Déclaration de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur l'aide internationale au développement, Washington le 17 avril 2005.

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Circonstance : 71ème Comité du développement à Washington le 17 avril 2005

Texte intégral

Ce 71ème Comite du développement est marqué à la fois par une grande continuité et un sentiment d'urgence. Tous les points de l'ordre du jour ont déjà été évoqués à un moment ou à un autre devant cette formation. La seconde édition du Global Monitoring Report dresse un constat proche de sa version 2004, les questions relatives au financement du développement nous occupent depuis de nombreux mois déjà. Il serait facile de céder au cynisme dans ce contexte, les progrès tardent manifestement à se concrétiser.
Cette intervention est cependant ma première devant le Comité de développement, je suis donc à l'abri de la monotonie. Je veux au contraire adopter un point de vue optimiste ; plusieurs des sujets que nous évoquons aujourd'hui sont désormais à maturité. Aussi devons-nous saisir cette occasion car il s'agit de la dernière avant le sommet de septembre 2005 où toute la communauté internationale demandera ce que nous avons fait concrètement.
Nous devons aussi saisir cette occasion car les options qui nous sont présentées sont de bonnes solutions. Qu'il s'agisse des orientations en cinq points du Global Monitoring Report ou des financements innovants du développement, l'objectif n'est pas de bouleverser le consensus de l'aide publique au développement mais de consolider notre vision commune du développement fondée sur le partenariat de Monterrey et de faire preuve d'imagination et d'ambition.
La première raison de mon optimisme est paradoxalement le Global Monitoring Report. Le premier objectif du millénaire, sans doute le plus important, devrait être atteint. Ce succès sera déséquilibré, l'Asie compensant l'échec de l'Afrique, mais il démontre qu'il n'y a pas de fatalité à la stagnation. La croissance de la Chine, de l'Inde, du Vietnam, etc. prouvent que des réformes légitimes aux yeux des pays pauvres peuvent réussir et que les flux financiers privés et publics sont un catalyseur déterminant de ce succès.
La deuxième raison de mon optimisme est que nous savons comment reproduire ce résultat. Les cinq orientations que nous offre la Banque mondiale rejoignent d'ailleurs largement celles du rapport Sachs et du Secrétaire Général des Nations Unies. La conception d'un plan pour la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement qui complète les contrats stratégiques de lutte contre la pauvreté est nécessaire. De même, l'amélioration de la gouvernance, du climat de l'investissement, des services sociaux sont des orientations connues. Enfin, nous progressons en termes d'amélioration de la qualité de l'aide. La déclaration de Paris, qui a couronné le second forum à haut niveau sur l'harmonisation, a donné à la communauté internationale une feuille de route ambitieuse dans ce domaine.
La troisième raison vient de la conjonction des échéances. Le sommet de septembre aux Nations Unies sera une étape importante sur le chemin des objectifs du millénaire. La Conférence de l'OMC à Hong Kong en décembre 2005 sera décisive pour la conclusion d'un cycle qui, je l'espère, sera celui du développement.
La France partage la priorité accordée par la Banque Mondiale à la conclusion rapide du Cycle de Doha. Nous devons placer les préoccupations des pays les plus pauvres, notamment d'Afrique, au premier rang des objectifs de ce cycle. La Banque en a justement fait l'une de ses cinq priorités sur le chemin des objectifs du millénaire. La France travaille en ce sens pour assurer le succès de la conférence de l'OMC à Hong Kong, en décembre, et la conclusion de la négociation en 2006 sur des bases larges et équilibrées.
La libéralisation commerciale mise en uvre dans le cadre du cycle de Doha n'est cependant pas une panacée pour les pays les plus pauvres. La Banque Mondiale reconnaît d'ailleurs qu'elle risque d'avoir des effets très limités, voire négatifs, sur de nombreux pays à bas revenus, notamment en Afrique sub-saharienne. Nous avons attiré l'attention de la communauté internationale sur ce point dès 2003 en proposant une initiative commerciale pour l'Afrique subsaharienne. Il est en effet crucial de réfléchir, parallèlement au cycle de Doha, à des solutions spécifiques pour aider les pays les plus pauvres à tirer profit des échanges commerciaux. J'évoquerai trois des pistes que nous privilégions au niveau français.
