Texte intégral
RTL - Le 11 mars 2004
Q- J.-M. Aphatie -. Sept syndicats hospitaliers, parmi lesquels Force ouvrière que vous dirigez depuis un mois maintenant, appellent à une journée de grève aujourd'hui dans les hôpitaux. Encore une grève. Pourquoi ?
R- "Ce n'est pas la première journée dans les hôpitaux. Cela fait déjà plusieurs journées, parce que les agents hospitaliers, mais pas simplement les agents hospitaliers, également les médecins hospitaliers, sont mécontents et inquiets sur l'avenir de l'hôpital. C'est le plan 2007, mais l'inquiétude vient de l'évolution de l'hôpital. D'abord ce plan ne répond pas aux besoins, en termes d'investissements, en termes de conditions de travail. Et surtout, ce plan risque d'engager l'hôpital public vers une forme de privatisation de sa gestion. Donc il y a des inquiétudes fortes, et en gros, les médecins, demain, on leur demande d'être des managers également. Donc c'est un peu la notion de l'hôpital-entreprise qui est contestée."
Q- C'est le plan 2007, présenté par J.-F. Mattei, le ministre de la Santé, qui prévoit que désormais les hôpitaux auront des enveloppes budgétaires en fonction de leur activité, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Et on se dit que c'est quand même bien le moins d'avoir l'argent que l'on mérite, en fonction du travail que l'on fait.
R- "Non. Aujourd'hui, je ne dis pas que la situation actuelle de budget global hospitalier est satisfaisante, mais là, c'est la notion de tarification à l'activité. L'objectif, c'est, à terme, d'arriver à une comparaison entre les prix à l'activité dans le public et les prix à l'activité dans le privé. C'est une manière de mettre en concurrence le secteur public et le secteur privé, avec les notions de rentabilité qui vont par définition arriver. A partir de là, le risque - et c'est ce que relèvent à la fois les organisations syndicales de salariés et les organisations de médecins -, c'est qu'il y ait des glissements et des sélections des malades, ou des sélections de risques selon les secteurs. Et c'est le danger."
Q- Mais quand on est au niveau de déficit que l'on constate aujourd'hui, à la fois pour la Sécurité sociale, et plus généralement pour le budget de l'Etat, la dette publique qui va atteindre mille milliards d'euros... Est-ce qu'il n'est pas temps de trouver tout de même, dans le système de santé, une logique comptable qui fait cruellement défaut aujourd'hui ?
R- "J'ai cru comprendre qu'il y a quelques années, en 1995, il y a eu un plan, qui s'appelait "le plan Juppé", et qui était basé sur une logique comptable. Et je rappelle qu'à l'époque, ce plan n'a pas été décidé, ni pour des raisons médicales, ni pour des raisons sociales, mais pour des raisons économiques - c'est reconnu aujourd'hui par des responsables de l'époque -, qui étaient de préparer la mise en place de l'euro et les contraintes européennes. Cette logique comptable n'a pas marché. A la fois en termes d'objectifs, puisque les résultats ont été dépassés, mais aussi en termes de logique. Regardez aujourd'hui : si on prend les relations entre la Sécurité sociale et les professions de santé, le système de convention médicale ne fonctionne plus. Donc comment voulez-vous enfermer la santé dans une enveloppe ? Qu'est-ce qui se passe s'il y a une épidémie ? Qu'est-ce qui se passe s'il y a tel ou tel problème ? On peut fixer des objectifs et puis voir les moyens de régulation, je dirais de manière intelligente, et de manière médicale, avec des critères médicaux. Mais si on rentre dans une logique qui est une logique comptable, à partir de là, par définition, cela conduit à un moment donné à un système de rationnement."
Q- Aujourd'hui on n'est pas enfermé dans une enveloppe. Il y a 11 milliards de déficit par an à la Sécurité Sociale ! Donc, effectivement, on n'est pas enfermé dans une enveloppe !
R- "Non. Mais je dirais, sous forme de provocation : 11 milliards... et alors ?"
Q- Ce n'est pas grave ? Cela peut continuer longtemps comme ça ?
R- "Si je dis : 11 milliards, et alors ? Si on regarde par rapport à l'ensemble du budget de la protection sociale, c'est quand même quelque chose de relatif. Si vous regardez sur les dernières années, dès qu'il y a eu un peu de croissance économique, la période 1997-2001, cela se traduit très rapidement sur les recettes de la protection sociale. Un point de masse salariale - ce n'est pas énorme -, c'est un milliard et demi d'euros. 100.000 emplois, c'est un milliard d'euros... Alors, cela ne règle pas tout, certes, mais cela permet au moins de donner de l'oxygène. [...] Je ne dis pas qu'il faut un déficit permanent, ce n'est pas le problème. Mais ne disons pas non plus a contrario : attention, il y a 11 milliards d'euros de déficit, donc il y a une opération chirurgicale importante à faire. Non, cela se discute, on prend son temps. Vous savez, les pays où les dépenses de santé sont les plus élevées, ce n'est pas la France, ce n'est pas l'Allemagne, ce sont les Etats-Unis. C'est 14 % des richesses aux Etats-Unis. C'est 9,5 % environ en France. Mais ce qui est important, c'est qu'aux Etats-Unis, les dépenses de santé sont très fortes, mais les dépenses d'assurance maladie le sont moins, puisqu'il y a 43 millions d'exclus... Donc on ne veut pas de ce type de système."
Q- On a l'impression que partout ailleurs en Europe, quand il y a un problème de cette nature, les partenaires sociaux s'assoient autour de la table et cherchent une solution. En France, c'est la grève, c'est le conflit. Pourquoi ?
R- "Pas toujours. Des problèmes en Allemagne, il y en a eu ces derniers temps, y compris sur la retraite. Il y a eu des problèmes sur des dossiers comme la retraite. Il y a des problèmes sur l'assurance maladie..."
Q- Mais pas de grève comme chez nous...
R- "Pas toujours, mais ceci étant, il faut faire attention. On ne peut pas dire : le syndicalisme français est un syndicalisme faible par rapport au syndicalisme des autres pays européens. Cela peut se discuter en termes d'effectifs, mais pour ça, il faudrait faire de l'Histoire : le syndicalisme français, c'est un constat, n'a jamais été un syndicalisme de masse, sauf à deux périodes dans l'Histoire. Ceci étant, quand on regarde la situation concrète des salariés français, on ne peut pas dire que la situation concrète des salariés français, en termes de droit, soit inférieure à celle d'autres pays européens... Donc la culture du conflit ou la culture de la négociation, cela fait partie du rôle de l'organisation syndicale. Il y a eu des accords qui ont été signés ces derniers mois par plusieurs organisations syndicales, dont FO. Mais le problème est qu'à un certain moment, quand les discussions avec les pouvoirs publics ou avec le patronat sont complètement coincées, il y a bien une manière de s'exprimer ; et la manière de s'exprimer, eh bien c'est effectivement le conflit."
Q- On disait de M. Blondel, votre prédécesseur à FO, qu'il était le "monsieur non" du syndicalisme français. Vous serez aussi le "monsieur non" du syndicalisme français ?
R- "Si la réforme nous convient... On va discuter de la réforme de l'assurance maladie. On a commencé, cela va continuer..."
Q- Après les Régionales...
R- "Oui, on a posé nos conditions pour une meilleure réforme, pour une bonne réforme. Donc on souhaite une réforme, parce qu'elle est nécessaire. Ceci étant, si effectivement le Gouvernement - je prends un exemple - s'engageait dans une logique qui est effectivement une logique comptable, alors à partir de là, oui, on sera amenés à réagir et à mobiliser si nécessaire."
