Texte intégral
Q- Le président de l'Etat d'Israël est en visite d'Etat en France depuis lundi. Est-ce qu'à travers cette visite, J. Chirac et M. Katzav ont réellement cherché à briser le mur d'incompréhension entre la France et Israël ? Est-ce que c'est un pari réussi, d'après vous ?
R- "Je crois qu'on a franchi une étape importante. Le Président, institutionnellement en Israël, a une puissance morale. Il est au-dessus des partis. Et donc, cette rencontre entre le Président Chirac et le Président israélien a été placée à haut niveau, c'est-à-dire à un niveau historique de nos relations avec, naturellement, ce qu'elles ont de douloureuses, mais aussi ce qu'elles ont de fertiles et de loyauté et de fidélité. Moi, je trouve que c'est une étape importante, mais, naturellement, à nous maintenant de construire derrière les initiatives qui vont renforcer à la fois la coopération bilatérale et tous les sujets de préoccupation des uns et des autres. Nous avons évidemment le sujet de la paix qui est un sujet majeur, pour lequel nous avons échangé beaucoup. Et aujourd'hui, j'ai reçu le Président israélien à Matignon ; nous avons beaucoup parlé de la paix et des conditions de la paix, de sont point de vue."
Q- Vous dites que c'est une étape importante, que c'est un tournant, un cap important. Cela a aussi une valeur symbolique. Après, on parlera de la paix...
R- "Je crois que cela a une valeur symbolique. En France, nous sommes mobilisés contre l'antisémitisme. Nous sommes mobilisés parce que l'antisémitisme, c'est inacceptable, c'est une horreur. L'antisémitisme, c'est ce que la France a connu de plus noir, de plus sombre et dans lequel la France, d'ailleurs, a été souvent coupable. Donc, le président de la République a clarifié, sur ce sujet, notre passé. Nous sommes aujourd'hui face à un devoir de lutter contre l'antisémitisme avec une fermeté, parce que c'est nos valeurs universelles, parce que c'est la France qui, vraiment, doit défendre ce qu'elle est. Il fallait clairement mettre un frein à tout ce qui est dérive de banalisation de l'antisémitisme, à tout ce qui est aujourd'hui réception d'émissions qui provoquent la haine. Nous avons mis le halte-là ; nous sommes vraiment un gouvernement déterminé contre l'antisémitisme."
Q- Concernant la paix au Proche-Orient, est-ce que les relations entre Israël et la France, est-ce que les relations bilatérales franco-israéliennes peuvent être déconnectées du conflit israélo-palestinien ?
R- "Je pense que le conflit israélo-palestinien est un conflit majeur, un conflit mondial qui nous concerne tous. Il est important et c'est pour cela qu'il y a aujourd'hui une approche qui est celle du Quartet, avec une légitimité internationale. Ce n'est pas un conflit régional ; c'est un conflit qui nous concerne tous. Donc, il est présent sur chacun des sujets. Je crois qu'il est pour nous très important de nous engager sur cette "feuille de route" et de faire avancer ses différentes étapes. Il est aussi clair d'entendre le message du Président israélien. Je l'ai entendu : c'est de bien montrer que le terrorisme restait l'adversaire. Il nous a dit clairement - et nous répétons avec lui d'ailleurs - qu'il n'y a pas de "bon terrorisme"."
Q- Il dit aussi que quand le terrorisme aura cessé, on pourra faire des concessions douloureuses pour arriver à la paix ?
R- Nous sommes contre toutes les formes de terrorisme. Et la France l'a dit et redit : il n'y a pas de bons terroristes ; il n'y a pas de bonnes intentions au terrorisme. Le terrorisme est à condamner et cela, partout dans le monde. Il n'y a pas de bons terroristes : c'est vraiment une conviction française. Il est clair que la situation au Proche-Orient est une situation qui concerne tout le monde et il est clair aussi que les relations bilatérales doivent être renforcées avec la démocratie israélienne."
Q- Est-ce que vous mettez l'appui sur le fait qu'Israël soit la seule démocratie du Moyen-Orient ?
