Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, sur LCI le 5 janvier 2005, sur la position de FO concernant les thèmes abordés lors des voeux du Président de la République, M. J. Chirac : l'assouplissement des 35 heures, le SMIC, le pouvoir d'achat des fonctionnaires et la politique industrielle.

Prononcé le

Circonstance : Présentation des voeux du Président de la République, M. J. Chirac, aux forces vives de la Nation, au Palais de l'Elysée le 4 janvier 2005

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

P.-L. Séguillon .- Vous étiez parmi ces forces vives auxquelles le président de la République a adressé ses vux hier. Vous souhaitiez une politique économique dynamique ; le président de la République annonce une nouvelle politique industrielle. Vous souhaitiez une révision du Pacte de stabilité ; le président de la République en annonce une nouvelle approche. Vous souhaitiez un soutien actif au pouvoir d'achat ; le président de la République rappelle que le Smic augmentera de 5 % au mois de juillet. Que demander de plus ?
J.-C. Mailly .- Mais entre les annonces et la réalité, il y a tout un fossé. Une politique industrielle, oui, nous en demandons une depuis maintenant plusieurs mois, parce que nous considérons que la France, l'économie française ne peut pas continuer à se développer sans une structure industrielle forte. L'annonce est faite, maintenant, nous en attendons le contenu. Et dans le même temps, nous sommes inquiets quand on entend que cette politique industrielle serait financée par des privatisations - donc, possibilité de remise en cause du service public. Sur le Smic, c'était quelque chose d'annoncé depuis longtemps : c'est l'harmonisation des différents niveaux du Smic dus aux 35 heures. Donc, entre les annonces... Le Pacte de stabilité, là, je ne comprends pas ! Excusez-moi mais je ne comprends pas, puisque, d'une certaine manière, le Pacte de stabilité, tel qu'il est, il est inscrit tel quel quand le marbre du projet de Constitution d'un côté et quand on discute, nous, au niveau européen, par exemple, dans le cadre de la confédération européenne des syndicats, il y a quelques semaines, nous avons rencontré monsieur Juncker qui est, depuis le 1er janvier, président du Conseil européen ; quand on discute du Pacte de stabilité, il nous qu'il n'y aura pas grand chose, que cela va juste être un calendrier, mais que sur le fond, il n'y aura pas de changement. Donc, à partir de là, il y a des contradictions, y compris dans le discours du président de la République hier.
Q- Reprenons les questions les unes après les autres. D'abord, le pouvoir d'achat : cette augmentation du Smic au 1er juillet, est-elle insuffisante à vos yeux ?
R- Non, cela ne se pose pas comme cela. Le problème du Smic, c'est qu'il y avait cinq niveaux de Smic dû à la mise en place des 35 heures. Il y a une harmonisation pour retrouver un seul Smic et la dernière date, c'est 2005. Donc, c'était prévu. Cela ne concerne pas tous les Smicards, c'est une partie des Smicards. Ce que nous disons sur le pouvoir d'achat...
Q- En fait, ce que vous attendez, c'est que le Gouvernement fasse un geste là où il peut en faire, chez les fonctionnaires ?
R- Le Gouvernement a une responsabilité vis-à-vis des fonctionnaires...
Q- Pour les salariés privés, il ne peut rien faire...
R- Dans le privé, cela se négocie par branche et cela se négocie dans les entreprises. Mais l'Etat est aussi un employeur. Or vis-à-vis des agents de la fonction publique, on le voit très bien - et il y a d'ailleurs grève le 20 janvier dans la fonction publique -, l'Etat ne donne pas de marge de manuvre pour négocier avec les fonctionnaires.
Q- Il a fait un geste : R. Dutreil a annoncé 0,5 % en février, 0,5 % d'ici à la fin de l'année, cela fait 1 %.
R- Cela ne fait pas 1 % quand on regarde bien, parce que les 0,5 % en fin d'année, cela joue surtout sur l'année suivante. Mais ceci étant, les fonctionnaires, c'était 0 % en 2003, 0,5 % en 2004 et rien cette année. Si l'on veut effectivement soutenir l'activité économique et la croissance, c'est-à-dire l'emploi, il faut élever le pouvoir d'achat des salariés, que ce soit dans le privé comme dans le public. Et là, il n'y a pas de réponse du président de la République là-dessus.
