Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Mes chers amis radicaux,
Laissez-moi vous dire tout d'abord l'immense plaisir, l'immense plaisir, mon cher Thierry, que j'ai eu à vous retrouver ici, en nombre et en qualité - et d'ailleurs je me demande s'il ne faudra pas prolonger les congrès encore d'un ou deux jours, car, je vois qu'à mesure du déroulement, vous êtes de plus en plus nombreux - vous retrouvez ici, disais-je, pour les travaux de notre Congrès. Votre présence active atteste la vitalité de notre parti qui sera cependant -je ne vous le cache pas- et d'ailleurs, dans les couloirs et les conversations particulières, je l'ai déjà dit à certains d'entre vous, notre parti sera au centre de mon intervention.
Je veux bien sûr remercier et féliciter tous ceux qui, depuis hier matin, ont enrichi notre Congrès de leurs interventions souvent très pertinentes.
Remercier et féliciter aussi les auteurs des nombreuses contributions préparatoires, générales ou thématiques, qui ont démontré l'effervescence intellectuelle et politique caractérisant, quoiqu'on en dise, le radicalisme moderne.
Remercier enfin l'administration de notre parti qui a organisé, dans des conditions assez difficiles, notre grand rendez-vous lyonnais. Elle s'est appuyée pour cela sur une équipe extraordinaire, celle la Fédération régionale Rhône-Alpes et sur nos fédérations départementales concernées qui n'ont pas démenti, à cette occasion, leur grande tradition d'hospitalité et leur souci militant de faire revivre l'immense radicalisme d'hier dans une force politique rénovée et puissante. Merci à tous. Merci à nos permanents. Merci à Thierry. Merci au président de la fédération du Rhône. Merci à Sandrine et à son équipe. Merci à tous et à toutes pour la qualité de ce rendez-vous. Merci Thierry d'avoir rajouté hier soir un instant d'émotion. Et d'ailleurs finalement, bien plus qu'un instant d'émotion, un moment de méditation politique sur toute l'histoire du radicalisme de gauche.
Alors, les plus anciens d'entre vous ont l'habitude d'entendre dire, lors de chacun de nos Congrès, comme pour en dramatiser un peu la liturgie, que le radicalisme est arrivé à un moment décisif de son existence organique, que ce Congrès-là précisément sera crucial, bref, que nous serons une fois de plus à la croisée des chemins avec, devant nous, le choix vital de notre existence réaffirmée ou de notre disparition programmée. Nous l'avons entendu d'ailleurs naturellement comme à chaque fois dans ce congrès. Elisabeth Boyer me montrait, il y a quelques semaines, le compte rendu d'un congrès de 1925 où, déjà, les radicaux se posaient la question de la discipline interne de leurs élus et de l'existence même du parti. Voyez que nous sommes vraiment leurs héritiers sauf qu'en ce qui me concerne, je considère que cette problématique est classique mais toujours dépassée.
D'autres, souvent plus jeunes, mais je les entends aussi, observent -et tout particulièrement pendant ces derniers mois- que nos débats organisés de façon classique et sans recherche du sensationnel, que l'absence de querelles de personnes pour la direction du Parti, que, selon eux, le défaut d'échéances électorales rapprochées, le manque de visibilité médiatique et de stratégie politique claire pour notre parti, priveraient notre Congrès de tout intérêt. Notre rassemblement n'aurait, en somme, d'autre légitimité que sa périodicité statutaire.
Je comprends les inquiétudes des uns, les impatiences des autres et je pense avec eux que la question de la modernisation de notre parti et de l'intensification de son action est la plus importante aujourd'hui posée à notre Congrès. Mais je pense aussi que les trois années qui viennent sont capitales pour la gauche et qu'elle, devra, elle aussi s'interroger dans toutes ses composantes sur son organisation et sur la crédibilité de son discours.
Dans ma contribution préparatoire, je vous ai exposé quels devaient être, selon moi, les grands axes de la réorganisation de notre parti pour qu'il puisse à l'avenir peser sur la situation politique du pays et en faveur d'une rapide victoire de la gauche, pour qu'il puisse aussi infléchir le processus de construction européenne et, par là, ne pas se résigner à l'état du monde.
J'inverserai aujourd'hui l'ordre de mon exposé pour vous représenter, dans la situation internationale mais aussi dans la politique nationale, le manque tragique des valeurs qui fondent notre action et nous pose à la fin la question de notre utilité politique : le Parti Radical de Gauche est-il aujourd'hui encore indispensable à la gauche et à la République ? Le sera-t-il encore demain ? Et si vous croyez qu'il est utile et nécessaire que devons-nous faire pour lui donner plus d'efficacité ?
A ce stade j'écarterai très rapidement, comme on balaie des scories avant de remettre un haut fourneau en marche, les quelques turbulences provoquées en marge de notre Congrès, par une poignée de militants parisiens déçus par je ne sais quelle élection fédérale ou je ne sais quelle distribution de responsabilités. Je leur dis très fermement qu'il faut choisir d'être à l'intérieur ou à l'extérieur d'un parti. Si l'on est à l'intérieur, on accepte les règles communes et, si l'on veut les modifier, on en fait la proposition à tous les autres militants depuis l'intérieur de la maison que nous avons construite ensemble. Quand on choisit de faire du juridisme devant les tribunaux en espérant qu'un pouvoir extérieur viendra modifier les choix de la majorité radicale, on se situe délibérément hors du parti et il faut en assumer les conséquences. Que les amis concernés choisissent et qu'on veuille bien, pour le reste, sortir de ces enfantillages.
Les dernières semaines ont été dominées, en bonne partie à raison du psychodrame politique très artificiellement organisé cher à nos voisins socialistes par la question essentielle de la nouvelle phase qui nous est proposée dans la construction européenne.
Quelles que soient les modalités qui seront, in fine, proposées au pays, pour la ratification du nouveau traité, il y a fort à parier que cette question dominera encore l'actualité politique des prochains mois.
Tout simplement parce qu'elle est importante et qu'elle fait débat. Jusque chez nous. Je vous l'ai dit, nous aurons le 29 janvier, une grande Convention Nationale, que je veux ouverte à de nombreux invités, français ou étrangers, et qui fixera notre position sur ce sujet essentiel. Faut-il dire oui à une nouvelle étape du processus d'intégration européenne dont nous déplorons certes les insuffisances ? Faut-il répondre non à raison d'une conception de l'Europe beaucoup plus exigeante ?
Vous avez suivi ce débat. J'ai personnellement donné des instructions pour que vous disposiez de tous les éléments documentaires dont votre décision se nourrira. Votre intérêt traditionnel pour le sujet vous a déjà confrontés à tous les arguments et vous avez encore près de deux mois pour étayer et affiner votre jugement.
Pour ma part, vous le savez, je n'ai pas l'intention d'utiliser ce délai pour réserver ma position ou pour la dissimuler. Pour moi, ce sera " oui " sans la moindre hésitation.
J'ai entendu -et j'ai considéré- tous les arguments des partisans du " non ". Je les résume brièvement : le traité n'est pas une constitution puisqu'il englobe de nombreuses dispositions sans rapport avec les institutions. La procédure de révision n'est pas de nature constitutionnelle puisqu'elle subordonne les modifications du texte à un accord inter-étatique. La règle de l'unanimité reste, à cet égard, la référence principale. La réaffirmation du principe de libre concurrence n'est pas équilibrée par des objectifs de protection sociale, de développement culturel et de sauvegarde environnementale qui donneraient une dimension plus politique à une Europe aujourd'hui dominée par l'économie, la technique et, au jour le jour, par la bureaucratie. La politique extérieure et de sécurité commune serait encore trop dépendante des choix de l'OTAN et donc d'une priorité atlantiste. La référence à la laïcité serait trop timide comparée au rappel d'un héritage commun essentiellement religieux.
J'ai entendu cela et, pour partie, je l'ai trouvé juste. Pour partie seulement car la vérité me semble un peu tronquée. De fait, il n'est pas dut rôle des procureurs d'assumer objectivement les droits de la défense. Et s'il faut défendre, je vous rappellerai que ce traité comporte des avancées très significatives. Au plan institutionnel, l'Europe sera dotée d'un Président qui procédera, pour deux années et demie d'un Parlement renforcé et qui vient de montrer son souci d'exercer pleinement ses pouvoirs ; elle sera dotée aussi d'un Ministre des Affaires Etrangères ; les citoyens bénéficieront d'un droit de pétition. Dans le champ social, et pour la première fois, l'Union s'assigne des objectifs de progrès commun dans une économie sociale de marché ; la base juridique existe donc pour des progrès législatifs qu'il s'agisse des minima sociaux ou de l'harmonisation par le haut des différentes protections. J'observe encore que les libertés et droits fondamentaux sont enfin intégrés au corpus institutionnel et que le principe de laïcité fait enfin une apparition.