R- "Je mets du sens à cette coopération. Nous avons là une démocratie. Nous avons là un pays qui sur le plan industriel, sur le plan technologique, sur le plan scientifique, sur le plan de la santé, sur le plan social aussi à des choses à dire. En terme d'intégration, il y a des choses qui ont été faites en Israël qui méritent qu'on les regarde de près..."
Q- Cela peut-il être un exemple pour la France, pour le modèle français d'intégration ?
R- "Je pense qu'une des choses qui serait utile, c'est que tous ceux qui travaillent en France - et je pense à notre future Haute autorité contre les discriminations, pour l'égalité, pour favoriser l'intégration dans notre pays... Je pense qu'il y a en Israël des expériences d'intégration qui sont des expériences intéressantes."
Q- Vous souhaitez par exemple que ces membres du Haut conseil aillent voir ce qui se passe là-bas ?
R- "Je pense, en effet, qu'il faut avoir des contacts. Quand je vois le Président lui-même qui vient d'Iran, sa femme vient de Pologne, il a des enfants qui sont mariés avec des Français : c'est un melting-pot, un métissage global qui est quand même intéressant sur le plan culturel et sur le plan social."
Q- Est-ce que tout ce que vous dites, vous avez envie d'aller le dire en Israël et de voir comment cela se passe là-bas, sur place ?
R- "J'ai été invité à me rendre en Israël par le Président israélien. Je prends cette invitation au sérieux ; je pense qu'il nous faut construire un programme de travail ; je pense qu'il faut qu'elle ait un sens. Donc, nous verrons, le moment venu, comment les choses peuvent s'organiser. Mais je veux vous dire que je pense que la France doit travailler, notamment, sur un certain nombre de sujets. Nous allons avoir un grand centre culturel à Tel-Aviv. Nous avons mis, notamment avec le professeur Caillate [phon.], avec l'ambassadeur Lancry, un dispositif de travail avec des idées, des formes d'intellectuels, des formes de jeunesse... Nous avons une coopération qui sort renforcée. Je pense qu'il est tout à fait envisageable que, le moment venu, une autorité française - c'est au président de la République de voir comment nous organiserons cela - vienne ponctuer cette coopération. Mais il est clair qu'aujourd'hui, je crois, qu'en matière technologique, scientifique, culturelle et sociale, nous avons, avec la démocratie israélienne, un certain nombre de sujets sur lesquels nous pouvons avancer."
Q- Vous dites que c'est une question de mois, d'années ?
R- "Je ne sais pas. Vous savez, un Premier ministre, cela vit au jour le jour."
Q- Est-ce que vous comprenez l'attachement du peuple juif à Israël et la solidarité que peuvent éprouver les juifs de France vis-à-vis de l'Etat d'Israël ? Est-ce que vous reconnaissez aussi ou est-ce que vous comprenez leur attachement à Jérusalem comme capitale d'Israël ?
R- "Je comprends tous les attachements et je respecte les attachements. Dans une démocratie comme la démocratie française, il faut respecter l'identité des personnes. Donc, quand je vois des drapeaux tunisiens sur les Champs-Elysées, parce que la Tunisie a battu le Maroc, je le comprends. Mais je dis "attention : République". Nous sommes Français et la France, c'est la règle commune. Donc, je suis d'accord pour que chacun puisse faire respecter par l'autre ses origines, son identité. Nous avons tous une identité complexe ; c'est important de pouvoir la respecter, qu'elle soit territoriale, régionale, tout ceci est très important. Mais la République doit rassembler sur ses valeurs et les règles de la République doivent être celles de notre vivre-ensemble, de notre Pacte républicain. Donc, je suis pour qu'on respecte la personne avec la construction de son identité ; je ne suis pas pour qu'on soit un peuple de communautés."
Q- Justement, par rapport à la question que je vous posais précédemment sur Jérusalem, le caractère spécifiquement juif de Jérusalem ? Vous le comprenez ou pas ?
R- "Je comprends la revendication des uns et des autres. Je n'ai pas à prendre une position sur ce sujet aujourd'hui, comme cela, en répondant à une question. C'est un sujet très complexe. Et je suis pour la paix, je ne suis pas pour être un élément de tensions accentuées. Donc je suis, sur ce sujet-là, attentif à ce que disent les membres de la communauté juive en France ; je suis attentif à ce que disent les autorités israéliennes ; je suis aussi attentif à ce que dit l'ensemble des partenaires de cette région du monde, si fragile aujourd'hui. Mais je tiens à vous dire que, pour ce qui est de la France, nous voulons vraiment que les Français fassent en sorte que les valeurs de la République soient ce qu'ils ont en commun."
