Texte intégral
Monsieur le Président de l'Association des maires de France,
cher Daniel HOEFFEL,
Mme Maud TALLET, maire de Champ-sur-Marne, Présidente de la Commission Cohésion sociale de l'AMF, accueille le Ministre :
Bonjour, Monsieur le Ministre,
Nous avons l'honneur de vous accueillir à notre congrès, à une période particulièrement importante, puisque le texte que vous avez proposé est entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Vous nous avez consultés ou fait consulter sur trois thèmes qui apparaissent très clairement dans le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale : la mobilisation pour l'emploi, les dispositions en faveur du logement, la mobilisation pour l'égalité des chances. Autant de thèmes qui sont au cur des préoccupations des élus locaux, au cur aussi des préoccupations de nos habitants.
Bien évidemment, je n'aurai pas l'outrecuidance, pour ma part, de faire un résumé ou une synthèse des propositions. Vous êtes celui qui saura le mieux nous exposer les choses, mais également celui qui pourra entendre les questionnements des élus locaux, notamment des communes et des EPCI, et vous allez, je crois, vous soumettre tout à fait aimablement au débat avec la salle.
Je vais donc vous donner avec grand plaisir la parole pour ce " direct " avec les élus de base que nous sommes, nous, les maires des collectivités. Nous avons entendu nos collègues des collectivités rurales, moi je suis plutôt représentative des collectivités urbaines, puisque je suis maire d'une ville de 25 000 habitants de la région parisienne, et j'ai de gros questionnements, comme tous mes collègues placés dans les mêmes situations, similaires à ceux de nos collègues ruraux, quant à l'égalité territoriale, sur des thèmes aussi fondamentaux dans la vie de nos concitoyens que l'emploi, le logement, et l'égalité des chances par l'éducation.
Tout d'abord, merci, Madame, Monsieur le président, de m'accueillir.
Je ne veux pas vous présenter le plan de cohésion sociale, mais simplement quelques points particuliers, quelques arêtes. Au fond, ce plan, c'est les souvenirs d'un maire. J'ai été longtemps maire d'une ville - deux mandats - et il y a des situations ou des choses qui me paraissaient profondément insupportables. Et quand j'ai été appelé à exercer cette fonction, je me suis réveillé à 2h du matin, en me disant : " finalement, tout ce dont tu as, je ne dirais pas " rêvé ", le terme est excessif, mais tout ce dont tu voulais disposer, quand tu étais maire, essaie de le mettre sur une feuille de papier et de le transformer en programme opérationnel ".
C'est donc, profondément, un ensemble d'outils mis à la disposition de l'idée que je me fais de la responsabilité des communes. Il est clair que la réalité française est extrêmement variée : la taille des villes, les situations géographiques, l'accessibilité il n'y a pas d'unité ou d'équivalence entre elles. Mais c'est cette approche.
Ma deuxième observation préalable, avant de rentrer rapidement dans les quelques points qui vont vous concerner si vous le souhaitez, c'est que ce sont des programmes précis, simples, qui ne sont pas des transferts de compétences - il n'y a pas le début d'un transfert de compétence - ce sont simplement des moyens complémentaires, pour une période de cinq ans, mis à la disposition des collectivités locales sur un certain nombre de points particuliers.
Si vous voulez bien, passons ces quelques points en revue. Le premier grand sujet, c'est l'emploi, mais l'emploi au sens large ; à la fois le fait de retrouver un emploi : vous savez que le dispositif français était extrêmement segmenté entre l'ANPE, l'AFPA, l'ASSEDIC, etc. Tous les grands pays qui nous entourent ont un système unique, homogène, fusionné, pour simplifier la vie du demandeur d'emploi et les relations avec les embaucheurs, qu'ils soient publics ou privés. Nous n'avons pas choisi ce schéma, qui était la fusion des différents réseaux, mais plutôt, pour les collectivités locales qui le souhaitent, d'avoir pour trois ou quatre antennes ANPE, par exemple, une tête de réseau fusionnée : élu local, chambre de commerce, chambre des métiers, AFPA, ANPE, ASSEDIC, l'Etat mettant à disposition, sans contrepartie, le financement des ces opérations en hommes et en moyens matériels.
C'est un programme qui est identifié : le point de contact, c'est la Direction générale de l'emploi. Nous mettons à disposition 350 millions d'euros sur ce programme, mais ce n'est pas l'Etat qui définit la Maison de l'emploi type. Parce que la réalité des situations et des sites n'est évidemment pas la même selon qu'on est dans un tissu urbain extrêmement dense ou au contraire dans un tissu rural ou périurbain.
