Déclaration de Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, sur la prise en charge hospitalière des personnes ayant des conduites addictives, Paris le 15 septembre 2000.

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Circonstance : Journée sur la prise en charge hospitalière des personnes ayant des conduites addictives à Paris le 15 septembre 2000

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
C'est pour moi un plaisir d'être aujourd'hui parmi vous pour ouvrir cette journée sur la prise en charge hospitalière des personnes ayant des conduites addictives.
Permettez-moi d'abord de vous remercier pour votre présence qui traduit une réelle mobilisation sur ces thèmes - les pratiques addictives - trop souvent négligés par les autres professionnels de santé exerçant à l'hôpital.
Cette journée nationale, qui je l'espère inaugure une longue série, est pour moi l'occasion de réaffirmer que la prise en charge des personnes dépendantes aux substances psychoactives est une priorité pour le Gouvernement. Pour réaliser cette politique nous avons besoin de l'implication des professionnels de santé.
Pendant trop longtemps les médecins et les personnels paramédicaux qui s'occupaient des personnes en difficulté du fait de l'alcoolisme ou de la toxicomanie étaient - au sein de l'hôpital ou en ville - marginalisés par leurs confrères.
Les savoirs faire qu'ils avaient su développer, les actions innovantes de travail en réseau ou avec les associations, étaient peu ou pas reconnus. Mais, et nous devons nous en réjouir, les mentalités évoluent et je souhaite qu'à travers des réunions comme celle d'aujourd'hui, vos compétences, vos actions soient mieux reconnues et que la prise en charge des personnes dépendantes au tabac, à l'alcool ou aux drogues illicites trouve pleinement sa place dans notre système de santé et dans les hôpitaux.
Car les besoins sont immenses. Au-delà des chiffres, je rappellerai juste les résultats d'une étude récente, abondamment commentée par la presse qui conclut, qu'en France, compte tenu des progrès réalisés dans la lutte contre les maladies infectieuses c'est dorénavant l'alcoolisme et le tabagisme qui risquent d'entraver la progression de l'espérance de vie.
Les raisons en sont multiples.
En ce qui concerne le tabac, les chiffres restent accablants ; le dernier baromètre santé confirme qu'un adulte sur trois déclare fumer, qu'un jeune sur quatre fume et qu'il y a maintenant autant de jeunes filles concernées, voire un peu plus que de jeunes garçons.
Le constat n'est pas réjouissant. Mais dans ce même document on note également que trois fumeurs sur quatre ont déjà essayé au moins une fois dans leur vie d'arrêter et au moment de l'enquête, la majorité des fumeurs -58 %- déclarent avoir envie de s'arrêter. C'est important. Notre rôle est d'augmenter notre soutien pour les y aider et pour qu'ils réussissent.
C'est l'objet des différentes mesures prises depuis deux ans :
- mise en vente libre des substituts nicotiniques,
- programmes permettant la mise à disposition gratuite des substituts nicotiniques aux personnes en situation de précarité.
- Renforcement des actions de formation et de soutien des professionnels (médecins généralistes, pharmaciens et sages-femmes).
- Renforcement des dispositions de la loi Evin pour la protection des non-fumeurs en particulier à l'hôpital. Les professionnels et les responsables de la santé que nous sommes doivent dans ce domaine être exemplaires. Je crois qu'il faut le dire avec fermeté : on ne doit plus fumer à l'hôpital.
Les problèmes liés à l'alcoolisme sont tout aussi inquiétants. Responsable de 50 000 décès par an, nous savons maintenant que 10 à 20 % des personnes hospitalisées ont une consommation excessive d'alcool et que leur prise en charge est bien insuffisante.
C'est dans ce contexte que le Gouvernement a adopté en juin dernier, un plan triennal de lutte contre la toxicomanie et de prévention des dépendances. Ce plan tire les conséquences des travaux scientifiques récents montrant que toutes les dépendances ont une base biologique commune. Il prend en compte le phénomène de polyconsommation fréquent notamment chez les jeunes. Cette approche conduit à repenser l'ensemble de notre dispositif, tant en ce qui concerne la prévention, les soins que l'accompagnement social.
Ce plan triennal s'inscrit dans un ambitieux projet global de lutte contre les exclusions, je pense aux différents dispositifs mis en place par le Gouvernement depuis trois ans, avec en particulier,
- les programmes régionaux d'accès à la prévention aux soins (PRAPS),
- les nouvelles missions dévolues aux hôpitaux dans leur rôle d'accompagnement social,
- le renforcement des réseaux de santé,
- les actions de santé définies et insérées dans le cadre d'une politique de la ville réaffirmée,
- enfin, la Couverture Maladie Universelle (CMU), outil majeur d'accès à la prévention et aux soins dans le respect de la dignité de la personne.