Q- Vous êtes installé depuis un mois à la tête de FO. Vous avez vu B. Thibault pour la CGT, F. Chérèque pour la CFDT, d'autres syndicalistes. Parmi les partenaires sociaux, il y a le Medef aussi. Pas de rencontre prévue avec E.-A. Seillière ?
R- "Cela va se faire prochainement. On a vu les quatre confédérations syndicales. On va rencontrer bien entendu le Medef officiellement dans les semaines à venir."
Q- Il va venir chez vous à Force Ouvrière ou vous allez aller au Medef ?
R- "La tradition est plutôt que l'organisation syndicale aille au Medef."
Q- Et la tradition va être respectée ?
R- "Oui, bien sûr."
Q- Vous êtes respectueux des traditions ?
R- "Tout à fait !"
Q- Une question un peu personnelle : on dit de vous que vous avez été proche, voire que vous êtes toujours membre du Parti des travailleurs, le parti où se trouvait L. Jospin. Le Monde a interrogé D. Gluckstein, qui est secrétaire général du Parti des travailleurs, le 19 janvier dernier et, à votre propos, il disait : "Est-il membre ou pas de notre parti ? Lui seul peut répondre, s'il le souhaite, et sa réponse correspondra à la réalité". Alors, êtes-vous membre du Parti des travailleurs ?
R- "Je réponds toujours ce que je réponds sur ce type de question..."
Q- Que c'est votre frère ?
R- "Mais non, je n'en ai pas de frère ! je suis désolé !"
Q- D'accord. Il n'y a pas de problème !
R- "Non, ce n'est pas ça. Comment voulez-vous que je prouve quelque chose que je ne suis pas. Je peux vous prouver que je suis Force ouvrière, j'ai ma carte dans ma poche, je vous la montre. Comment voulez-vous que je prouve quelque chose que je ne suis pas ?!"
Q- C'est improuvable...
R- "Eh bien, oui, c'est improuvable, bien entendu."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 mars 2004)
Les Échos le 25 mars 2004.
Q - Quel est, selon vous, le message envoyé par les Français au gouvernement dimanche dernier ?
R - A Force ouvrière, nous considérons que nous n'avons pas à prendre position sur des élections politiques. Mais il est clair que les résultats de dimanche dernier traduisent des inquiétudes et un profond mécontentement sur la situation sociale, les réformes à venir ou l'emploi. Le gouvernement devra en tenir compte. Ces résultats ne font que conforter ce que nous ressentons sur le terrain depuis des semaines. Si on regarde de près ce qui se passe, le climat social n'est calme qu'en apparence. Aux conflits ciblés dans les entreprises, s'ajoute la multiplication des appels à la mobilisation : les pompiers le 25 mars, les personnels administratifs et techniques de l'éducation et l'équipement le 1er avril, les agents d'EDF-GDF le 8 avril, etc.
Q - Au début de la semaine, la CFDT a appelé à faire barrage au Front national, la CGT a invité le gouvernement à revoir sa politique sociale. Et FO ?
R - Nous ne donnons jamais de consigne de vote. Cela dit, nous sommes par définition opposés aux idées racistes, xénophobes et antisémites. Mais il ne suffit pas de parler des valeurs républicaines et sociales au moment des élections et les détricoter au travers de la déréglementation et de la privatisation. Le gouvernement a donné la priorité à une démarche comptable. La contre-réforme des retraites en est la parfaite illustration. Les salariés commencent à comprendre que le droit à la retraite anticipée pour ceux qui ont commencé à travailler très jeunes, dont on parle tant, est en réalité limité. Les 265.000 personnes radiées au début de l'année par les Assedic découvrent quant à elles les effets concrets de la réforme de l'Unedic soutenue par le gouvernement. Sur ce total, 50.000 exerçaient d'ailleurs une activité réduite, c'est-à-dire avaient accepté un petit boulot, ce que souhaite François Fillon. Mais ça ne les a pas empêchés de perdre eux aussi leurs allocations! Et je ne parle pas de l'incertitude qui pèse sur l'assurance-maladie.
Après les élections, le gouvernement a de nombreux projets: loi sur l'emploi, privatisation d'EDF-GDF, Sécurité sociale. S'il continue ses réformes à marche forcée dans une logique comptable, il prend un grand risque social.
Q - Le dossier de l'assurance-maladie est le plus difficile. Qu'attendez-vous précisément ?
R - Une vraie réforme ne peut être menée à la hussarde. Si le gouvernement veut diminuer les remboursements, réduire la place du régime de base obligatoire au profit des assurances complémentaires, pour afficher une baisse du déficit public, il nous trouvera en travers de sa route. Il n'est pas question que la réforme amorce une privatisation de l'assurance-maladie.
Q - Mais le statu quo est-il possible avec un déficit de 10 milliards d'euros ?
R - Nous sommes demandeurs d'une réforme. Mais son objectif doit être de consolider le système dont bénéficient les assurés et, si possible, de l'améliorer. Il faut sortir de la maîtrise comptable. Je cite souvent un exemple : les veino-toniques ont été déremboursés en Italie, jusqu'à ce que l'on s'aperçoive que cela coûtait plus cher en termes de soins ultérieurs ! Il faut également relativiser le déficit : 10 milliards, cela représente moins de 3 % de l'ensemble des dépenses de Sécurité sociale. Par ailleurs, il y a aussi toute une série de charges qui devraient être financées par l'Etat. Deux exemples : sur les 20 milliards d'euros d'exonération de cotisations patronales, il y a en a 3 qui ne sont pas compensés à la Sécurité sociale ; le gouvernement décide une opération de vaccination contre l'hépatite B, sans dégager de moyens. Si on clarifie les responsabilités, l'Etat prendra à sa charge la politique de santé publique et la prévention, ce qui pose par ailleurs le problème de la fiscalité.
Ce sont juste des transferts d'une caisse à l'autre, cela ne change pas la réalité du déficit...
Une fois l'opération de clarification menée, il n'est pas scandaleux que la Sécurité sociale soit en déficit quand la croissance est presque à zéro. Nous pensons en outre que la cotisation patronale peut augmenter. Pour autant, nous ne nions pas la nécessité de maîtriser les dépenses, mais pas n'importe comment. Il faut redonner du contenu à la politique conventionnelle en revenant sur les ordonnances de 1996, qui ont étatisé le système. L'intervention de l'Etat, on le voit bien, ne marche pas. La maîtrise médicalisée permet une régulation respectueuse des besoins des assurés sociaux.
Q - Pensez-vous pouvoir mobiliser les Français sur l'assurance-maladie ? L'échec du conflit des retraites devrait vous inciter à la prudence...
R - Il faut tirer parti de l'expérience. Le dossier des retraites a montré les limites des déclarations intersyndicales cultivant l'ambiguïté, où chacun peut lire ce qui l'arrange, comme celle du 6 janvier 2003. Il faut plutôt réagir à ce que proposera le gouvernement. Force ouvrière est prête à travailler avec les autres organisations syndicales sur des points que nous considérons comme clefs. Cela s'appelle l'unité dans l'action. La différence de l'assurance-maladie avec les retraites, c'est que tout le monde, public et privé, est concerné de la même manière. Tout est donc possible en fonction des choix que fera le gouvernement.
Q - L'emploi est l'autre grand sujet du printemps et il serait peut-être même prioritaire. Qu'attendez-vous du projet promis par Jacques Chirac ?