Q- Que répondez-vous aux juifs, aujourd'hui, qui s'inquiètent pour leur avenir en France, qui s'angoissent dans leur propre pays - c'est la première fois depuis 60 ans - et puis qui ont parfois envie de quitter la France ?
R- "Je leur dis : n'ayez pas peur ! C'est vrai que, depuis quelques années, on a laissé s'installer une forme d'antisémitisme banale, on a laissé l'injure se développer."
Q- Vous dites "banale", ou vous dites "structurelle", vous dites "familiale" ?
R- "Je dis "banale", je dis cette banalisation. C'est ce sur quoi je suis révolté. C'est-à-dire, de considérer qu'une injure, parce que, à un moment ou à un autre, elle est dite comme cela, entre deux jeunes qui n'ont pas le sentiment de s'agresser forcément, une insulte reste une insulte. Et quelquefois, il faut que l'on puisse rappeler aux uns et aux autres que l'insulte, c'est la rupture du dialogue ; l'insulte, c'est la violence dans les relations humaines ; l'insulte est inacceptable quand il s'agit d'affaiblir l'identité de l'autre. Et donc, dans une République comme la nôtre, l'antisémitisme est vraiment une négation. C'est pour cela que nous sommes organisés avec force et que nous avons fait voter une loi, la loi Lellouche. Nous avons mis en place un certain nombre de dispositifs aujourd'hui. Nous sommes, je crois, le seul pays au monde à avoir un comité interministériel qui réunit régulièrement les ministres concernés. Nous avons, avec le ministre de l'Education, un travail, aujourd'hui, pour que l'on enseigne l'histoire des religions, pour éviter les sectarismes, éviter les intégrismes et les fondamentalismes. Nous avons fait une loi sur la laïcité pour éviter que, à l'intérieur de l'école de la République, la loi de la religion s'impose à la loi de la République."
Q- Croyez-vous que c'est aussi un problème de pédagogie, pour résoudre ces problèmes ? Que faut-il faire ? Il faut être pédagogue ? Quel message faut-il adresser aux jeunes beurs qui, aujourd'hui, virent vers l'antisémitisme virulent ?
R- "Il faut aller au-delà de la pédagogie, il faut aller à la véritable dissuasion. Nous sommes déterminés et donc nous, nous condamnons quand il y a racisme, quand il y a antisémitisme. Il y a maintenant une condamnation, c'est une faute pénale. Il n'y a pas de tolérance, c'est une violence, c'est une délinquance. Et donc, l'antisémitisme fait partie des actes qui sont réprimandés par notre société. Et donc, je dis aux uns et aux autres que chacun a droit à son identité, mais chacun a le devoir de respecter celle de l'autre. Et de voir développer l'injure comme type de dialogue, c'est quelque chose qui est répréhensible. Et de ce point de vue-là, nous avons fait voter des lois. Donc, nous ne nous contentons pas de la pédagogie, nous faisons en sorte que nous nous donnions les moyens juridiques et législatifs de faire respecter les valeurs de la République."
Q- Concernant les valeurs de la République, il y a aussi un problème qui inquiète les juifs, comme tous les Français, c'est la montée des extrémismes et c'est le danger Le Pen. Pour vous, aujourd'hui, y a-t-il un danger Le Pen ?
R- "Je pense que tous les extrémismes sont des dangers. Je pense que partout où l'on a une radicalisation de la pensée, partout où l'on ne veut pas reconnaître l'humanisme, qui est la valeur qui met la personne au centre de la société, je pense qu'il y a des dangers. Alors, tous les extrêmes sont évidemment des dangers. Et j'ai entendu des propos venant de différents extrêmes qui sont, au plan, par exemple, du racisme ou de l'antisémitisme, des propos condamnables. Donc, je suis là très vigilant sur les valeurs républicaines. Pour moi, c'est le Pacte républicain, et les extrêmes se mettent en-dehors du Pacte républicain, notamment quand ils s'attaquent aux valeurs de la République. Et pour moi, le racisme est une façon de s'attaquer aux valeurs de la République."
