Interview de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille à RMC le 3 février 2005, sur la campagne d'information sur les méfaits du cannabis et la violence en milieu psychiatrique.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q- Quelle question avez-vous envie de poser aux auditeurs de RMC ?
R- Tout simplement, j'avais envie de leur demander si nous avions eu raison ou pas de nous lancer dans une campagne - la première campagne européenne - contre la consommation de cannabis, mais en prenant une cible générale, c'est-à-dire les radios, la presse écrite, et pas uniquement la cible des jeunes, mais globalement. Est-ce que d'après eux, c'est une bonne chose ou pas d'avoir une campagne contre le cannabis ?
Q- Avez-vous déjà fumé du cannabis ?
R- Au risque de vous décevoir, non.
Q- Cela m'est arrivé quand j'étais jeune, mais je n'en fume plus... Est-ce un produit dangereux ?
R- Franchement, nous avons, depuis trois quatre ans maintenant, accumulé des résultats scientifiques internationaux qui montrent que c'est un véritable sujet de santé publique. Des conséquences neuropsychologiques. Le problème, c'est que ce sont des adolescents qui fument de plus en plus tôt, de plus en plus jeunes du cannabis. A l'époque, les adultes choisissaient de fumer de temps en temps. Je sais que c'est illégal, mais ce n'est pas un sujet de santé publique. Là, aujourd'hui, on estime à 5 % le nombre de garçons à l'âge de seize ans qui fument de manière régulière, c'est-à-dire plus de dix jours par mois.
Q- Et encore, les chiffres sont sous-estimés, comme c'est déclaratif.
R- Bien sûr. Et donc, là, il y a un problème majeur. En plus, ce qu'ils fument est quatre ou cinq fois plus concentré que ce que leurs parents fumaient à l'époque. On estime à 850 000 consommateurs réguliers en France de cannabis ; c'est la France qui consomme le plus de cannabis en Europe, avec l'Angleterre et la République tchèque. C'est un sujet de santé publique. Il y a des échecs scolaires, il y a des enfants qui sont de plus en plus isolés. Le pari que j'avais fait, c'est de faire une campagne en faisant parler des gens qui avaient fumé. Bon, ce n'est pas ceux-là, ce sont des figurants bien sûr.
Q- "Avec le cannabis on se sent super bien", "avec le cannabis, on se fait plein d'amis", "fumer c'est pas grave"...
R- Je crois qu'il n'existe pas dans notre société une différence aussi importante pour un produit entre l'image, le mythe que l'on s'en fait et la réalité. Or, j'ai voulu montrer cela. Nous commençons le spot en disant "avec le cannabis, on se fait des amis...", et puis il y a quelqu'un dit "écoutez, moi, j'en ai pris régulièrement, et petit à petit, je me suis aperçu que mes amis ne faisaient que fumer, je ne passais ma journée qu'à chercher le produit et, à la fin, je n'avais plus d'amis - classique - et j'étais isolé, en échec scolaire, je ne m'entendais pas avec les parents...". Parce que l'altération de la relation à l'autre est aussi un effet central du cannabis, cérébral, et donc, il y a un isolement.
Q- Il s'agit d'informer sans diaboliser ?
R- Voilà.
Q- Toute la difficulté est là.
R- Depuis vingt ans ou vingt-cinq ans, on entend d'un côté, des gens qui idéologiquement disent "c'est très cool, c'est moderne", "espèce de ringards qui êtes contre le cannabis !". Et de l'autre, vous avez des gens qui [prônaient] le tout répressif, "on va tout vous prendre, on va tout vous interdire", "puisque c'est interdit, ne le faites pas, ce n'est pas bon pour vous". Je crois que ce n'est pas le bien et le mal. C'est le problème du bon et du mal pour la santé. Je crois que les adolescents sont intelligents, ils peuvent comprendre que leur capital santé, c'est peut-être le plus beau patrimoine.
Q- Un auditeur de Gironde nous dit que faire de la prévention, c'est bien, mais pourquoi certains magasins spécialisés vendent-ils toujours le matériel pour cultiver de l'herbe chez soi ?