R - Pour l'instant, le gouvernement n'a pas dit grand-chose. Nous avons surtout entendu parler du contrat de projet, qui accentue la précarisation des salariés, ce n'est pas acceptable. Nous ne serons pas dupes sur la réforme du droit du travail. Quand le Medef présente 44 propositions, l'objectif n'est-il pas de permettre au gouvernement de montrer que les propositions de Michel de Virville sont "soft" ?
Q - Une nouvelle séance de la négociation sur les restructurations est prévue aujourd'hui. Un accord est-il possible ?
R - Je ne suis pas sûr que le patronat ait vraiment envie d'aboutir sachant que le gouvernement interviendra sur le plan législatif. Nous, nous mettons sur la table une proposition concrète : la création d'une cotisation patronale spécifique qui financerait le maintien pendant un an du contrat de travail du salarié licencié sous une forme de mutualisation qui doit aussi concerner les salariés des entreprises sous-traitantes.
Q - Vous avez pris la tête de FO il y a un mois et demi. Quelle sera la place de Force ouvrière dans le paysage syndical dans les années qui viennent ?
R - Nous portons encore aujourd'hui, plus que les autres, une valeur très forte: l'indépendance syndicale. L'attitude de nos représentants dans les entreprises n'est pas déterminée d'en haut. Cette valeur, c'est aussi celle que souhaitent nos jeunes militants, ceux de la génération post-1995.
Q - FO est-il réformiste ou révolutionnaire ?
R - Il n'y a plus aujourd'hui en France d'organisation syndicale révolutionnaire. Pour notre part, nous nous revendiquons réformistes. Mais, pour nous, réformistes ne veut pas dire résignés.
Propos recueillis par Leïla de Comarmond et Dominique Seux
(source http://www.force-ouvriere.org, le 23 avril 2004)
France Inter - le 28 avril 2004
Q- S. Paoli-. L'intuition du ministre du Travail et de l'Emploi, J.-L. Borloo, concernant la capacité des partenaires sociaux à trouver une solution heureuse aux difficultés de l'Unedic est-elle justifiée ? Quant au plan de cohésion sociale, priorité absolue du Gouvernement pour les mois à venir, présenté par J. Chirac aux préfets réunis à l'Elysée, a-t-il les moyens de mobiliser pour l'emploi ? De concrétiser le droit au logement et de favoriser l'égalité des chances ? Cet objectif de cohésion sociale, est-il compatible avec l'invective et les menaces à l'Assemblée nationale augurent-elles de ce que seront désormais les rapport entre la majorité et l'opposition ? Avant d'en venir aux intuitions, peut-être une photo générale : un Premier ministre marginalisé, un président de la République qui fixe la ligne politique, de vives tensions, pour ne pas dire des interpellations discutables à l'Assemblée - je fais évidemment référence aux propos de N. Sarkozy à l'attention d'H. Emmanuelli -, un déficit énorme et des économies imposées ; quel regard le responsable syndical que vous êtes posez-vous sur ce paysage politique ?
R - "Il y a un mois - je crois que c'est à peu près jour pour jour -, c'était le deuxième tour des élections régionales. Elles ont été marquées par ce que l'on appelle un vote sanction sur les inquiétudes, les mécontentements qui étaient très pesants - et on le constatait depuis plusieurs mois - sur toute une série de dossiers : l'emploi, le chômage, l'assurance maladie, et également, un effet boomerang des retraites. D'ailleurs, dans les jours qui ont suivi, le président de la République, dans son intervention, a bien précisé qu'il fallait redonner un peu de souffle au social."
Q- Un "cap social"...
R - "Un cap social. Même si c'étaient plus des corrections qu'un changement de cap, il y avait là quelque chose qui avait été annoncé avec quelques premières annonces, des signaux. Ceci étant, on est toujours dans cette situation. Et d'une certaine manière, on est dans ce que l'on pourrait appeler un moment de vérité. Est-ce qu'effectivement, le Gouvernement et le patronat vont se donner les marges de manoeuvre nécessaires pour que les questions sociales, l'ampleur des problèmes sociaux, on puisse effectivement les prendre en considération et les régler de manière correcte - je pense par exemple à l'assurance maladie ? Ce qui suppose quelques marges de manoeuvre, avec les contraintes économiques qui existent au niveau européen. Auquel cas, effectivement, le message aura été entendu, d'une certaine manière. Ou c'est une question de communication et il y a une forme de blocage et on n'en sort pas, la situation perdure."
Q- Vous n'avez pas encore la réponse à cette interrogation ?
R - "Pas encore. On va voir, notamment sur un dossier comme l'assurance maladie - cela va être dans les jours à venir - si, effectivement, il y a un cap différent ou si on reste dans la même logique."
Q- Prenons les choses dans l'ordre et finissons-en avec les intuitions : une renégociation est engagée s'agissant de l'Unedic ?
R - "Sur l'Unedic, d'abord, il y a un problème de fond, un problème d'urgence. C'est le problème de ce que l'on appelle - terme un peu impropre - les "recalculés". Nous, on considère qu'il y a le tribunal de Marseille qui s'est prononcé, d'autres tribunaux vont de prononcer, mais il va bien falloir, d'une manière ou d'une autre, réintégrer ces recalculés. Donc, à partir de là, il faut trouver les ressources de financement nécessaires. On a émis deux propositions. La première, c'est effectivement de relever le taux de cotisation. Il faut savoir qu'aujourd'hui il est plus faible de 0,2 point qu'il ne l'était en 1993."
Q- Donc, on relève de 0,2 % ?
R - "Oui, il faut relever de 0,2 %. Nous sommes aussi partisans, à FO, d'une légère surcotisation sur ce que l'on appelle le travail précaire. Parce qu'il faut bien comprendre que dans l'ensemble des chômeurs..."
Q- Qu'est-ce que c'est "une légère surcotisation" ?
R - "Déjà, dans une première étape, 0,2 point de cotisation, c'est 800 millions. Une légère surcotisation qui permet d'avoir l'argent nécessaire sur les deux ans pour les recalculés, par exemple. Parce qu'il faut savoir que sur le régime d'assurance chômage, les Assedic, la moitié des chômeurs qui sont indemnisés le sont suite à une fin de contrat précaire. Cela veut dire que d'une certaine manière, les employeurs ont intégré le système de l'assurance chômage dans la gestion des entreprises. Donc, à la fois pour limiter la précarité et faire une surcotisation sur les contrats précaires."
Q- C'est ce que souhaite FO et la CGT ; ce n'est pas du tout ce que souhaite le Medef qui, lui, avait plutôt envie d'une dégressivité. Est-ce que vous allez réussir à trouver un terrain d'entente, parce qu'il faut que tout le monde soit d'accord pour que la renégociation puisse fonctionner ?
R - "La renégociation, c'est par rapport à une convention qui a été signée en 2002. Nous, nous ne sommes pas signataires, notamment pour cette raison des recalculés."
Q- La CGT non plus d'ailleurs...
R - "La CGT non plus ne l'avait pas signé. Donc, à partir de là, ils ont été un peu imprudents les signataires, je dirais. Donc, très rapidement, il faut régler ce problème. Ceci étant, oui, effectivement, le patronat, dans l'immédiat, dès qu'il entend parler d'une légère augmentation de cotisation, il bloque tout de suite, que ce soit sur l'assurance chômage ou que ce soit, par exemple sur un autre dossier, dont on parle moins en ce moment, et qui a pris un peu de plomb dans l'aile en termes de calendrier, c'est le dossier sur la négociation sur les restructurations. Il est clair que l'on ne peut pas accepter une remise en place de la dégressivité. Le dossier vient parce que des chômeurs ont des droits amputés ; on ne va pas le régler en amputant encore plus le droit des chômeurs, ce n'est pas possible !"