De nombreuses actions contenues dans le plan triennal ont d'ores et déjà été mises en application :
Nous avons lancé cette année une importante campagne d'information auprès des professionnels et du grand public. Cette campagne n'est pas une campagne " de plus " ; elle donne un ton nouveau et marque la volonté d'aborder les questions de consommation et de dépendance avec bon sens, réalisme. S'attachant réellement aux personnes et à leur comportement, un des éléments essentiels de notre plan, elle conditionne la réussite de ce plan. Elle doit permettre d'élever le niveau de connaissance de nos concitoyens. Son objectif est de rendre manifeste, concret et le plus objectif possible les dangers de chaque produit
- alcool, tabac, drogues illicites, médicaments et surtout d'améliorer la connaissance des comportements qui induisent des dépendances.
Mais vous savez aussi que les actions d'éducation pour la santé ne se limitent pas à la délivrance d'information, de messages, de connaissances. L'éducation pour la santé est basée, comme toute éducation, sur la durée, sur une démarche pédagogique, sur une démarche d'accompagnement des personnes et des institutions. C'est pour toutes ces raisons que nous allons poursuivre tout au long de l'année ces actions de communication.
Pour mieux agir, nous avons souhaité mieux connaître les substances consommées. C'est l'objectif du programme TREND et de la banque de données SINTES : dispositif d'observation en temps réel, il permet de connaître les modes de consommation et les produits qui circulent grâce à un réseau sentinelle de médecins, au recueil et à l'analyse des produits. Nous disposons maintenant des premiers résultats. Cela nous permet d'anticiper et de prendre les décisions utiles au bon moment.
Nous avons souhaité également améliorer l'expertise : l'expertise scientifique tout d'abord, avec la poursuite d'études pour mieux connaître les conséquences de chacune des substances et l'évolution des consommations ; la recherche clinique ensuite qui permet de rendre plus efficaces les procédures thérapeutiques ; et enfin l'évaluation des dispositifs sanitaires, de leur articulation et de leur bonne coopération,
Nous avons cherché à développer l'information et la formation des professionnels ; c'est un des axes majeurs de ce plan en particulier la formation des médecins, pour modifier les prises en charge et passer d'une logique de produit à une logique centrée sur la personne et son comportement, mais aussi et cela me semble essentiel, pour reconnaître et faire reconnaître la spécificité de cette prise en charge.
Un nouveau diplôme d'études spécialisées (DESC) en addictologie a été mis en place. Nous disposerons ainsi dans quelques années de spécialistes reconnus par leurs pairs, à l'hôpital, à l'université et dans les organismes de recherche.
Enfin nous avons souhaité faire évoluer le dispositif de prise en charge pour l'adapter aux besoins de nos concitoyens et en lui donnant les moyens de cette évolution.
Il ne s'agit pas de bouleverser brutalement une organisation qui a fait ses preuves d'autant que, comme certains d'entre vous l'ont fait remarquer, il existe des spécificités selon le produit consommé.
Mais il s'agit de faire évoluer notre dispositif pour un meilleur service rendu à l'usager, notamment aux usagers polydépendants. Nous voulons d'une part d'améliorer l'offre de soins et d'autre part faire reconnaître que l'addiction est une pathologie comme une autre, même si plus que dans tout autre, l'accompagnement psychologique et social est déterminant.
Je souhaite également que cette évolution se fasse avec vous, car je suis persuadée que, dans ce domaine, nous ne progressons qu'en prenant en compte les différentes initiatives réalisées sur le terrain. C'est l'objet de la mission que j'ai confiée en juin dernier à Georgette TOBELEM, présidente de la CME du centre hospitalier de Pontoise. Son rapport vient de vous être remis aujourd'hui et je tiens à la remercier pour la qualité de son travail et la large concertation qu'elle a pu ainsi provoquer.
Faire évoluer l'organisation et renforcer l'offre de soins.
Et d'abord pour lutter contre le tabagisme.
Avec Martine AUBRY, j'ai signé en avril dernier une circulaire relative à la lutte contre le tabagisme dans les établissements de santé. Elle prévoit le renforcement ou la création d'unités de coordination de tabacologie et le développement de réseaux. Dès cette année, ce sont 27 MF de mesures nouvelles qui seront consacrés à cet objectif. Ces crédits sont fléchés et leur reconduction sera soumise à l'évaluation car nous voulons que ce dispositif se pérennise.
