Interview de M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur, porte-parole du Gouvernement, à Europe 1 le 28 juillet 2004, sur la conférence de presse du Premier ministre de la veille, l'utilisation par le gouvernement de l'article 49.3 et le débat sur la motion de censure, le référendum sur la Constitution européenne et la présidence de l'UMP.

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Média : Europe 1

Texte intégral

M. Tronchot - On va essayer de ne pas faire de langue de bois. Votre fonction de porte-parole peut parfois vous y prédisposer...
R - "Je ne sais pas quand..."
M. Tronchot - On a senti hier un Premier ministre presque offensif dans le débat de censure, après douze mois difficiles sur tous les fronts. On passe d'un ministère Raffarin patraque à un sursaut d'énergie soudain. Qu'est-ce qui a changé qui permette à J.-P. Raffarin de passer d'un certain abattement à une bouffée d'optimisme ?
R - "Il y a d'abord un certain nombre d'éléments que nous sommes en train de constater. Le premier c'est que la politique économique que nous avons conduite, depuis deux ans, nous permet de revoir des perspectives heureuses de croissance économique, c'est-à-dire pour les Français des perspectives pour trouver un emploi, pour avoir un pouvoir d'achat qui augmente et donc cela vient conforter ce qu'il a engagé depuis deux ans. Vous savez, on a pris beaucoup de critiques sur la tête ces derniers mois..."
M. Tronchot - On a remarqué...
R - "Vous avez remarqué... Et donc en même temps, c'est aussi le moment de rappeler qu'en deux ans, il n'y a pas beaucoup de Premiers ministres, en France, qui ont fait autant de réformes. Cela donne envie de poursuivre dans ce qui a été engagé et donc c'est vrai qu'on avait hier un Premier ministre qui avait la pêche."
M. Tronchot - C'est un élément extérieur, c'est une prévision de croissance meilleure qui redonne le sourire ?
R - "Pas seulement, c'est aussi le fait que tout ce que nous avons fait depuis deux ans, je pense, par exemple, les réformes que d'autres gouvernements ne voulaient pas faire, comme les retraites ou l'assurance maladie, les baisses d'impôts, qui ont soutenu la consommation, les lois que nous avons mises en oeuvre pour commencer à rétablir la sécurité, pour moderniser l'Etat, pour nous occuper aussi de ceux qui sont exclus, je pense en particulier au projet de cohésion sociale que l'on va commencer de mettre en oeuvre. Et sans oublier aussi tout le travail qui a été fait pour les personne dépendantes, là aussi il y avait un retard considérable sur les personnes âgées, sur les personnes handicapées, le fameux jour férié, cette idée que l'on puisse faire de la solidarité, non pas en augmentant les impôts, mais en travaillant plus. Tout cela, c'est des sujets qui, jusqu'à présent, étaient tabou en France, on a eu le courage de les évoquer."
M. Tronchot - Vous qui savez tout et qui êtes proche du Premier ministre, par fonction, il y a un moment où il a été tenté d'arrêter ?
R - "Non, je ne crois pas. En revanche, puisqu'on a dit qu'on ne faisait pas de langue de bois, moi je peux témoigner, à titre personnel, qu'au lendemain des régionales, nous avons mesuré que nous avions perdu beaucoup de régions - et c'est le moins que l'on puisse dire - c'est vrai que dans ces moments-là, on se dit : "mais alors, c'est qu'il faut qu'on revoit précisément comment les Français peuvent à ce point exprimer de doutes, d'interrogations, comment les impatients se sont conjugués aux mécontents". Voilà, tout cela nous a amené à réfléchir, et nous dire, on va passer la vitesse supérieure sur un certain nombre de réformes, parce que les conditions sont préparées pour le faire."
M. Tronchot - Ce n'est pas gênant pour un Premier ministre de faire usage du 49-3, quand J.-L. Debré, président de l'Assemblée nationale, issu de sa majorité, ne cesse de dire - il le fait encore ce matin dans "La Croix" -, son hostilité à une telle procédure ?