Ces avancées seraient, à mon sens, suffisantes pour emporter l'adhésion des radicaux. Mais je veux vous parler d'objectifs plus vastes et de motivations plus ambitieuses. L'Europe ne doit pas être pesée au trébuchet des coupeurs de cheveux institutionnels en quatre ou en huit. Elle ne doit pas être mesurée à la règle nécessairement décevante des approches ponctuelles et techniques. Elle ne doit pas plus être enfermée dans le débat stérile entre une tautologie vide (" l'Europe parce que l'Europe ") et une alternative embrumée (" l'Europe, mais pas celle-là ").
Je vous l'ai dit à la Grande Motte et je vous en adjure aujourd'hui : ne préférons pas des petites histoires à la Grande Histoire, à notre Histoire. L'Europe est, c'est vrai, la première puissance économique au monde. C'est vrai et cela n'est rien. L'Europe offre aussi le plus haut niveau moyen de protection sociale au monde. C'est encore vrai, et cela n'est rien. L'Europe est le plus grand ensemble authentiquement démocratique du monde et elle a définitivement abattu les dictatures en son sein. Cela est vrai, et ce n'est pas encore l'essentiel. L'Europe, c'est surtout depuis cinquante années, la paix sur un continent bouleversé par les guerres quelquefois séculaires que se livraient les nationalismes exacerbés et les pouvoirs étatiques jamais rassasiés. C'est la paix enracinée, la coopération politique, la concertation diplomatique, la sécurité pour les libertés de chacun qui ne sont plus livrées aux enchères des militaires ou aux aventures des dictatures. La paix concrète et quotidienne comme un horizon européen commun et indépassable. Je suis, comme beaucoup d'entre vous, de cette génération qu'on appelle " de l'après-guerre ". Réfléchissons-nous assez au sens des mots ? C'est quelque chose d'être " de l'après-guerre " définitivement et de pouvoir le promettre aussi à nos enfants. Allons, je vous en prie, ne répudiez pas, pour une virgule, un article, une ombre, cette Europe là. Elle est notre maison, elle abrite nos nations et nos régions. Nous l'embellirons, c'est sûr, mais elle est notre Europe.
[Et peut être plus celle des radicaux que de tout autre. Non pas, comme je vous l'entends dire, parce que nous aurions toujours été à la suite de Maurice FAURE les plus ardents avocats de l'Europe ; je me rappelle au contraire -et quelquefois avec une émotion personnelle particulière puisque mon père était de cette opinion là- que les radicaux derrière Pierre MENDES-FRANCE ont été à l'origine de l'échec de la Communauté Européenne de Défense et donc de la primauté économique qui a marqué son évolution ultérieure et que nous payons encore aujourd'hui de la faiblesse de l'Europe politique.
Non, cette Europe est la nôtre parce qu'elle se construit selon notre méthode. J'entends ceux qui voudraient mieux et plus vite, ceux qui exigent tout et tout de suite. Une Europe fédérale et continentale, avec des Etats Généraux du peuple, des institutions plus démocratiques, une stricte séparation des pouvoirs, bref une révolution. La réalité politique ne mûrit pas à ce rythme. Pour les radicaux -et Alain l'a écrit bien mieux que je ne saurais le dire- la Révolution a été faite, voici plus de deux siècles, et il nous appartient d'en faire vivre les valeurs par un réformisme radical. Elle n'est plus à faire, pas plus dans le champ européen que dans d'autres domaines. Et ceux qui posent des exigences trop élevées, qui appellent à une révolution institutionnelle, se comportent, souvent de façon involontaire, objectivement comme les adversaires de l'Europe. Le mieux est ennemi du bien, je le répète. Depuis 48 ans, l'Unité Européenne se construit petit à petit, par des compromis. Ils ne nous satisfont pas, et pas plus celui-ci. Mais nous ferons ce nouveau pas et aussitôt, inlassablement, nous recommencerons à militer pour d'autres pas qui nous rapprocheront de l'objectif qui nous est commun : à la fin, les Etats Unis d'Europe.
Cette construction, pragmatique et raisonnée, est absolument indispensable car elle constitue la seule chance pour notre pays- devenu puissance moyenne malgré les devoirs particuliers qu'il doit encore assumer et malgré les ambitions particulières qu'il porte encore- pour la gauche française -malgré les ambiguïtés qu'il faudra dissiper lorsqu'elle s'exprime au niveau européen- et pour notre parti -malgré la faiblesse de ses moyens que j'observe tout comme vous, -la seule chance donc pour la France, pour la gauche et pour le radicalisme de peser un peu sur l'état du monde.
Si nous ne faisons pas, en effet, transiter nos analyses et notre action par le " surmultiplicateur " européen, comment pouvons-nous espérer influer de quelque façon sur la situation internationale ? Nous pouvons regretter, déplorer, condamner -et les sujets ne sont certes pas peu nombreux qui s'offrent à notre réprobation- mais comment agir autrement que dans le cadre européen ?
Nous pouvons constater le déploiement sans contredit de l'impérialisme américain -je parle d'un empire " somnambule ", qui avance sans conscience et sans autre ennemi désormais que ceux qu'il se fabrique ou qu'il désigne au hasard de ses intérêts à courte vue-. Le déferlement de puissance militaire, comme on le voit en Irak, économique, avec un fossé qui se creuse entre les plus riches et les plus pauvres, polluante, avec un mépris total pour les intérêts supérieurs de l'humanité, de puissance culturelle aussi, avec l'assimilation grandissante entre un consumérisme suggéré et une sous-culture marchandisée, et morale encore, avec désormais des sectes évangélistes américaines au coeur du pouvoir et soucieuses de régenter le monde.
Nous pouvons, je le répète, regretter cette évolution de toutes nos forces dispersées, nous pouvons refuser la sommation que nous adresse l'époque d'avoir à choisir entre une caricature d'universalisme faite de matérialisme sans principes ou d'individualisme sans foi ni loi et une autre caricature d'identité faite d'ethnicisme et de religiosité. Nous pouvons refuser et condamner mais nous n'agirons effectivement contre ce monde factice et dangereux que par l'émergence nécessairement progressive, d'une Europe politique, culturelle et sociale qui viendrait enfin équilibrer le marché commun des productions économiques et des capitaux.
Et nous radicaux, que pourrions nous faire d'utile hors de ce cadre ? Ayons le réalisme et l'humilité de considérer nos forces à l'échelle de ces formidables enjeux. A quoi nous servirait-il de constater fort justement qu'une de nos références les plus importantes et peut-être la plus actuelle, je veux parler de la laïcité, est précisément celle qui fait le plus défaut dans le désordre actuel de notre monde, en Irak et en Palestine bien sûr, mais en Iran, au Soudan, en Afghanistan, en Somalie, ou encore, au coeur de la nouvelle Union, à Chypre ou en Irlande, si nous sommes seuls à nous égosiller sur ce thème en France et au sein de la gauche ?
J'ai entendu ceux, notamment parmi les jeunes radicaux, qui demandent [que dis-je qui demandent, qui exigent !] un renforcement du radicalisme au niveau européen. Je leur proposerai, sur ce thème, des actions précises, mais que serait cette volonté d'autre qu'une incantation, si elle ne s'accompagnait d'un programme politique pour faire progresser l'idée laïque dans le champ européen ?
Telles sont nos belles et nombreuses raisons de dire aujourd'hui, une fois de plus et avec une vraie ferveur militante, oui à l'Europe, oui pour un monde rééquilibré, oui pour une Europe enfin terre d'élection de la politique et de la culture, oui pour une France plus rayonnante, oui pour une gauche française plus influente, oui pour des valeurs radicales portées au plus haut niveau, oui, décidément oui.
Quand nous aurons -je l'espère dès le 29 janvier- réaffirmé cette position radicale claire et forte, nous n'aurons pour autant pas encore contribué au retour au pouvoir d'une gauche sans laquelle le message international de la France sera toujours moins fort et faute de laquelle notre pays continuerait à souffrir du libéralisme le plus dogmatique, à subir des inégalités sociales volontairement aggravées et à se languir d'un grand projet dépassant les calculs des comptables de la conjoncture et les spéculations des ambitieux qui regardent le pouvoir comme un objectif en soi.
Poser la question du retour de la gauche c'est déjà partiellement y répondre. Je vous l'ai écrit, et je vous le répète, la gauche ne reviendra pas aux affaires par un simple effet d'alternance mécanique ou en tablant seulement sur les divisions de la droite.
De ces divisions -et quelle que soit, la richesse des épisodes à venir du feuilleton entre le calife Chirac et le vizir Sarkozy- les semaines récentes ont montré qu'elles s'effaceraient devant l'appétit de pouvoir, la perspective de son exercice effectif et surtout la profonde unité de vue des différentes factions de droite sur la seule politique économique et sociale à mener selon elles ou même sur les problèmes de société.
