Texte intégral
P.-L. Séguillon - Vous étiez hier soir au Mans, au congrès de la FNSEA. Et au congrès de la FNSEA, vous avez dit - puisque vous représentiez les jeunes agriculteurs - dans votre discours : "ce que veulent les jeunes agriculteurs, c'est mieux d'Europe". Est-ce que cela signifie qu'à la différence de leurs anciens, les jeunes agriculteurs seraient plus partisans de la Constitution européenne que les autres ? Vous, personnellement, vous voterez oui ?
B. Layre - Moi, personnellement je voterai oui. Il est vrai que l'on sait jusqu'à présent ce que l'Europe a apporté au monde agricole, aux campagnes rurales et aux jeunes agriculteurs. On sait ce que l'agriculture doit à l'Europe. Il est vrai que les campagnes sont quand même un petit peu surprises de voir le comportement de quelques dirigeants européens. Je ne parle pas uniquement des hommes politiques, mais aussi des commissaires, qui sont en grande partie quand même des fonctionnaires. Et on a aujourd'hui un petit peu de mal à sentir quelle orientation veut donner l'Europe à la Politique agricole commune.
Q - Hier, vous avez eu un défilé extraordinaire au Mans d'hommes politiques : F. Hollande, J.-P. Raffarin, bien sûr, N. Sarkozy, F. Bayrou. Il y a eu aussi le président du groupe communiste, qui, lui, va dire "non", mais les autres disaient "oui". Est-ce qu'ils ont modifié le sentiment des agriculteurs ?
R - Je ne sais pas s'ils ont modifié leur sentiment, en tout état de cause, ils ont emmené un élément qui est majeur dans la réflexion, qui est de l'information. Parce qu'on s'aperçoit aujourd'hui que l'on demande à des personnes de se prononcer sans savoir exactement ce qu'est le sujet. Moi, quand j'en parle avec mes collègues agriculteurs, ils me disent : mais qu'est-ce que la Constitution ? On aimerait avoir un tout petit peu plus d'informations pour savoir s'il faut voter "oui" ou "non". Alors nous on apporte des éléments relativement simples en disant : pour nous, moi qui ai lu un résumé de la Constitution, c'est un cadrage, c'est un socle minimum qui permettra, à mon sens, de construire, d'aller vers un pas de plus vers cette construction européenne, et de reprendre, je pense, les principes du traité de Rome qui étaient avant tout l'indépendance alimentaire de l'Europe sur le plan agricole.
Q - Vous, vous dites, il faut expliquer. Est-ce que vous pensez, vous, qu'il est plus efficace que ce soit le Premier ministre qui explique, comme il l'a fait hier au congrès de la FNSEA ou sur les antennes de TF1, où il vaudrait mieux, étant donné son impopularité, qu'il demeure plus discret ? Vous avez une opinion là-dessus ?
R - Je ne veux pas me prononcer sur les stratégies politiques. Moi je dirai simplement qu'il va falloir, rapidement, peut-être mener des débats citoyens décentralisés ou déconcentrés. Essayer d'avoir des supports visuels relativement simples pour que les gens comprennent.
Q - Mais comment expliquez-vous qu'aux vues des sondages, deux agriculteurs sur trois s'apprêtent à dire "non" à la Constitution européenne, alors que, dans toutes les catégories de la population, c'est eux, semble t-il qui ont le plus bénéficié de l'Union européenne depuis des décennies ?
R - Eh bien moi je dirai que l'Europe était lisible jusqu'à 1992 pour le monde agricole, et depuis 1992, il y a une certaine illisibilité. On ne comprend plus ce que veut l'Europe. Il y avait jusqu'alors, un encadrement avec des prix, ce qu'on appelait des prix garantis, c'est-à-dire qui évitaient aux agriculteurs européens d'être agressés par des pays hors Europe, qui ont des facilités de coûts de production bien inférieures à nous. Donc cela permettait, bien évidemment, de pouvoir se structurer, de pouvoir organiser les marchés et d'essayer d'évoluer dans une certaine sérénité pour pérenniser l'exploitation agricole. Depuis 1992, nous sommes dans une logique de baisse des prix institutionnalisée compensée par des aides, ce qu'on appelle des aides directes, et aujourd'hui ces aides directes vont être découplées de la production.
Q - C'est la nouvelle PAC. Elle ne passe pas la nouvelle PAC ?