Q- Considérez-vous, comme certains, qu'il y a une jonction entre les extrémistes, entre l'intégrisme musulman, l'extrême droite et l'extrême gauche ?
R- "Je pense que "jonction" est un mélange sur lequel il faut être prudent. Je pense que, vraiment, tous ceux qui utilisent la négation de l'homme, c'est-à-dire enfermer la personne humaine dans une étiquette et faire de cette étiquette une occasion de rejet, sont des gens qui ne respectent pas les valeurs universelles de la France, qui ne respectent pas l'Egalité, la Liberté, la Fraternité. C'est cela, la France. Ce sont les valeurs essentielles qui nous rassemblent, c'est notre Pacte républicain. Dans ce Pacte républicain, il y a la laïcité. Tous ceux qui mettent en cause ces valeurs-là mettent en cause l'équilibre républicain. Et moi je les qualifie "d'extrémistes". Mais des extrémismes, il y en a plusieurs, avec différentes origines ; je ne les mélange pas, mais je reconnais que tous ensemble, ils peuvent être, pour la République, une préoccupation majeure."
Q- A propos de J.-M. Le Pen, comment expliquez-vous son attitude, aujourd'hui, en PACA ? A quel jeu, selon vous, joue-t-il ?
R- "Je ne sais pas. Pour le moment, je suis plutôt étonné de voir un professionnel de la politique ne pas correspondre aux démarches habituelles que chacun connaît quand il s'agit d'être éligible. Donc, je ne sais pas exactement quel "jeu" il joue dans cette affaire. Je suis circonspect face à cette situation et j'attends des éléments objectifs pour savoir quelle est sa situation juridique aujourd'hui. Nous avons des informations précises, le tribunal s'est prononcé. Quelle était sa situation en 1998 ? Et en 1998, pourquoi a-t-il été candidat ? Et est-ce que sa situation a changé ? Que s'est-il passé exactement ?"
Q- Croyez-vous qu'il joue au martyre ?
R- "Je ne sais pas. Je ne sais pas quel est le jeu. Mais, semble-t-il, il y a là, pour moi quand même, des raisons d'étonnement face à un professionnel de la politique qui ne manque pas d'expérience sur tous ces sujets. Parce que je crois qu'en termes de candidatures, il les a multipliées. Donc, je pense qu'il connaît toutes les règles et cette règle-là n'a pas pu lui échapper."
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 19 février 2004)
R- "Je crois qu'on a franchi une étape importante. Le Président, institutionnellement en Israël, a une puissance morale. Il est au-dessus des partis. Et donc, cette rencontre entre le Président Chirac et le Président israélien a été placée à haut niveau, c'est-à-dire à un niveau historique de nos relations avec, naturellement, ce qu'elles ont de douloureuses, mais aussi ce qu'elles ont de fertiles et de loyauté et de fidélité. Moi, je trouve que c'est une étape importante, mais, naturellement, à nous maintenant de construire derrière les initiatives qui vont renforcer à la fois la coopération bilatérale et tous les sujets de préoccupation des uns et des autres. Nous avons évidemment le sujet de la paix qui est un sujet majeur, pour lequel nous avons échangé beaucoup. Et aujourd'hui, j'ai reçu le Président israélien à Matignon ; nous avons beaucoup parlé de la paix et des conditions de la paix, de sont point de vue."
Q- Vous dites que c'est une étape importante, que c'est un tournant, un cap important. Cela a aussi une valeur symbolique. Après, on parlera de la paix...
R- "Je crois que cela a une valeur symbolique. En France, nous sommes mobilisés contre l'antisémitisme. Nous sommes mobilisés parce que l'antisémitisme, c'est inacceptable, c'est une horreur. L'antisémitisme, c'est ce que la France a connu de plus noir, de plus sombre et dans lequel la France, d'ailleurs, a été souvent coupable. Donc, le président de la République a clarifié, sur ce sujet, notre passé. Nous sommes aujourd'hui face à un devoir de lutter contre l'antisémitisme avec une fermeté, parce que c'est nos valeurs universelles, parce que c'est la France qui, vraiment, doit défendre ce qu'elle est. Il fallait clairement mettre un frein à tout ce qui est dérive de banalisation de l'antisémitisme, à tout ce qui est aujourd'hui réception d'émissions qui provoquent la haine. Nous avons mis le halte-là ; nous sommes vraiment un gouvernement déterminé contre l'antisémitisme."