Q- Mais j'en reviens à l'intuition de monsieur Borloo : où est la voie de passage
alors ?
R - "Si le patronat ne veut effectivement pas augmenter les cotisations pour régler le problème d'urgence, à ce moment-là, comme cela a déjà existé dans l'histoire, en 1982-1983 notamment, le Gouvernement peut décider d'augmenter les taux de cotisation, il peut le faire par un décret."
Q- De façon autoritaire ?
R - "Je ne dis pas que c'est la voie que l'on privilégie, mais le système d'assurance chômage, dans le code du travail, c'est une délégation qui est donnée par l'Etat aux partenaires sociaux. Donc, si le patronat ne veut pas augmenter les cotisations et comme on n'acceptera pas une remise en place de la dégressivité ou d'autres diminutions des droits des chômeurs, il n'y aura pas d'autres solutions."
Q- Et la suggestion du président de l'Unedic, qui consisterait à faire cotiser l'ensemble des contribuables qui ne financent pas l'assurance chômage - les retraités, les fonctionnaires, les professions indépendantes ?
R - "Là, il y a deux points. Vous savez qu'il y a 1 %, théoriquement, depuis très longtemps, qui est prélevé chez les fonctionnaires pour alimenter le système d'assurance chômage. Cela n'a jamais alimenté le système d'assurance chômage. Deuxièmement, ce que l'on craint, avec ce système, c'est que l'on amorce une fiscalisation du système d'assurance chômage dans le financement et on rencontrerait demain les mêmes problèmes que l'on rencontre aujourd'hui à la Sécurité sociale. Ce n'est donc pas une voie que l'on privilégie, cette fiscalisation du financement."
Q- Ce plan de cohésion sociale présenté hier par le président de la République, dans ce contexte où l'on voit bien que chacun de son côté - et ce n'est pas facile - tente de trouver des moyens de financement, comment peut-on lui donner corps ? Parce qu'il est très ambitieux ! Il s'agit tout de même du logement, de la lutte contre le chômage et donc des créations d'emplois, de l'égalité des soins, donc de l'accès à l'emploi pour tous. Mais tout cela va aussi demander des systèmes de financement particuliers. Où va-t-on les trouver ?
R - "Tout à fait. Je crois que c'est l'explication du titre du ministère de monsieur Borloo, "Cohésion sociale", et cela rentre effectivement dans le cadre d'ensemble, si on parle du logement, si on parle de l'insertion, du problème du chômage, etc. Mais effectivement, cela demande des moyens et quand on sait que sur le budget, il y a une réduction de 7 milliards de crédits ou crédits gelés, et qu'apparemment, il y en a au moins 500 millions au ministère du Travail, on ne voit pas très bien, dans l'immédiat, comment financièrement on va pouvoir. C'est bien d'avoir l'ambition mais il faut que cela se concrétise aussi, et cela nécessite des marges de manoeuvre."
Q- Ce qui extraordinaire, c'est qu'à vous écouter depuis tout à l'heure, on avance tout le temps dans le brouillard ! Vous ne savez pas où vous allez ?
R - "Non, pas encore. Nous, en tant qu'organisation syndicale, FO sait ce qu'elle veut en termes de revendications sur l'assurance maladie, sur l'assurance chômage. Mais on n'a toujours pas une vision claire de la part des pouvoirs publics entre les discours qui ont suivi les élections, certains engagements ou modifications de cap qui ont été annoncés. Concrètement, où on en est aujourd'hui ? On va voir, par exemple, la semaine prochaine, sur les premières orientations du Gouvernement dans le domaine de l'assurance maladie, quelle voie il va privilégier."
Q- Vous aviez évoqué la question du silence des assurances privées. Vous vous en inquiétez toujours ?
R - "Oui. Je trouve que les assurances privées font la meilleure campagne de communication, actuellement, sur l'assurance maladie : elles ne disent rien."
Q- Ce silence est pour vous un aveu ?
R - "Oui, ce silence est un aveu, parce qu'un des éléments sur lesquels on a des inquiétudes - et on l'a précisé à différentes reprises publiquement, ce n'est pas le seul -, le point de désaccord qu'on aurait, c'est effectivement, d'une certaine manière, un peu ce qui se passe sur les retraites : on a limité la part sur la répartition et la solidarité et on laisse le passage aux fonds de pension - on les appelle comme on veut, mais ce sont des fonds de pension. Il suffit d'écouter les publicités en ce moment pour savoir que cela marche bien. Eh bien que l'on fasse la même chose sur l'assurance maladie, qu'on limite la part réservée au régime général et qu'on laisse un passage plus grand aux assurances. Et cela, ce sera un problème de conflit avec nous, c'est clair ! Donc, à partir de là, comme on ne peut plus aujourd'hui, au nom de la libre concurrence, privilégier tel ou tel régime complémentaire, par définition, ce serait mettre le ver dans le fruit en quelque sorte. Donc, oui, on a cette inquiétude. Les compagnies d'assurance, même si elles ont une priorité sur les retraites aujourd'hui, savent très bien que si elles disaient publiquement aujourd'hui qu'elles veulent investir dans la santé et que la santé est un marché, cela susciterait des réactions. Donc, leur prudence, en termes de communication, c'est peut-être bien joué."
Q- Quelle est la ligne d'horizon, pour vous, les syndicats ? On a remarqué, ici et là, chez toutes les grandes centrales syndicales, une forme de précaution, de responsabilité d'ailleurs, comme tenu de la difficulté des enjeux. Où est la ligne butoir pour vous ? La date symbolique du 1er mai, est-ce que cela peut-être un moment de changement de cap, si vous n'aviez pas les réponses aux questions que
vous posez ?
R - "Je ne pense pas qu'on aura les réponses d'ici le 1er mai, puisque c'est dans trois jours. Le 1er mai, nous allons réaffirmer, dans des manifestations, dans des rassemblements, quelles sont les revendications et les attentes de FO, quelles sont les attentes des militants. C'est un premier élément. Je crois que l'on va commencer à avoir certains éléments de réponse la semaine prochaine, à partir du moment où le Gouvernement va annoncer ses premières orientations dans le domaine de l'assurance maladie. Je prends un exemple : s'il annonce qu'il faut réduire le niveau de remboursement, par exemple, en mettant en place une franchise, ce qui serait une erreur fondamentale, parce que ce serait à la fois pour culpabiliser les assurés sociaux et en même temps, pardonnez-moi, mais c'est un peu stupide. Si on met - je dis n'importe quoi - une franchise de 100 euros par an, imaginez quelqu'un qui est souffrant, qui va voir son médecin : 20 euros de consultation, 25 euros de médicaments, donc 45 euros ; il ne sera pas remboursé la première fois. Donc, il ne fera pas et peut-être que trois semaine après, sa situation se sera aggravée, et donc cela coûtera plus cher. Donc, ce sont des pistes que l'on souhaite que le Gouvernement abandonne."
Q- On ne dit jamais rien par hasard. Si vous parlez de franchise, c'est que vous pensez ou que vous savez déjà qu'il en est question ?