R - Elle ne passe pas, parce qu'en définitive, on perd cet attachement à la production et ensuite on a un élément qui rentre en ligne de compte, qui est une obligation de répondre à des normes environnementales. Moi je dirais que les agriculteurs ne sont pas contre...
Q - Elles sont trop contraignantes ?
R - Eh bien elles sont trop contraignantes parce qu'elles ont parfois un sens anti-agronomique. Alors quand vous allez à contre sens du bon sens paysan, cela a de quoi vous irriter un petit peu.
Q - Mais est-ce que cela ne signifie pas que les paysans finalement sont très lucides, peut-être plus que vous ne semblez vouloir l'être - c'est-à-dire qu'ils savent très bien que les aides, elles vont diminuer. En 2013, elles ne seront plus garanties, si je ne me trompe. Donc, vous, vous avez par exemple 32 ans, dans 8 ans, vous aurez 40 ans, vous avez une exploitation agricole de 40 hectares, vous existerez encore dans 8 ans ?
R - Je souhaite exister.
Q - Vous pourrez ?
R - Puisque vous parlez de moi, je vais vous dire simplement qu'en dix ans, je n'ai pas augmenté mon exploitation d'un hectare supplémentaire, mais j'ai essayé de correspondre à ce que mes aînés, à ce que mes parents et mes grands-parents ont essayé de construire pendant plusieurs générations, c'est-à-dire : créer de la valeur ajoutée, créer du produit sur une même surface. En dix ans, je n'ai pas augmenté ma surface d'exploitation d'un hectare et j'ai doublé mon revenu.
Q - Mais est-ce que vous n'avez pas toutes chances d'être, je reprends l'expression de P. de Villiers, bientôt "des jardiniers sovkhoziens producteurs de formulaires et planteurs de primes". Ce n'est ça votre avenir ?
R - Moi je dirai, aujourd'hui, on a une corde de plus à notre arc en matière de multi fonctionnalités de l'agriculture, c'est-à-dire que l'on va devenir, peut-être, en partie des secrétaires, à notre grand regret. Il est vrai qu'il y a une bureaucratie qui s'est installée et qui, malheureusement, complexifie un peu le système. Nous ce que l'on souhaite, c'est avoir un allègement administratif, mais aussi en agriculture, pour pouvoir être là demain, on veut créer de la valeur ajoutée, on veut conserver cette valeur ajoutée, mais l'élément majeur, c'est qu'on aimerait que les pouvoirs publics tiennent leurs promesses en matière de baisse des charges en agriculture.
Q - Est-ce que les annonces qu'à faites hier soir le Premier ministre au congrès de la FNSEA, dans la loi d'orientation qui devrait venir bientôt, la transformation de l'exploitation agricole en un fonds de commerce, c'est-à-dire en distinguant le patrimoine personnel et l'outil professionnel, ça c'est une bonne chose, vous applaudissez ?
R - Oui, je pense que c'est une bonne chose, parce que cela permettrait, si les modalités suivent, d'éviter qu'il y ait malheureusement une surévaluation du patrimoine économique ou du capital économique de l'entreprise agricole. Parce que l'on voit aujourd'hui sur le terrain un surenchérissement des exploitations qui est déconnecté de la valeur économique et de la rentabilité des capitaux. Donc ça c'est un point qui est positif.
Q - Et les congés pour les éleveurs... cela vous fait rire. Il y a des mesures fiscales qui vont permettre à ceux qui prendront...
R - Ce qui me fait rire, c'est la façon dont cela a été repris, c'est-à-dire ce ne sont pas des congés. Aujourd'hui, il existe, depuis plusieurs années en France, ce qu'on appelle le service de remplacement en agriculture, qui est un service qui est payant pour l'agriculteur et qui permet à l'agriculteur d'être remplacé soit par des collègues à lui, par des agriculteurs, soit par des salariés qui connaissent bien le métier et donc qui nous permet d'avoir une vie de famille convenable, de pouvoir effectivement prendre des congés. Ou même un service de remplacement qui permet de le remplacer lorsqu'il a des problèmes de maladie, lorsqu'il a des problèmes accidentels.
Q - Alors d'une manière générale, vous, vous êtes plutôt optimiste ou pessimiste sur les chances du oui de l'emporter dans deux mois ?
R - Moi je dirai que je suis plutôt optimiste, parce que les agriculteurs ne sont pas idiots, et lorsqu'on leur explique concrètement ce qu'est la Constitution, je pense qu'ils comprendront facilement qu'on se doit d'aller encore un petit peu plus, vers plus d'Europe.