Q- Vous avez annoncé cette grève du 20 janvier des fonctionnaires. Avant, il y a une grève des postiers, des cheminots ; est-ce que vous attendez une forte mobilisation ? L'espérez-vous ? Est-ce que vous la prévoyez ? Et est-ce que vous pensez pouvoir faire reculer le Gouvernement ?
R- Qu'il y ait une forte mobilisation quand il y a un mouvement qui est lancé, bien entendu que nous la souhaitons et nous allons tout faire pour qu'il y ait une forte mobilisation. Cela fait plusieurs mois que l'on ressent qu'il y a de l'inquiétude et du mécontentement chez les salariés, liés aux questions d'emploi et de salaire. Quand il y a de l'inquiétude et du mécontentement, il faut que cela s'exprime à un moment donné.
Q- Vous sentez une dégradation du climat social, une mobilisation ?
R- Il y a une dégradation du climat social, c'est évident, notamment pour les questions de pouvoir d'achat. Quand les salariés entendent que leur PDG, pour les entreprises cotées à la Bourse, gagnent plusieurs millions d'euros par an, que les rémunérations ont augmenté de 10 % en un an, pourquoi voulez-vous qu'ils aient des complexes pour revendiquer une amélioration de leur pouvoir d'achat, surtout que cela soutiendra la consommation ? Cette mobilisation, nous allons voir au mois de janvier, mais si nous appelons avec d'autres à la mobilisation, notamment dans la fonction publique - notamment dans le secteur public en janvier, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas d'autres choses ensuite dans le secteur privé...
Q- C'est le secteur public qui sera le fer de lance pour vous ?
R- Ce n'est pas le fer de lance. Là, il y a une actualité dans la fonction publique, puisqu'il y a une négociation des salaires dans la fonction publique. Il y a une remise en cause du service public de la Poste avec la loi postale, il y a des problèmes de salaire et des problèmes d'effectifs à la SNCF. Ceci étant, sur le plan des 35 heures, par exemple : comment les inscrivons-nous dans la question du pouvoir d'achat ? Ce que nous voulons, c'est augmenter le pouvoir d'achat, pas la durée du travail. Il y a une réunion entre les confédérations la semaine prochaine.
Q- Est-ce que l'assouplissement des 35 heures, prévu par le Premier ministre, et confirmé hier par le président de la République, ne va pas contribuer à permettre aux travailleurs d'avoir davantage de pouvoir d'achat, pour permettre de travailler plus longtemps et d'en gagner d'avantage ?
R- Cela veut-il dire quoi ? Le message que les pouvoirs publics sont en train de nous donner depuis la fin de l'année, c'est "tout sauf les salaires". C'est si vous voulez demain espérer avoir un niveau de vie qui augmente, vous n'avez qu'à bosser plus ou vous attendez que les prix baissent. On ne peut pas l'accepter. Les assouplissements, ce n'est pas simplement les 35 heures pour les 35 heures. On avait été critiques sur la mise en oeuvre des 35 heures, la manière doit cela s'était fait à l'époque. C'est aussi une volonté d'individualiser la durée du travail. Quand on laisse croire que les salariés pourraient choisir leurs horaires de travail, c'est un leurre, c'est de l'illusion, ce n'est pas vrai, ce n'est pas comme cela que cela se passe dans la réalité.
Q- Sur ces 35 heures, est-ce que FO va appeler les salariés à ne pas négocier dans les entreprises, quand il pourra y avoir proposition de négociations pour assouplir les 35 heures ?
R- On n'en est pas là pour le moment. Pour le moment, le Gouvernement a sorti le décret avant Noël autorisant l'augmentation du contingent des heures supplémentaires à 220 heures, et maintenant, il va y avoir un débat au Parlement sur les systèmes dérogatoires. Pour le moment, on n'en est pas là. Pour le moment, on veut essayer de aire reculer les pouvoirs publics sur leur volonté de déroger.
Q- Précisément, vous avez une réunion la semaine prochaine avec les autres organisations syndicales. Quelles vont être les suggestions de FO lors de réunion ?