Voyez les offensives actuelles contre le service public, contre la sécurité au travail, contre la répartition fiscale, ou même contre le pouvoir d'appréciation des juges en matière pénale et vous aurez vite compris que Sarkozy est bel et bien leur homme. Trop ambitieux, trop pressé, certes. Trop hyper-libéral, trop atlantiste suiviste, trop catholique militant, certes ; certes on veillera, si l'on peut, à corriger tout cela.
Mais pour l'essentiel, le patronat le plus régressif, les élus locaux les plus conservateurs, les chantres de la dérégulation, les apôtres du moins d'impôts, tous se reconnaissent dans cet homme-là et s'ils lui font quelque reproche, c'est sur le détail, et jamais sur le sujet pourtant primordial des priorités qu'il donne à l'image sur la réalité, à son pouvoir sur tout autre projet, et à son narcissisme sur l'intérêt général. Vous avez vu, dans les derniers jours, la droite passer d'ores et déjà, je vous l'assure, le Président Chirac par pertes et profits, on a jeté le Président vieillissant avec l'eau du bain du bébé carnivore.
La gauche ne doit donc compter que sur sa propre capacité à convaincre nos concitoyens de son aptitude à offrir une politique véritable et moderne, juste et solidaire ; elle doit aussi démontrer sa volonté de rassembler.
Je n'insisterai pas ici sur les divisions qui ont traversé la famille socialiste dans la période récente. Je crains qu'elles soient durables dans la mesure où elles sont fondées plus sur des choix d'ambitions personnelles irréductibles à un projet commun que sur des divergences politiques réelles mais solubles dans le débat et la confrontation démocratique. On a même vu, dans le débat européen actuel, des dirigeants de gauche, se produire à contre-emploi dans le seul souci de se positionner et sans égard pour l'intérêt du pays.
Et je ne parle pas ici de l'incroyable spectacle donné par nos amis verts qui saluaient eux-mêmes, sans trop de modestie, l'autre samedi, leur " maturité politique " et leur " sens des responsabilités " pour revenir, dès le dimanche, à leurs vieilles mauvaises habitudes de divisions par chapelles.
Je crains donc que ces divisions perdurent et qu'elles fassent aussi obstacle à toute tentative de réorganisation de la gauche dans la perspective de son rassemblement.
On nous dit que François Hollande entend rassembler ses partenaires pour créer une " gauche durable ". Bien. En dehors de la concession faite au lexique écologiste, je ne vois pas très bien ce qu'est une gauche " durable ". Une gauche rassemblée ? Pourtant, le premier secrétaire socialiste n'adresse sa nouvelle proposition qu'aux verts et aux communistes. La gauche durable ne sera donc pas rassemblée. M. Mamère lui a d'ailleurs immédiatement répondu qu'il fallait se mesurer aux présidentielles avant d'élaborer un projet commun. La gauche durable n'aura donc pas de projet. Pas maintenant. De son côté, Madame Buffet s'est lancée dans une telle surenchère sur les droits des " travailleurs " qu'on ne voit pas quel projet elle pourrait construire avec M. Strauss Khan. La gauche durable sera donc dialectique. Sera-t-elle au moins populaire ? Là c'est l'humoriste [Guy Bedos] qui répond à notre place, en considérant les dirigeants de la gauche : " Ce n'est pas parce qu'on est prêt à mourir pour le peuple qu'on est prêt à vivre avec ". La gauche durable devrait donc se tenir à l'abri du vulgaire. J'invite François Hollande à préciser sa proposition car elle risque de déboucher sur un malentendu, des ambiguïtés...durables, voire sur un 21 avril durable.
Soyons sérieux. Les radicaux avaient estimé -et j'étais allé le dire aux socialistes à Dijon- que le désarroi conceptuel et stratégique de 2002 permettait paradoxalement de créer un vaste rassemblement à gauche. A condition d'aller vite. Les socialistes n'ont prêté pourtant aucune attention à nos propositions.
Aujourd'hui, je reste persuadé que la gauche et le pays auraient le plus grand intérêt à ce rassemblement. Cependant, quelles que soient les formes qu'on puisse envisager, l'effort achoppe toujours sur la même question.
On peut imaginer de répondre à l'attente unitaire des Français par un regroupement confédéral des forces de gauche, à réaliser sans délai. C'est possible, les procédures sont connues, le travail ne manque pas. La seule question aujourd'hui posée est celle de la personne qui présiderait cette confédération en représentant le parti socialiste.
Une autre forme de coopération est envisageable et n'aurait pas la même urgence : il s'agirait de se mettre d'accord sur une procédure partenariale et équilibrée pour la désignation d'un candidat unique de la gauche dès le premier tour de la présidentielle, en ayant élaboré préalablement le programme de cette candidature. C'est possible, nous l'avons déjà fait par le passé sous l'autorité de François Mitterrand, mais la même question ressurgit : comment et quand les socialistes vont-ils départager leurs propres prétendants ?
Vous le voyez, rien n'est simple chez nos voisins... Dans ces conditions, je limiterai mes propositions à deux idées. L'une est inspirée par le besoin d'action : travaillons d'ores et déjà à la construction d'un projet politique qui soit véritablement alternatif, social, populaire, laïque et européen et qui constitue au moins une base pour le deuxième tour des présidentielles L'autre est dictée par l'expérience et le principe de précaution : qu'il s'agisse de ce programme minimal ou de négociations électorales, je vous propose de refuser à l'avenir le cadre de négociations bilatéral que les socialistes, modernes Horace voulant dominer les Curiace, imposent en permanence à leurs alliés pour mieux les assujettir. Les radicaux discuteront dans le cadre multilatéral de toute la gauche ou ils ne discuteront pas.
Pour le reste, qui est l'essentiel, sachons nous prémunir de façon offensive contre les nombreuses difficultés qui ne manqueront pas de surgir sur la voie du rassemblement en adoptant d'ores et déjà une position de principe parfaitement logique : préparons-nous à avoir notre propre candidat à l'élection présidentielle et décidons-en dès aujourd'hui le principe.
Certes, j'ai bien enregistré les différentes motions et interventions qui nous proposent de désigner notre candidat -ou notre candidate- dès 2005. Je crois que nous épuiserions son énergie et la nôtre, ainsi que l'attention des citoyens et des médias, si nous procédions ainsi. Il m'apparaît, en effet, que si notre représentant était désigné, en 2006, un an avant l'élection, nous aurions largement le temps de préparer notre candidature pour qu'elle contribue de façon décisive à la victoire de la gauche. Tel est bien, dans tous les cas, notre objectif aujourd'hui : faire gagner la gauche par l'apport d'un radicalisme modernisé, réorganisé et tendu vers le succès.
Nous pourrons ainsi consacrer l'année 2005 à ce que je crois être le plus urgent, le plus important : organiser notre parti pour le mettre enfin à la hauteur de ses ambitions.
Je vous l'ai dit, cet effort est vital. On peut certes gérer indéfiniment le lent dépérissement de l'influence radicale et même la survie éternelle de toute organisation partisane. On peut aussi être tenté par une sorte d'apport en société : nous irions chez nos voisins pour leur apporter nos traditions, notre culture politique, notre expérience, nos bastions électoraux et leur demander l'autorisation d'habiter dans leur maison.
Répétons-le, aucune de ces deux formules opposées -gestion purement organique de nos institutions ou fusion -absorption consentie- n'est ignominieuse en soi. Mais il se trouve qu'elles ne me paraissent pas correspondre à l'intérêt du pays, à l'actualité d'un radicalisme que je crois plus que jamais utile à la France. Il se trouve aussi que les radicaux, fiers de porter la plus grande mémoire républicaine, ambitieux pour leur avenir collectif et pour celui de la gauche, ne veulent ni d'une survie sans projet ni d'une disparition sans gloire. Et il se trouve enfin que, moi non plus, je ne veux ni de l'une ni de l'autre. Je ne serai ni le gardien du musée ni celui qui plie le genou en signe d'allégeance.
Si je sollicite aujourd'hui votre confiance renouvelée, c'est pour conduire avec vous le grand projet que l'urgence nous dicte : replacer le radicalisme à la pointe du combat politique pour un humanisme de liberté, de justice et de solidarité.
Vous avez reconnu là l'essentiel radical, nos valeurs si souvent invoquées dans vos contributions à ce Congrès. Je crois, comme vous, que c'est par la réaffirmation des valeurs radicales que nous contribuerons demain au succès de la gauche. Mais je crois aussi qu'il ne nous suffira pas de les réciter dans une sorte d'incantation républicaine pour en démontrer la modernité et l'utilité. Avez-vous déjà entendu une formation politique de quelque importance énoncer qu'elle serait contre l'humanisme, les libertés, l'égalité des droits ou la fraternité ? Il ne suffit donc pas de l'affirmer.
