Interview de M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des solidarités, de la santé et de la famille, sur France 2 le 15 avril 2005, sur l'intervention télévisée du Président de la Répubique en faveur du traité constitutionnel européen et sur les revendications des services d'urgences grévistes.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard - On va évidemment parler de l'entrée en campagne de J. Chirac, hier soir à la télévision, on va parler politique de la santé. Mais d'abord, revenons sur la catastrophe de cette nuit qui s'est produite dans un hôtel parisien, 13 morts. Comment s'est passée l'organisation des secours ?
P. Douste-Blazy - C'est une catastrophe, c'est 13 morts, c'est des dizaines de blessés, une cinquantaine de blessés avec des enfants. Et donc aujourd'hui il y a, à la fois au moment où je parle, une tente d'abord qui est organisée pour les premiers secours, les premières urgences, et ensuite...
Q- Un poste médical avancé, c'est ça ?
R- Oui, et ensuite il y a maintenant une arrivée déjà des malades, des blessés, avec certains qui ont un pronostic vital engagé à l'hôpital Necker pour les enfants, à l'hôpital Trousseau, à l'hôpital Saint- Antoine, et il y a déjà les secours qui se font.
Q- Alors venons-en à l'intervention de J. Chirac à la télévision. Comment est-ce que vous avez trouvé cette intervention ? Est-ce que vous avez l'impression que c'est un tournant dans la campagne ?
R- En tout cas, j'ai trouvé que le débat était sans retenue, il était libre, et c'est ce qui est le plus important lorsqu'on parle avec la jeunesse, et aux Français par la jeunesse. D'autre part, ce n'était pas un "oui" d'arrogance, c'était un "oui" de conviction, et je trouve que le président a voulu répondre aux inquiétudes des Français. Il y a une inquiétude, on le sent, des craintes qui peuvent se faire jour avec la société dans laquelle nous vivons, ce qui est normal, qui change...
Q- Alors J. Chirac a dit " n'ayez pas peur " ?
R- Oui, et " n'ayez pas peur ", mais surtout il a dit, me semble-t-il, deux choses importantes, il a dit : " l'Europe protège les Français de la mondialisation, et en particulier de l'ultralibéralisme ".
Q- Les partisans du "non" disent exactement le contraire, eux ils disent : "C'est la voie ouverte à l'ultralibéralisme".
R- Oui mais enfin, l'ultralibéralisme ne vient pas de l'Europe, personne ne peut faire croire ça à personne. On sait bien que ce sont les Etats Unis, on voit bien que l'Inde, la Chine, c'est du capitalisme à faibles salaires, avec beaucoup d'innovations. Qu'est-ce que c'est que la Chine ? Ce sont des centaines de millions de personnes qui sont peu payées, qui travaillent beaucoup, qui ne vendent pas cher, et en plus ils font à la fois de l'innovation, des produits nouveaux. Ceux-là, ils vont bien arriver sur le marché un jour, donc...
Q- Ils arrivent déjà avec le textile d'ailleurs.
R- Eh bien voilà, vous voyez. Ça ne vient pas de l'Europe, ça vient donc de la Chine, ça vient d'autres pays. Donc nous, il faut qu'on se protège contre elle, il faut qu'on ait un texte politique qui nous protège, nous protéger contre l'ultralibéralisme. Et les services publics c'est ça. Dans la Constitution, il est écrit qu'il y a toujours des écoles, qu'il y a des Postes, la santé. Il a parlé de la santé des jeunes, on a posé la question. La santé, mais ça ne doit pas être un marché la santé, non. La santé ça dépend de la France, et la santé, je suis bien placé pour le savoir, les hôpitaux ruraux, c'est la France. Deuxièmement, après cette protection, il a dit " l'Europe défend nos intérêts ", la défense des intérêts, la défense des valeurs. Moi je sais bien, on ne parle jamais plus de valeurs, mais enfin les valeurs c'est important. Quand on dit " pas de discrimination ", quand on dit " égalité homme femme ", lorsqu'on dit " défense des emplois ", si vous voulez défendre les emplois, écoutez...
Q- Mais les Français ils voient que les emplois s'en vont, les délocalisations.
R- Oui, à Toulouse cette année et l'année prochaine, on va créer 9.000 emplois parce qu'on fait l'A380, 9.000 emplois créés à Toulouse et dans le grand Toulouse en raison de l'Europe. Donc quand l'Europe est là, lorsque l'Europe se fait, lorsque l'Europe se construit, eh bien on vend 7 Airbus pour 3 Boeing. Moi je veux bien qu'on me dise que ça se fait sans les gouvernements, non, c'est l'Europe ça. Lorsqu'on est ensemble on est plus fort, et ça c'est très important, c'est très important.
Q- La presse de ce matin a la dent plutôt dure, elle dit que l'émission était "confuse", et que J. Chirac a eu du mal à faire passer son message. Vous, vous dites "pas d'accord" ?