Q- Concernant la paix au Proche-Orient, est-ce que les relations entre Israël et la France, est-ce que les relations bilatérales franco-israéliennes peuvent être déconnectées du conflit israélo-palestinien ?
R- "Je pense que le conflit israélo-palestinien est un conflit majeur, un conflit mondial qui nous concerne tous. Il est important et c'est pour cela qu'il y a aujourd'hui une approche qui est celle du Quartet, avec une légitimité internationale. Ce n'est pas un conflit régional ; c'est un conflit qui nous concerne tous. Donc, il est présent sur chacun des sujets. Je crois qu'il est pour nous très important de nous engager sur cette "feuille de route" et de faire avancer ses différentes étapes. Il est aussi clair d'entendre le message du Président israélien. Je l'ai entendu : c'est de bien montrer que le terrorisme restait l'adversaire. Il nous a dit clairement - et nous répétons avec lui d'ailleurs - qu'il n'y a pas de "bon terrorisme"."
Q- Il dit aussi que quand le terrorisme aura cessé, on pourra faire des concessions douloureuses pour arriver à la paix ?
R- Nous sommes contre toutes les formes de terrorisme. Et la France l'a dit et redit : il n'y a pas de bons terroristes ; il n'y a pas de bonnes intentions au terrorisme. Le terrorisme est à condamner et cela, partout dans le monde. Il n'y a pas de bons terroristes : c'est vraiment une conviction française. Il est clair que la situation au Proche-Orient est une situation qui concerne tout le monde et il est clair aussi que les relations bilatérales doivent être renforcées avec la démocratie israélienne."
Q- Est-ce que vous mettez l'appui sur le fait qu'Israël soit la seule démocratie du Moyen-Orient ?
R- "Je mets du sens à cette coopération. Nous avons là une démocratie. Nous avons là un pays qui sur le plan industriel, sur le plan technologique, sur le plan scientifique, sur le plan de la santé, sur le plan social aussi à des choses à dire. En terme d'intégration, il y a des choses qui ont été faites en Israël qui méritent qu'on les regarde de près..."
Q- Cela peut-il être un exemple pour la France, pour le modèle français d'intégration ?
R- "Je pense qu'une des choses qui serait utile, c'est que tous ceux qui travaillent en France - et je pense à notre future Haute autorité contre les discriminations, pour l'égalité, pour favoriser l'intégration dans notre pays... Je pense qu'il y a en Israël des expériences d'intégration qui sont des expériences intéressantes."
Q- Vous souhaitez par exemple que ces membres du Haut conseil aillent voir ce qui se passe là-bas ?
R- "Je pense, en effet, qu'il faut avoir des contacts. Quand je vois le Président lui-même qui vient d'Iran, sa femme vient de Pologne, il a des enfants qui sont mariés avec des Français : c'est un melting-pot, un métissage global qui est quand même intéressant sur le plan culturel et sur le plan social."
Q- Est-ce que tout ce que vous dites, vous avez envie d'aller le dire en Israël et de voir comment cela se passe là-bas, sur place ?
R- "J'ai été invité à me rendre en Israël par le Président israélien. Je prends cette invitation au sérieux ; je pense qu'il nous faut construire un programme de travail ; je pense qu'il faut qu'elle ait un sens. Donc, nous verrons, le moment venu, comment les choses peuvent s'organiser. Mais je veux vous dire que je pense que la France doit travailler, notamment, sur un certain nombre de sujets. Nous allons avoir un grand centre culturel à Tel-Aviv. Nous avons mis, notamment avec le professeur Caillate [phon.], avec l'ambassadeur Lancry, un dispositif de travail avec des idées, des formes d'intellectuels, des formes de jeunesse... Nous avons une coopération qui sort renforcée. Je pense qu'il est tout à fait envisageable que, le moment venu, une autorité française - c'est au président de la République de voir comment nous organiserons cela - vienne ponctuer cette coopération. Mais il est clair qu'aujourd'hui, je crois, qu'en matière technologique, scientifique, culturelle et sociale, nous avons, avec la démocratie israélienne, un certain nombre de sujets sur lesquels nous pouvons avancer."