R- Il a complètement raison. C'est un sujet qui est absolument majeur. Je connais, dans certaines villes de France des fleuristes qui n'en sont pas tout à fait. Quand on regarde derrière, on s'aperçoit qu'il y a des plantes qui ressemblent plutôt à du cannabis que des primevères. Et là, c'est ouvert. Donc, je crois en effet, qu'il y a toute une action à mener. La seule solution, c'est de faire une campagne de prévention sur les jeunes. Regardez sur la cigarette : nous avons 1 800 000 fumeurs de moins en l'espace de trois ans. Vous allez me dire que c'est parce que l'on a augmenté le prix ; oui, mais aussi parce qu'il a été expliqué progressivement que la cigarette donne le cancer du poumon. Eh bien que ceux qui fument du cannabis régulièrement sachent que ça leur fait des dégâts cérébraux indiscutables, des pertes de mémoire en particulier.
Q- Le cannabis est encore plus cancérigène que la cigarette.
R- Je ne parle pas du cancer des voies aéro-digestives et pulmonaires.
Q- Sujet absent : le cannabis au volant, c'est pourtant le risque numéro 1 pour les jeunes.
R- Bien sûr. Mais ce n'est pas un sujet absent, c'est omniprésent dans la tête de tous ceux qui font la prévention...
Q- Mais c'est absent de la campagne.
R- Quelqu'un ne va pas plus ou moins fumer parce qu'il prend ou pas le volant. Il fume, et ensuite, il prend sa mobylette ou il prend sa voiture, et là, il devient très dangereux. Parce qu'il y a en plus autre chose : l'alcool. J'ai fait des campagnes contre l'alcool, mais ce que l'on appelle les "Prémix", c'est la pire des... J'allais dire un mot terrible.
Q- Qu'allez-vous faire contre les Prémix ?
R- J'ai déjà multiplié de 100 % les taxes mais je ne peux pas non plus faire de la prohibition et interdire. Que les gens qui écoutent le sachent : c'est la pire chose qui puisse exister. Quand je pense que qu'il y a des gens qui gagnent de l'argent en vendant cela, je suis scandalisé. Il s'agit d'une bouteille dont raffolent les adolescents qui, quand il y a beaucoup d'alcool, mais dans l'amertume de l'alcool est caché dans des jus de fruits. Donc, le gosse prend cela, comme il prend du jus de fruit. En réalité, c'est de l'alcool et au bout de six mois, il est dépendant, alcoolique, il est obligé de continuer, c'est effrayant !
Q- Les alcoo-pop ?
R- Oui, les alcoo-pop et pré-mix. Si vous ajoutez un peu de cannabis là-dessus, vous avez un accident à la sortie.
Q- Léo, un auditeur, explique que le cannabis doit être expliqué et contrôlé par l'Etat. Il est pour la légalisation du cannabis.
R- Cet auditeur a dit plusieurs choses. D'abord, il a dit "dépendance" ; il faut savoir qu'il y a à peu près 10 à 15 % de personnes qui sont dépendantes au cannabis, essentiellement dans celles qui fument régulièrement. C'est quand même très grave, parce que quand on est dépendant au cannabis, on a quand même des effets...
Q- ... Ce sont des jeunes ?
R- Oui, ce sont des jeunes. Il faut savoir que plus on consomme tôt du cannabis, plus on est dépendant et plus on peut avoir des problèmes cérébraux. [...] L'avantage que l'on a en science médicale, c'est qu'il y a quand même des publications internationales, ce n'est pas le journal ou le courrier des lecteurs, ce sont quand même des équipes internationales qui, à un moment donné, publient des choses qui sont objectivement prouvées, des travaux dans Nature, dans Landset, dans American Journal of Neurology.
Q- Léo : Des travaux, il y en a des contradictoires...