Le deuxième grand point de ce volet, c'est le service à la personne. Je suis convaincu - et d'ailleurs tous les chiffres le démontrent - que le principal gisement d'emplois dans ce pays est le service à la personne, et que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain, c'est strictement le même combat. Nous avons deux grandes associations - il y en a plusieurs autres, mais pour symboliser, il y a l'ADMR et l'UNASSAD ; nous sommes convaincus que le sujet du service à la personne est non seulement un enjeu d'emploi décisif pour notre pays, mais en même temps c'est de l'emploi qui n'est pas délocalisable, et c'est un emploi qui améliore la qualité de vie de nos compatriotes. La façon de le soutenir en milieu urbain et en milieu rural sera différenciée, nous avons des négociations encore avec nos partenaires, mais l'idée générale est que l'Etat financera les plate-formes nécessaires de mise à disposition par ces associations du personnel indispensable pour l'aide à la personne. Nous avons un tissu associatif très proche des collectivités, avec un niveau de confiance extrêmement élevé, mais qui ne dispose pas des fonds propres nécessaires pour avoir la capacité de créer des plate-formes, des labels, et une formation plus suivie. Nous sommes déterminés à financer l'aide à ces associations de proximité qui pourront travailler avec les collectivités locales.
Le troisième sujet, c'est la relation entre les bénéficiaires des minima sociaux : RMI, ASS et allocation de parent isolé. Nous mettons en place un contrat d'avenir qui est financé par l'activation des minima sociaux, mais le complément par l'Etat, pour 1,2 milliard d'euros par an, est à votre disposition : c'est le maire de la collectivité locale qui peut décider de nous demander de mettre à sa disposition ces contrats d'avenir. Cela consiste en quoi ? 26 heures par semaine, et celui qui en prend la responsabilité morale - le maire, s'il le souhaite - décide d'affecter un temps de travail et un temps de formation ou d'acquisition de compétence. Mais quel que soit ce temps, c'est sous son autorité. L'Etat finance la même chose, et la rémunération est la même. L'idée est de sortir les gens de situations d'isolement : aller travailler en équipe, et acquérir une compétence. Plus on est en situation urbaine, plus c'est difficile parce que le nombre est important, mais plus les formations sont proches. Plus on est en milieu rural, et plus il va être facile de créer l'encadrement en équipe, mais plus cela va être difficile de trouver des formations pour des raisons de distance. Ce sont les points sur lesquels nous travaillons avec l'AMF, parce qu'on voit bien que la difficulté n'est pas la même selon l'endroit. Mais l'Etat finance un million de contrats d'avenir dans ces opération, le pilotage général doit rester départemental - c'est le département qui est l'acteur social de référence - mais en revanche, le contrat d'avenir lui-même est sous l'autorité morale du maire, à qui il n'est pas demandé de contribution à ce titre, sauf s'il s'agit d'un emploi direct dans la collectivité locale. C'est un énorme chantier ; à partir du 6 décembre, nous mettrons dans chaque département une équipe à votre disposition autour du préfet, pour regarder exactement comment rédiger ce contrat d'avenir en fonction des différentes réalités. Les personnes pourront être recrutées soit sur une base départementale, pour les grandes associations, le plus souvent du domaine sanitaire et social, soit complètement à proximité, dans le cadre de la commune.
Il y a eu un grand débat : est-ce que le pilote est la commune ou l'EPCI, ou est-ce le département ? Nous avons travaillé avec l'AMF et l'ADF, chacun revendiquait le fait de pouvoir faire, et les deux logiques sont justes. Je suis convaincu que le maire - et qu'il soit rural ou urbain ne change rien - est celui qui porte la proximité, c'est lui qui peut entendre, écouter, déterminer, avec son concitoyen du village, de la ville ou du bourg, les talents qui sont au plus profond de chaque personnalité. En même temps les départements revendiquaient la compétence globale, sociale, et c'est vrai qu'il ont beaucoup investi en hommes et en moyens ; le transfert du RMI s'est fait techniquement dans des conditions tout à fait remarquables pour ce qui relève des départements. Donc au final nous avons choisi les deux hypothèses : dans le texte qui a été voté au Sénat, c'est une double compétence qui est prévue.
