Interviews de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, dans "Le Figaro économie" le 22 juillet 2004, à "France 2" le 27 juillet 2004, et Tribune dans "Le Monde" le 27 juillet 2004, intitulée "OMC : des négociations pour quoi faire ?", sur le désaccord de la France avec le texte de compromis de l'OMC pour relancer les négociations du "cycle de Doha" .

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission la politique de la France dans le monde - France 2 - Le Figaro - Le Monde - Télévision

Texte intégral

Q - Le texte de compromis, proposé par l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) pour relancer le "cycle de Doha", déclenche les foudres de la France. Que lui reprochez-vous ?
R - Ce texte est inacceptable et la France proteste solennellement. Des propositions européennes, qui avaient été faites au conditionnel, sont engrangées par ce texte comme des acquis et sans aucune contrepartie. Voilà un document totalement déséquilibré, car il n'impose aucun parallélisme à nos partenaires. L'Europe a déjà fait deux grands pas vers ses partenaires. En 2003, nous avons lancé une réforme de la politique agricole commune reposant sur le découplage des aides par rapport à la production. Ensuite, il y a eu l'initiative Lamy-Fischler. Sans aucune réponse de nos partenaires. On donne, mais on ne reçoit rien.
Q - Ce déséquilibre, qui favorise-t-il ?
R - Les Etats-Unis. Ce que Lamy et Fischler ont proposé le 9 mai, c'est la suppression des subventions à l'exportation - ce qui n'était d'ailleurs pas dans le mandat que le Conseil leur avait confié -, mais au moins ils posaient des conditions. L'OMC reprend cette idée en enlevant les conditions. C'est insensé. Les autres pays exportateurs doivent évidemment céder quelque chose. Alors que, en fait, le texte se contente de fixer les crédits américains à l'exportation à une durée maximale de six mois. Et encore, avec des précautions oratoires qui adoucissent la mesure.
Q - La plupart des pays européens sont plutôt d'accord avec la manière dont Bruxelles négocie avec l'OMC. La France est isolée au sein de l'Union, non ?
R - Détrompez-vous. Nous sommes en pointe, mais de plus en plus de pays nous suivent. Il ne faut pas oublier que la conférence de Cancun avait échoué en septembre 2003 déjà parce que nous refusions d'accepter les demandes concernant les subventions agricoles. Et puis l'accord final sur le cycle de Doha, le jour venu, devra recueillir un soutien unanime de tous les membres de l'OMC, dont la France, individuellement.
Q - Votre insatisfaction est limitée au dossier agricole...
R - Non, car le parallélisme doit s'exprimer dans d'autres domaines. Par exemple sur les droits de douane appliqués aux produits industriels. Certains pays émergents veulent protéger des secteurs entiers de leur industrie et ne veulent pas faire des concessions sur ce plan. De même, nous ne constatons aucun projet sérieux sur les indications géographiques, et ce domaine est manifestement repoussé aux calendes grecques, sans aucun progrès par rapport à Cancun, sous le prétexte fallacieux que ce thème ne profite qu'aux pays développés.
Q - Que pouvez-vous faire ?
R - Nous avons demandé une réunion du Conseil des Affaires générales pour lundi. Nous demandons au négociateur européen, Pascal Lamy, d'améliorer considérablement son offre et les résultats qu'il obtient des partenaires de l'Union européenne.
Q - Que demandez-vous à l'OMC de rajouter dans son texte ?
R - Nous demandons que soit restitué un parallélisme complet. Si, par exemple, les Américains acceptent la suppression de leurs crédits à l'exportation, ce serait un début prometteur. On pourrait discuter, mais ce ne serait toujours pas suffisant, car nous demandons aussi la disparition des monopoles d'Etat qui existent dans les pays du groupe de Cairns et des clarifications à propos des préférences communautaires, c'est-à-dire les droits de douane qui protègent nos produits agricoles.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 juillet 2004)
OMC : des négociations, pour quoi faire ?
Les ministres du Commerce extérieur de l'Union européenne se réunissaient, lundi 26 juillet à Bruxelles, pour préparer les négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui abordent une phase décisive. Après l'échec de Cancun en septembre 2003, les 148 pays membres de l'organisation se réunissent, en effet, mardi 27 juillet. Leur objectif : trouver un accord d'étape pour conduire les négociations à leur conclusion finale.
Je le dis avec conviction : le seul accord envisageable à l'OMC en juillet est celui qui permettra à la fois de relancer la négociation bloquée depuis Cancun tout en garantissant que le résultat final préservera effectivement les intérêts de tous, y compris de l'Europe. La substance doit donc clairement primer sur l'échéance.