R- Non, non, sur cela non. Il y a beaucoup de gens qui fument du cannabis qui ne sont pas accrocs en effet, mais il y a 15 % - c'est quelque chose qui est totalement, internationalement reconnu et qui n'est pas du tout remis en cause par personne,15 % des gens qui sont accrocs.
Q- Léo soulève une question essentielle en disant : L'Etat ne pourrait-il pas mieux contrôler en légalisant ?
R- Je suis contre le fait de légaliser parce que j'ai des collègues qui l'ont fait. Je vois dans certains pays où il y a eu une légalisation, il y a eu de fait une augmentation de consommation. Je pense qu'il ne faut pas prendre les gens pour ce qu'ils ne sont pas. Les gens sont intelligents, les gens entendent, les gens...
Q- Oui mais nous avons en France les jeunes les plus gros consommateurs de drogue ! Dans un pays où ce n'est pas légalisé.
R- Parce que l'on n'a jamais fait, parce que l'on n'a jamais osé dire aux jeunes que c'était de "la saloperie" ! Voilà. Personne n'a jamais osé le dire. On a toujours eu l'impression qu'après 1968, c'était plutôt moderne, plutôt "sympa", plutôt cool, plutôt agréable et intelligent de fumer. Non ! Il y a même des émissions de télévision, vous avez des animateurs de télé qui s'amusent à dire : "Alors, t'as fumé un pétard ou pas ?", parce qu'ils se sentent intelligents de le dire, et comme ils ne s'intéressent qu'à l'audimat, ils doivent se dire que s'ils le disent, cela plaît aux gens. C'est quelque chose qui ne va pas, c'est une culture qui ne marche pas. Je ne suis pas pour dire : il y a le mal, pour tout interdire. Je dis simplement qu'il faut que les jeunes sachent que fumer du cannabis, fumer la cigarette aussi, mais fumer du cannabis a des effets centraux cérébraux, qui sont aujourd'hui totalement objectivés par la presse internationale médicale.
Q- Léo voulait vous demander : certains conduisent sous l'emprise du cannabis. Que proposez-vous ?
R- Ce que je propose, c'est qu'ils ne le fassent pas, et qu'il faut faire une très grande campagne pour dire qu'il y a un risque majeur lorsqu'on prend sa voiture. Je connais quelqu'un dont le fils de 15 ans est mort récemment dans un accident de voiture, fauché par une voiture dont le conducteur fumait du cannabis. Donc, il faut expliquer cela. Et en même temps, il y a des tests salivaires qu'il faut développer. Malheureusement, ils ne sont pas encore suffisamment fiables.
Q- Je crois savoir que vous allez lancer une autre campagne dans quelques mois plutôt axée sur l'aspect répressif, avec un rappel de l'interdit et des sanctions encourues.
R- Oui, et bien sûr qu'il faut faire du répressif. Mais ce qu'il faut surtout, c'est jouer sur l'intelligence et je crois le bon sens des adolescents et des parents.
Q- Parce que l'on sait bien que la consommation est tolérée en France, pas interdite mais tolérée.
R- Evidemment, la preuve : si on peut avoir 850 000 personnes qui fument régulièrement, cela veut dire des millions de gens. Puisque l'on estime que, un enfant sur deux, à 18 ans, a fumé. Donc, ce que vous dites est évidemment...
Q- ... Au moins un enfant sur deux !
R- Oui, voilà. Mais quand on dit cela, comme vous dites, c'est certainement sous-estimé, enfin ce sont les études européennes qui sont faites. Non mais, un mot là-dessus : je crois quand même qu'un enfant qui fume régulièrement, 15-16 ans, du cannabis, a un problème derrière. Et là, c'est pour cela que j'ouvre ce numéro azur, parce que ce numéro de téléphone, que l'on va vous donner tout à l'heure, c'est un numéro de téléphone qui permet de prendre en charge ceux qui veulent être pris en charge. Nous sommes très étonnés de voir qu'il y a de plus en plus de gens qui appellent ce numéro, des parents aussi qui appellent ce numéro de manière anonyme, pour dire : voilà, mon fils fume tous les jours ou tous les trois jours du cannabis, que dois-je faire ? Même les gosses eux-mêmes !
