Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement Républicain et Citoyen, dans "Le Figaro magazine" le 10 janvier 2005, sur l'exercice ministériel, notamment sur ses différents postes au gouvernement, sous la présidence de François Mitterrand.

Prononcé le

Média : Le Figaro Magazine

Texte intégral

Le Figaro Magazine - Vous avez dit un jour : " Un ministre, ça ferme sa gueule, sinon, ça démissionne. "
Jean-Pierre Chevènement. - J'ai prononcé cette phrase lors d'une conférence de presse en février 1983, au vu de certains désaccords en matière de politique industrielle avec le président de la République et son conseiller Jacques Attali. J'ai joint le geste à la parole en indiquant à François Mitterrand que je souhaitais être déchargé de mon poste de ministre. Cela correspond à une certaine éthique politique. Responsable de son action devant le chef de l'État mais aussi devant l'opinion, un ministre qui se retrouve en porte-à-faux doit en tirer les conséquences.
Le Figaro Magazine - C'est une question de caractère...
R - Sans doute. Pour autant, la marge de manoeuvre dépend à la fois de l'homme et du poste qu'il occupe. Certains ministres ont un poids politique. Et certains ministères sont moins sujets à conflits que d'autres. L'Intérieur, par exemple, laisse à son titulaire plus de liberté que l'Économie et les Finances. Par son aspect technique, le ministère de la Défense offre une grande latitude : le président de la République ne m'a jamais créé de difficultés à propos de la dissuasion, du reconditionnement de l'armée de terre ou de la refonte des états-majors. Le désaccord n'est survenu entre nous que dans une hypothèse que ni lui ni moi n'avions prévue : la première guerre du Golfe, conflit de type conventionnel non plus Est-Ouest, mais Nord-Sud. Hostile à cette escalade, j'en ai tiré les conséquences en quittant mes fonctions le 27 janvier 1991, ma démission datant du 7 décembre. Je n'ai pas donné suite à la demande du Président qui souhaitait encore entreprendre quelque médiation...
Le Figaro Magazine - Un ministre " politique " peut-il faire bon ménage avec un président ?
R - Mais oui, j'ai bénéficié d'un soutien sans faille de la part de François Mitterrand tant à l'Éducation nationale qu'à la Recherche. Je reste assez fier de l'oeuvre accomplie à l'Éducation nationale avec l'élan donné, les recadrages opérés, la création du baccalauréat professionnel, la création d'universités de technologie, etc. J'avais le difficile problème public-privé. Il a été rapidement réglé et j'ai pu placer mon effort sur le relèvement de l'école publique, laquelle en avait bien besoin. La Recherche, quant à elle, a été portée de 1,8 % à 2,4 % du PIB, action qui l'a mise en orbite pour une dizaine d'années.
Le Figaro Magazine - Qu'en est-il des rapports avec l'administration ? On se souvient des aventures du préfet Bonnet en Corse, alors que vous étiez ministre de l'Intérieur.
R - Il ne faut pas grossir cette histoire de paillote : elle n'a été mise en épingle que pour couvrir un changement de politique auquel conspirait une partie de la gauche et de la droite. En fait, je n'ai jamais eu à me plaindre des diverses administrations que j'ai pu avoir sous mes ordres. S'il y a des rigidités, des lenteurs, vous déplacez un responsable. Cela m'est arrivé. Mais dans l'ensemble, je préfère créer un climat de confiance et ne pas prendre l'administration à rebrousse-poil. Placée sous l'autorité du ministre, elle doit relayer l'impulsion politique que ce dernier lui donne.
Le Figaro Magazine - Quelle expérience tirez-vous de la machine européenne ?
R - C'est un mécanisme de décision qui échappe complètement au Parlement et au gouvernement, certains responsables de rang politique fort élevé allant même jusqu'à anticiper les directives communautaires pour y conformer notre politique ! Je me souviens de m'être heurté à Bruxelles à propos du textile. On m'a vite fait savoir que certaines aides que j'estimais parfaitement fondées, en qualité de ministre de l'Industrie, étaient contraires au principe de la concurrence. J'ai traîné les pieds et les ai maintenues. L'influence de Bruxelles est très sensible dans tous les domaines de la vie politique et administrative. En matière de circulation et d'immigration, par exemple, on avance dans la voie de la communautarisation des visas, de l'asile, de l'immigration, en vertu du traité d'Amsterdam. Or, chaque pays est confronté à des problèmes spécifiques et il ne me semble guère raisonnable de comparer notre situation avec celle de l'Allemagne - notre immigration n'étant ni turque ni bosniaque -, non plus qu'avec celle de la Grande-Bretagne, qui reçoit beaucoup d'immigrés du Commonwealth. Je prévois là, pour l'avenir, des difficultés. Pour autant, il faut relativiser, car bien souvent la peur de Bruxelles est pire que Bruxelles même.
PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICE DE MÉRITENS


(Source http://mrc-france.org, le 12 janvier 2005)