A la veille de ces échéances, je crois utile de rappeler que la ligne de conduite de la France n'a pas varié car elle s'appuie sur des principes simples, qui peuvent rallier de nombreux partenaires.
Premier principe : l'économie française et l'économie européenne tirent profit de l'ouverture des marchés. Un Français sur quatre travaille pour l'exportation, chaque milliard d'exportations supplémentaires crée 15 000 nouveaux emplois et nous demeurons dans le peloton de tête des grandes nations commerçantes du monde.
Deuxième principe : le cycle des négociations ne pourra aboutir que s'il est vraiment un cycle pour le développement des laissés-pour-compte de la mondialisation. Les précédentes négociations de l'OMC n'ont profité qu'à des pays déjà grands exportateurs comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou le Brésil ; nous ne devons plus reproduire cette erreur.
Tout doit être fait pour que les pays les plus pauvres, et notamment ceux d'Afrique, tirent de vrais profits de cette négociation. La question du coton, soulevée l'année dernière par les producteurs africains, doit ainsi être réellement traitée, notamment par les Etats-Unis, qui refusent toute réforme de leur régime de subventions, pourtant condamné par l'OMC. Plus généralement, les autres pays développés doivent, sur le modèle de l'Europe, s'engager à gérer les quantités qu'ils produisent pour laisser une place suffisante aux exportations des pays les plus pauvres. C'est à l'aune de ce principe que la France appréciera les propositions des prochaines semaines.
Troisième principe : au-delà de la question du développement, qui doit être prioritaire, une bonne négociation est une négociation où chacun trouve son compte. La mondialisation ne sera comprise et acceptée que si nos concitoyens et la représentation nationale estiment qu'elle progresse de manière équilibrée. Méfions-nous des attitudes théoriciennes : si nous pouvons envisager des concessions dans tel ou tel domaine particulier, il est légitime qu'elles aient des contreparties explicites pour notre économie. Je pense en particulier à deux domaines :
- En matière agricole, il ne faut pas tomber dans le piège de je ne sais quelle mauvaise conscience. Ce que l'on nous dispute est pratiqué par d'autres, à une échelle comparable. Rien ne peut être envisagé qui ne soit accompagné des mêmes concessions de la part des Etats-Unis ou des autres grands pays exportateurs développés : c'est notamment le cas en matière de subventions à l'exportation.
En outre, le coeur de notre modèle économique et social n'est pas discutable : il faut donc rechercher des accords qui préservent la "préférence communautaire", c'est-à-dire la capacité de l'Union européenne à produire pour elle-même et assurer ainsi sa sécurité alimentaire, à des conditions économiquement acceptables pour nos agriculteurs. Ceux-ci ont accepté en 2003 d'aller dans le sens de la réforme ; il n'est pas question d'aller plus loin.
- Au-delà, c'est aux autres participants à la négociation de l'OMC de nous dire ce qu'ils sont prêts à mettre sur la table. Nos industries, nos services sont d'autant plus compétitifs que nos droits de douane sont déjà parmi les plus bas du monde. Il n'en va pas de même chez nombre de pays membres de l'OMC, qui maintiennent des niveaux de droits de douane dissuasifs. Ces Etats doivent entrer dans une logique d'ouverture qui nous permettra à tous de tirer le meilleur parti de l'accroissement des échanges.
Ces principes, on pourra en juger, ont vocation à être très largement partagés. Mais ils nous semblent autant de conditions préalables qu'il nous faut rappeler avec solennité. Nous ne saurons nous accorder sur une architecture d'ensemble du commerce international que si chacun peut y adhérer sans arrière-pensées, ce qui impose que tous soient vraiment résolus à jouer le jeu.
Or, il est permis aujourd'hui de douter de la sincérité de certains de nos partenaires. Alors même que le négociateur européen a "étalé son jeu", notamment en matière agricole, les flexibilités affichées généreusement n'ont permis ni de relancer, ni de rééquilibrer les négociations. Au contraire, elles ont conduit nos partenaires à considérer ces offres comme acquises.
Nous devons donc envisager de changer de pied, ne serait-ce que pour que la position de l'Europe soit respectée et crédible. L'Union européenne doit dire avec plus de détermination quelles sont ses "lignes rouges", au-delà desquelles des concessions supplémentaires videraient totalement de son sens le cycle de Doha pour l'Europe. Il serait en effet désastreux de rechercher un accord à tout prix à l'OMC, au détriment des valeurs et des objectifs qu'elle défend, et sous la pression du calendrier électoral de tel ou tel grand pays.