Notre première priorité consiste donc en un énorme travail doctrinal je suis tenté de dire "idéologique" pour démontrer l'actualité de nos valeurs. Qu'est-ce que l'humanisme quand l'homme détient la possibilité technique de se détruire absolument et de se recréer totalement ? Qu'est-ce que la liberté quand le tiers de l'humanité n'a pas les moyens matériels -et même pas les moyens alimentaires- de concevoir ses droits les plus élémentaires ? Qu'est-ce que la justice lorsque monte dans nos sociétés l'extraordinaire contradiction entre l'individualisme le plus effréné et une demande de solidarité sans cesse accrue ? Qu'est-ce que donc que la fraternité quand les défilés conventionnels du politiquement correct s'accommodent de toutes les discriminations quotidiennes et concrètes ? Qu'est-ce qu'une laïcité exigeante à l'heure où le principal dirigeant de la droite constate -et se prépare à accélérer- la transformation de la République en une mosaïque de communautés ethniques et religieuses ?
Il ne suffit pas de réciter : il faut démontrer, par un travail en profondeur, l'utilité des valeurs radicales car je ne vois pas d'autre philosophie politique capable aujourd'hui de dépasser les contradictions qui bloquent notre société.
C'est seulement après ce travail que se déclineront facilement nos propositions programmatiques et que nous pourrons y sélectionner, en sacrifiant aux attentes de l'opinion publique, les quelques propositions susceptibles de nous mettre en évidence comme des messages porteurs d'espérance.
Ce qui m'amène au sujet, tant évoqué dans vos contributions, de notre communication. C'est sur ce point précis que je veux faire porter notre travail d'organisation. Je le dis très nettement et en toute humilité : ni mon tempérament personnel peu enclin à la connivence ni mon histoire familiale et politique je m'honore de porter plus que d'autres la tradition radicale moins encore mon expérience professionnelle patron de presse, pensez donc ! et surtout pas les règles non discutées de l'information moderne [qui privilégient la forme, le slogan, l'instantané] ne me désignent pour être le haut- parleur que vous attendez.
C'est pourquoi, si vous me renouvelez votre confiance, notre parti aura désormais un ou une porte-parole unique, qui s'appuiera sur une agence extérieure, sur un secrétaire national exclusivement chargé de la communication externe et sur un permanent administratif compétent. Cette équipe aura la charge d'organiser notre communication externe par la mise au point d'un plan de trois ans évidemment modifiable, par l'identification de trois ou quatre grands axes de communication définis avec le secteur de la doctrine et des études et avec celui du programme, de publier des réactions quotidiennes à l'actualité, une lettre mensuelle destinée aux médias et aux leaders d'opinions, un magazine à destination du grand public, et enfin de contribuer à la création d'événements publics associant nos préoccupations politiques aux attentes de la société aussi bien dans les domaines de la réflexion sur les problèmes sociaux que dans ceux de la création artistique ou littéraire, voire de la compétition sportive et même des activités ludiques. Il s'agit, ni plus ni moins, de " relooker " le radicalisme pour l'extérieur et, pour vous, de vous donner des raisons d'en être fiers.
Mais ce travail de modernisation ne sera pas limité au seul secteur de la communication : et je veux vous proposer, après celle de la communication, cinq orientations prioritaires autour d'autant d'objectifs : Clarté, Efficacité, Responsabilité, Décentralisation, Diversification.
Clarté. Les responsabilités fonctionnelles des différentes instances seront précisées : aux instances détenant la légitimité, que vous conférez (Congrès tous les trois ans, Comité Directeur chaque trimestre, Bureau National mensuel, Président travaillant avec le collège des Vice-présidents) appartiennent le pouvoir de décision et toutes les grandes orientations ; aux délégués nationaux regroupés dans l'Atelier et à nos Conventions Nationales ou Comités Directeurs thématiques incombe la responsabilité programmatique ; au Secrétariat National d'assurer sous l'autorité du Secrétariat Général l'exécution des décisions des autres instances.
Efficacité et responsabilité. Sur cette base clarifiée, les instances seront réduites en nombre et responsabilisées ; tous les candidats à l'une quelconque des responsabilités que je viens de rappeler devront présenter avant le 15 janvier un programme d'action pour l'un des grands secteurs -Administration générale et Trésorerie, Fédérations et Formations, Communication interne et externe, Relations extérieures politiques et non politiques, Doctrine et Programme, Relations avec les élus et les organisations associées -où seront concentrées nos interventions ; ils rendront compte de ce programme par leur travail ou par la démission.
Décentralisation. Les fédérations seront invitées à mettre en place des campagnes d'adhésions dont le résultat devra être, au minimum, le doublement des effectifs militants dans le délai de trois ans ; fini les fédérations cadenassées. Elles devront présenter dès le milieu de l'année prochaine leurs perspectives de représentation à toutes les élections de la période 2007-2008 ; chacune de nos fédérations sera conviée à présenter sa situation, ses difficultés et ses projets lors d'une réunion du Secrétariat National.
Diversification. Notre action sera enfin diversifiée par un accroissement que je veux très significatif de nos relations avec les syndicats, les organisations patronales, les mutuelles, les grandes associations, les clubs politiques et les groupes de réflexion mais aussi par la mise en réseau du PRG avec des partis proches dans les deux cercles de l'Union Européenne et de l'international.
Si nous prenons ensemble, très solennellement à l'occasion de notre Congrès, l'engagement, que j'attends de vous et que je prends devant vous, de travailler d'arrache-pied pendant trois années sur ces différents axes, vous verrez que tout le reste, et notamment, les satisfactions électorales, nationales et locales, viendra de surcroît, comme le résultat d'un intense effort de modernisation de notre parti. Nous aurons alors conjuré tous les dangers bien réels qui nous menacent aujourd'hui. Nous aurons refusé les solutions de facilité qui ne ménageraient qu'une identité sans utilité ou une ambition oublieuse de ses traditions.
Voilà le défi mais aussi le contrat que je vous propose. Laissons, comme accessoires, les conjectures stratégiques et les calculs tactiques. Laissons ouvertes sans nous y précipiter les portes d'un rassemblement qui, je le redoute, s'éloignera, je le crains, à mesure qu'en grandira la nécessité. Laissons surtout à d'autres les affrontements de personnes où disparaissent les idées.
Travaillons d'abord, surtout, chaque jour sur nous-mêmes.
Sachons prouver que l'humanisme radical et républicain a un sens actuel et spécifique, et le plus moderne.
Veillons à en montrer l'image la plus belle, la plus susceptible d'éclairer et de réduire le désarroi de notre société.
Existons ! Oui, exister, c'est être soi-même !
Et donc, toujours et surtout porter haut et fort les idées radicales. Mais aussi surtout, respecter les décisions du parti et soutenir ses candidats et ne pas penser, à aucune échéance, qu'avec la doctrine du candidat pur, c'est mieux chez le voisin. Car, nous le savons, c'est toujours mieux chez les radicaux.
Vous voyez que j'ai bien écouté les uns et les autres, mais c'est d'abord affaire de travail. Nous avons trop souvent semé les idées les plus adaptées et les projets les plus féconds sur un sol que nous n'avions pas préalablement labouré. Et nous courons aujourd'hui le risque de voir le radicalisme retourner en jachère.
Je sais, moi, et vous savez, que la terre républicaine est riche et qu'elle attend nos travaux. Je pensais, comme vous sans doute, en regardant hier soir le beau film de mémoire très émouvant, que Thierry nous a proposé : que d'occasions ! que d'avenirs entraperçus ! que de talents ! que d'idées ! et surtout que d'attente pour cette République qui, jamais, ne désespère des meilleurs de ses enfants.
Vous êtes ces enfants-là. Ceux dont la République a le plus grand besoin. Travailler donc à lui rendre l'hommage de vos valeurs, de vos idées, de votre détermination.
Car c'est aussi et surtout, nous le savons, affaire de volonté. L'Histoire, mes amis, n'est que la somme des victoires remportées par la politique contre l'évidence. Contre toutes les évidences. Ne vous laissez pas arrêter par celle de notre pseudo faiblesse actuelle. Ni par celle de la puissance ou de l'arrogance des autres.
Relevons ensemble pour ces trois années le défi du retour en force du radicalisme.
Et je vous promets que si nous avons travaillé ensemble, uni, oui uni, avec détermination, avec acharnement, vous serez fiers, oui vous serez fiers, dans trois ans, de notre bilan.
Mes amis Radicaux, une fois de plus, j'ai besoin de vous. La Gauche a besoin de vous. La République a besoin de nous. J'en prends devant vous l'engagement : nous serons au rendez-vous.