Q- Je vous donne ce numéro : 0811 91 20 20. Il y a des animateurs qui répondront directement aux parents ou aux jeunes qui appellent. Ils donneront une liste des centres où l'on peut s'adresser.
R- Voilà. On va faire des "consultations cannabis", totalement anonymes et gratuites.
Q- Dans tous les départements ?
R- Oui. Il y aura 230 ou 235 "consultations cannabis"', c'est quelque chose qui va coûter 4 millions d'euros, qui sera pris en charge par l'assurance maladie. Mais ce n'est pas un sujet pour nous, c'est un sujet de santé publique. Donc, il n'y a pas de problème. Moi, je dis simplement qu'un gosse qui fume régulièrement, il doit avoir des soucis derrière, il doit avoir des problèmes, il a besoin d'écoute, il a peut-être un problème amoureux, il a un problème de repères dans sa famille, et donc il faut l'écouter.
[Deuxième partie à 8h47]
Q- Vous allez présenter votre Plan de santé mentale demain. Quelles sont les grandes lignes ?
R- Concernant les grandes lignes, malheureusement, l'actualité montre que nous avons certainement pris du retard, depuis dix ou quinze ans, sur la psychiatrie, et en particulier sur l'hôpital psychiatrique public. Il y a des femmes et des hommes qui travaillent dans l'hôpital public psychiatrique, avec beaucoup de dignité, avec peut-être pas suffisamment de moyens. J'en parlerai demain : je présenterai aux partenaires sociaux, à la concertation, des réflexions. Et ensuite, le Plan santé mentale sera ensuite...
Q- 200 millions d'euros seront dégagés...
R- J'aurai l'occasion de donner d'autres chiffres probablement demain...
Q- Le décloisonnement des intervenants médicaux, le renforcement des droits des malades, les problèmes spécifiques pour traiter la dépression...
R- Aujourd'hui, nous rentrons dans les Journées du suicide. C'est un sujet important : ce sont 120.000 personnes qui essaient de se suicider tous les ans. Nous avons entre 11.000 et 12.000 personnes qui se suicident vraiment. C'est la première cause de mortalité entre 24 et 34 ans. C'est la deuxième cause de mortalité entre 15 et 24 ans, derrière les accidents de voitures, de mobylettes et de motos. C'est-à-dire qu'on a là devant nous la société qui est violente, une société où il y a des pertes de repères, une société où il y a des dépressions non prises en compte. Le Plan santé mentale, en partie, c'est ça : c'est comment faire en sorte pour écouter la souffrance de gens. Les jeunes, soit parce qu'il y a une perte de repères, soit parce qu'il y a un problème amoureux, les adultes aussi avec le problème du chômage, problème de divorce, les personnes âgées qui se sentent isolées et seules. On se suicide le plus dans les premières parties de la vie - 15 à 24 ans...
Q- C'est le constat, mais que peut-on faire ?
R- Trois choses : un, pour les enfants, développer les cellules pédopsychiatriques. Je crois que la pédopsychiatrie fait partie des grandes disciplines à développer demain. Il faut donc aussi attirer des jeunes médecins à faire ce métier...
Q- On parle beaucoup des enfants, mais les adultes ? Le suicide est la première cause de mortalité chez les hommes entre 35 et 44 ans.
R- Pour les adolescents, la Maison des adolescents est vraiment quelque chose de très important. Quand vous avez un enfant à la maison, qui a seize ans, qui joue en cadet ou en junior dans une équipe de rugby, qui fait 1m80, qui est en pleine forme, s'il souffre psychologiquement, avant qu'il le dise à son père, à son oncle ou à sa mère, je peux vous assurer qu'il peut se passer beaucoup de temps, jusqu'au moment où il craque et il fait une bêtise. Pourquoi ? Parce que l'image qu'il veut donner est une image parfaite. Les filles, ce n'est pas pareil, parce qu'elles ont un contact régulier avec le gynéco pour la pilule, on arrive donc à avoir un contact. Tandis que le garçon n'est jamais malade en fait ; il joue au rugby, il est en pleine forme, donc il ne parle pas. Là, la Maison des adolescents permet, de manière anonyme, sans les parents, tranquillement, [d'aider ces jeunes... ndlr, ils parlent ensemble]. Pour les adultes, il y a là un énorme sujet : c'est celui de la prise en charge des dépressions. C'est tout le rapport qui existe entre la formation des médecins généralistes...