R- Déjà discuter sur les thèmes. Ce qui nous paraît important, c'est mise en avant du problème des salaires, le refus de la remise en cause de la durée légale du travail - parce que même quand le président de la République dit "on ne remet pas en cause la durée légale", dans les faits, elle va être mise en cause...
Q- Attendez : "refus" ? Mais comment allez-vous exprimer ce refus ?
R- On va voir, on va en discuter. Je ne veux pas me prononcer...
Q- Mais vous avez des idées ?!
R- Ce sera ou des manifestations... On va regarder cela, on va discuter de cela la semaine prochaine. Vraisemblablement des manifestations de caractère interprofessionnel, ensemble, public et privé. Il y a une nécessité d'avoir cette solidarité interprofessionnelle, parce que si les salariés du privé sont les premiers visés sur les 35 heures, il ne faut pas se faire d'illusion : derrière, ce sera aussi la fonction publique. Donc, c'est bien un problème public-privé. Il y a un renversement depuis quelque temps. Avant, on obtenait quelque chose dans le public, on essayait de l'obtenir ensuite dans le privé. Maintenant, on remet en cause dans le privé et une fois que c'est remis en cause dans le privé, on fait faire la même chose dans la fonction publique.
Q- A propos de la politique industrielle, le président de la République, sur les suggestions du rapport de monsieur Beffa, parlait de la création d'une agence pour le développement industriel. On conçoit son conseil de surveillance composé de diverses personnalités, dont des syndicalistes ; est-ce que vous pratiquerez la chaise vide ou siègerez-vous, le cas échéant, dans ce conseil ?
R- Le rapport de monsieur Beffa, on ne le connaît pas pour le moment...
Q- Comme moi, vous en avez entendu parler !
R- On en entend parler mais on ne l'a pas vu pour le moment, on ne l'a pas, il n'a pas été remis officiellement. On va voir ce qu'est cette agence d'innovation industrielle en tant que telle. Le rôle des syndicalistes n'est pas de gérer la politique industrielle du pays, ce n'est pas de gérer les entreprises : il y a une incompatibilité entre les deux choses. On va voir, on va regarder. Pour le moment, je n'ai pas entendu évoquer l'idée de participation des syndicats. Il ne faut pas mélanger les genres. On ne gère pas les entreprises, comme on ne gère pas la politique industrielle. Maintenant, qu'il y ait une politique industrielle, c'est une nécessité, comme je le disais tout à l'heure. Ceci étant, attendons le contenu, parce que l'année dernière, le président de la République avait dit la même chose à peu près. Sans parler de création d'agence, il avait appelé à une politique industrielle également.
Q- Une dernière question, à propos de la négociation d'un nouvel accord, à l'Unedic, qui va être nécessaire cette année : vous êtes gestionnaire, comme organisation syndicale, de cet organisme de gestion de l'assurance chômage. Est-ce que vous allez proposer, parce que l'Unedic est en grave déficit - 12,5 milliards en 2005 probablement - une augmentation des cotisations ou une baisse des
compensations ?
R- Baisse des droits des chômeurs ou des salariés, non, bien entendu. [...] C'est 12 milliards de déficit cumulé quand même. Ceci étant, il y a un préalable. Le président de la République demande une coordination plus forte ; ça, on n'est pas contre. On serait contre une fusion, ce qui veut dire que c'est l'Etat qui reprendrait la main sur tout. Déjà aujourd'hui, c'est très compliqué. Ce que l'on demande au préalable, avant la négociation de la convention d'assurance chômage, c'est qu'il y ait une clarification des responsabilités entre l'Etat, y compris l'ANPE, dont le monopole est remis en cause, et le régime d'assurance chômage. Quand on regarde les choses depuis 20 ans, la participation financière de l'Etat, globalement, dans le système d'assurance chômage a fortement décru. Donc, il faut rediscuter de cela. Aujourd'hui, l'Unedic fait un peu le travail de l'ANPE, y compris en ayant recours à des cabinets privés de placement. Donc, le préalable pour nous, c'est une clarification des responsabilités et des financements avant la négociation de la convention en tant que telle.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 janvier 2005)