responsable du courant Nouveau Parti Socialiste et partisan du non. Arnaud Montebourg, bonjour.
Arnaud Montebourg : Bonjour.
DS : C'est " oui ou le chaos ", prédit Jack Lang. Qu'est ce que vous répondez à cela ?
AM : C'est une dérive catastrophiste. J'ai envie de conserver un très bon souvenir de ce référendum pour une raison simple. C'est que nous avons besoin de cette expérience démocratique nouvelle. Il faudra qu'il y ait d'autres référendums. Si à chaque référendum, cela se termine en tragédie, nous n'allons pas vivre la démocratie librement. Par ailleurs, le " moi ou le chaos ", ce n'est pas tellement dans la culture socialiste, c'est plutôt d'une autre famille politique. Donc, je crois qu'il faut regarder les choses en face. Pourquoi sommes-nous partis du 21 avril 2002 ? Parce que tous ceux qui aujourd'hui nous font la leçon n'ont-ils pas la mémoire courte de ce qui s'est passé ce soir là, de la manière dont nous avons été éliminés de la compétition politique par des forces extrémistes, c'est d'ailleurs exactement ce qui est en train de se passer dans toute l'Europe ! La montée des populismes à l'Est comme à l'Ouest reflète le problème de l'impuissance des politiques à traiter les enjeux économiques et sociaux. Lorsque 40 % des ouvriers et des employés ont voté au 1er tour pour François Mitterrand et qu'aujourd'hui ils ne sont plus que 12 ou 13 % à voter Lionel Jospin, il y a peut-être des questions à se poser ! Donc, lorsque nous avons entendu Lionel Jospin dire aux ouvriers de Lu-Danone, " l'Etat ne peut pas tout ", d'un air de dire " débrouillez-vous " et lorsqu'à cause de cette Constitution - et ça tous les promoteurs du oui oublient de le dire- que nous aurons approuvée et soutenue, on dira qu'on ne peut rien faire, ni à l'échelle nationale, ni à l'échelle internationale et européenne contre les délocalisations, la violence sociale et économique nouvelle dans les entreprises, sur les conditions de travail des salariés, qu'est-ce que nous allons faire ? Et lorsque j'entends Dominique Strauss-Kahn, par ailleurs, nous dire à son tour qu'il faut s'intéresser aux électeurs centristes, est-ce que la leçon du 21 avril 2002 est qu'il faut que nous fassions du centrisme ? Je crois que la leçon du 21 avril 2002 c'est qu'il y a aujourd'hui des perdants de la mondialisation libérale qui n'ont plus de porte-parole et qui se jettent dans les bras des populistes. Et la leçon, c'est que précisément au Congrès de Dijon, nous nous sommes tous réunis autour de l'idée selon laquelle il fallait réorienter la construction européenne. C'est exactement ce que nous proposons, non pas en disant non à l'Europe, mais en disant oui à l'Europe des citoyens. Ils ont entre leurs mains cette arme référendaire extraordinaire qui leur permettra de faire entendre leurs aspirations démocratique et sociale. Qu'ils en usent. Ce sera peut-être la dernière fois.
DS : Vous avez évoqué les leçons du 21 avril il y a un instant. Un sondage SOFRES pour le Nouvel Observateur dit que Lionel Jospin n'est plus l'homme providentiel du PS. Qu'est-ce que vous en pensez ?
AM : Je ne m'intéresse que très peu à la providence. Je veux simplement dire que Lionel Jospin ne doit pas avoir la mémoire courte du 21 avril 2002. Ce n'est pas un problème personnel, ni accidentel. C'est un problème structurel du déclin du socialisme et de la social-démocratie dans tous les pays européens qui se vérifie autour de nous. Avoir négligé que nous n'avons pas été à la hauteur des enjeux économiques et sociaux et aujourd'hui donner l'impression d'une co-gestion de l'Europe avec la droite européenne -c'est le projet de 19 gouvernements de droite sur 25 qu'on nous demande d'approuver, avec Messieurs Berlusconi, Seillière, Chirac, Sarkozy ! Comment un socialiste peut imaginer faire campagne dans toute l'Europe avec les droites sans que cela n'ait aucune conséquence et que cela ne fasse aucun dégât ? Quelle est l'alternative ? Ressembler à la droite, c'est ce qui nous est arrivé, je vous le rappelle, en 2002, sans distinguer, c'est ce que nous voulons faire.
Fabrice Drouel : Arnaud Montebourg, Lionel Jospin vous gêne, vous inhibe au Parti Socialiste, il vous empêche d'avancer, il vous met des bâtons dans les roues ? Il ne faut pas éviter le problème. Henri Emmanuelli a dit qu'il n'a pas tiré les leçons du 21 avril.
AM : Le collectif de ceux qui dirige le Parti Socialiste aujourd'hui sont ceux qui nous ont mené au 21 avril. C'est un collectif qui mène une sorte de politique de l'autruche, qui ne veut plus voir ce qui se passe dans la société française. Ils ont découvert un soir, avec panique, la réalité de la société française. Et, après trois victoires électorales, c'est oublié. Mais derrière la victoire éclatante du mois de mars 2004, il y avait quand même l'augmentation de 292.000 suffrages de plus pour le parti de Jean-Marie Le Pen. Il y a en Allemagne un parti néonazi qui a réalisé un score historique de 10 %. Je rappelle d'ailleurs que les populistes utilisent les urnes, la démagogie électorale pour briser l'uvre européenne et l'oeuvre démocratique et républicaine dans tous les pays d'Europe. Donc, abandonner des pans entiers de l'electorat que sont les perdants de la mondialisation, ne pas les défendre et aller s'inscrire dans une logique droite-gauche de conjugaison de nos efforts pour faire passer un texte qui est un texte qui nuit aux valeurs et aux intérêts de ceux que nous avons en charge, c'est là le pire qui puisse nous arriver.
DS : Arnaud Montebourg, merci. Je rappelle que vous êtes député socialiste de Saône et Loire.

(Source http://nouveau-ps.net, le 1er décembre 2004)