Q- Mais que faut-il faire alors ?
R- Il faut avoir une relation plus forte entre le médecin généraliste et le médecin psychiatre, si le généraliste sent qu'il faut appeler le psychiatre. Parce qu'il y a des cas où il faut appeler un psychiatre. Or les Français ont quand même un problème avec la psychiatrie. Nous avons, depuis très longtemps, un peu peur de cette spécialité, nous considérons que cette spécialité n'est pas pareille que les autres. Et avant d'aller dans les familles...
Q- Mais comment faire pour enlever cette angoisse, cette crainte ?
R- Il faut en parler. Là aussi, cela fait partie des choses qu'il faut décloisonner. Par exemple, à la fin du XIXe siècle, les hôpitaux psychiatriques étaient à l'extérieur des villes, pavillonnaires, il fallait aller très loin pour y aller et cela stigmatise un peu d'aller dans des hôpitaux psychiatriques. Est-ce qu'il ne faut pas non plus essayer d'avoir aussi des consultations psychiatriques un peu en centre-ville, à côté d'autres consultations. Que lorsque vous rentrez dans la porte, cela ne veut pas dire au reste de la société que vous avez un problème psychiatrique.
Q- On va manquer de psychiatres en France ?
R- Oui, bien sûr, parce qu'aujourd'hui, l'hôpital public n'est pas suffisamment attractif en termes d'hôpital psychiatrique... [...] Il y a aussi quelque qui est important, c'est le repérage de la dépression dans les établissements scolaires. [...] On ne pourra pas développer la prévention du suicide, si on ne repère pas les enfants. Avant de se suicider, les enfants...
Q- Mais les infirmières scolaires ne sont pas assez nombreuses
R- [...] J'outrepasse mes fonctions car, vous le savez, les infirmières scolaires dépendent du ministre de l'Education. Je permets, à ce moment-là, de parler à F. Fillon, qui est un bon ami ! Les infirmières scolaires pourraient être également dans les conseils de classe. Comment peut-on savoir qu'un enfant commence un peu à "dérailler", je veux dire à donner quelques signes qui font dire qu'il peut se suicider ? C'est quand plusieurs professeurs, ensemble, par un faisceau d'arguments, disent qu'il a changé : que cet enfant a changé en maths, il a changé aussi en éducation physique... L'infirmière, à l'intérieur, peut dire qu'elle va aller le voir et qu'elle va parler avec lui. Parce que le jour où il va faire pipi pour savoir s'il y a la glycémie et la glucoserie, ce n'est peut-être pas l'endroit où l'infirmière peut sentir ça.
Q- Question d'une auditrice, infirmière psychiatrique : J'ai été agressée en 1993 sur mon lieu de travail, à l'hôpital psychiatrique. Je n'ai eu aucune assistance de ma hiérarchie. Entreprendre un procès coûte très cher, on perd tout le temps, parce que l'on se défend face à une administration. Je souhaiterais interroger M. le ministre pour savoir quelles dispositions souhaiterait-il prendre, de manière à ce que le personnel psychiatrique, pris entre la violence des malades et la violence hiérarchique, puisse se défendre ?
R- S'il y a eu un manque, dans votre cas, de votre hiérarchique, faites-le moi savoir. Mais il n'y a pas de "violence" de la hiérarchie. Non, ce que vous dites est excessivement important, je m'en suis rendu compte à plusieurs reprises dans ma vie de médecin. J'étais cardiologue mais souvent, on m'appelait à l'hôpital psychiatrique, dans le secteur fermé ; pour voir des personnes. C'est vrai que c'est un monde...