Le dernier sujet important de ce volet, c'est vraiment la jeunesse. Vous savez que nous sommes dans un pays qui a le taux d'inactivité des 16-24 ans le plus élevé d'Europe, et cela, quel que soit l'endroit du territoire national. Le taux de chômage des jeunes qui en est la conséquence est le plus élevé également. Nous avons donc décidé de mettre un programme lourd ; nous avons distribué un document opérationnel, précisant les modalités de mise en action - cahier pratique de la cohésion sociale. Il y aura donc un programme très, très important sur l'alternance et l'apprentissage. Là aussi, cela pose un problème territorial : les lycées professionnels, les CFA ne sont pas répartis de manière parfaite sur tout le territoire national ; nous travaillons avec la chambre des métiers et les chambres de commerce et d'industrie. Mais ce programme, qui concerne 800 000 jeunes, est un programme auquel nous sommes extrêmement attentifs. Nous mettons des moyens considérables pour que tout jeune de ce pays puisse avoir, à la sortie du système scolaire, par l'alternance ou en direct, une capacité de mener une activité réelle, et d'avenir.
Les CES et les CEC : quand on est maire, dans un certain nombre de cas, c'est un outil dont nous avons besoin ; avec la difficulté, là encore, qu'un maire qui emploie quelqu'un en CES a besoin d'un peu de visibilité dans le temps pour que la personne concernée puisse se reconstruire. En raison des coupes budgétaires, tous les maires ont connu des CES de 6 mois, dont ils ne savaient pas s'ils seraient renouvelés situations très désagréables, dans lesquelles la logique budgétaire l'emportait. Le nouveau dispositif vous permet de négocier, chacun, avec le préfet, la durée du contrat : si vous estimez que pour telle personne c'est 18 mois, 24 mois, 36 mois, ou seulement 9 mois c'est le maire qui discutera directement de la durée hebdomadaire du travail pour chaque CAE qu'il souhaitera, du temps entre CES et CEC, c'est à dire 20 heures ou 30 heures, et du taux de participation, qui sera défini dans un dialogue entre le maire et le représentant du préfet. Nous avons voulu la liberté totale, parce que les situations sont tellement disparates, et c'est au maire de définir son " module " de CEA. En tout état de cause, cela reste le taux du SMIC horaire, mais c'est vous qui choisirez entre 20 et 30 heures, et la durée du contrat ne dépendra pas d'un aléa budgétaire. Vous pourrez décider par exemple que sur le territoire de la commune, c'est 24 mois, mais que pour telle ou telle partie de la jeunesse ou de la population, ou pour tel quartier, ce sera 36 mois. C'est vraiment un outil mis à votre disposition, avec de la souplesse ; ce n'est plus l'administration centrale qui décidera de la mise en place de ce dispositif.
Sur le deuxième volet, le logement, il faut distinguer trois choses : le logement social et le logement conventionné ; l'accession à la propriété ; l'amélioration de l'habitat. En d'autres termes : HLM au sens large, prêt à taux zéro, ANAH. Dans ce domaine, où nous étions dans une situation historiquement surprenante, puisque la production de logements sociaux en France a atteint un plancher, en 1999, de moins de 40 000 unités, alors qu'on sait que notre besoin national est de 80 000 mises à disposition nouvelles par an ; l'accession à la propriété était tombée à moins de 100 000 également, alors que les habitudes françaises sont plutôt de 150 000 à 180 000 ; et enfin l'ANAH, dont la mission est tout à fait essentielle et remarquable, avait vu ses positions un peu réduites.
Le programme qui est lancé, indépendamment de la rénovation urbaine, est passé de 30 à 40 milliards d'euros ; sur la partie production de logements, accession à la propriété et ANAH, les chiffres sont assez simples : les moyens d'aide à la pierre au sens large, mis à disposition par l'Etat, négociés avec la profession, représentent, financièrement, le triplement de la production, avec, par type de conventionnement, un accord avec l'Union sociale pour l'habitat qui a été entériné dans son principe au Congrès de Montpellier.
Dès cette année, nous avons connu une augmentation de 70 %. Simplement, il faut passer à 120 000 logements par an pour diminuer la pression dans ce domaine. C'est un programme très lourd, vous le verrez dans le dossier qui est à votre disposition : c'est toute l'amélioration, la reconquête du logement privé vacant, et c'est vrai dans tous les types de communes. Il y a des maisons plus ou moins abandonnées, dans lesquelles il faut faire de la réhabilitation, légère ou lourde, et il est vrai que les crédits de droit commun n'étaient pas à la hauteur des besoins. Nous avons donc prévu, sur l'ensemble du territoire, de financer la récupération de 40 000 logements vacants par la procédure ANAH qui, elle, est parfaitement rodée, et que vous connaissez bien. Quant à l'accession, le dispositif financier permet de doubler, à partir de cette année, les programmes d'accession à la propriété.
Le logement, c'est, indiscutablement, un élément de cohésion sociale majeur, et c'est aussi un élément de mobilité.
Troisième volet, l'égalité des chances : nous sommes attachés à quelques points très particuliers, pour lesquels, objectivement, la situation est traitée dans un premier temps un peu différemment par le plan de cohésion sociale selon qu'il s'agit de communes urbaines ou de communes rurales.
