Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, avec BFM le 30 novembre 2004, sur le sort des deux otages français détenus en Irak suite aux informations données par leur chauffeur syrien, après sa libération, sur la situation en Ukraine à l'issue de l'élection présidentielle entachée d'irrégularités, sur la crise en Côte d'Ivoire et notamment la crise des relations franco-ivoiriennes.

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Média : BFM

Texte intégral

Q - Dans un entretien avec "Libération", Mohamed al Joundi, le chauffeur des deux otages français détenus en Irak, raconte les conditions de sa captivité. Il s'est voulu rassurant sur le sort de nos deux otages. Est-ce que vous l'êtes aussi,
Michel Barnier ?
R - J'ai été heureux de rencontrer hier, pour la première fois, Mohamed al Joundi que nous accueillons en France et qui, en effet, a apporté un certain nombre d'informations sur les premiers jours, les premières semaines de sa détention commune avec Christian Chesnot et Georges Malbrunot. J'ai été très heureux, comme toute sa famille, comme tous ses proches, qu'il ait été libéré, et, naturellement, ce que je peux simplement dire, comme il le sait, comme le savent les familles de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot, qui ont une attitude extrêmement digne, patiente, et courageuse depuis des semaines et des semaines, c'est que nous continuons à travailler avec le même souci de discrétion, parce que c'est une des conditions de leur sécurité, avec le souci de nouer tous les dialogues, de tenir tous les fils et d'obtenir le plus tôt possible la libération effective de nos deux compatriotes, Christian et Georges. En tout cas, l'équipe que j'ai l'honneur d'animer, sous l'autorité du président de la République et du Premier ministre, continuera à travailler jusqu'au bout pour obtenir cette libération effective.
Q - Les informations parues notamment dans la presse anglaise, étaient-elles d'anciennes informations selon lesquelles on voyait les deux otages en bonne
santé ?
R - L'examen de ces cassettes et de ces informations, que nous avons commencé, prouve, en effet, que ce sont des images et des informations anciennes.
Q - En Ukraine, le Premier ministre, Viktor Ianoukovitch a dit qu'il était éventuellement prêt à accepter un nouveau scrutin à condition que lui et Ioutchenko, le leader de l'opposition, ne se représentent pas. Quelle analyse faites-vous de ce qui se passe aujourd'hui en Ukraine ?
R - Ce sont les dirigeants de ce pays et les institutions ukrainiennes qui doivent trouver, rechercher d'abord, une solution pacifique, politique à cette crise. Mon analyse est que les élections présidentielles qui viennent de se dérouler, n'étaient pas régulières. Il y a eu un grand nombre d'irrégularités.
Q - Vous avez eu la confirmation de fraudes électorales ?
R - Tous les observateurs ont montré, et ont démontré, des fautes nombreuses et donc, ce qui est en cause, c'est simplement la démocratie. En disant cela, moi, je ne choisis pas un candidat contre l'autre ou un camp contre l'autre. Nous choisissons de défendre, dans ce grand pays qui est sur le continent européen, comme nous le ferions partout ailleurs, simplement la démocratie. Nous défendons la démocratie et non pas tel ou tel camp. J'espère que, grâce au mouvement populaire qui s'est engagé, et auquel nous sommes attentifs naturellement, avec l'encouragement et le soutien de l'Union européenne, - Javier Solana est allé, en notre nom, à Kiev pour porter ce message d'une Europe disponible pour aider, de manière constructive -, j'espère que nous allons trouver une solution politique et pour l'accompagner.
Q - Néanmoins, Michel Barnier, on a le sentiment que cela a dépassé les frontières de l'Ukraine. Il y a les Russes et Vladimir Poutine qui sont quand même très impliqués, les Américains et puis l'Union européenne qui a essayé au Sommet de La Haye de démontrer une grande attention vis-à-vis des conditions du scrutin. Mais est-ce que ce n'est pas encore en train de redevenir un affrontement entre les Etats-Unis et la Russie ?
R - Je pense que tout le monde doit faire attention à la stabilité de cette région, notamment nous, Union européenne. Nous ne voulons pas remettre en cause l'équilibre dans cette région, qui est le voisinage commun, si je puis dire, de nombreux pays européens et naturellement de ce très grand pays qu'est la Russie, qui est très attentive à ce qui se passe en Ukraine. Je pense que, et aux Etats-Unis et à Moscou, on doit faire attention à cette stabilité. Mais il y a un chemin que nous devons prendre, partout dans le monde, y compris chez nous en Europe, c'est celui de la démocratie. Voilà pourquoi nous soutenons tous les efforts qui vont être faits et nous faisons, nous-mêmes, des efforts pour encourager ce retour à une vraie démocratie dans ce grand pays qu'est l'Ukraine.
Q - En Côte d'Ivoire, la France est accusée d'avoir tiré, les Français sont accusés d'avoir tiré sur la foule. Cette accusation est-elle une provocation ?
R - Dans cette crise de la Côte d'Ivoire, et pendant ces jours tragiques et dramatiques, après que nos soldats aient été attaqués et que neuf d'entre eux aient été tués, nous avons réagi dans le cadre de légitime défense, et je crois que tout le monde l'a bien compris. C'est d'ailleurs le sens du vote qui a eu lieu aux Nations unies, qui a été un vote unanime pour soutenir la réaction française. S'agissant de cette accusation, Michèle Alliot-Marie, ma collègue et amie, a dit précisément ce qu'il fallait dire et je n'y reviens pas.
Maintenant, en tant que ministre des Affaires étrangères, je m'attache, sous l'autorité du chef de l'Etat, à favoriser une reprise du processus politique. On ne peut pas laisser ce pays dans l'état où il est aujourd'hui, divisé, avec ces agressions réciproques, avec cette intolérance. On doit retrouver le chemin de la discussion, tel qu'il a été fixé dans les accords de Marcoussis, dans ceux d'Accra, qui fixent le chemin, d'une part des élections ouvertes à tous, d'autre part du désarmement au nord. On ne peut pas accepter que ce pays reste divisé et provoque une instabilité dans toute la région. Quand je dis nous, ce n'est pas nous la France, c'est les Nations unies dont nous faisons partie
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 novembre 2004)