Q- Et vous avez été vous-même agressé.
R- Oui, j'ai été moi-même agressé. Mais au-delà de cela, quand j'étais médecin, je me souviens très bien être rentré dans votre milieu hospitalier, c'est-à-dire celui des infirmières psychiatriques, c'est-à-dire passer une nuit dans un secteur fermé, où on ne peut pas rentrer, donc sortir. Et en même temps, où il y a une quinzaine de chambres, qui, elles sont ouvertes sur...
Q- Alors que faudrait-il faire ?
R- Je crois qu'il y a un sujet majeur. Je l'aborderai demain, et vous me permettrez de ne pas sortir mon Plan ce matin sur RMC, sinon je réunis tous vos collègues demain matin. Il y a le problème de la formation. [...] Vous, je ne sais pas quand vous étiez... En 1993 ? C'est donc que vous avez connu la formation spécifique de psychiatrie, et vous savez que depuis les années 1993-1995, la directive européenne a supprimé cette formation spécifique en psychiatrie. Il ne s'agit pas de revenir là-dessus, parce que c'est européen, mais il s'agit peut-être de mieux prendre en considération l'information par l'intermédiaire, justement, des autres infirmières et des cadres de la formation de ces filles qui arrivent à 22-23 ans dans un hôpital psychiatrique sans avoir été véritablement sensibilisées à ce sujet. Et quand j'ai fait la nuit à Pau, le 25 décembre, où j'ai rencontré ces personnels qui étaient dans une angoisse terrible, qui continuaient à travailler - je tiens à leur dire bravo - dans la dignité, alors qu'elles se demandaient si la personne qui avait tué une de leur collègue et amie n'allait pas recommencer. Je voyais bien qu'il y avait celles qui avaient 50 ans, qui étaient habituées à cela et puis il y avait ces jeunes de 22-23 ans qui n'avaient pas été formées. C'est un sujet qui dépend de mon ministère. Je pense que j'en parlerai demain matin.
Q- Un auditeur vous dit que vous diabolisez le cannabis mais que vous assouplissez la loi Evin.
R- Je n'assouplis absolument pas la loi Evin. Cela m'a fait plaisir de voir que l'autre jour, y compris monsieur Evin et son groupe socialiste au Sénat a voté ce que j'ai proposé. Donc, celui qui fait croire que j'assouplis la loi Evin vous ment, c'est faux, puisque l'ensemble...
Q- Le vin est-il une drogue ?
R- Lorsque vous consommez régulièrement du vin, malheureusement, il y a quand même 45 000 morts par an dus à l'alcool. C'est terrible, c'est affreux. Il ne faut pas banaliser les choses. Que l'on boive un verre par ci par-là n'est [sujet ?] pour personne, mais le problème, c'est que vous pouvez devenir... Vous savez, il y a une zone cérébrale que l'on connaît parfaitement maintenant, qui est une zone de quelques petits microns qui est la zone de la dépendance. Et là ça marche pour l'alcool, pour la cigarette, cela marche dans 15 % pour le cannabis, cela marche à 100 % pour les opiacés, la cocaïne, l'héroïne, etc. Et donc, on sait exactement où c'est. Malheureusement pour l'alcool, c'est vrai et le livre de H. Chabalier est extraordinaire pour cela, quand vous êtes alcoolique, c'est effrayant, toute votre journée n'est tournée que vers cela. Vos amis ne sont que cela.
Q- La mise en place du médecin traitant avance-t-elle ?
R- Je comprends très bien que les Français au début se soient dit "mais qu'est-ce que c'est que cette histoire, qu'est-ce qu'on nous raconte, avant on était tranquille ! Pourquoi va-t-on être obligé d'envoyer un formulaire ? " En fait, rien ne change. Pour ceux qui ont un médecin, ils disent que c'est leur médecin traitant, ils peuvent en changer quand ils le veulent, ils seront remboursés exactement comme avant.
[...]
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 février 2005)