Q - Au vu des sondages, vous avez du plain sur la planche !
R - Oh mais vous savez on évolue assez rapidement !
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 29 mars 2005)
B. Layre - Moi, personnellement je voterai oui. Il est vrai que l'on sait jusqu'à présent ce que l'Europe a apporté au monde agricole, aux campagnes rurales et aux jeunes agriculteurs. On sait ce que l'agriculture doit à l'Europe. Il est vrai que les campagnes sont quand même un petit peu surprises de voir le comportement de quelques dirigeants européens. Je ne parle pas uniquement des hommes politiques, mais aussi des commissaires, qui sont en grande partie quand même des fonctionnaires. Et on a aujourd'hui un petit peu de mal à sentir quelle orientation veut donner l'Europe à la Politique agricole commune.
Q - Hier, vous avez eu un défilé extraordinaire au Mans d'hommes politiques : F. Hollande, J.-P. Raffarin, bien sûr, N. Sarkozy, F. Bayrou. Il y a eu aussi le président du groupe communiste, qui, lui, va dire "non", mais les autres disaient "oui". Est-ce qu'ils ont modifié le sentiment des agriculteurs ?
R - Je ne sais pas s'ils ont modifié leur sentiment, en tout état de cause, ils ont emmené un élément qui est majeur dans la réflexion, qui est de l'information. Parce qu'on s'aperçoit aujourd'hui que l'on demande à des personnes de se prononcer sans savoir exactement ce qu'est le sujet. Moi, quand j'en parle avec mes collègues agriculteurs, ils me disent : mais qu'est-ce que la Constitution ? On aimerait avoir un tout petit peu plus d'informations pour savoir s'il faut voter "oui" ou "non". Alors nous on apporte des éléments relativement simples en disant : pour nous, moi qui ai lu un résumé de la Constitution, c'est un cadrage, c'est un socle minimum qui permettra, à mon sens, de construire, d'aller vers un pas de plus vers cette construction européenne, et de reprendre, je pense, les principes du traité de Rome qui étaient avant tout l'indépendance alimentaire de l'Europe sur le plan agricole.
Q - Vous, vous dites, il faut expliquer. Est-ce que vous pensez, vous, qu'il est plus efficace que ce soit le Premier ministre qui explique, comme il l'a fait hier au congrès de la FNSEA ou sur les antennes de TF1, où il vaudrait mieux, étant donné son impopularité, qu'il demeure plus discret ? Vous avez une opinion là-dessus ?
R - Je ne veux pas me prononcer sur les stratégies politiques. Moi je dirai simplement qu'il va falloir, rapidement, peut-être mener des débats citoyens décentralisés ou déconcentrés. Essayer d'avoir des supports visuels relativement simples pour que les gens comprennent.
Q - Mais comment expliquez-vous qu'aux vues des sondages, deux agriculteurs sur trois s'apprêtent à dire "non" à la Constitution européenne, alors que, dans toutes les catégories de la population, c'est eux, semble t-il qui ont le plus bénéficié de l'Union européenne depuis des décennies ?
R - Eh bien moi je dirai que l'Europe était lisible jusqu'à 1992 pour le monde agricole, et depuis 1992, il y a une certaine illisibilité. On ne comprend plus ce que veut l'Europe. Il y avait jusqu'alors, un encadrement avec des prix, ce qu'on appelait des prix garantis, c'est-à-dire qui évitaient aux agriculteurs européens d'être agressés par des pays hors Europe, qui ont des facilités de coûts de production bien inférieures à nous. Donc cela permettait, bien évidemment, de pouvoir se structurer, de pouvoir organiser les marchés et d'essayer d'évoluer dans une certaine sérénité pour pérenniser l'exploitation agricole. Depuis 1992, nous sommes dans une logique de baisse des prix institutionnalisée compensée par des aides, ce qu'on appelle des aides directes, et aujourd'hui ces aides directes vont être découplées de la production.
Q - C'est la nouvelle PAC. Elle ne passe pas la nouvelle PAC ?
R - Elle ne passe pas, parce qu'en définitive, on perd cet attachement à la production et ensuite on a un élément qui rentre en ligne de compte, qui est une obligation de répondre à des normes environnementales. Moi je dirais que les agriculteurs ne sont pas contre...
Q - Elles sont trop contraignantes ?