R - "Personne ne peut se réjouir de l'utilisation du 49-3. Moi, je veux le dire ici à nouveau, personne ne peut se réjouir de cela. Si le Premier ministre a décidé de le faire, c'est tout simplement parce que les socialistes avaient clairement décidé, eux, qu'il n'y aurait plus de débat. Quand vous déposez 5 000 amendements sur un texte qui est en deuxième lecture, dont tout le monde connaît l'essentiel - 5 000 amendements, là où les socialistes en avaient déposé trois fois moins en première lecture - cela veut dire quoi ? Cela veut dire une opposition qui veut complètement casser le débat. 5 000 amendements aussi extravagants que ceux que l'on avait, genre, "tiens ! on va enlever l'Alsace et la Corse du bénéfice des lois de décentralisation, vous voyez ce genre de choses..."."
M. Tronchot - Vous avez cela en votre temps ?
R - "Pas moi, personnellement, parce que je n'y étais pas, mais je pense qu'en tout cas, il y aura sans doute de ce point de vue, à se dire que, quand on est dans l'opposition, on a des tas de choses constructives à faire, qu'il vaut mieux les faire plutôt que de l'obstruction."
M. Tronchot - L'UDF, même si elle n'a pas dénié voter la censure, alors qu'elle jugeait le texte sur la décentralisation médiocre, est-elle aujourd'hui un partenaire ou non ?
R - "Elle est bien difficile votre question. Prenons le critère essentiel qui est que l'UDF vote la confiance au Gouvernement ou qu'en tous les cas, il ne vote pas la censure au Gouvernement. Donc on peut penser que, de ce point de vue, ils ne sont pas dans l'opposition. Pour le reste, c'est vrai que les propos sont souvent très durs, pour être honnête avec vous, souvent très injustes. D'autant plus que dans le même temps, je suis toujours très attentif lorsque j'entends des critiques à essayer de voir qu'elles seraient les propositions alternatives. Que dans le cas de l'UDF, comme de la gauche d'ailleurs, je ne les entends jamais."
M. Tronchot - La semaine passée, J.-P. Raffarin se fixait, modestement, comme échéance de mener à bien le débat référendaire sur le projet de Constitution européenne. Maintenant, il s'inscrit dans la durée. Quelle durée ?
R - "Ca, ce n'est pas à moi de vous répondre, ne serait-ce que parce que les institutions ne sont pas organisées comme cela..."
M. Tronchot - Votre intuition ?
R - "La seule chose que je peux vous dire, c'est que le discours du Premier ministre, hier, c'était un discours offensif, parce qu'il a clairement à l'esprit le programme de travail pour les douze mois qui viennent. L'année 2005 sera naturellement une grande année, du point de vue européen, puisque le président de la République a dit qu'il invitait les Français à se prononcer par référendum sur ce traité concernant les institutions européennes, qui est quand même un évènement absolument majeur, d'importance comparable, par exemple, au rendez-vous de la monnaie unique, il y a une dizaine d'années. Donc on voit bien que de ce point de vue, il y a un agenda chargé. En gros, sur quoi est-ce que l'on va travailler ? Premièrement, mobilisation contre les délocalisations. Aujourd'hui, c'est un sujet sur lequel tous les Français que nous pouvons rencontrer nous interrogent, parce que c'est devenu un enjeu majeur. C'est d'autre part, de tenir bon sur les dépenses, parce qu'il faut gérer en bon père de famille et enrayer la spirale des déficits qui nous avait été laissée par la gauche. Et puis enfin, il faut investir dans l'avenir. Le courage politique, c'est d'assumer que nous devons préparer la France pour les dix années qui viennent, c'est-à-dire l'école et c'est-à-dire la recherche. Autant de sujets sur lesquels il y a beaucoup à faire."