R- "C'est une piste, oui. A un moment, il y avait la piste de un euro ou deux euros par boite de médicament, ça, on n'en parle plus. Mais la piste de la franchise, oui, ce n'est pas arrêté, c'est un piste qui circule. Donc on dit clairement que l'on n'en veut pas."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 avril 2004)
Q- J.-M. Aphatie -. Sept syndicats hospitaliers, parmi lesquels Force ouvrière que vous dirigez depuis un mois maintenant, appellent à une journée de grève aujourd'hui dans les hôpitaux. Encore une grève. Pourquoi ?
R- "Ce n'est pas la première journée dans les hôpitaux. Cela fait déjà plusieurs journées, parce que les agents hospitaliers, mais pas simplement les agents hospitaliers, également les médecins hospitaliers, sont mécontents et inquiets sur l'avenir de l'hôpital. C'est le plan 2007, mais l'inquiétude vient de l'évolution de l'hôpital. D'abord ce plan ne répond pas aux besoins, en termes d'investissements, en termes de conditions de travail. Et surtout, ce plan risque d'engager l'hôpital public vers une forme de privatisation de sa gestion. Donc il y a des inquiétudes fortes, et en gros, les médecins, demain, on leur demande d'être des managers également. Donc c'est un peu la notion de l'hôpital-entreprise qui est contestée."
Q- C'est le plan 2007, présenté par J.-F. Mattei, le ministre de la Santé, qui prévoit que désormais les hôpitaux auront des enveloppes budgétaires en fonction de leur activité, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Et on se dit que c'est quand même bien le moins d'avoir l'argent que l'on mérite, en fonction du travail que l'on fait.
R- "Non. Aujourd'hui, je ne dis pas que la situation actuelle de budget global hospitalier est satisfaisante, mais là, c'est la notion de tarification à l'activité. L'objectif, c'est, à terme, d'arriver à une comparaison entre les prix à l'activité dans le public et les prix à l'activité dans le privé. C'est une manière de mettre en concurrence le secteur public et le secteur privé, avec les notions de rentabilité qui vont par définition arriver. A partir de là, le risque - et c'est ce que relèvent à la fois les organisations syndicales de salariés et les organisations de médecins -, c'est qu'il y ait des glissements et des sélections des malades, ou des sélections de risques selon les secteurs. Et c'est le danger."
Q- Mais quand on est au niveau de déficit que l'on constate aujourd'hui, à la fois pour la Sécurité sociale, et plus généralement pour le budget de l'Etat, la dette publique qui va atteindre mille milliards d'euros... Est-ce qu'il n'est pas temps de trouver tout de même, dans le système de santé, une logique comptable qui fait cruellement défaut aujourd'hui ?
R- "J'ai cru comprendre qu'il y a quelques années, en 1995, il y a eu un plan, qui s'appelait "le plan Juppé", et qui était basé sur une logique comptable. Et je rappelle qu'à l'époque, ce plan n'a pas été décidé, ni pour des raisons médicales, ni pour des raisons sociales, mais pour des raisons économiques - c'est reconnu aujourd'hui par des responsables de l'époque -, qui étaient de préparer la mise en place de l'euro et les contraintes européennes. Cette logique comptable n'a pas marché. A la fois en termes d'objectifs, puisque les résultats ont été dépassés, mais aussi en termes de logique. Regardez aujourd'hui : si on prend les relations entre la Sécurité sociale et les professions de santé, le système de convention médicale ne fonctionne plus. Donc comment voulez-vous enfermer la santé dans une enveloppe ? Qu'est-ce qui se passe s'il y a une épidémie ? Qu'est-ce qui se passe s'il y a tel ou tel problème ? On peut fixer des objectifs et puis voir les moyens de régulation, je dirais de manière intelligente, et de manière médicale, avec des critères médicaux. Mais si on rentre dans une logique qui est une logique comptable, à partir de là, par définition, cela conduit à un moment donné à un système de rationnement."
Q- Aujourd'hui on n'est pas enfermé dans une enveloppe. Il y a 11 milliards de déficit par an à la Sécurité Sociale ! Donc, effectivement, on n'est pas enfermé dans une enveloppe !
R- "Non. Mais je dirais, sous forme de provocation : 11 milliards... et alors ?"
Q- Ce n'est pas grave ? Cela peut continuer longtemps comme ça ?
R- "Si je dis : 11 milliards, et alors ? Si on regarde par rapport à l'ensemble du budget de la protection sociale, c'est quand même quelque chose de relatif. Si vous regardez sur les dernières années, dès qu'il y a eu un peu de croissance économique, la période 1997-2001, cela se traduit très rapidement sur les recettes de la protection sociale. Un point de masse salariale - ce n'est pas énorme -, c'est un milliard et demi d'euros. 100.000 emplois, c'est un milliard d'euros... Alors, cela ne règle pas tout, certes, mais cela permet au moins de donner de l'oxygène. [...] Je ne dis pas qu'il faut un déficit permanent, ce n'est pas le problème. Mais ne disons pas non plus a contrario : attention, il y a 11 milliards d'euros de déficit, donc il y a une opération chirurgicale importante à faire. Non, cela se discute, on prend son temps. Vous savez, les pays où les dépenses de santé sont les plus élevées, ce n'est pas la France, ce n'est pas l'Allemagne, ce sont les Etats-Unis. C'est 14 % des richesses aux Etats-Unis. C'est 9,5 % environ en France. Mais ce qui est important, c'est qu'aux Etats-Unis, les dépenses de santé sont très fortes, mais les dépenses d'assurance maladie le sont moins, puisqu'il y a 43 millions d'exclus... Donc on ne veut pas de ce type de système."
Q- On a l'impression que partout ailleurs en Europe, quand il y a un problème de cette nature, les partenaires sociaux s'assoient autour de la table et cherchent une solution. En France, c'est la grève, c'est le conflit. Pourquoi ?
R- "Pas toujours. Des problèmes en Allemagne, il y en a eu ces derniers temps, y compris sur la retraite. Il y a eu des problèmes sur des dossiers comme la retraite. Il y a des problèmes sur l'assurance maladie..."
Q- Mais pas de grève comme chez nous...
R- "Pas toujours, mais ceci étant, il faut faire attention. On ne peut pas dire : le syndicalisme français est un syndicalisme faible par rapport au syndicalisme des autres pays européens. Cela peut se discuter en termes d'effectifs, mais pour ça, il faudrait faire de l'Histoire : le syndicalisme français, c'est un constat, n'a jamais été un syndicalisme de masse, sauf à deux périodes dans l'Histoire. Ceci étant, quand on regarde la situation concrète des salariés français, on ne peut pas dire que la situation concrète des salariés français, en termes de droit, soit inférieure à celle d'autres pays européens... Donc la culture du conflit ou la culture de la négociation, cela fait partie du rôle de l'organisation syndicale. Il y a eu des accords qui ont été signés ces derniers mois par plusieurs organisations syndicales, dont FO. Mais le problème est qu'à un certain moment, quand les discussions avec les pouvoirs publics ou avec le patronat sont complètement coincées, il y a bien une manière de s'exprimer ; et la manière de s'exprimer, eh bien c'est effectivement le conflit."
Q- On disait de M. Blondel, votre prédécesseur à FO, qu'il était le "monsieur non" du syndicalisme français. Vous serez aussi le "monsieur non" du syndicalisme français ?
R- "Si la réforme nous convient... On va discuter de la réforme de l'assurance maladie. On a commencé, cela va continuer..."
Q- Après les Régionales...
R- "Oui, on a posé nos conditions pour une meilleure réforme, pour une bonne réforme. Donc on souhaite une réforme, parce qu'elle est nécessaire. Ceci étant, si effectivement le Gouvernement - je prends un exemple - s'engageait dans une logique qui est effectivement une logique comptable, alors à partir de là, oui, on sera amenés à réagir et à mobiliser si nécessaire."