L'idée est la suivante : nous le savons, les zones très difficiles, qui connaissent des dysfonctionnements, lorsque dès les premiers mois de la maternelle, la maîtresse voit assez bien quels sont les quelques enfants qui vont avoir des problèmes de comportement cette réalité est plus vraie aujourd'hui dans les zones urbaines très compliquées que dans celles qui vont bien, ou dans les zones rurales, même si la délimitation n'est pas aussi évidente que cela. On sait également que l'Education nationale seule ne peut pas régler ce problème, car s'il y a des problèmes de comportement, dans de très nombreux cas, cela procède de l'environnement, de la parentalité, des problèmes de langue, des problèmes de logement insalubre, des problèmes de non-emploi, des problèmes de fratrie, des problèmes de violence, parfois tout ce qui entoure l'enfant avant qu'il n'arrive à l'école, et lorsqu'il en ressort, toute la relation à la parentalité.
Dans les 750 zones urbaines sensibles ou dites sensibles - les ZEP au sens large - dans un premier temps, nous mettons, sans aucune contrepartie, à la disposition des collectivités locales, des maires, qui s'organiseront avec les parents d'élèves, les directeurs d'établissements, les enseignants, et le département, probablement la CAF, un chèque de 500 000 euros par an, libre d'affectation. Le seul sujet, c'est le soutien de l'enfant : dans du périscolaire, en faisant déménager les parents s'ils sont dans des conditions de logement inacceptables Qu'est-ce qui fait que cet enfant est dans cette situation, a ce comportement ? C'est une tentative, c'est un chèque de confiance, pendant cinq ans, par territoire, à votre disposition. Nous ferons le point au bout de trois mois, six mois, avec les grandes associations, pour voir où on en est, quelle est l'efficacité. Et si cela fonctionne, on proposera de généraliser ce modèle - peut-être autrement, il faudra voir quels sont les bassins pertinents - à l'ensemble du territoire national. Vous le savez, l'Education nationale ne peut pas résoudre, toute seule, tous les problèmes de la société française. Les enseignants font tout ce qu'ils peuvent, mais il y a des problèmes qui existent à l'extérieur de l'école, et cette démarche expérimentale d'un chèque de 500 000 euros par an pendant cinq ans, à la disposition des maires, nous paraît tout à fait cruciale.
Enfin, et pour conclure - le plan de cohésion sociale est plus lourd que cela, et nous sommes à votre disposition, nous mettront une équipe en place, je vous l'ai dit, en décembre, pour voir de manière pratique comment aider toutes les collectivités, quelle que soit leur taille, à en bénéficier - il y a le sujet de la DSU et de la DSR.
Vous savez que nous avons proposé qu'il y ait une augmentation équivalente DSU / DSR pendant cinq ans, et donc un doublement de la partie DSU sur ces cinq ans, mais centré exclusivement sur les villes française de taille moyenne dont le problème est pratiquement aussi gros que la ville : nous avons, sur le territoire national, quelques villes qui sont en grand danger. En général ce sont des villes " champignon ", qui ne sont pas adossées à de grandes agglomérations, je pense à Montfermeil, Clichy-sous-bois, Chanteloup-les-vignes... ; des villes de 6 000 à 25 000 habitants, qui sont dans des situations financières absolument calamiteuses. Et il a été demandé à l'ensemble des grandes villes, des autres villes, que sur la sur-progression de la DGF, il y ait une toute petite fraction qui leur soit réservée. C'est un " coup de rein " pour des villes en état d'abandon absolu, comme Grigny Toutes ces villes qui supportent des charges socio-urbaines impensables, pour lesquelles nous avons obtenu qu'il y ait une augmentation de la DSR.
Voilà, pour l'essentiel, ce plan qui n'est finalement que la mise à disposition, sur le terrain, dans la souplesse, avec l'inquiétude, d'ailleurs, que toute souplesse provoque. C'est cette souplesse qui est mise à disposition des collectivités territoriales, forcément en harmonie avec les régions pour la partie formation, forcément en harmonie avec les départements pour la partie d'accompagnement social.
Tout n'est pas législatif dans ce plan : pour la partie logement, par exemple, les conventions ont été signées avec le 1 % pour 210 millions d'euros par an il y a une quinzaine de jours, et nous sommes donc déjà dans l'opérationnel sur beaucoup de sujets.
C'est un plan qui est à la fois humble dans sa présentation et, je crois, assez ambitieux pour notre pays.
Je suis prêt à répondre à toutes vos questions, merci.
(source http://www.amf.asso.fr, le 19 novembre 2004)