A cet égard, la manière dont seront traités les pays en développement, notamment africains, sera tout à fait déterminante pour nous. D'autres échéances nous attendent, dans les prochaines années, qui impliquent de ne pas hypothéquer l'avenir. Cette position sera défendue par la France dans les prochaines échéances communautaires et internationales.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juillet 2004)
F. Beaudonnet - Vous étiez très en colère contre P. Lamy, le commissaire européen au commerce. Est-ce que les discussions que vous avez eus hier à Bruxelles ont un peu calmé le jeu ?
R -"Oui, d'abord, P. Lamy, c'est celui qui négocie pour nous. Par conséquent, il a à mettre sur la table des propositions, mais il est allé assez loin dans ses propositions..."
F. Beaudonnet - Il est allé trop loin, selon vous ?
R - "Il est allé un peu trop loin dans l'estimation que nous avons des chances de résultat. Mais nous demandons, maintenant que ce pas est fait, que nos partenaires du reste du monde, c'est-à-dire les grands pays émergents, c'est-à-dire les Etats-Unis, le Canada, l'Australie, les grands pays développés fassent une avancée aussi importante que la nôtre."
F. Beaudonnet - Ce que vous reprochez à P. Lamy, essentiellement, c'est d'avoir cédé sur le volet agricole en disant que l'Europe allait cesser ses subventions aux exportations. Est-ce que vous pensez que J. Chirac, qui a été très virulent dans ce dossier, a tenté de dramatiser la situation ?
R - "Non, mais cela correspond tout simplement à la préoccupation française de la défense de nos intérêts dans le monde. Dans ces négociations commerciales, nous engageons la situation de notre agriculture, de notre industrie, de nos services, c'est-à-dire de notre emploi pour les 10 ans qui viennent et par conséquent, il faut que nous soyons en équilibre. On ne peut pas, nous, faire des concessions que les autres ne feraient pas au même niveau. Aujourd'hui, nous avons les conséquences des décisions qui ont été prises en 1995, lors des accords Marrakech, où par exemple pour le textile, les accords du textile qui vont venir à échéance le 1er janvier 2005, tout cela se fait avec un écart de dix ans. Donc ce dont on parle aujourd'hui, ce sont les concessions que l'on peut, nous, faire, à condition que d'autres en fassent d'équivalentes pour les dix années qui viennent."
F. Beaudonnet - Qu'est-ce que vous avez obtenu concrètement hier lors de cette réunion des 25 pays européens ?
R - "A 25, nous avons obtenu que nous ferons un suivi politique toute la semaine, comme cela avait été le cas l'année dernière à Cancun. L'année dernière à Cancun, tout le monde était unanime, l'Union européenne. Cette année, nous serons, de la même façon, en suivi permanent avec un Conseil des ministres, en fin de semaine, pour voir exactement l'état d'avancement et des positions que nous prenons. Et nous avons obtenu aussi que la Commission travaille au rééquilibrage du texte de l'OMC qui est actuellement sur la table, qui est déséquilibré, dans lequel l'Union européenne donne beaucoup plus que ce que donnent les autres et donc nous demandons que les autres donnent autant que ce que nous donnons."
F. Beaudonnet - Ce rééquilibrage vous satisfait pour l'instant ?
R - "Il n'est pas acquis, c'est ce qu'il faut obtenir cette semaine. Et c'est la décision des 25 de demander ce rééquilibrage fortement, qui à la fois va appuyer notre négociateur dans la discussion et d'un autre côté va faire la preuve au reste du monde que l'Union européenne est inflexible sur cette demande."
F. Beaudonnet - Vous parlez de rééquilibrage, c'est ce que vous souhaitiez. Ceci dit, ce rééquilibrage n'est absolument pas chiffré. Est-ce que cela n'est pas dangereux ?
R - "Certaines choses devraient être chiffrées, mais, à vrai dire, nous sommes dans un accord cadre. Dans ces négociations, il y a plusieurs étapes. On est dans une étape, où c'est un accord cadre, dont on poursuit, ensuite, le travail domaine par domaine avec des chiffres. Aujourd'hui, ce sont les grands principes, si vous voulez, et sur ces grands principes, des phrases peuvent être sibyllines. Si vous ne mettez pas de chiffres, qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce que cela concerne 20 % des produits, 30 % des produits. C'est ces questions-là qui vont être à débattre dans la suite et cela mettra probablement encore plus de 6 mois, un an, un an et demi à être précisé. Donc l'accord final de l'OMC aura lieu, interviendra, sans doute durant l'année 2005."