Q- Vous êtes installé depuis un mois à la tête de FO. Vous avez vu B. Thibault pour la CGT, F. Chérèque pour la CFDT, d'autres syndicalistes. Parmi les partenaires sociaux, il y a le Medef aussi. Pas de rencontre prévue avec E.-A. Seillière ?
R- "Cela va se faire prochainement. On a vu les quatre confédérations syndicales. On va rencontrer bien entendu le Medef officiellement dans les semaines à venir."
Q- Il va venir chez vous à Force Ouvrière ou vous allez aller au Medef ?
R- "La tradition est plutôt que l'organisation syndicale aille au Medef."
Q- Et la tradition va être respectée ?
R- "Oui, bien sûr."
Q- Vous êtes respectueux des traditions ?
R- "Tout à fait !"
Q- Une question un peu personnelle : on dit de vous que vous avez été proche, voire que vous êtes toujours membre du Parti des travailleurs, le parti où se trouvait L. Jospin. Le Monde a interrogé D. Gluckstein, qui est secrétaire général du Parti des travailleurs, le 19 janvier dernier et, à votre propos, il disait : "Est-il membre ou pas de notre parti ? Lui seul peut répondre, s'il le souhaite, et sa réponse correspondra à la réalité". Alors, êtes-vous membre du Parti des travailleurs ?
R- "Je réponds toujours ce que je réponds sur ce type de question..."
Q- Que c'est votre frère ?
R- "Mais non, je n'en ai pas de frère ! je suis désolé !"
Q- D'accord. Il n'y a pas de problème !
R- "Non, ce n'est pas ça. Comment voulez-vous que je prouve quelque chose que je ne suis pas. Je peux vous prouver que je suis Force ouvrière, j'ai ma carte dans ma poche, je vous la montre. Comment voulez-vous que je prouve quelque chose que je ne suis pas ?!"
Q- C'est improuvable...
R- "Eh bien, oui, c'est improuvable, bien entendu."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 mars 2004)
Les Échos le 25 mars 2004.
Q - Quel est, selon vous, le message envoyé par les Français au gouvernement dimanche dernier ?
R - A Force ouvrière, nous considérons que nous n'avons pas à prendre position sur des élections politiques. Mais il est clair que les résultats de dimanche dernier traduisent des inquiétudes et un profond mécontentement sur la situation sociale, les réformes à venir ou l'emploi. Le gouvernement devra en tenir compte. Ces résultats ne font que conforter ce que nous ressentons sur le terrain depuis des semaines. Si on regarde de près ce qui se passe, le climat social n'est calme qu'en apparence. Aux conflits ciblés dans les entreprises, s'ajoute la multiplication des appels à la mobilisation : les pompiers le 25 mars, les personnels administratifs et techniques de l'éducation et l'équipement le 1er avril, les agents d'EDF-GDF le 8 avril, etc.
Q - Au début de la semaine, la CFDT a appelé à faire barrage au Front national, la CGT a invité le gouvernement à revoir sa politique sociale. Et FO ?
R - Nous ne donnons jamais de consigne de vote. Cela dit, nous sommes par définition opposés aux idées racistes, xénophobes et antisémites. Mais il ne suffit pas de parler des valeurs républicaines et sociales au moment des élections et les détricoter au travers de la déréglementation et de la privatisation. Le gouvernement a donné la priorité à une démarche comptable. La contre-réforme des retraites en est la parfaite illustration. Les salariés commencent à comprendre que le droit à la retraite anticipée pour ceux qui ont commencé à travailler très jeunes, dont on parle tant, est en réalité limité. Les 265.000 personnes radiées au début de l'année par les Assedic découvrent quant à elles les effets concrets de la réforme de l'Unedic soutenue par le gouvernement. Sur ce total, 50.000 exerçaient d'ailleurs une activité réduite, c'est-à-dire avaient accepté un petit boulot, ce que souhaite François Fillon. Mais ça ne les a pas empêchés de perdre eux aussi leurs allocations! Et je ne parle pas de l'incertitude qui pèse sur l'assurance-maladie.
Après les élections, le gouvernement a de nombreux projets: loi sur l'emploi, privatisation d'EDF-GDF, Sécurité sociale. S'il continue ses réformes à marche forcée dans une logique comptable, il prend un grand risque social.
Q - Le dossier de l'assurance-maladie est le plus difficile. Qu'attendez-vous précisément ?
R - Une vraie réforme ne peut être menée à la hussarde. Si le gouvernement veut diminuer les remboursements, réduire la place du régime de base obligatoire au profit des assurances complémentaires, pour afficher une baisse du déficit public, il nous trouvera en travers de sa route. Il n'est pas question que la réforme amorce une privatisation de l'assurance-maladie.
Q - Mais le statu quo est-il possible avec un déficit de 10 milliards d'euros ?
R - Nous sommes demandeurs d'une réforme. Mais son objectif doit être de consolider le système dont bénéficient les assurés et, si possible, de l'améliorer. Il faut sortir de la maîtrise comptable. Je cite souvent un exemple : les veino-toniques ont été déremboursés en Italie, jusqu'à ce que l'on s'aperçoive que cela coûtait plus cher en termes de soins ultérieurs ! Il faut également relativiser le déficit : 10 milliards, cela représente moins de 3 % de l'ensemble des dépenses de Sécurité sociale. Par ailleurs, il y a aussi toute une série de charges qui devraient être financées par l'Etat. Deux exemples : sur les 20 milliards d'euros d'exonération de cotisations patronales, il y a en a 3 qui ne sont pas compensés à la Sécurité sociale ; le gouvernement décide une opération de vaccination contre l'hépatite B, sans dégager de moyens. Si on clarifie les responsabilités, l'Etat prendra à sa charge la politique de santé publique et la prévention, ce qui pose par ailleurs le problème de la fiscalité.
Ce sont juste des transferts d'une caisse à l'autre, cela ne change pas la réalité du déficit...
Une fois l'opération de clarification menée, il n'est pas scandaleux que la Sécurité sociale soit en déficit quand la croissance est presque à zéro. Nous pensons en outre que la cotisation patronale peut augmenter. Pour autant, nous ne nions pas la nécessité de maîtriser les dépenses, mais pas n'importe comment. Il faut redonner du contenu à la politique conventionnelle en revenant sur les ordonnances de 1996, qui ont étatisé le système. L'intervention de l'Etat, on le voit bien, ne marche pas. La maîtrise médicalisée permet une régulation respectueuse des besoins des assurés sociaux.
Q - Pensez-vous pouvoir mobiliser les Français sur l'assurance-maladie ? L'échec du conflit des retraites devrait vous inciter à la prudence...
R - Il faut tirer parti de l'expérience. Le dossier des retraites a montré les limites des déclarations intersyndicales cultivant l'ambiguïté, où chacun peut lire ce qui l'arrange, comme celle du 6 janvier 2003. Il faut plutôt réagir à ce que proposera le gouvernement. Force ouvrière est prête à travailler avec les autres organisations syndicales sur des points que nous considérons comme clefs. Cela s'appelle l'unité dans l'action. La différence de l'assurance-maladie avec les retraites, c'est que tout le monde, public et privé, est concerné de la même manière. Tout est donc possible en fonction des choix que fera le gouvernement.
Q - L'emploi est l'autre grand sujet du printemps et il serait peut-être même prioritaire. Qu'attendez-vous du projet promis par Jacques Chirac ?