J'ai demandé par ailleurs que ces crédits soient affectés, dans chaque région, au prorata des cancers pulmonaires et des pathologies liées au tabac, car pour le tabagisme, on retrouve également le gradient Nord-Sud et dans ce domaine aussi nous devons réduire les inégalités.
Cet effort financier sera poursuivi dans les années qui viennent pour que tous les hôpitaux puissent bénéficier d'une consultation antitabac.
2) Complétant ce premier texte, une seconde circulaire, signée il y a quelques jours renforce la prise en charge des personnes alcooliques et toxicomanes.
François BOURDILLON va dans quelques minutes vous en présenter les détails.
L'objectif est de mettre en place une organisation qui prend en compte dès les urgences les besoins des personnes ayant une dépendance à une substance psychoactive. Il s'agit de renforcer les équipes de liaison "alcool" et "toxicomanies", de mettre en place un véritable suivi médico-psycho-social, d'augmenter les possibilités d'hospitalisation pour sevrage, bilan et soins et de mutualiser les compétences.
Les différentes équipes sont invitées à élargir leurs compétences à l'ensemble des addictions
-alcool, tabac, substances illicites- dans le cadre d'une démarche pragmatique, adaptée aux besoins des populations. Tout en respectant l'histoire et les particularités de chaque équipe, il faut encourager l'adoption d'actions communes de prise en charge des addictions.
Dès cette année, ce sont 38 MF de mesures nouvelles qui seront consacrés à ces objectifs. Là encore ces crédits seront fléchés et leur reconduction sera soumise à l'évaluation.
Ici aussi, j'ai demandé que ces crédits soient affectés, dans chaque région, en fonction d'un indicateur objectif prenant en compte la morbidité et la mortalité attribuables à l'alcool et au tabac.
Mais au-delà de ces efforts, un des objectifs recherchés est de favoriser la création de véritables réseaux fonctionnels entre la prise en charge dans les centres spécialisés, les médecins généralistes, l'hôpital et les structures associatives réalisant des actions de prévention.
C'est dans ce cadre qu'un effort particulier à été réalisé pour renforcer les moyens du dispositif spécialisé alcool et lui permettre de mieux prendre en charge les autres dépendances.
L'intégration des centres de cures ambulatoires en alcoologie (CCAA) dans le cadre des institutions médico-sociales et leur financement par l'assurance maladie a été une première étape.
Il s'agit maintenant de conforter ce dispositif. Ainsi cette année nous avons consacré 25,6 MF de mesures nouvelles pour permettre le renforcement ou la création de nouvelles structures. 97 projets ont été acceptés dont 27 créations dans 63 départements en prenant en compte les indicateurs de précarité et la spécificité des situations départementales. 1,9 MF supplémentaires ont permis de renforcer en vacations médicales les possibilités de sevrage tabagique de ces centres. Enfin nous avons consacré 4,6 MF dans 70 départements à des actions de prévention de l'alcoolisme au travail et 2,4 MF dans 16 régions à des actions de formation.
Au total, ce sont 99,5 MF de mesures nouvelles qui sont consacrés cette année à la lutte contre les addictions. Nous poursuivrons cet effort dans les années à venir pour que cette politique volontariste de prise en charge des addictions que nous appelons tous de nos vux puisse réellement se mettre en place.
D'autres chantiers nous attendent, je pense en particulier :
- à la prise en charge psychiatrique des personnes (toxicomanes) qui nécessite à mon sens une mobilisation plus importante. Notre connaissance dans ce domaine est insuffisante et des études sont nécessaires pour mieux l'appréhender. Mais d'ores et déjà il est impératif que notre offre de soins prenne mieux en compte les pathologies psychiatriques associées qu'elles soient la cause ou la conséquence de la consommation de produits.
il nous faut également renforcer les actions réalisées auprès des personnes détenues, au moment de leur détention bien sur mais également après leur sortie de prison,
enfin la prise en charge des adolescents en difficulté avec les substances psychoactives dont la prise en charge doit à mon sens faire l'objet d'une réflexion particulière.
Pour finir, j'aimerais insister sur l'importance des journées de réflexion, de discussion et d'échanges telles que celle d'aujourd'hui. Elles permettent de définir ensemble des objectifs de travail, de mieux savoir vers quelle direction s'orienter. Elles nous permettent, face à des phénomènes qui demandent beaucoup de finesse et de tact, beaucoup d'humanité mais aussi beaucoup de détermination, de confronter les expériences et certainement de nous encourager les uns les autres. Soyez assurés que je serai très attentive à vos conclusions et à vos demandes.
(source http://www.sante.gouv.fr, le 30 octobre 2000)