F. Beaudonnet - Vous êtes optimiste, vous pensez que le cycle de Doha va pouvoir se poursuivre. Est-ce que la France est prête à avoir une position jusqu'au boutiste, quitte à le faire capoter ?
R - "La France, en tout cas, et l'Union européenne, veut un accord équilibré et dit qu'il vaut mieux un accord équilibré, un bon accord, qu'un accord dans la précipitation. Nous n'avons aucune raison de nous précipiter. En fait, aujourd'hui, nous sommes la pression..."
F. Beaudonnet - Vous ne préférez pas d'accord du tout qu'un accord que vous jugeriez contraire aux intérêts de la France ?
R - "Bien évidemment, et nous pensons que beaucoup de nos partenaires européens ont affirmé la même chose hier. Ceci dit, nous sommes au stade des principes et il faut qu'au-delà, il y ait une négociation sur les détails. Mais, nous sommes sous la pression d 'un calendrier, aujourd'hui, qui est le calendrier des élections américaines, ce qui fait que la vocation des négociateurs s'arrête au moment des élections, donc il y a une espèce de pression à essayer de faire aboutir les choses cette semaine. Nous pensons en tout état de cause, qu'il faut avoir un bon accord et que cela est plus important que la pression du calendrier."
F. Beaudonnet - En ce qui concerne le côté européen, vous parliez de la pression sur le plan des Américains avec les élections qui arrivent, mais il y a aussi un changement au niveau de la Commission européenne. Est-ce que la Commission européenne a les mains libres pour négocier ?
R - "Non, la Commission européenne doit négocier en fonction des instructions, du mandat que lui donne le Conseil et ce mandat lui a été donné au cours des années précédentes en regardant domaine par domaine, en regardant de façon très précise. Aujourd'hui, on est un peu au-delà du mandat. C'est pour cela que nous demandons qu'il y ait, de la part de nos partenaires, des avancées aussi importantes. Nous avons donné l'année dernière, vous savez, le découpage des aides agricoles, et là, l'Union européenne est avancée sur les subventions à l'export. Ce sont des domaines extrêmement importants, pour lesquels il ne faudrait pas, nous, donner et ne pas avoir de contre-parties équivalentes des autres pays. Dans le domaine agricole, c'est important, mais le domaine agricole est un des domaines seulement, il y a l'industrie aussi, les services..."
F. Beaudonnet - Les industriels, ce matin, ont une phrase très forte. Un membre du Medef dit : "nous sommes pris en otage par l'agriculture". Qu'est-ce que vous en pensez ?
R - "Il y a beaucoup de pays qui considèrent que les aides agricoles sont une condition préalable pour la discussion sur les questions industrielles..."
F. Beaudonnet - Votre priorité va à l'agriculture ou à l'industrie ou aux services ?
R - "Non, il faut faire tout. Nous avons toujours demandé un paquet global et la difficulté est d'obtenir des choses aussi approfondies [inaudible...]. Donc, ce que nous demandons, autant que pour la question agricole, et surtout nous demandons plus de profondeur dans le texte Industrie et Services par rapport au texte agricole. Donc il y a deux rééquilibrages qui doivent se faire."
F. Beaudonnet - Vous êtes ministre délégué au Commerce extérieur. Donc, l'économie c'est votre domaine. Pensez-vous que la croissance en France est de retour ?
R - "Les chiffres le montrent et elle est tirée par la consommation des ménages, elle est tirée par l'investissement et elle est même tirée par le commerce extérieur. Le commerce extérieur fait que la France est toujours à 5,1 % du commerce extérieur mondial..."
F. Beaudonnet - Elle s'est faite doublée par la Chine, elle est passée de la quatrième à la cinquième place.
R - "Elle s'est faite doublée par la Chine l'année dernière. Je pense que la Chine a une croissance de 9 % par an, donc, par conséquent, vous vous rendez compte qu'elle avance plus vite que nous et donc, à un moment donné, comme nous étions voisins, il était normal qu'elle nous double. Ceci dit, nous avons par rapport à mai de l'année dernière - aujourd'hui, on a les chiffres des cinq premiers mois - on a une croissance de 5,7 % de notre commerce extérieur. Tout cela représente des emplois. Les emplois c'est 6 millions de personnes..."
F. Beaudonnet - Cette croissance va créer des emplois ?
R - "Oui, tout à fait, je le pense te je le souhaite en tout cas. C'est une question de confiance. Aujourd'hui, que la consommation des ménages reparte, c'est la preuve qu'il y a de la confiance et cela est l'élément de plus important."
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 juillet 2004)