Déclaration, conférence de presse de M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie, et entretien avec France-Info le 9 mars 2005 à Londres, sur le financement de la lutte contre le sida.

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Circonstance : Réunion à haut niveau consacrée à la lutte contre le sida, à Londres le 9 mars 2005

Média : France Info

Texte intégral

(Déclaration de Xavier Darcos, à Londres le 9 mars 2005)
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur l'Ambassadeur,
Je suis très heureux et très honoré de m'adresser à vous aujourd'hui. Je voudrais remercier les autorités britanniques et, en particulier mon collègue et ami, M. Hilary Benn, d'avoir permis la tenue de cette réunion et saluer ses organisateurs, M. l'Ambassadeur Randall Tobias et M. Peter Piot, directeur exécutif d'ONUSIDA.
Notre rencontre cet après midi est le point de départ d'un processus qui, tout au long de cette "Année du développement", comporte une série de rendez-vous très importants pour donner une nouvelle impulsion à la lutte mondiale contre le sida d'ici 2007.
Le premier aura lieu dans quelques jours à Stockholm, étape initiale du processus de reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Cette étape sera suivie en septembre, ici même à Londres, d'un second rendez-vous crucial, de niveau ministériel, pour concrétiser l'engagement pris par la communauté internationale d'annonces de contributions au Fonds mondial pour les années 2006-2007.
Souvenons-nous que l'Assemblée générale des Nations unies, en juin 2001, a appelé à la création d'un Fonds mondial pour changer d'échelle dans la lutte contre les trois maladies les plus meurtrières et dans la mobilisation des ressources consacrées à ces maladies. Cet appel avait déjà été lancé par les chefs d'Etat et de gouvernements africains lors du Sommet d'Abuja, puis a été repris par les chefs d'Etat et de gouvernement du G8 lors du Sommet de Gênes.
L'année 2005 sera donc décisive pour assurer la pérennisation du Fonds mondial et au-delà pour changer d'échelle dans la lutte contre le sida.
Comment mieux travailler ensemble à l'échelle mondiale ? Comment faire en sorte que nos actions entrent en synergie ? Telles sont les questions, essentielles, que nous allons aborder.
Il ne s'agit pas simplement d'aligner des montants de ressources mais il s'agit aussi de s'assurer que l'argent que nous consacrons à la lutte contre le sida soit utilisé de manière efficace : "make the money work". C'est un impératif, c'est une exigence, pour le monde entier confronté à une pandémie sans précédent, pour chacune des personnes touchées par la maladie qui est en droit d'attendre que les traitements existants lui permettent d'assurer sa survie. La progression de la maladie qui cause la mort de 8.000 personnes chaque jour est le triste témoignage de l'inégalité fondamentale dans l'accès aux traitements et aux soins à travers le monde.
Bien évidemment, lutter efficacement contre le sida suppose que les ressources financières soient disponibles et à la hauteur du défi. Il faut aussi que l'on puisse estimer, de la façon la plus précise possible, à partir des données réelles des pays, l'ampleur des besoins à l'échelle globale pour que chaque pays, quel que soit son niveau de développement, puisse ajuster ses efforts en conséquence. Il s'agit d'un point essentiel que nous examinerons au cours de cette rencontre, en souhaitant vivement que nous puissions nous accorder sur un cadre financier ambitieux qui permette d'accélérer la réponse à l'extension dramatique de l'épidémie.
En 2004, la lutte contre le sida a mobilisé 6 milliards de dollars, dont 4 provenant de l'aide internationale. Il s'agit d'une progression remarquable puisque ces montants ont triplé en moins de quatre ans, grâce à la fois à la mobilisation des pays affectés et à celle des pays et institutions donateurs.
Sous la conduite d'ONUSIDA, un travail de réévaluation des besoins à court et moyen terme a été effectué de manière rigoureuse, en partant de la réalité de la situation des pays, et de leurs capacités à changer d'échelle dans l'accès à l'information, la prévention, le dépistage, le traitement puis la prise en charge de la maladie.
Ces travaux nous conduisent à appeler que soient mobilisés au moins 8 milliards de dollars dans les trois prochaines années pour combler les déficits importants qui perdurent.
Ceci signifie que soit mobilisé 1,3 milliard de dollars additionnels en 2005, 2,3 en 2006 et 4,6 en 2007.
Ces sommes doivent venir en plus des contributions existantes et annoncées des donateurs et impliquent que les engagements déjà formulés soient respectés. Cela suppose également que la reconstitution du fonds en 2005 soit un succès. Ceci permettrait que 71 % des objectifs en matière de prévention soient atteints et que près de 6 millions de personnes bénéficient d'un traitement.
A l'issue de cette conférence, un groupe de travail sera convoqué pour affiner l'évolution des besoins en ressources au-delà de 2007 qui permettraient de couvrir l'ensemble des besoins.
