Entretien de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, dans "Les Echos" et le "Financial Times" du 16 février 2005, sur le rôle de la France au sein de l'Otan, la situation en Côte d'Ivoire, la question irakienne et la non prolifération des armes nucléaires.

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Les Echos : Les Etats-Unis ont-ils changé de tonalité pour que la France se réengage dans l'OTAN ?
Michèle Alliot-Marie : Je ne suis pas sûre qu'il y ait besoin de réengager la France dans l'OTAN. Pour nous, la relation transatlantique est fondamentale, surtout dans le domaine de la défense. L'OTAN est aussi importante pour notre conception de la défense de l'Europe. C'est pourquoi la France est très engagée dans la transformation de l'organisation du traité de l'Atlantique Nord. Il y a deux ans, nous nous étions interrogés sur l'avenir de l'Otan, une organisation créée pour contrer l'ex-URSS, et qui aujourd'hui invite à la même table la Russie. Premier acte de la transformation, nous avons décidé d'autoriser l'organisation à aller en dehors de ses frontières, en Afghanistan.
Q - Quel est le sens de l'engagement de la France dans le Traité ?
R - La France est l'un des rares pays à assurer pleinement les contributions aux rotations de la nouvelle force de réaction rapide (NRF, Nato Response Force). Nous avons pris également les deux commandements des plus importantes opérations de l'organisation au Kosovo et en Afghanistan. A nos yeux, notre engagement dans l'Otan a du sens et l'Europe de la défense ne se fait pas au détriment de l'OTAN mais au contraire, en totale complémentarité. Pendant longtemps, de nombreux pays ont pensé que l'OTAN était le bouclier contre différentes menaces et n'ont fait aucun effort financier pour développer leur propre défense. Avec l'Europe de la Défense, ces pays sont incités à augmenter leurs capacités notamment pour le transport de troupes avec l'A400 M ou encore les hélicoptères. La France, à côté des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, fait partie des trois plus importantes armées de l'organisation, et le président Chirac a fait de la Défense l'une de ses priorités du point de vue budgétaire.
Q - Les visites de Condoleeza Rice et Donald Rumsfeld en France ont-elles permis de lever ce que vous perceviez comme une certaine ambiguïté de la part des Etats-Unis vis-à-vis de l'Europe de la Défense ?
R - Les explications, données par la France ou encore par la Grande-Bretagne, ont permis je crois de mieux faire comprendre la réalité de l'Europe de la Défense. Il y avait une erreur réelle dans l'esprit de certains Américains. De ce point de vue, la création de l'Europe de la Défense ressemble à celle de l'euro. On pouvait entendre alors aux Etats-Unis : nous voulons bien d'une monnaie unique européenne mais pas contre le dollar. J'ai expliqué ainsi que l'Europe de la Défense était aussi une aide à l'OTAN car si nous sommes plus forts, nous pourrons prendre plus facilement notre place dans les opérations de l'OTAN, voire en relais de l'OTAN comme aujourd'hui en Bosnie. Je pense que dans les prochaines années le monde risque d'avoir à gérer en même temps plusieurs crises et il sera nécessaire d'avoir la capacité à réaliser de nombreuses interventions, avec l'OTAN et la Défense européenne.
Q - Faut-il une intervention de l'OTAN ou de l'Union européenne au Darfour ?
R - Le Soudan ne veut pas d'intervention occidentale et souhaite une intervention africaine. Nous devons être prudents car aujourd'hui, en Afrique, un sentiment anti-occidental tend à se répandre. Il est donc mieux d'avoir des forces multinationales africaines, même si nous devons les soutenir.
Q - En Côte d'Ivoire, devons nous maintenir nos troupes face à ce sentiment anti-occidental ?
R - Nous devons rester jusqu'au mois d'avril, date de la fin du mandat des Nations Unies. Après, nous verrons. Comme le président Chirac l'a indiqué récemment, les troupes françaises resteront s'il y a une nouvelle demande de l'ONU, mais aussi une demande des différents pays africains et du président ivoirien lui-même. C'est lui qui avait demandé notre venue. Les troupes françaises ne continueront pas leur mission de stabilisation du pays et de soutien à l'ONUCI sans sa demande.
Q - Après les divisions sur l'Irak, êtes-vous confiante dans le fait que les crises seront résolues dans l'avenir dans un meilleur climat ?
R - Je l'espère. L'histoire des relations franco-américaines est marquée de crises. Les problèmes doivent être résolus l'un après l'autre. Même sur l'Irak où nos positions ne sont pas les mêmes, nous avons aujourd'hui une meilleure relation. L'administration américaine comprend mieux que notre position n'est pas contre elle et elle a confiance lorsque nous disons que personne n'a intérêt à un échec en Irak. Des pays comme la France ou l'Allemagne proposent de former des troupes et des gendarmes. C'est une réelle aide à la reconstruction de l'Irak. Nous avons proposé à l'Irak de former, probablement au Qatar et en France, des gendarmes et des officiers de gendarmerie. Ce qui représente une contribution de 15 millions d'euros pour la formation de 1 500 gendarmes.
De plus notre participation est de 2 millions d'euros au budget global de l'OTAN consacré à la formation.
Q - Et sur les épineux dossiers du nucléaire en Iran et des ventes d'armes à la Chine ?
R - Pour l'Iran, l'administration américaine ne doute pas de la volonté des Européens de parvenir à empêcher l'Iran d'acquérir l'arme nucléaire. Peut-être pense-t-elle que notre position n'est pas assez dure ? En Corée du Nord, il y a aussi des problèmes. Nous devons discuter de la position à adopter ensemble face à l'ambition de certains pays, comme l'Iran, la Corée du Nord ou demain d'autres pays qui cherchent à acquérir l'arme nucléaire.
L'embargo sur les ventes d'armes à la Chine a été imposé il y a plus de quinze ans. Depuis, les relations avec la Chine ont changé. Elles sont devenues très importantes. Nous ne pouvons pas avoir des relations avec Pékin dans les domaines économique, médical, recherche et conserver l'embargo tel quel. De plus, la France suit de très sévères réglementations en matière d'exportation qui permettent un réel contrôle. L'embargo n'est qu'un signal symbolique. Il n'est pas cohérent avec nos autres attitudes.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 21 février 2005)