R- Je trouve que c'est dur pour la jeunesse qui a posé des questions, elle a posé les questions qui lui tiennent à cur. Alors c'est vrai que toutes n'avaient pas trait à l'Europe, toutes n'avaient pas trait à la Constitution. Mais lorsque J. Chirac a expliqué que si on vote "non", on ne pouvait pas faire une nouvelle Constitution et qu'on allait s'affaiblir, je pense qu'il est dans son rôle de chef de l'Etat pour expliquer, sans aucune concession. J'ai trouvé qu'il ne faisait aucune concession, il n'a pas essayé de les emmener là où il aurait pu les emmener pour les faire voter. Non, il a dit la vérité, il a dit : " vous êtes devant vos responsabilités, il y a des problèmes certainement dans votre vie qui sont durs, je les comprends, je les respecte, mais pour voter pour la Constitution ou contre la Constitution, ce n'est pas un problème interne, c'est un problème justement de force dans le monde ". Est-ce que nous sommes capables, par rapport aux Américains, par rapport aux Chinois, par rapport aux Indiens d'exister ? Pas contre, mais avec eux pour défendre nos valeurs, notre modèle social. Parce que le modèle social européen, n'oubliez jamais ça, il est unique dans le monde... On y est habitué, on y est habitué, donc on finit par l'oublier. Le modèle social européen, il faut le défendre, ça ce n'est pas de l'ultralibéralisme.
Q- Vous, vous faites campagne à votre manière, parce que vous avez réuni les ministres de la Santé européens à Paris...
R- Oui.
Q- Et vous voulez faire une Europe de la Santé. C'est vrai qu'en ce moment, c'est un peu chacun dans son coin.
R- Non mais, la santé dépend des Etats, c'est-à-dire les hôpitaux, les soins, l'organisation...
Q- Mais vous, vous voulez mettre les forces en commun ?
R- On a pris deux exemples ...
Q- Le cancer par exemple.
R- Le cancer et le sida. Sur le sida par exemple, il y a aujourd'hui des vaccins de première génération contre le sida, on sait que dans 5, 6 ans c'est possible de l'avoir. On a 20 équipes en Europe qui travaillent sur le vaccin contre le sida, il y a 20 équipes aux Etats Unis. Aux Etats Unis, ils se sont mis tous ensemble sur une équipe...
Q- Et nous, c'est chacun dans son coin ?
R- Et nous, chacun éparpillé, chacun dans son coin, chacun avec un peu d'argent saupoudré. On a dit " il faut que nous aussi nous nous mettions... nous mettions le paquet - pardon du côté vulgaire - sur une équipe ".
Q- Mais le problème c'est un peu les moyens, et les chercheurs français disent " on n'a plus de moyens, on est obligé de partir aux Etats Unis pour travailler ".
R- C'est exactement ça, ce que nous avons dit...
Q- Alors vous allez leur donner de l'argent ?
R- A tous, on met autant d'argent sinon plus d'argent qu'aux Etats-Unis. Mais si nous nous réunissons, nous nous organisons, nous coordonnons grâce au traité constitutionnel, une Europe politique, si nous coordonnons l'Europe, alors non seulement on va arriver avant eux, mais on sera meilleur et on aura un vaccin plus tôt. C'est important pour l'humanité, c'est important aussi pour peser sur la planète. C'est le premier qui aura ce vaccin contre le sida, avouez qu'il aura quand même un rôle important, c'est la même chose pour le cancer.
Q- Ceux qui réclament de l'argent, c'est aussi les urgentistes, ils sont en grève, ils disent que les moyens sont très insuffisants, qu'il y a vraiment des problèmes aux urgences. Qu'est-ce que vous leur proposez aujourd'hui ?
R- Ca c'est un sujet majeur...Il y a de plus en plus de Français qui arrivent directement aux urgences. J'ai fait deux choses...
Q- Il y a même des urgentistes qui ont dit " il y a des gens qui meurent aux urgences, faute de soins aujourd'hui en France ".
R- Oui, ça je crois qu'il a été... enfin d'autres urgentistes ont répondu pour lui. On ne peut pas faire croire aux gens...L'hôpital français est le meilleur du monde, ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'Organisation Mondiale de la Santé.
Q- Quels moyens vous allez leur donner ?
R- Alors premièrement, dès que je suis arrivé, on a fait un plan de 450 millions d'euros - l'année dernière 170, cette année 150. Avec eux.
Q- Ils veulent le double.
R- On fait ça avec eux, et nous sommes en train justement... je crois que c'est sur la bonne voie pour tout vous dire, il y a beaucoup moins de grévistes, comme vous le savez, il y a 30 % de grévistes dans les CHU, et plus que 50 % dans les centres hospitaliers. Mais surtout ce qu'il faut faire, c'est travailler avec les médecins libéraux, il n'y a pas de raison qu'il y ait les urgentistes hospitaliers d'un côté, et les médecins libéraux de l'autre, il faut qu'on travaille ensemble. Et je n'accepterai pas, ça je vous le dis, je n'accepterai pas qu'il y ait un seul km² de ce pays où il n'y ait pas de prise en charge des urgences. Ça c'est ma responsabilité. Toute personne qui doit faire un infarctus du myocarde quelque part en France, doit être pris en charge immédiatement, et par la garde du médecin libéral et également par l'urgentiste hospitalier...
Q- Et vous allez mettre les moyens pour le faire ?
R- Oui on met les moyens, mais aujourd'hui on est sur la bonne voie, et vous verrez que ce conflit va s'arrêter bientôt.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 avril 2005)