M. Tronchot - Après l'annonce du référendum, on a entendu des personnes s'inquiéter de ce qu'on ne refasse aux socialistes le même coup que le deuxième tour des présidentielles, c'est-à-dire que les socialistes se sentent un petit peu obligés de rendre service à Chirac, ce qu'ils pourraient ne pas faire, finalement ?
R - "Là, je ne sais pas si c'est tout à fait comme cela que l'on peut l'interpréter. Il y a des moments dans la vie où on n'est pas là pour rendre service, on est là pour agir en responsabilité. Moi je serai très intéressé, le moment venu, de connaître la position du Parti socialiste sur l'Europe, parce qu'à force de mettre des "oui mais" partout, on ne sait plus du tout ce que le Parti socialiste pense sur ce sujet. Ils sont intarissables pour critiquer le Gouvernement - je les voyais encore hier à l'Assemblée - avec une violence verbale en particulier, absolument incroyable. Moi, j'appelle de mes voeux un débat qui s'apaise un peu sur des sujets où on peut se rassembler. Voyez par exemple, hier soir, nous avons débattu sur le texte sur les pompiers, qui est un texte absolument majeur dans cette période où beaucoup d'entre eux luttent contre le feu, en particulier dans les Bouches-du-Rhône. Nous avons évoqué, enfin, la reconnaissance de leur statut, la mobilisation du volontariat, parce que l'on a une vraie crise de l'engagement en France. Or, les sapeurs-pompiers volontaires, nous en avons besoin. On a créé un avantage retraite qui est le premier du genre. Eh bien c'était relativement apaisé, donc on est capable de trouver de l'apaisement, notamment, il faut dire, quand il n'y a pas de caméras de télé."
M. Tronchot - Puisque vous en parlez, c'est aberrant que l'on reconnaisse seulement aujourd'hui le caractère dangereux de la profession de sapeur-pompier ? C'est Courteline !
R - "C'est grâce à Raffarin. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise. Il y a des moments dans la vie où il faut bien reconnaître les choses. C'est des sujets dont on parle à longueur de colloques, depuis des années. Avec D. de Villepin, nous avons porté ce texte depuis trois mois, avec un dialogue très approfondi avec les sapeurs-pompiers, avec les élus locaux, mais cela avait effectivement dix ans, dans les colloques successifs, on en parlait. De ce point de vue, il faut d'ailleurs saluer le travail qui a été fait par l'équipe gouvernementale, parce que c'est N. Sarkozy, qui a évoqué ces sujets il y a quelques mois, qui a préparé les orientations. Et donc avec D. de Villepin, nous l'avons poursuivi, c'est vrai que de ce point de vue là, il y avait un avancée indispensable à faire."
M. Tronchot - Puisque vous parlez de N.Sarkozy, le Premier ministre en finit avec les derniers arbitrages budgétaires cette semaine. Le socialiste, J.-M. Ayrault, trouve choquant, je le cite, que "le débat budgétaire dépende des rapports entre J. Chirac et N. Sarkozy", vu les passes d'armes entre l'Elysée et Bercy sur la Défense, par exemple. On ne peut pas vraiment lui donner tort.
R - "Si, je suis désolé de vous le dire, mais ce n'est pas comme cela que ça marche. Le budget, il fait l'objet, tous les ans, des mêmes rendez-vous avec un rapport classique entre le ministre du Budget, le ministre de l'Economie en l'occurrence, et les ministres dits dépensiers..."
M. Tronchot - Pas forcément avec le Président...
R - "Je crois que là-dessus, les choses ont été rappelées, comme vous les savez. Non, je crois que, honnêtement, on est maintenant dans la dernière phase. Le Premier ministre va faire, aujourd'hui, un bilan d'activité à la presse et il va présenter les perspectives pour l'avenir et dévoiler quelques unes des orientations budgétaires sur lesquelles il veut inscrire notre pays. Donc, ce sera l'occasion de dire un peu quelles sont ces orientations."
M. Tronchot - C'est vrai que vous envisagez de reporter l'an prochain, la revalorisation du SMIC ?
R - "Non, rien n'est tranché sur ce point."
