Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le député,
Je vous répondrai sans polémique de politique intérieure et sans relance de controverse au plan extérieur, en m'efforçant d'éclairer, à votre demande, les deux dimensions de votre interpellation : celle de l'élaboration de notre politique extérieure dans la cohabitation et celle de la politique de la France au Proche-Orient.
En ce qui concerne la politique étrangère de la France et la cohabitation, si nous regardons les choses depuis le début, le moins que l'on puisse dire c'est qu'il y a peu de problèmes. Le Président de la République a un rôle éminent, il le tient de certaines prérogatives constitutionnelles, et cela résulte aussi de la tradition de la Vème République. D'ailleurs, jamais le Gouvernement ou le Premier ministre, au cours de ces 1000 jours qui viennent de s'écouler, n'a fait en politique extérieure la moindre critique à l'égard du Président de la République.
Le Gouvernement, ainsi que le dit l'article 20 de la Constitution, "détermine et conduit la politique de la nation" et la politique de la nation ne se réduit pas à la politique intérieure mais englobe la politique extérieure. Nous agissons, nous participons à cette élaboration, et le ministre des Affaires étrangères, H. Védrine, porte en particulier cette politique.
D'ailleurs, les dialogues entre nous, c'est-à-dire entre vous, le législatif, et nous, l'exécutif, sont constants à cet égard. Vos auditions des ministres des Affaires étrangères ou de la Défense, les débats que nous avons eus ici sur les questions aussi difficiles que celle du Kosovo, la façon dont vous nous interpellez dans les questions d'actualité montrent que nous prenons à l'évidence notre part de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la politique étrangère de la France.
Si vous prenez, et je vous invite à faire cet exercice, la chronique des deux cohabitations précédentes, et particulièrement de celle de 1986-1988, vous vous rendrez compte qu'il n'en était pas de même, et qu'ont été multipliées les mises en cause par le Premier ministre de l'époque du Président de la République et des positions qu'il adoptait. Je vous rappelle notamment, la contestation publique concernant ce qu'on a appelé "le missile mobile" et "la guerre des étoiles" où le Président avait fixé une position et où celle-ci a été contestée publiquement par le Premier ministre de l'époque. Je me réjouis d'ailleurs de constater qu'alors que les Etats-Unis s'efforcent de relancer aujourd'hui cette politique, dont nous pensions déjà, en tout cas le Président de la République à l'époque, qu'elle risquait de déstabiliser la dissuasion, le Président de la République d'aujourd'hui et le Gouvernement ont la même approche critique de cette relance.
Alors, je suis convaincu que cette façon de fonctionner, sans écarts, sans éclats, et sans troubles se produira jusqu'au terme de cette législature ou à toute autre échéance et en particulier pendant la présidence française.
Reste le fond de la politique au Proche-Orient. Et là, la question n'est peut-être pas tellement celle que vous posez, celle de l'équilibre de la politique de la France au Proche-Orient. La politique française au Proche-Orient doit être équilibrée. Elle est fondée sur l'amitié historique avec Israël et le souci de sa sécurité. Elle est fondée sur l'amitié avec de nombreux pays arabes, notamment au Maghreb et au Proche-Orient. Je ne pense pas qu'il faille confondre cette politique avec une politique arabe globale, comme l'a dit justement récemment le ministre des Affaires étrangères. Elle repose sur le soutien aux aspirations légitimes du peuple palestinien à partir du moment où ses dirigeants ont choisi la stratégie de la paix. Elle est attachée au respect de l'indépendance et de l'intégrité du Liban, aujourd'hui et demain.
Equilibre ? Oui. Impartialité ? Sans doute. Mais, autour de quelles valeurs, autours de quels objectifs, pour quelle dynamique ? Voilà la question qu'il faut aussi se poser. Nous répondons à cela, et je pense que cela devrait être effectivement la politique de notre pays, et je ne doute pas qu'elle le soit. Cette politique et ces objectifs doivent nous rassembler autour de trois grands mots, de trois grandes valeurs, de trois grands objectifs : la paix, la démocratie et le développement. La paix et la sécurité contre la violence ; la démocratie ou le pluralisme contre la haine de l'autre et l'intolérance ; le développement contre les tendances autodestructrices qui existent dans cette région du monde.
C'est à la lumière de ces objectifs et de ces valeurs que nous devons agir, même si nous devons agir avec impartialité parce qu'il arrive que ces valeurs et ces objectifs doivent être respectés par tous. Il existe aussi, c'est vrai, des ferments de violence et de haine en Israël, où un Premier ministre a été assassiné par un fanatique. Donc nous pouvons être équilibrés, nous pouvons être impartiaux, mais nous devons dire aussi quels sont les objectifs : c'est la paix, c'est la démocratie, et c'est le développement.
Etre impartial ne conduit pas à être aveugle à des actes dangereux pour le processus de paix. Nous devons faire preuve d'équilibre, mais nous devons être sans indulgence pour ceux qui utilisent la violence. Car cela ne renforce pas la position de la France que d'être faible par rapport à la violence ou au fanatisme.
Puisque vous avez - et peut-être auriez-vous pu l'éviter dans un propos qui était différent -, pensé que la France avait été humiliée à cause des scènes que vous avez vues à Bir Zeit, je peux vous dire que la France n'a pas été humiliée, non seulement parce que je me suis comporté de façon digne face à la violence, mais ensuite, parce que supposer que la France soit humiliée, est supposer qu'avaient raison ceux qui à Bir Zeit, à différence avec les étudiants et les professeurs qui venaient de dialoguer avec moi, m'ont effectivement caillassé. Je ne pense pas que ce soit votre approche.
Ne soyez pas silencieux devant la violence, quelle qu'elle soit, car la violence est le pire ennemi de la paix !
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 1er mars 2000)