C'est là un défi considérable. Il implique d'abord que les principaux donateurs bilatéraux et multilatéraux maintiennent la croissance des financements qu'ils consacrent à la lutte contre le sida, en particulier via le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Il implique ensuite que soient identifiées de nouvelles sources de financement permettant d'assurer un nouveau changement d'échelle et la pérennité de ces ressources. C'est dans cet esprit et pour cet objectif que le président Jacques Chirac a proposé à Davos d'ouvrir le débat sur la possibilité d'affecter à la lutte contre le sida le produit d'un prélèvement de solidarité internationale.
Tels sont, Mesdames et Messieurs, les principaux points qu'il m'appartenait de rappeler aujourd'hui
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2005)
(Conférence de presse de Xavier Darcos, à Londres le 9 mars 2005)
D'abord je voudrais dire, comme vient de le rappeler mon homologue britannique, Hilary Benn, qu'il faut en effet plus d'argent, plus de moyens et aussi que nous soyons certains que ces moyens seront tous utilisés efficacement.
Nous sommes à la croisée des chemins. C'est le bon moment pour prendre des décisions importantes puisque la semaine prochaine se tiendra à Stockholm une conférence de reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et en septembre, ici même à Londres, nous aurons une réunion pour prendre des décisions énergiques en termes de financement pour la lutte contre le sida.
Indépendamment de ces rencontres, de ces événements autour de la lutte contre le sida, nous savons que l'année 2005 est essentielle pour la réflexion que la communauté internationale va conduire sur l'aide au développement en général et sur la lutte contre les conséquences de la pauvreté en particulier.
Nous voyons que toute l'année 2005 va être ponctuée par des rencontres, des forums, des débats qui seront tous orientés vers la session des Nations unies de septembre prochain sur l'atteinte des Objectifs du Millénaire, l'examen de notre capacité à remplir les promesses qui avaient été faites en 2000 pour diminuer de moitié la pauvreté dans le monde.
Et cette semaine encore, cher Hilary, je crois que le rapport de la Commission Blair pour l'Afrique va paraître et que, lorsque la Grande-Bretagne présidera à la fois le G8 et la conférence des ministres de l'Union européenne, elle souhaite mettre ces questions à l'ordre du jour du Sommet du G8 à Gleneagles, donc tout le monde aura le regard tourné vers ces sujets.
J'en reviens maintenant à la question du financement de la lutte contre le sida, car évidemment un des aspects les plus importants est le niveau d'aide internationale que nous pouvons lever pour lutter contre le sida. Il faut avoir en tête trois chiffres, approximatifs, mais qui sont quand même des grandes masses.
Si nous nous en tenons à la situation actuelle, c'est-à-dire aux contributions telles qu'elles sont aujourd'hui levées par les divers financeurs, par les fonds mondiaux et par les interventions de divers pays, nous devrions être, en 2007, aux environs de 10 milliards de dollars.
Or, si nous regardons - deuxième chiffre - ce qui nous paraît être, d'après les spécialistes, les besoins réels pour lutter de manière efficace contre le VIH/sida, ce n'est pas 10 milliards de dollars qu'il faudrait en 2007, mais 20 milliards de dollars.
Et ce que nous essayons de proposer, parce que nous ne sommes pas complètement utopistes, c'est une voie intermédiaire, qui serait au moins de pouvoir lever environ 15 milliards de dollars pour l'horizon 2007.
Mais, même pour atteindre ce chiffre intermédiaire qui est encourageant mais qui, au fond, ne serait pas suffisant, l'aide publique au développement aujourd'hui ne peut pas suffire à elle seule.
Voilà pourquoi la France soutient l'idée qu'il faut trouver de nouvelles sources de financement qui soient adaptées à des besoins élevés, durables et pérennes pour des questions essentielles. Celle du sida en est une, et voilà pourquoi la France souhaiterait que, de même que la Grande-Bretagne propose d'utiliser la proposition de Gordon Brown de Facilité financière internationale (IFF) pour le projet GAVI (Global Alliance for Vaccine and Immunisation) de vaccination universelle, de même la France voudrait, au moins pour la question du sida, qu'on expérimente une première source innovante de financement.
Le président de la République française a fait une proposition en ce sens lors du Sommet de Davos, en proposant que soit, par exemple, taxé le kérosène et que les ressources ainsi levées puissent être utilisées pour la lutte contre le sida. On ne voit d'ailleurs pas pourquoi il y aurait des taxes sur les carburants utilisés par les voitures ou par tous les moyens de transport, et pourquoi il n'y aurait aucune taxe qui serait levée sur le kérosène utilisé par un autre moyen de transport qui est l'aviation.
Je le répète, la question n'est pas tant d'ailleurs celle de la méthode retenue. Vous savez qu'un rapport réalisé par un groupe de travail autour de M. Landau a fait toutes sortes de propositions : sur les prix des billets d'avions, sur le secret bancaire, sur les transactions financières, sur les échanges liés aux ventes d'armes. Toutes sortes de solutions existent, les solutions techniques seront trouvées. Ce qu'il nous faut maintenant, c'est la volonté politique de considérer que nous devons trouver d'autres moyens pour financer le développement et spécifiquement pour lutter contre le sida.
Permettez-moi de citer un dernier chiffre et j'en aurai fini. Nous considérons donc qu'il nous faudrait 15 milliards en 2007 et avec cette somme, nous pourrons déjà faire beaucoup. Les dépenses dans le monde pour l'armement, tous les ans, c'est 950 milliards de dollars.