(Source http://www.planeteradicale.org, le 14 décembre 2004)
Mes chers amis radicaux,
Laissez-moi vous dire tout d'abord l'immense plaisir, l'immense plaisir, mon cher Thierry, que j'ai eu à vous retrouver ici, en nombre et en qualité - et d'ailleurs je me demande s'il ne faudra pas prolonger les congrès encore d'un ou deux jours, car, je vois qu'à mesure du déroulement, vous êtes de plus en plus nombreux - vous retrouvez ici, disais-je, pour les travaux de notre Congrès. Votre présence active atteste la vitalité de notre parti qui sera cependant -je ne vous le cache pas- et d'ailleurs, dans les couloirs et les conversations particulières, je l'ai déjà dit à certains d'entre vous, notre parti sera au centre de mon intervention.
Je veux bien sûr remercier et féliciter tous ceux qui, depuis hier matin, ont enrichi notre Congrès de leurs interventions souvent très pertinentes.
Remercier et féliciter aussi les auteurs des nombreuses contributions préparatoires, générales ou thématiques, qui ont démontré l'effervescence intellectuelle et politique caractérisant, quoiqu'on en dise, le radicalisme moderne.
Remercier enfin l'administration de notre parti qui a organisé, dans des conditions assez difficiles, notre grand rendez-vous lyonnais. Elle s'est appuyée pour cela sur une équipe extraordinaire, celle la Fédération régionale Rhône-Alpes et sur nos fédérations départementales concernées qui n'ont pas démenti, à cette occasion, leur grande tradition d'hospitalité et leur souci militant de faire revivre l'immense radicalisme d'hier dans une force politique rénovée et puissante. Merci à tous. Merci à nos permanents. Merci à Thierry. Merci au président de la fédération du Rhône. Merci à Sandrine et à son équipe. Merci à tous et à toutes pour la qualité de ce rendez-vous. Merci Thierry d'avoir rajouté hier soir un instant d'émotion. Et d'ailleurs finalement, bien plus qu'un instant d'émotion, un moment de méditation politique sur toute l'histoire du radicalisme de gauche.
Alors, les plus anciens d'entre vous ont l'habitude d'entendre dire, lors de chacun de nos Congrès, comme pour en dramatiser un peu la liturgie, que le radicalisme est arrivé à un moment décisif de son existence organique, que ce Congrès-là précisément sera crucial, bref, que nous serons une fois de plus à la croisée des chemins avec, devant nous, le choix vital de notre existence réaffirmée ou de notre disparition programmée. Nous l'avons entendu d'ailleurs naturellement comme à chaque fois dans ce congrès. Elisabeth Boyer me montrait, il y a quelques semaines, le compte rendu d'un congrès de 1925 où, déjà, les radicaux se posaient la question de la discipline interne de leurs élus et de l'existence même du parti. Voyez que nous sommes vraiment leurs héritiers sauf qu'en ce qui me concerne, je considère que cette problématique est classique mais toujours dépassée.
D'autres, souvent plus jeunes, mais je les entends aussi, observent -et tout particulièrement pendant ces derniers mois- que nos débats organisés de façon classique et sans recherche du sensationnel, que l'absence de querelles de personnes pour la direction du Parti, que, selon eux, le défaut d'échéances électorales rapprochées, le manque de visibilité médiatique et de stratégie politique claire pour notre parti, priveraient notre Congrès de tout intérêt. Notre rassemblement n'aurait, en somme, d'autre légitimité que sa périodicité statutaire.
Je comprends les inquiétudes des uns, les impatiences des autres et je pense avec eux que la question de la modernisation de notre parti et de l'intensification de son action est la plus importante aujourd'hui posée à notre Congrès. Mais je pense aussi que les trois années qui viennent sont capitales pour la gauche et qu'elle, devra, elle aussi s'interroger dans toutes ses composantes sur son organisation et sur la crédibilité de son discours.
Dans ma contribution préparatoire, je vous ai exposé quels devaient être, selon moi, les grands axes de la réorganisation de notre parti pour qu'il puisse à l'avenir peser sur la situation politique du pays et en faveur d'une rapide victoire de la gauche, pour qu'il puisse aussi infléchir le processus de construction européenne et, par là, ne pas se résigner à l'état du monde.
J'inverserai aujourd'hui l'ordre de mon exposé pour vous représenter, dans la situation internationale mais aussi dans la politique nationale, le manque tragique des valeurs qui fondent notre action et nous pose à la fin la question de notre utilité politique : le Parti Radical de Gauche est-il aujourd'hui encore indispensable à la gauche et à la République ? Le sera-t-il encore demain ? Et si vous croyez qu'il est utile et nécessaire que devons-nous faire pour lui donner plus d'efficacité ?
A ce stade j'écarterai très rapidement, comme on balaie des scories avant de remettre un haut fourneau en marche, les quelques turbulences provoquées en marge de notre Congrès, par une poignée de militants parisiens déçus par je ne sais quelle élection fédérale ou je ne sais quelle distribution de responsabilités. Je leur dis très fermement qu'il faut choisir d'être à l'intérieur ou à l'extérieur d'un parti. Si l'on est à l'intérieur, on accepte les règles communes et, si l'on veut les modifier, on en fait la proposition à tous les autres militants depuis l'intérieur de la maison que nous avons construite ensemble. Quand on choisit de faire du juridisme devant les tribunaux en espérant qu'un pouvoir extérieur viendra modifier les choix de la majorité radicale, on se situe délibérément hors du parti et il faut en assumer les conséquences. Que les amis concernés choisissent et qu'on veuille bien, pour le reste, sortir de ces enfantillages.
Les dernières semaines ont été dominées, en bonne partie à raison du psychodrame politique très artificiellement organisé cher à nos voisins socialistes par la question essentielle de la nouvelle phase qui nous est proposée dans la construction européenne.
Quelles que soient les modalités qui seront, in fine, proposées au pays, pour la ratification du nouveau traité, il y a fort à parier que cette question dominera encore l'actualité politique des prochains mois.
Tout simplement parce qu'elle est importante et qu'elle fait débat. Jusque chez nous. Je vous l'ai dit, nous aurons le 29 janvier, une grande Convention Nationale, que je veux ouverte à de nombreux invités, français ou étrangers, et qui fixera notre position sur ce sujet essentiel. Faut-il dire oui à une nouvelle étape du processus d'intégration européenne dont nous déplorons certes les insuffisances ? Faut-il répondre non à raison d'une conception de l'Europe beaucoup plus exigeante ?
Vous avez suivi ce débat. J'ai personnellement donné des instructions pour que vous disposiez de tous les éléments documentaires dont votre décision se nourrira. Votre intérêt traditionnel pour le sujet vous a déjà confrontés à tous les arguments et vous avez encore près de deux mois pour étayer et affiner votre jugement.
Pour ma part, vous le savez, je n'ai pas l'intention d'utiliser ce délai pour réserver ma position ou pour la dissimuler. Pour moi, ce sera " oui " sans la moindre hésitation.
J'ai entendu -et j'ai considéré- tous les arguments des partisans du " non ". Je les résume brièvement : le traité n'est pas une constitution puisqu'il englobe de nombreuses dispositions sans rapport avec les institutions. La procédure de révision n'est pas de nature constitutionnelle puisqu'elle subordonne les modifications du texte à un accord inter-étatique. La règle de l'unanimité reste, à cet égard, la référence principale. La réaffirmation du principe de libre concurrence n'est pas équilibrée par des objectifs de protection sociale, de développement culturel et de sauvegarde environnementale qui donneraient une dimension plus politique à une Europe aujourd'hui dominée par l'économie, la technique et, au jour le jour, par la bureaucratie. La politique extérieure et de sécurité commune serait encore trop dépendante des choix de l'OTAN et donc d'une priorité atlantiste. La référence à la laïcité serait trop timide comparée au rappel d'un héritage commun essentiellement religieux.
J'ai entendu cela et, pour partie, je l'ai trouvé juste. Pour partie seulement car la vérité me semble un peu tronquée. De fait, il n'est pas dut rôle des procureurs d'assumer objectivement les droits de la défense. Et s'il faut défendre, je vous rappellerai que ce traité comporte des avancées très significatives. Au plan institutionnel, l'Europe sera dotée d'un Président qui procédera, pour deux années et demie d'un Parlement renforcé et qui vient de montrer son souci d'exercer pleinement ses pouvoirs ; elle sera dotée aussi d'un Ministre des Affaires Etrangères ; les citoyens bénéficieront d'un droit de pétition. Dans le champ social, et pour la première fois, l'Union s'assigne des objectifs de progrès commun dans une économie sociale de marché ; la base juridique existe donc pour des progrès législatifs qu'il s'agisse des minima sociaux ou de l'harmonisation par le haut des différentes protections. J'observe encore que les libertés et droits fondamentaux sont enfin intégrés au corpus institutionnel et que le principe de laïcité fait enfin une apparition.