Premièrement, les pays développés doivent s'engager à améliorer les systèmes de préférences tarifaires qu'ils accordent aux pays les plus pauvres. L'Union européenne offre déjà, dans le cadre de l'initiative "Tout sauf les armes", un accès sans quotas ni droit de douanes à toutes les exportations des Pays les Moins Avancés. Ce régime pourrait utilement être repris par tous les pays développés. Par ailleurs, les pays développés doivent s'engager à simplifier leurs règles d'origine préférentielles car leur complexité explique très largement que les préférences tarifaires soient inégalement utilisées.
Deuxièmement, il convient d'encourager le développement du commerce Sud/Sud, en incitant les pays émergents à ouvrir leurs marchés aux produits africains. Les pays développés sont actuellement les seuls à offrir un réel accès préférentiel aux produits des Pays les Moins Avancés, alors même que les marchés de certains pays émergents pourraient constituer des débouchés importants. L'intégration régionale en Afrique participe également au développement du commerce Sud / Sud. Pour cette raison, la mise en place des Accords de partenariat économique entre l'Union européenne et les zones régionales africaines sera un puissant outil de développement.
Enfin, la France est favorable au renforcement de l'"Aid for trade" pour aider les pays en développement à tirer réellement profit de la libéralisation commerciale. Il faut néanmoins garder à l'esprit que le renforcement des capacités ne suffit pas à écarter les risques que fait peser la libéralisation sur certains pays en développement, notamment ceux qui bénéficient de préférences tarifaires ou sont structurellement importateurs de produits agricoles. Pour eux, il nous faut réfléchir à des mesures d'aide permettant d'atténuer les coûts transitoires à la libéralisation commerciale.
La cinquième recommandation de la Banque mondiale pour atteindre les objectifs du millénaire porte sur le volet du partenariat de Monterrey qui incombe plus particulièrement aux pays développés. Le doublement de l'aide publique au développement doit répondre aux efforts de réforme des pays en développement qui ont réussi à augmenter significativement leur capacité d'absorption.
Je crois que dans ce point de l'agenda pour le développement, il nous faut mieux distinguer les priorités sous peine de n'en atteindre aucune. Comme la Banque mondiale le souligne dans un autre rapport, les annulations de dette doivent aussi être mobilisées et permettre de rétablir la soutenabilité de la dette. Pour atteindre cet objectif, les annulations peuvent aller jusqu'à 100 % si la situation le justifie. La France propose donc de mettre en place un dispositif qui permette d'annuler 100 % du service de la dette insoutenable des pays à l'égard des Banques multilatérales. Mais, même dans cette hypothèse, il faut davantage de ressources pour réaliser les objectifs du millénaire.
La tendance actuelle est encourageante ; de 1999 à 2004, l'aide publique au développement a progressé de 20 milliards d'euros, mais reste très en deçà des besoins identifiés. Je me félicite par exemple que l'AID apporte 8,3 milliards de dollars aux pays les plus pauvres en 2006, grâce notamment à l'effort de la France qui a augmenté sa contribution à l'AID de 41 %. Mais la Banque mondiale estime les besoins additionnels à 50 Mds $ par an et le rapport Sachs à 70 Mds $. Par ailleurs, le Global Monitoring Report relève que cette augmentation a pris des formes peu satisfaisantes, puisqu'il s'agit de coopération humanitaire ou d'assistance technique alors que les pays en développement expriment un besoin pour des ressources fraîches et disponibles.
Dans ce contexte, je me félicite que la Banque mondiale confirme la faisabilité de la mise en uvre rapide des financements innovants pour le développement. Ils apportent des flux d'aide stables, prévisibles et réellement disponibles pour les pays pauvres.
Le travail de la Banque mondiale et du FMI sur les financements innovants est sans équivoque. J'en retiens plus particulièrement deux points. D'une part ces outils répondent aux besoins exprimés par les pays pauvres pour des ressources stables, prévisibles et additionnelles, un besoin également mis en exergue par le Global Monitoring Report. D'autre part, les institutions de Bretton Woods soulignent que l'IFF comme les prélèvements internationaux de solidarité ne sont pas des dispositifs théoriques mais des solutions pragmatiques et réalisables.