Je vous remercie.
Q - What about the donor countries ? Will they include African countries too, or is it just the West ? Les pays africains doivent-ils être considérés aussi comme pays donateurs ou seuls les pays occidentaux sont-ils concernés ?
R - Je crois que cette question est très importante car beaucoup d'ONG, d'associations croient que la question se règle uniquement par le niveau de l'aide, qui que ce soit y participe d'ailleurs, les pays bénéficiaires ou les pays donateurs. Or, évidemment, ce n'est pas seulement comme cela que la question se pose.
Il est absolument essentiel que, dans les pays concernés, on ait des programmes et des projets et pas seulement des financements. Il faut des cliniques, il faut des services de distribution des médicaments génériques, il faut des systèmes d'information et d'alerte concernant la sexualité reproductive. Il faut des accompagnements, de la formation, aussi bien des malades que des soignants. Et tout cela ne peut se faire que si les pays eux-mêmes sont capables de mettre en place ces politiques-là. Et l'une des raisons pour lesquelles nous flottons dans les chiffres, c'est la capacité des pays concernés à créer précisément des programmes que nous puissions financer
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2005)
(Entretien de Xavier Darcos avec France-Info, à Londres le 9 mars 2005)
Q - Très concrètement, est-ce qu'en ce moment il y a ce qu'on pourrait considérer comme une sorte de gabegie financière qui ferait que l'argent ne va pas là où il devrait aller ?
R - Non, on ne peut pas dire cela. Simplement la prévisibilité de l'évolution de l'action internationale en 2000 a été totale dans les premiers temps. On voit aujourd'hui que nous avons devant nous des difficultés plus grandes que celles que nous pensions rencontrer il y a encore quelques années et qu'en conséquence, il faut peut-être se réorganiser. C'est d'ailleurs ce que nous allons faire cette année 2005 : il y a cette réunion aujourd'hui, il y aura la semaine prochaine un forum de reconstitution du fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme qui va se tenir à Stockholm et vous savez que la Grande-Bretagne, qui présidera à la fois le G8 et l'Union européenne dans le deuxième semestre, souhaite mettre cette question du développement et donc du sida à l'ordre du jour du premier G8. Donc je dirais que c'est un moment charnière en attendant la session des Nations unies de septembre prochain qui va examiner la faisabilité des Objectifs du Millénaire. C'est un moment charnière pour vérifier où nous en sommes, savoir de quoi nous avons besoin et décider d'une coordination de nos politiques.
Q - Alors avant cette réunion et cette série de réunions, quelles sont les grandes initiatives qui se dessinent pour faire en sorte qu'il y ait une plus grande efficacité dans la distribution de ces fonds ?
R - D'abord, clairement nous cherchons à identifier des programmes qui soient nationaux. Les problèmes ne se posent pas de la même façon dans chaque pays. Ils n'ont pas les mêmes systèmes de santé, ils n'ont pas les mêmes développements de la maladie, ils n'ont pas les mêmes systèmes éducatifs, ils n'ont pas les mêmes réseaux. Donc ce qui est toujours recherché, ce n'est pas d'établir une espèce de règle absolue qui serait appliquée dans tous les pays, mais c'est de susciter, dans les pays qui sont les plus concernés, des programmes que nous puissions financer. Il ne s'agit pas simplement de lever des fonds. C'est très important mais si d'un côté vous levez des fonds et que de l'autre vous avez un pays qui ne sait pas, qui ne peut pas par lui-même organiser sa distribution par exemple de médicaments génériques anti-rétroviraux, évidemment votre aide ne fonctionne pas. C'est une difficulté que nous avons rencontrée dans les années précédentes et contre laquelle nous voulons lutter.
Q - Mais, pour terminer, la volonté c'est bien qu'évidemment cet argent soit utilisé de la façon la plus efficace qui soit. Est-ce que les grands plans qui ont déjà été annoncés, on pense au plan Bush il y a deux ans qui avait été annoncé, est-ce que cet argent va sur place et est-ce qu'il est utilisé de façon efficace ?
R - Nous le croyons, nous avons beaucoup de signes qui nous le montrent. Je crois que l'argent est utilisé de manière efficace, mais nous croyons aussi, et c'est quand même une des questions qui est posée aujourd'hui, que nous n'avons pas assez de moyens pour cela. Nous voyons bien qu'à l'horizon 2007 il faudrait qu'on puisse engager environ 15 milliards de dollars alors que si nous ne bougeons pas, si nous restons sur les levées de fond actuelles nous serons à 10 milliards de dollars. Donc il faut que nous trouvions des moyens nouveaux de financement, c'est la raison pour laquelle la France, comme vous le savez, soutient la nécessité absolue, car sinon on n'y arrivera pas, de trouver de nouvelles taxes, de nouvelles sources de financement innovantes en taxant le kérosène, les transports aériens, le commerce des armes, le secret bancaire, les échanges boursiers, que sais-je, peu importe, c'est aux techniciens de nous le dire, c'est leur métier, mais il faut que nous trouvions de nouvelles sources de financement.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2005)