Ces avancées seraient, à mon sens, suffisantes pour emporter l'adhésion des radicaux. Mais je veux vous parler d'objectifs plus vastes et de motivations plus ambitieuses. L'Europe ne doit pas être pesée au trébuchet des coupeurs de cheveux institutionnels en quatre ou en huit. Elle ne doit pas être mesurée à la règle nécessairement décevante des approches ponctuelles et techniques. Elle ne doit pas plus être enfermée dans le débat stérile entre une tautologie vide (" l'Europe parce que l'Europe ") et une alternative embrumée (" l'Europe, mais pas celle-là ").
Je vous l'ai dit à la Grande Motte et je vous en adjure aujourd'hui : ne préférons pas des petites histoires à la Grande Histoire, à notre Histoire. L'Europe est, c'est vrai, la première puissance économique au monde. C'est vrai et cela n'est rien. L'Europe offre aussi le plus haut niveau moyen de protection sociale au monde. C'est encore vrai, et cela n'est rien. L'Europe est le plus grand ensemble authentiquement démocratique du monde et elle a définitivement abattu les dictatures en son sein. Cela est vrai, et ce n'est pas encore l'essentiel. L'Europe, c'est surtout depuis cinquante années, la paix sur un continent bouleversé par les guerres quelquefois séculaires que se livraient les nationalismes exacerbés et les pouvoirs étatiques jamais rassasiés. C'est la paix enracinée, la coopération politique, la concertation diplomatique, la sécurité pour les libertés de chacun qui ne sont plus livrées aux enchères des militaires ou aux aventures des dictatures. La paix concrète et quotidienne comme un horizon européen commun et indépassable. Je suis, comme beaucoup d'entre vous, de cette génération qu'on appelle " de l'après-guerre ". Réfléchissons-nous assez au sens des mots ? C'est quelque chose d'être " de l'après-guerre " définitivement et de pouvoir le promettre aussi à nos enfants. Allons, je vous en prie, ne répudiez pas, pour une virgule, un article, une ombre, cette Europe là. Elle est notre maison, elle abrite nos nations et nos régions. Nous l'embellirons, c'est sûr, mais elle est notre Europe.
[Et peut être plus celle des radicaux que de tout autre. Non pas, comme je vous l'entends dire, parce que nous aurions toujours été à la suite de Maurice FAURE les plus ardents avocats de l'Europe ; je me rappelle au contraire -et quelquefois avec une émotion personnelle particulière puisque mon père était de cette opinion là- que les radicaux derrière Pierre MENDES-FRANCE ont été à l'origine de l'échec de la Communauté Européenne de Défense et donc de la primauté économique qui a marqué son évolution ultérieure et que nous payons encore aujourd'hui de la faiblesse de l'Europe politique.
Non, cette Europe est la nôtre parce qu'elle se construit selon notre méthode. J'entends ceux qui voudraient mieux et plus vite, ceux qui exigent tout et tout de suite. Une Europe fédérale et continentale, avec des Etats Généraux du peuple, des institutions plus démocratiques, une stricte séparation des pouvoirs, bref une révolution. La réalité politique ne mûrit pas à ce rythme. Pour les radicaux -et Alain l'a écrit bien mieux que je ne saurais le dire- la Révolution a été faite, voici plus de deux siècles, et il nous appartient d'en faire vivre les valeurs par un réformisme radical. Elle n'est plus à faire, pas plus dans le champ européen que dans d'autres domaines. Et ceux qui posent des exigences trop élevées, qui appellent à une révolution institutionnelle, se comportent, souvent de façon involontaire, objectivement comme les adversaires de l'Europe. Le mieux est ennemi du bien, je le répète. Depuis 48 ans, l'Unité Européenne se construit petit à petit, par des compromis. Ils ne nous satisfont pas, et pas plus celui-ci. Mais nous ferons ce nouveau pas et aussitôt, inlassablement, nous recommencerons à militer pour d'autres pas qui nous rapprocheront de l'objectif qui nous est commun : à la fin, les Etats Unis d'Europe.
Cette construction, pragmatique et raisonnée, est absolument indispensable car elle constitue la seule chance pour notre pays- devenu puissance moyenne malgré les devoirs particuliers qu'il doit encore assumer et malgré les ambitions particulières qu'il porte encore- pour la gauche française -malgré les ambiguïtés qu'il faudra dissiper lorsqu'elle s'exprime au niveau européen- et pour notre parti -malgré la faiblesse de ses moyens que j'observe tout comme vous, -la seule chance donc pour la France, pour la gauche et pour le radicalisme de peser un peu sur l'état du monde.
Si nous ne faisons pas, en effet, transiter nos analyses et notre action par le " surmultiplicateur " européen, comment pouvons-nous espérer influer de quelque façon sur la situation internationale ? Nous pouvons regretter, déplorer, condamner -et les sujets ne sont certes pas peu nombreux qui s'offrent à notre réprobation- mais comment agir autrement que dans le cadre européen ?
Nous pouvons constater le déploiement sans contredit de l'impérialisme américain -je parle d'un empire " somnambule ", qui avance sans conscience et sans autre ennemi désormais que ceux qu'il se fabrique ou qu'il désigne au hasard de ses intérêts à courte vue-. Le déferlement de puissance militaire, comme on le voit en Irak, économique, avec un fossé qui se creuse entre les plus riches et les plus pauvres, polluante, avec un mépris total pour les intérêts supérieurs de l'humanité, de puissance culturelle aussi, avec l'assimilation grandissante entre un consumérisme suggéré et une sous-culture marchandisée, et morale encore, avec désormais des sectes évangélistes américaines au coeur du pouvoir et soucieuses de régenter le monde.
Nous pouvons, je le répète, regretter cette évolution de toutes nos forces dispersées, nous pouvons refuser la sommation que nous adresse l'époque d'avoir à choisir entre une caricature d'universalisme faite de matérialisme sans principes ou d'individualisme sans foi ni loi et une autre caricature d'identité faite d'ethnicisme et de religiosité. Nous pouvons refuser et condamner mais nous n'agirons effectivement contre ce monde factice et dangereux que par l'émergence nécessairement progressive, d'une Europe politique, culturelle et sociale qui viendrait enfin équilibrer le marché commun des productions économiques et des capitaux.
Et nous radicaux, que pourrions nous faire d'utile hors de ce cadre ? Ayons le réalisme et l'humilité de considérer nos forces à l'échelle de ces formidables enjeux. A quoi nous servirait-il de constater fort justement qu'une de nos références les plus importantes et peut-être la plus actuelle, je veux parler de la laïcité, est précisément celle qui fait le plus défaut dans le désordre actuel de notre monde, en Irak et en Palestine bien sûr, mais en Iran, au Soudan, en Afghanistan, en Somalie, ou encore, au coeur de la nouvelle Union, à Chypre ou en Irlande, si nous sommes seuls à nous égosiller sur ce thème en France et au sein de la gauche ?
J'ai entendu ceux, notamment parmi les jeunes radicaux, qui demandent [que dis-je qui demandent, qui exigent !] un renforcement du radicalisme au niveau européen. Je leur proposerai, sur ce thème, des actions précises, mais que serait cette volonté d'autre qu'une incantation, si elle ne s'accompagnait d'un programme politique pour faire progresser l'idée laïque dans le champ européen ?
Telles sont nos belles et nombreuses raisons de dire aujourd'hui, une fois de plus et avec une vraie ferveur militante, oui à l'Europe, oui pour un monde rééquilibré, oui pour une Europe enfin terre d'élection de la politique et de la culture, oui pour une France plus rayonnante, oui pour une gauche française plus influente, oui pour des valeurs radicales portées au plus haut niveau, oui, décidément oui.
Quand nous aurons -je l'espère dès le 29 janvier- réaffirmé cette position radicale claire et forte, nous n'aurons pour autant pas encore contribué au retour au pouvoir d'une gauche sans laquelle le message international de la France sera toujours moins fort et faute de laquelle notre pays continuerait à souffrir du libéralisme le plus dogmatique, à subir des inégalités sociales volontairement aggravées et à se languir d'un grand projet dépassant les calculs des comptables de la conjoncture et les spéculations des ambitieux qui regardent le pouvoir comme un objectif en soi.
Poser la question du retour de la gauche c'est déjà partiellement y répondre. Je vous l'ai écrit, et je vous le répète, la gauche ne reviendra pas aux affaires par un simple effet d'alternance mécanique ou en tablant seulement sur les divisions de la droite.
De ces divisions -et quelle que soit, la richesse des épisodes à venir du feuilleton entre le calife Chirac et le vizir Sarkozy- les semaines récentes ont montré qu'elles s'effaceraient devant l'appétit de pouvoir, la perspective de son exercice effectif et surtout la profonde unité de vue des différentes factions de droite sur la seule politique économique et sociale à mener selon elles ou même sur les problèmes de société.
