Tribune de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier Ministre, dans "Les Echos" du 21 avril 2005, sur les relations commerciales entre l'Europe et la Chine, intitulée "La Chine ou pourquoi l'Europe s'impose".

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Nous vivons une mutation mondiale que nos amis québécois pourraient appeler un " grand dérangement ". Des puissances économiques nouvelles apparaissent, au premier rang desquelles la Chine, qui nous offrent de nouvelles opportunités de croissance mais nous posent aussi de graves problèmes de compétitivité et de délocalisations. Dans ce contexte, il nous faut redéfinir nos domaines d'excellence, investir plus et mieux dans la recherche et la formation, bref nous redéployer plutôt que nous replier. L'Europe constitue le passage indispensable pour sortir par le haut de ces nouveaux défis. Une France se plaçant en marge du mouvement européen, récusant finalement l'avènement d'une Europe politique qu'elle avait toujours souhaitée, serait vite marginalisée.
Notre économie doit aller chercher la croissance là où elle se trouve : c'est ainsi que nous défendrons nos emplois. Nos exportations sont historiquement très tournées vers l'Europe, ce qui est une bonne chose, mais doivent se développer davantage en direction des zones émergentes, à commencer par la Chine, qui a connu en 2003 et 2004 une croissance supérieure à 9 %. Dans ce nouveau contexte, pour préserver et créer des emplois de qualité, notre économie doit satisfaire deux exigences : celle de la compétitivité sur le marché mondial, celle du développement des services de proximité sur le marché national.
On accède à la compétitivité par la puissance ou par l'alliance. Alors que le commerce extérieur de la Chine augmente plus vite que le commerce mondial, la France s'installe sur le marché chinois principalement par ses grands groupes (dans les domaines de l'énergie, de l'aéronautique, du spatial, des transports terrestres et de l'environnement...) et par les grands contrats. Nos exportations augmentent rapidement (+ 15 %), mais moins vite que nos importations (+ 24 % en 2004). Il nous faut donc redoubler d'efforts pour augmenter nos ventes à la Chine et obtenir d'elle une plus grande ouverture de son marché intérieur. Pour cela, les grands contrats ne suffisent pas. Il nous faut mieux exploiter le potentiel d'innovation et d'exportation que recèle notre tissu de petites et moyennes entreprises. Lorsque l'on compare nos résultats avec ceux de nos amis allemands, qui sont de loin les premiers fournisseurs européens de la Chine, il apparaît clairement que nous devrons promouvoir les ambitions et les projets de nos PME, leur alliance avec des partenaires français et européens. Le gouvernement s'y emploie.
L'économie mondiale laisse un espace important au développement des activités de proximité : proximité très locale des services à la personne ou proximité des activités nationales pour lesquelles un pays comme le nôtre dispose d'un avantage comparatif avéré. Les services de proximité recèlent un potentiel élevé d'emplois peu délocalisables. Le gouvernement a préparé un plan de développement des services à la personne qui permettra de lever, dès le second semestre 2005, les freins réglementaires et sociaux de toute nature qui entravent l'expansion de ces nouveaux emplois.
Au-delà de ces services de proximité, par nature non délocalisables, il existe toute une gamme d'activités sur lesquelles notre pays est capable de rassembler et de concentrer ses efforts pour créer de nouveaux emplois. Nous avons beau vivre dans une économie de plus en plus mondialisée, de plus en plus immatérielle, la recherche et la création de valeur ajoutée ont tendance à se concentrer physiquement autour de quelques pôles d'excellence, dont la Silicon Valley constitue la figure emblématique. C'est pourquoi le gouvernement a lancé les pôles de compétitivité, autour desquels nos compétences scientifiques, nos universités et nos moyens d'intervention financière ont vocation à se structurer. Le nouveau marché européen, fort de ces 450 millions de consommateurs, jouera un rôle amplificateur, en offrant à nos entreprises la possibilité de se muscler et de valoriser leurs projets. L'exemple de notre industrie automobile, qui crée de la production à l'est de l'Europe, mais aussi des emplois à l'Ouest, est à suivre. Le marché polonais n'est pas plus menaçant aujourd'hui pour notre croissance et nos emplois que l'était hier le marché espagnol, qui est devenu un de nos principaux clients et partenaires. Les ouvriers des pays nouveaux entrants n'ont pas envie d'être les prolétaires de la nouvelle Europe ; leur niveau de vie va progressivement rejoindre le nôtre.
L'Europe porte en elle les valeurs de la cohésion sociale. Ces valeurs ont vocation à devenir une exigence universelle. En Chine même, coexistent deux populations de taille à peu près équivalente à celle de la population française : l'une vivant en dessous du seuil de pauvreté ; l'une ayant un niveau de vie analogue voire supérieur au nôtre. Le tiraillement à l'intérieur de chaque continent est particulièrement criant en Inde, entre Bombay et Bangalore. L'Europe, de par ses traditions, ses valeurs et ses potentialités, doit être le continent qui saura le mieux concilier ouverture au monde, croissance et cohésion sociale.
Parce que l'Europe peut combiner les règles de la puissance en mutualisant ses forces (recherche, innovation, mais aussi organisation politique) et celles de la proximité d'un marché domestique, elle est capable de participer à une meilleure répartition de la croissance dans le monde.
Le déplacement de la croissance mondiale appelle aussi l'approfondissement des discussions politiques avec les pays en forte expansion. Ceux-ci sont en effet placés devant des responsabilités internationales nouvelles : c'est le cas de la Chine pour la flambée du prix des matières premières (pétrole, acier...), pour les exportations de textiles ou pour les parités monétaires. Le partenariat exige la discussion. Nous aurons, c'est évident, d'autant plus de poids dans la discussion que nous unirons nos efforts au niveau européen.
Pour cela l'Europe doit être forte. Elle ne peut être forte sans la France. Notre " oui " fortifiera l'Europe.
(Source http://www.u-m-p.org, le 21 avril 2005)