R - Pour l'instant, le gouvernement n'a pas dit grand-chose. Nous avons surtout entendu parler du contrat de projet, qui accentue la précarisation des salariés, ce n'est pas acceptable. Nous ne serons pas dupes sur la réforme du droit du travail. Quand le Medef présente 44 propositions, l'objectif n'est-il pas de permettre au gouvernement de montrer que les propositions de Michel de Virville sont "soft" ?
Q - Une nouvelle séance de la négociation sur les restructurations est prévue aujourd'hui. Un accord est-il possible ?
R - Je ne suis pas sûr que le patronat ait vraiment envie d'aboutir sachant que le gouvernement interviendra sur le plan législatif. Nous, nous mettons sur la table une proposition concrète : la création d'une cotisation patronale spécifique qui financerait le maintien pendant un an du contrat de travail du salarié licencié sous une forme de mutualisation qui doit aussi concerner les salariés des entreprises sous-traitantes.
Q - Vous avez pris la tête de FO il y a un mois et demi. Quelle sera la place de Force ouvrière dans le paysage syndical dans les années qui viennent ?
R - Nous portons encore aujourd'hui, plus que les autres, une valeur très forte: l'indépendance syndicale. L'attitude de nos représentants dans les entreprises n'est pas déterminée d'en haut. Cette valeur, c'est aussi celle que souhaitent nos jeunes militants, ceux de la génération post-1995.
Q - FO est-il réformiste ou révolutionnaire ?
R - Il n'y a plus aujourd'hui en France d'organisation syndicale révolutionnaire. Pour notre part, nous nous revendiquons réformistes. Mais, pour nous, réformistes ne veut pas dire résignés.
Propos recueillis par Leïla de Comarmond et Dominique Seux
(source http://www.force-ouvriere.org, le 23 avril 2004)
France Inter - le 28 avril 2004
Q- S. Paoli-. L'intuition du ministre du Travail et de l'Emploi, J.-L. Borloo, concernant la capacité des partenaires sociaux à trouver une solution heureuse aux difficultés de l'Unedic est-elle justifiée ? Quant au plan de cohésion sociale, priorité absolue du Gouvernement pour les mois à venir, présenté par J. Chirac aux préfets réunis à l'Elysée, a-t-il les moyens de mobiliser pour l'emploi ? De concrétiser le droit au logement et de favoriser l'égalité des chances ? Cet objectif de cohésion sociale, est-il compatible avec l'invective et les menaces à l'Assemblée nationale augurent-elles de ce que seront désormais les rapport entre la majorité et l'opposition ? Avant d'en venir aux intuitions, peut-être une photo générale : un Premier ministre marginalisé, un président de la République qui fixe la ligne politique, de vives tensions, pour ne pas dire des interpellations discutables à l'Assemblée - je fais évidemment référence aux propos de N. Sarkozy à l'attention d'H. Emmanuelli -, un déficit énorme et des économies imposées ; quel regard le responsable syndical que vous êtes posez-vous sur ce paysage politique ?
R - "Il y a un mois - je crois que c'est à peu près jour pour jour -, c'était le deuxième tour des élections régionales. Elles ont été marquées par ce que l'on appelle un vote sanction sur les inquiétudes, les mécontentements qui étaient très pesants - et on le constatait depuis plusieurs mois - sur toute une série de dossiers : l'emploi, le chômage, l'assurance maladie, et également, un effet boomerang des retraites. D'ailleurs, dans les jours qui ont suivi, le président de la République, dans son intervention, a bien précisé qu'il fallait redonner un peu de souffle au social."
Q- Un "cap social"...
R - "Un cap social. Même si c'étaient plus des corrections qu'un changement de cap, il y avait là quelque chose qui avait été annoncé avec quelques premières annonces, des signaux. Ceci étant, on est toujours dans cette situation. Et d'une certaine manière, on est dans ce que l'on pourrait appeler un moment de vérité. Est-ce qu'effectivement, le Gouvernement et le patronat vont se donner les marges de manoeuvre nécessaires pour que les questions sociales, l'ampleur des problèmes sociaux, on puisse effectivement les prendre en considération et les régler de manière correcte - je pense par exemple à l'assurance maladie ? Ce qui suppose quelques marges de manoeuvre, avec les contraintes économiques qui existent au niveau européen. Auquel cas, effectivement, le message aura été entendu, d'une certaine manière. Ou c'est une question de communication et il y a une forme de blocage et on n'en sort pas, la situation perdure."
Q- Vous n'avez pas encore la réponse à cette interrogation ?
R - "Pas encore. On va voir, notamment sur un dossier comme l'assurance maladie - cela va être dans les jours à venir - si, effectivement, il y a un cap différent ou si on reste dans la même logique."
Q- Prenons les choses dans l'ordre et finissons-en avec les intuitions : une renégociation est engagée s'agissant de l'Unedic ?
R - "Sur l'Unedic, d'abord, il y a un problème de fond, un problème d'urgence. C'est le problème de ce que l'on appelle - terme un peu impropre - les "recalculés". Nous, on considère qu'il y a le tribunal de Marseille qui s'est prononcé, d'autres tribunaux vont de prononcer, mais il va bien falloir, d'une manière ou d'une autre, réintégrer ces recalculés. Donc, à partir de là, il faut trouver les ressources de financement nécessaires. On a émis deux propositions. La première, c'est effectivement de relever le taux de cotisation. Il faut savoir qu'aujourd'hui il est plus faible de 0,2 point qu'il ne l'était en 1993."
Q- Donc, on relève de 0,2 % ?
R - "Oui, il faut relever de 0,2 %. Nous sommes aussi partisans, à FO, d'une légère surcotisation sur ce que l'on appelle le travail précaire. Parce qu'il faut bien comprendre que dans l'ensemble des chômeurs..."
Q- Qu'est-ce que c'est "une légère surcotisation" ?
R - "Déjà, dans une première étape, 0,2 point de cotisation, c'est 800 millions. Une légère surcotisation qui permet d'avoir l'argent nécessaire sur les deux ans pour les recalculés, par exemple. Parce qu'il faut savoir que sur le régime d'assurance chômage, les Assedic, la moitié des chômeurs qui sont indemnisés le sont suite à une fin de contrat précaire. Cela veut dire que d'une certaine manière, les employeurs ont intégré le système de l'assurance chômage dans la gestion des entreprises. Donc, à la fois pour limiter la précarité et faire une surcotisation sur les contrats précaires."
Q- C'est ce que souhaite FO et la CGT ; ce n'est pas du tout ce que souhaite le Medef qui, lui, avait plutôt envie d'une dégressivité. Est-ce que vous allez réussir à trouver un terrain d'entente, parce qu'il faut que tout le monde soit d'accord pour que la renégociation puisse fonctionner ?
R - "La renégociation, c'est par rapport à une convention qui a été signée en 2002. Nous, nous ne sommes pas signataires, notamment pour cette raison des recalculés."
Q- La CGT non plus d'ailleurs...
R - "La CGT non plus ne l'avait pas signé. Donc, à partir de là, ils ont été un peu imprudents les signataires, je dirais. Donc, très rapidement, il faut régler ce problème. Ceci étant, oui, effectivement, le patronat, dans l'immédiat, dès qu'il entend parler d'une légère augmentation de cotisation, il bloque tout de suite, que ce soit sur l'assurance chômage ou que ce soit, par exemple sur un autre dossier, dont on parle moins en ce moment, et qui a pris un peu de plomb dans l'aile en termes de calendrier, c'est le dossier sur la négociation sur les restructurations. Il est clair que l'on ne peut pas accepter une remise en place de la dégressivité. Le dossier vient parce que des chômeurs ont des droits amputés ; on ne va pas le régler en amputant encore plus le droit des chômeurs, ce n'est pas possible !"