Voyez les offensives actuelles contre le service public, contre la sécurité au travail, contre la répartition fiscale, ou même contre le pouvoir d'appréciation des juges en matière pénale et vous aurez vite compris que Sarkozy est bel et bien leur homme. Trop ambitieux, trop pressé, certes. Trop hyper-libéral, trop atlantiste suiviste, trop catholique militant, certes ; certes on veillera, si l'on peut, à corriger tout cela.
Mais pour l'essentiel, le patronat le plus régressif, les élus locaux les plus conservateurs, les chantres de la dérégulation, les apôtres du moins d'impôts, tous se reconnaissent dans cet homme-là et s'ils lui font quelque reproche, c'est sur le détail, et jamais sur le sujet pourtant primordial des priorités qu'il donne à l'image sur la réalité, à son pouvoir sur tout autre projet, et à son narcissisme sur l'intérêt général. Vous avez vu, dans les derniers jours, la droite passer d'ores et déjà, je vous l'assure, le Président Chirac par pertes et profits, on a jeté le Président vieillissant avec l'eau du bain du bébé carnivore.
La gauche ne doit donc compter que sur sa propre capacité à convaincre nos concitoyens de son aptitude à offrir une politique véritable et moderne, juste et solidaire ; elle doit aussi démontrer sa volonté de rassembler.
Je n'insisterai pas ici sur les divisions qui ont traversé la famille socialiste dans la période récente. Je crains qu'elles soient durables dans la mesure où elles sont fondées plus sur des choix d'ambitions personnelles irréductibles à un projet commun que sur des divergences politiques réelles mais solubles dans le débat et la confrontation démocratique. On a même vu, dans le débat européen actuel, des dirigeants de gauche, se produire à contre-emploi dans le seul souci de se positionner et sans égard pour l'intérêt du pays.
Et je ne parle pas ici de l'incroyable spectacle donné par nos amis verts qui saluaient eux-mêmes, sans trop de modestie, l'autre samedi, leur " maturité politique " et leur " sens des responsabilités " pour revenir, dès le dimanche, à leurs vieilles mauvaises habitudes de divisions par chapelles.
Je crains donc que ces divisions perdurent et qu'elles fassent aussi obstacle à toute tentative de réorganisation de la gauche dans la perspective de son rassemblement.
On nous dit que François Hollande entend rassembler ses partenaires pour créer une " gauche durable ". Bien. En dehors de la concession faite au lexique écologiste, je ne vois pas très bien ce qu'est une gauche " durable ". Une gauche rassemblée ? Pourtant, le premier secrétaire socialiste n'adresse sa nouvelle proposition qu'aux verts et aux communistes. La gauche durable ne sera donc pas rassemblée. M. Mamère lui a d'ailleurs immédiatement répondu qu'il fallait se mesurer aux présidentielles avant d'élaborer un projet commun. La gauche durable n'aura donc pas de projet. Pas maintenant. De son côté, Madame Buffet s'est lancée dans une telle surenchère sur les droits des " travailleurs " qu'on ne voit pas quel projet elle pourrait construire avec M. Strauss Khan. La gauche durable sera donc dialectique. Sera-t-elle au moins populaire ? Là c'est l'humoriste [Guy Bedos] qui répond à notre place, en considérant les dirigeants de la gauche : " Ce n'est pas parce qu'on est prêt à mourir pour le peuple qu'on est prêt à vivre avec ". La gauche durable devrait donc se tenir à l'abri du vulgaire. J'invite François Hollande à préciser sa proposition car elle risque de déboucher sur un malentendu, des ambiguïtés...durables, voire sur un 21 avril durable.
Soyons sérieux. Les radicaux avaient estimé -et j'étais allé le dire aux socialistes à Dijon- que le désarroi conceptuel et stratégique de 2002 permettait paradoxalement de créer un vaste rassemblement à gauche. A condition d'aller vite. Les socialistes n'ont prêté pourtant aucune attention à nos propositions.
Aujourd'hui, je reste persuadé que la gauche et le pays auraient le plus grand intérêt à ce rassemblement. Cependant, quelles que soient les formes qu'on puisse envisager, l'effort achoppe toujours sur la même question.
On peut imaginer de répondre à l'attente unitaire des Français par un regroupement confédéral des forces de gauche, à réaliser sans délai. C'est possible, les procédures sont connues, le travail ne manque pas. La seule question aujourd'hui posée est celle de la personne qui présiderait cette confédération en représentant le parti socialiste.
Une autre forme de coopération est envisageable et n'aurait pas la même urgence : il s'agirait de se mettre d'accord sur une procédure partenariale et équilibrée pour la désignation d'un candidat unique de la gauche dès le premier tour de la présidentielle, en ayant élaboré préalablement le programme de cette candidature. C'est possible, nous l'avons déjà fait par le passé sous l'autorité de François Mitterrand, mais la même question ressurgit : comment et quand les socialistes vont-ils départager leurs propres prétendants ?
Vous le voyez, rien n'est simple chez nos voisins... Dans ces conditions, je limiterai mes propositions à deux idées. L'une est inspirée par le besoin d'action : travaillons d'ores et déjà à la construction d'un projet politique qui soit véritablement alternatif, social, populaire, laïque et européen et qui constitue au moins une base pour le deuxième tour des présidentielles L'autre est dictée par l'expérience et le principe de précaution : qu'il s'agisse de ce programme minimal ou de négociations électorales, je vous propose de refuser à l'avenir le cadre de négociations bilatéral que les socialistes, modernes Horace voulant dominer les Curiace, imposent en permanence à leurs alliés pour mieux les assujettir. Les radicaux discuteront dans le cadre multilatéral de toute la gauche ou ils ne discuteront pas.
Pour le reste, qui est l'essentiel, sachons nous prémunir de façon offensive contre les nombreuses difficultés qui ne manqueront pas de surgir sur la voie du rassemblement en adoptant d'ores et déjà une position de principe parfaitement logique : préparons-nous à avoir notre propre candidat à l'élection présidentielle et décidons-en dès aujourd'hui le principe.
Certes, j'ai bien enregistré les différentes motions et interventions qui nous proposent de désigner notre candidat -ou notre candidate- dès 2005. Je crois que nous épuiserions son énergie et la nôtre, ainsi que l'attention des citoyens et des médias, si nous procédions ainsi. Il m'apparaît, en effet, que si notre représentant était désigné, en 2006, un an avant l'élection, nous aurions largement le temps de préparer notre candidature pour qu'elle contribue de façon décisive à la victoire de la gauche. Tel est bien, dans tous les cas, notre objectif aujourd'hui : faire gagner la gauche par l'apport d'un radicalisme modernisé, réorganisé et tendu vers le succès.
Nous pourrons ainsi consacrer l'année 2005 à ce que je crois être le plus urgent, le plus important : organiser notre parti pour le mettre enfin à la hauteur de ses ambitions.
Je vous l'ai dit, cet effort est vital. On peut certes gérer indéfiniment le lent dépérissement de l'influence radicale et même la survie éternelle de toute organisation partisane. On peut aussi être tenté par une sorte d'apport en société : nous irions chez nos voisins pour leur apporter nos traditions, notre culture politique, notre expérience, nos bastions électoraux et leur demander l'autorisation d'habiter dans leur maison.
Répétons-le, aucune de ces deux formules opposées -gestion purement organique de nos institutions ou fusion -absorption consentie- n'est ignominieuse en soi. Mais il se trouve qu'elles ne me paraissent pas correspondre à l'intérêt du pays, à l'actualité d'un radicalisme que je crois plus que jamais utile à la France. Il se trouve aussi que les radicaux, fiers de porter la plus grande mémoire républicaine, ambitieux pour leur avenir collectif et pour celui de la gauche, ne veulent ni d'une survie sans projet ni d'une disparition sans gloire. Et il se trouve enfin que, moi non plus, je ne veux ni de l'une ni de l'autre. Je ne serai ni le gardien du musée ni celui qui plie le genou en signe d'allégeance.
Si je sollicite aujourd'hui votre confiance renouvelée, c'est pour conduire avec vous le grand projet que l'urgence nous dicte : replacer le radicalisme à la pointe du combat politique pour un humanisme de liberté, de justice et de solidarité.
Vous avez reconnu là l'essentiel radical, nos valeurs si souvent invoquées dans vos contributions à ce Congrès. Je crois, comme vous, que c'est par la réaffirmation des valeurs radicales que nous contribuerons demain au succès de la gauche. Mais je crois aussi qu'il ne nous suffira pas de les réciter dans une sorte d'incantation républicaine pour en démontrer la modernité et l'utilité. Avez-vous déjà entendu une formation politique de quelque importance énoncer qu'elle serait contre l'humanisme, les libertés, l'égalité des droits ou la fraternité ? Il ne suffit donc pas de l'affirmer.