R - Eh bien elles sont trop contraignantes parce qu'elles ont parfois un sens anti-agronomique. Alors quand vous allez à contre sens du bon sens paysan, cela a de quoi vous irriter un petit peu.
Q - Mais est-ce que cela ne signifie pas que les paysans finalement sont très lucides, peut-être plus que vous ne semblez vouloir l'être - c'est-à-dire qu'ils savent très bien que les aides, elles vont diminuer. En 2013, elles ne seront plus garanties, si je ne me trompe. Donc, vous, vous avez par exemple 32 ans, dans 8 ans, vous aurez 40 ans, vous avez une exploitation agricole de 40 hectares, vous existerez encore dans 8 ans ?
R - Je souhaite exister.
Q - Vous pourrez ?
R - Puisque vous parlez de moi, je vais vous dire simplement qu'en dix ans, je n'ai pas augmenté mon exploitation d'un hectare supplémentaire, mais j'ai essayé de correspondre à ce que mes aînés, à ce que mes parents et mes grands-parents ont essayé de construire pendant plusieurs générations, c'est-à-dire : créer de la valeur ajoutée, créer du produit sur une même surface. En dix ans, je n'ai pas augmenté ma surface d'exploitation d'un hectare et j'ai doublé mon revenu.
Q - Mais est-ce que vous n'avez pas toutes chances d'être, je reprends l'expression de P. de Villiers, bientôt "des jardiniers sovkhoziens producteurs de formulaires et planteurs de primes". Ce n'est ça votre avenir ?
R - Moi je dirai, aujourd'hui, on a une corde de plus à notre arc en matière de multi fonctionnalités de l'agriculture, c'est-à-dire que l'on va devenir, peut-être, en partie des secrétaires, à notre grand regret. Il est vrai qu'il y a une bureaucratie qui s'est installée et qui, malheureusement, complexifie un peu le système. Nous ce que l'on souhaite, c'est avoir un allègement administratif, mais aussi en agriculture, pour pouvoir être là demain, on veut créer de la valeur ajoutée, on veut conserver cette valeur ajoutée, mais l'élément majeur, c'est qu'on aimerait que les pouvoirs publics tiennent leurs promesses en matière de baisse des charges en agriculture.
Q - Est-ce que les annonces qu'à faites hier soir le Premier ministre au congrès de la FNSEA, dans la loi d'orientation qui devrait venir bientôt, la transformation de l'exploitation agricole en un fonds de commerce, c'est-à-dire en distinguant le patrimoine personnel et l'outil professionnel, ça c'est une bonne chose, vous applaudissez ?
R - Oui, je pense que c'est une bonne chose, parce que cela permettrait, si les modalités suivent, d'éviter qu'il y ait malheureusement une surévaluation du patrimoine économique ou du capital économique de l'entreprise agricole. Parce que l'on voit aujourd'hui sur le terrain un surenchérissement des exploitations qui est déconnecté de la valeur économique et de la rentabilité des capitaux. Donc ça c'est un point qui est positif.
Q - Et les congés pour les éleveurs... cela vous fait rire. Il y a des mesures fiscales qui vont permettre à ceux qui prendront...
R - Ce qui me fait rire, c'est la façon dont cela a été repris, c'est-à-dire ce ne sont pas des congés. Aujourd'hui, il existe, depuis plusieurs années en France, ce qu'on appelle le service de remplacement en agriculture, qui est un service qui est payant pour l'agriculteur et qui permet à l'agriculteur d'être remplacé soit par des collègues à lui, par des agriculteurs, soit par des salariés qui connaissent bien le métier et donc qui nous permet d'avoir une vie de famille convenable, de pouvoir effectivement prendre des congés. Ou même un service de remplacement qui permet de le remplacer lorsqu'il a des problèmes de maladie, lorsqu'il a des problèmes accidentels.
Q - Alors d'une manière générale, vous, vous êtes plutôt optimiste ou pessimiste sur les chances du oui de l'emporter dans deux mois ?
R - Moi je dirai que je suis plutôt optimiste, parce que les agriculteurs ne sont pas idiots, et lorsqu'on leur explique concrètement ce qu'est la Constitution, je pense qu'ils comprendront facilement qu'on se doit d'aller encore un petit peu plus, vers plus d'Europe.
Q - Au vu des sondages, vous avez du plain sur la planche !
R - Oh mais vous savez on évolue assez rapidement !
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 29 mars 2005)