La France a décidé d'aller de l'avant sur ces options en proposant la création à titre expérimental d'un prélèvement pour financer la lutte contre le SIDA.
Il nous faut donc poursuivre les travaux techniques d'ici à septembre 2005 afin de présenter des dispositifs opérationnels. Pour les taxes, il est temps maintenant de concentrer nos efforts sur celles qui semblent les plus prometteuses. Le Brésil, le Chili, l'Espagne et la France en ont évoqué plusieurs en septembre dernier dans le cadre du groupe quadripartite. A la lumière de l'analyse de la Banque mondiale et du FMI, nous pouvons isoler dans l'immédiat les taxes assises sur le transport aérien, le transport maritime, les biens publics mondiaux et les armes. Les modalités techniques de leur mise en uvre, notamment à un niveau régional, doivent être examinées avec soin.
Une participation universelle n'est en effet pas indispensable même si elle serait dans l'intérêt du développement notamment en termes financiers. Ce devrait être notre but ultime, mais à court terme des progrès peuvent être accomplis grâce à un groupe plus restreint de pays. C'est pourquoi l'Allemagne et la France ont proposé la création d'une contribution internationale de solidarité assise sur le transport aérien.
La taxation du transport aérien est rationnelle d'un point de vue économique, comme le souligne le rapport de la Banque mondiale. De fait, le niveau de taxation de ce secteur est plus réduit que pour d'autres modes de transport, puisque le kérosène est exempté de taxation. Les avions jouent un rôle important dans le réchauffement climatique ; ils ne sont pourtant pas inclus dans le protocole de Kyoto. Plusieurs options apparaissent faisables techniquement. La taxation du kérosène aurait un fort impact positif sur l'environnement. Quant à la taxation des billets d'avion, elle peut être mise en place très aisément ; elle ne se heurte à aucun obstacle juridique comme la Banque mondiale le souligne justement.
Ce dispositif n'est certes pas une panacée pour les pays en développement ou pour les pays riches. Il a cependant le mérite d'être techniquement faisable. Que les Etats qui veulent donner une chance aux pays pauvres d'atteindre les objectifs du millénaire nous rejoignent dans cette entreprise.
Quant à l'utilisation des ressources mobilisées, je partage l'analyse de la Banque mondiale sur l'importance de stratégies de développement globales et cohérentes. Notre objectif n'est pas de multiplier les initiatives disparates, de mettre à bas des outils comme les Contrats Stratégiques de Réduction de la Pauvreté qui ont fait la preuve de leur efficacité. Les programmes qu'un pilote de taxe ou d'IFF doivent financer peuvent s'articuler avec ces stratégies préparées par les pays. Leur généralisation pourrait aussi permettre d'apporter de nouvelles ressources à des bailleurs transversaux comme la Banque mondiale.
En créant ces instruments, nous ne fragilisons pas l'approche partenariale de Monterrey fondée notamment sur les stratégies de lutte contre la pauvreté définies par les pays. Au contraire, nous essayons de leur donner les moyens d'exister.
C'est ce même objectif d'appropriation qui a poussé la France avec d'autres Européens à soutenir l'amélioration de la représentation des pays pauvres dans les institutions financières internationales. Cinq Etats européens contribuent par exemple au renforcement des capacités des administrateurs africains à la Banque mondiale.
Ces quelques innovations sont très insuffisantes. C'est pourquoi, je regrette la disparition de ce point de notre ordre du jour. Des réponses plus structurelles doivent être apportées à ces questions de représentation. La légitimité de l'action des institutions financières internationales dans les pays pauvres en dépend. Je souhaite que nous reprenions ces discussions lors des Assemblées annuelles 2005 et que nous réussissions à combiner les différentes options pour mettre en uvre une réforme plus que symbolique.
Mon optimisme ne peut être que mesuré face à un défi comme celui du développement ; la tâche à accomplir est colossale et les attentes très élevées. Personne n'est mieux placé que le Président de la Banque mondiale pour comprendre l'ampleur de cette tâche. Je félicite d'ailleurs M. Wolfowitz pour son élection et je voudrais lui faire part de ma confiance en sa capacité à poursuivre l'uvre remarquable accomplie par Jim Wolfensohn à la tête de cette formidable institution.
(Source http://www.banquemondiale.org, le 21 avril 2005)