Notre première priorité consiste donc en un énorme travail doctrinal je suis tenté de dire "idéologique" pour démontrer l'actualité de nos valeurs. Qu'est-ce que l'humanisme quand l'homme détient la possibilité technique de se détruire absolument et de se recréer totalement ? Qu'est-ce que la liberté quand le tiers de l'humanité n'a pas les moyens matériels -et même pas les moyens alimentaires- de concevoir ses droits les plus élémentaires ? Qu'est-ce que la justice lorsque monte dans nos sociétés l'extraordinaire contradiction entre l'individualisme le plus effréné et une demande de solidarité sans cesse accrue ? Qu'est-ce que donc que la fraternité quand les défilés conventionnels du politiquement correct s'accommodent de toutes les discriminations quotidiennes et concrètes ? Qu'est-ce qu'une laïcité exigeante à l'heure où le principal dirigeant de la droite constate -et se prépare à accélérer- la transformation de la République en une mosaïque de communautés ethniques et religieuses ?
Il ne suffit pas de réciter : il faut démontrer, par un travail en profondeur, l'utilité des valeurs radicales car je ne vois pas d'autre philosophie politique capable aujourd'hui de dépasser les contradictions qui bloquent notre société.
C'est seulement après ce travail que se déclineront facilement nos propositions programmatiques et que nous pourrons y sélectionner, en sacrifiant aux attentes de l'opinion publique, les quelques propositions susceptibles de nous mettre en évidence comme des messages porteurs d'espérance.
Ce qui m'amène au sujet, tant évoqué dans vos contributions, de notre communication. C'est sur ce point précis que je veux faire porter notre travail d'organisation. Je le dis très nettement et en toute humilité : ni mon tempérament personnel peu enclin à la connivence ni mon histoire familiale et politique je m'honore de porter plus que d'autres la tradition radicale moins encore mon expérience professionnelle patron de presse, pensez donc ! et surtout pas les règles non discutées de l'information moderne [qui privilégient la forme, le slogan, l'instantané] ne me désignent pour être le haut- parleur que vous attendez.
C'est pourquoi, si vous me renouvelez votre confiance, notre parti aura désormais un ou une porte-parole unique, qui s'appuiera sur une agence extérieure, sur un secrétaire national exclusivement chargé de la communication externe et sur un permanent administratif compétent. Cette équipe aura la charge d'organiser notre communication externe par la mise au point d'un plan de trois ans évidemment modifiable, par l'identification de trois ou quatre grands axes de communication définis avec le secteur de la doctrine et des études et avec celui du programme, de publier des réactions quotidiennes à l'actualité, une lettre mensuelle destinée aux médias et aux leaders d'opinions, un magazine à destination du grand public, et enfin de contribuer à la création d'événements publics associant nos préoccupations politiques aux attentes de la société aussi bien dans les domaines de la réflexion sur les problèmes sociaux que dans ceux de la création artistique ou littéraire, voire de la compétition sportive et même des activités ludiques. Il s'agit, ni plus ni moins, de " relooker " le radicalisme pour l'extérieur et, pour vous, de vous donner des raisons d'en être fiers.
Mais ce travail de modernisation ne sera pas limité au seul secteur de la communication : et je veux vous proposer, après celle de la communication, cinq orientations prioritaires autour d'autant d'objectifs : Clarté, Efficacité, Responsabilité, Décentralisation, Diversification.
Clarté. Les responsabilités fonctionnelles des différentes instances seront précisées : aux instances détenant la légitimité, que vous conférez (Congrès tous les trois ans, Comité Directeur chaque trimestre, Bureau National mensuel, Président travaillant avec le collège des Vice-présidents) appartiennent le pouvoir de décision et toutes les grandes orientations ; aux délégués nationaux regroupés dans l'Atelier et à nos Conventions Nationales ou Comités Directeurs thématiques incombe la responsabilité programmatique ; au Secrétariat National d'assurer sous l'autorité du Secrétariat Général l'exécution des décisions des autres instances.
Efficacité et responsabilité. Sur cette base clarifiée, les instances seront réduites en nombre et responsabilisées ; tous les candidats à l'une quelconque des responsabilités que je viens de rappeler devront présenter avant le 15 janvier un programme d'action pour l'un des grands secteurs -Administration générale et Trésorerie, Fédérations et Formations, Communication interne et externe, Relations extérieures politiques et non politiques, Doctrine et Programme, Relations avec les élus et les organisations associées -où seront concentrées nos interventions ; ils rendront compte de ce programme par leur travail ou par la démission.
Décentralisation. Les fédérations seront invitées à mettre en place des campagnes d'adhésions dont le résultat devra être, au minimum, le doublement des effectifs militants dans le délai de trois ans ; fini les fédérations cadenassées. Elles devront présenter dès le milieu de l'année prochaine leurs perspectives de représentation à toutes les élections de la période 2007-2008 ; chacune de nos fédérations sera conviée à présenter sa situation, ses difficultés et ses projets lors d'une réunion du Secrétariat National.
Diversification. Notre action sera enfin diversifiée par un accroissement que je veux très significatif de nos relations avec les syndicats, les organisations patronales, les mutuelles, les grandes associations, les clubs politiques et les groupes de réflexion mais aussi par la mise en réseau du PRG avec des partis proches dans les deux cercles de l'Union Européenne et de l'international.
Si nous prenons ensemble, très solennellement à l'occasion de notre Congrès, l'engagement, que j'attends de vous et que je prends devant vous, de travailler d'arrache-pied pendant trois années sur ces différents axes, vous verrez que tout le reste, et notamment, les satisfactions électorales, nationales et locales, viendra de surcroît, comme le résultat d'un intense effort de modernisation de notre parti. Nous aurons alors conjuré tous les dangers bien réels qui nous menacent aujourd'hui. Nous aurons refusé les solutions de facilité qui ne ménageraient qu'une identité sans utilité ou une ambition oublieuse de ses traditions.
Voilà le défi mais aussi le contrat que je vous propose. Laissons, comme accessoires, les conjectures stratégiques et les calculs tactiques. Laissons ouvertes sans nous y précipiter les portes d'un rassemblement qui, je le redoute, s'éloignera, je le crains, à mesure qu'en grandira la nécessité. Laissons surtout à d'autres les affrontements de personnes où disparaissent les idées.
Travaillons d'abord, surtout, chaque jour sur nous-mêmes.
Sachons prouver que l'humanisme radical et républicain a un sens actuel et spécifique, et le plus moderne.
Veillons à en montrer l'image la plus belle, la plus susceptible d'éclairer et de réduire le désarroi de notre société.
Existons ! Oui, exister, c'est être soi-même !
Et donc, toujours et surtout porter haut et fort les idées radicales. Mais aussi surtout, respecter les décisions du parti et soutenir ses candidats et ne pas penser, à aucune échéance, qu'avec la doctrine du candidat pur, c'est mieux chez le voisin. Car, nous le savons, c'est toujours mieux chez les radicaux.
Vous voyez que j'ai bien écouté les uns et les autres, mais c'est d'abord affaire de travail. Nous avons trop souvent semé les idées les plus adaptées et les projets les plus féconds sur un sol que nous n'avions pas préalablement labouré. Et nous courons aujourd'hui le risque de voir le radicalisme retourner en jachère.
Je sais, moi, et vous savez, que la terre républicaine est riche et qu'elle attend nos travaux. Je pensais, comme vous sans doute, en regardant hier soir le beau film de mémoire très émouvant, que Thierry nous a proposé : que d'occasions ! que d'avenirs entraperçus ! que de talents ! que d'idées ! et surtout que d'attente pour cette République qui, jamais, ne désespère des meilleurs de ses enfants.
Vous êtes ces enfants-là. Ceux dont la République a le plus grand besoin. Travailler donc à lui rendre l'hommage de vos valeurs, de vos idées, de votre détermination.
Car c'est aussi et surtout, nous le savons, affaire de volonté. L'Histoire, mes amis, n'est que la somme des victoires remportées par la politique contre l'évidence. Contre toutes les évidences. Ne vous laissez pas arrêter par celle de notre pseudo faiblesse actuelle. Ni par celle de la puissance ou de l'arrogance des autres.
Relevons ensemble pour ces trois années le défi du retour en force du radicalisme.
Et je vous promets que si nous avons travaillé ensemble, uni, oui uni, avec détermination, avec acharnement, vous serez fiers, oui vous serez fiers, dans trois ans, de notre bilan.
Mes amis Radicaux, une fois de plus, j'ai besoin de vous. La Gauche a besoin de vous. La République a besoin de nous. J'en prends devant vous l'engagement : nous serons au rendez-vous.
(Source http://www.planeteradicale.org, le 14 décembre 2004)