M. Tronchot - Même la presse annonce à grands renforts que...
R - "Non, d'ailleurs, il y en a un qui dit oui, l'autre qui dit non. Vous voyez comme quoi les journaux, il ne faut pas toujours les lire. Il faut préférer les décisions, une fois qu'elles sont prises, plutôt que les rumeurs. Il n'y a rien de pire que les rumeurs."
M. Tronchot - A quels ministres est-ce que l'on va demander des efforts plus particulièrement ?
R - "Comme vous le savez, tout le monde est à le même enseigne, je peux en témoigner. L'idée, c'est qu'on ait vraiment une croissance zéro des dépenses et que vraiment on essaye de voir comment le surplus de croissance peut être utilisé, au service des Français, de la réduction du déficit et aussi de n'oublier personne, parce que nous avons un impératif de cohésion sociale, sinon la France continuera de se fissurer en silence. Nous, notre objectif, c'est l'inverse."
M. Tronchot - Parmi les priorités fixées hier par J.-P. Raffarin à la tribune de l'Assemblée, la lutte contre les délocalisations. Est-ce que l'on devait attendre que les entreprises relancent le débat sur les 35 heures pour se rendre compte du problème et des problèmes des entreprises et parfois de leur tentation d'aller voir ailleurs ?
R - "Non, vous savez ce qui nous a le plus amené à nous mobiliser, ce n'est pas tellement cet aspect des choses, c'est les témoignages que nous avons sur le terrain. Je suis élu à Meaux, il y a un mois, pour la première fois, j'ai eu un chef d'entreprise qui me dit : "écoutez, je suis sous-traitant d'une grande entreprise automobile et on vient de me faire savoir que si je ne me délocalisais pas, soit en Asie, soit à l'est de l'Europe, je ne serai plus le sous-traitant de cette entreprise parce que soi-disant mes coûts sont trop élevés etc". Quand vous êtes local, vous savez que vous êtes responsable d'un bassin d'emplois et que vous prenez cela dans la figure et vous pensez immédiatement à toutes celles et ceux qui peuvent avoir, du jour au lendemain, leur destin brisé en terme d'emplois, la priorité c'est de s'occuper de cela. Donc, ce sera l'un des chantiers majeurs de l'année 2005 de faire en sorte que la France redevienne attractive sur le plan fiscal, sur le plan territorial, de faire en sorte que toutes les qualités de nos entreprises puissent permettre à notre pays de se développer et d'avoir de la prospérité pour tout le monde en France."
M. Tronchot - Trois questions pour terminer : Sarkozy à la présidence de l'UMP et Raffarin à Matignon, c'est compatible ?
R - "Oui. Ecoutez, là-dessus, je crois qu'il faut faire les choses dans l'ordre. Nous aurons un débat sur ce sujet le moment venu. A partir du moment où on saura exactement qui est candidat, et en l'occurrence si les uns et les autres confirment ce qui, aujourd'hui, relève plus de l'intention. Moi, je suis, dans ce domaine, assez prudent, parce que je considère qu'il fait faire les choses dans le bon ordre. Mais ne vous inquiétez, nous aurons l'occasion d'en reparler. Si vous me réinvitez, on le fera volontiers, mais là, ce n'est pas encore l'heure."
M. Tronchot - Est-ce que vous dites, comme D. Bussereau, que si trop de ministres sont candidats à la présidence de l'UMP, il faudra que Raffarin y aille ?
R - "C'est en tout cas ce que le Premier ministre a indiqué."
M. Tronchot - Guantanamo, est-ce que ce sont les Américains qui testent la justice française pour voir comment on gère la situation ?
- "Non, cela relève de la polémique. Vous savez exactement comment les chose se sont passées. Le retour en France de ces Français est le fruit de négociations intenses avec les Etats-Unis. Ils ont été naturellement remis à la justice qui a ouvert une information judiciaire sur leur cas. Voilà ce qu'il en est."
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 28 juillet 2004)