Q- Mais j'en reviens à l'intuition de monsieur Borloo : où est la voie de passage
alors ?
R - "Si le patronat ne veut effectivement pas augmenter les cotisations pour régler le problème d'urgence, à ce moment-là, comme cela a déjà existé dans l'histoire, en 1982-1983 notamment, le Gouvernement peut décider d'augmenter les taux de cotisation, il peut le faire par un décret."
Q- De façon autoritaire ?
R - "Je ne dis pas que c'est la voie que l'on privilégie, mais le système d'assurance chômage, dans le code du travail, c'est une délégation qui est donnée par l'Etat aux partenaires sociaux. Donc, si le patronat ne veut pas augmenter les cotisations et comme on n'acceptera pas une remise en place de la dégressivité ou d'autres diminutions des droits des chômeurs, il n'y aura pas d'autres solutions."
Q- Et la suggestion du président de l'Unedic, qui consisterait à faire cotiser l'ensemble des contribuables qui ne financent pas l'assurance chômage - les retraités, les fonctionnaires, les professions indépendantes ?
R - "Là, il y a deux points. Vous savez qu'il y a 1 %, théoriquement, depuis très longtemps, qui est prélevé chez les fonctionnaires pour alimenter le système d'assurance chômage. Cela n'a jamais alimenté le système d'assurance chômage. Deuxièmement, ce que l'on craint, avec ce système, c'est que l'on amorce une fiscalisation du système d'assurance chômage dans le financement et on rencontrerait demain les mêmes problèmes que l'on rencontre aujourd'hui à la Sécurité sociale. Ce n'est donc pas une voie que l'on privilégie, cette fiscalisation du financement."
Q- Ce plan de cohésion sociale présenté hier par le président de la République, dans ce contexte où l'on voit bien que chacun de son côté - et ce n'est pas facile - tente de trouver des moyens de financement, comment peut-on lui donner corps ? Parce qu'il est très ambitieux ! Il s'agit tout de même du logement, de la lutte contre le chômage et donc des créations d'emplois, de l'égalité des soins, donc de l'accès à l'emploi pour tous. Mais tout cela va aussi demander des systèmes de financement particuliers. Où va-t-on les trouver ?
R - "Tout à fait. Je crois que c'est l'explication du titre du ministère de monsieur Borloo, "Cohésion sociale", et cela rentre effectivement dans le cadre d'ensemble, si on parle du logement, si on parle de l'insertion, du problème du chômage, etc. Mais effectivement, cela demande des moyens et quand on sait que sur le budget, il y a une réduction de 7 milliards de crédits ou crédits gelés, et qu'apparemment, il y en a au moins 500 millions au ministère du Travail, on ne voit pas très bien, dans l'immédiat, comment financièrement on va pouvoir. C'est bien d'avoir l'ambition mais il faut que cela se concrétise aussi, et cela nécessite des marges de manoeuvre."
Q- Ce qui extraordinaire, c'est qu'à vous écouter depuis tout à l'heure, on avance tout le temps dans le brouillard ! Vous ne savez pas où vous allez ?
R - "Non, pas encore. Nous, en tant qu'organisation syndicale, FO sait ce qu'elle veut en termes de revendications sur l'assurance maladie, sur l'assurance chômage. Mais on n'a toujours pas une vision claire de la part des pouvoirs publics entre les discours qui ont suivi les élections, certains engagements ou modifications de cap qui ont été annoncés. Concrètement, où on en est aujourd'hui ? On va voir, par exemple, la semaine prochaine, sur les premières orientations du Gouvernement dans le domaine de l'assurance maladie, quelle voie il va privilégier."
Q- Vous aviez évoqué la question du silence des assurances privées. Vous vous en inquiétez toujours ?
R - "Oui. Je trouve que les assurances privées font la meilleure campagne de communication, actuellement, sur l'assurance maladie : elles ne disent rien."
Q- Ce silence est pour vous un aveu ?
R - "Oui, ce silence est un aveu, parce qu'un des éléments sur lesquels on a des inquiétudes - et on l'a précisé à différentes reprises publiquement, ce n'est pas le seul -, le point de désaccord qu'on aurait, c'est effectivement, d'une certaine manière, un peu ce qui se passe sur les retraites : on a limité la part sur la répartition et la solidarité et on laisse le passage aux fonds de pension - on les appelle comme on veut, mais ce sont des fonds de pension. Il suffit d'écouter les publicités en ce moment pour savoir que cela marche bien. Eh bien que l'on fasse la même chose sur l'assurance maladie, qu'on limite la part réservée au régime général et qu'on laisse un passage plus grand aux assurances. Et cela, ce sera un problème de conflit avec nous, c'est clair ! Donc, à partir de là, comme on ne peut plus aujourd'hui, au nom de la libre concurrence, privilégier tel ou tel régime complémentaire, par définition, ce serait mettre le ver dans le fruit en quelque sorte. Donc, oui, on a cette inquiétude. Les compagnies d'assurance, même si elles ont une priorité sur les retraites aujourd'hui, savent très bien que si elles disaient publiquement aujourd'hui qu'elles veulent investir dans la santé et que la santé est un marché, cela susciterait des réactions. Donc, leur prudence, en termes de communication, c'est peut-être bien joué."
Q- Quelle est la ligne d'horizon, pour vous, les syndicats ? On a remarqué, ici et là, chez toutes les grandes centrales syndicales, une forme de précaution, de responsabilité d'ailleurs, comme tenu de la difficulté des enjeux. Où est la ligne butoir pour vous ? La date symbolique du 1er mai, est-ce que cela peut-être un moment de changement de cap, si vous n'aviez pas les réponses aux questions que
vous posez ?
R - "Je ne pense pas qu'on aura les réponses d'ici le 1er mai, puisque c'est dans trois jours. Le 1er mai, nous allons réaffirmer, dans des manifestations, dans des rassemblements, quelles sont les revendications et les attentes de FO, quelles sont les attentes des militants. C'est un premier élément. Je crois que l'on va commencer à avoir certains éléments de réponse la semaine prochaine, à partir du moment où le Gouvernement va annoncer ses premières orientations dans le domaine de l'assurance maladie. Je prends un exemple : s'il annonce qu'il faut réduire le niveau de remboursement, par exemple, en mettant en place une franchise, ce qui serait une erreur fondamentale, parce que ce serait à la fois pour culpabiliser les assurés sociaux et en même temps, pardonnez-moi, mais c'est un peu stupide. Si on met - je dis n'importe quoi - une franchise de 100 euros par an, imaginez quelqu'un qui est souffrant, qui va voir son médecin : 20 euros de consultation, 25 euros de médicaments, donc 45 euros ; il ne sera pas remboursé la première fois. Donc, il ne fera pas et peut-être que trois semaine après, sa situation se sera aggravée, et donc cela coûtera plus cher. Donc, ce sont des pistes que l'on souhaite que le Gouvernement abandonne."
Q- On ne dit jamais rien par hasard. Si vous parlez de franchise, c'est que vous pensez ou que vous savez déjà qu'il en est question ?
R- "C'est une piste, oui. A un moment, il y avait la piste de un euro ou deux euros par boite de médicament, ça, on n'en parle plus. Mais la piste de la franchise, oui, ce n'est pas arrêté, c'est un piste qui circule. Donc on dit clairement que l'on n'en veut pas."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 avril 2004)