Q- Vous dites que c'est une question de mois, d'années ?
R- "Je ne sais pas. Vous savez, un Premier ministre, cela vit au jour le jour."
Q- Est-ce que vous comprenez l'attachement du peuple juif à Israël et la solidarité que peuvent éprouver les juifs de France vis-à-vis de l'Etat d'Israël ? Est-ce que vous reconnaissez aussi ou est-ce que vous comprenez leur attachement à Jérusalem comme capitale d'Israël ?
R- "Je comprends tous les attachements et je respecte les attachements. Dans une démocratie comme la démocratie française, il faut respecter l'identité des personnes. Donc, quand je vois des drapeaux tunisiens sur les Champs-Elysées, parce que la Tunisie a battu le Maroc, je le comprends. Mais je dis "attention : République". Nous sommes Français et la France, c'est la règle commune. Donc, je suis d'accord pour que chacun puisse faire respecter par l'autre ses origines, son identité. Nous avons tous une identité complexe ; c'est important de pouvoir la respecter, qu'elle soit territoriale, régionale, tout ceci est très important. Mais la République doit rassembler sur ses valeurs et les règles de la République doivent être celles de notre vivre-ensemble, de notre Pacte républicain. Donc, je suis pour qu'on respecte la personne avec la construction de son identité ; je ne suis pas pour qu'on soit un peuple de communautés."
Q- Justement, par rapport à la question que je vous posais précédemment sur Jérusalem, le caractère spécifiquement juif de Jérusalem ? Vous le comprenez ou pas ?
R- "Je comprends la revendication des uns et des autres. Je n'ai pas à prendre une position sur ce sujet aujourd'hui, comme cela, en répondant à une question. C'est un sujet très complexe. Et je suis pour la paix, je ne suis pas pour être un élément de tensions accentuées. Donc je suis, sur ce sujet-là, attentif à ce que disent les membres de la communauté juive en France ; je suis attentif à ce que disent les autorités israéliennes ; je suis aussi attentif à ce que dit l'ensemble des partenaires de cette région du monde, si fragile aujourd'hui. Mais je tiens à vous dire que, pour ce qui est de la France, nous voulons vraiment que les Français fassent en sorte que les valeurs de la République soient ce qu'ils ont en commun."
Q- Que répondez-vous aux juifs, aujourd'hui, qui s'inquiètent pour leur avenir en France, qui s'angoissent dans leur propre pays - c'est la première fois depuis 60 ans - et puis qui ont parfois envie de quitter la France ?
R- "Je leur dis : n'ayez pas peur ! C'est vrai que, depuis quelques années, on a laissé s'installer une forme d'antisémitisme banale, on a laissé l'injure se développer."
Q- Vous dites "banale", ou vous dites "structurelle", vous dites "familiale" ?
R- "Je dis "banale", je dis cette banalisation. C'est ce sur quoi je suis révolté. C'est-à-dire, de considérer qu'une injure, parce que, à un moment ou à un autre, elle est dite comme cela, entre deux jeunes qui n'ont pas le sentiment de s'agresser forcément, une insulte reste une insulte. Et quelquefois, il faut que l'on puisse rappeler aux uns et aux autres que l'insulte, c'est la rupture du dialogue ; l'insulte, c'est la violence dans les relations humaines ; l'insulte est inacceptable quand il s'agit d'affaiblir l'identité de l'autre. Et donc, dans une République comme la nôtre, l'antisémitisme est vraiment une négation. C'est pour cela que nous sommes organisés avec force et que nous avons fait voter une loi, la loi Lellouche. Nous avons mis en place un certain nombre de dispositifs aujourd'hui. Nous sommes, je crois, le seul pays au monde à avoir un comité interministériel qui réunit régulièrement les ministres concernés. Nous avons, avec le ministre de l'Education, un travail, aujourd'hui, pour que l'on enseigne l'histoire des religions, pour éviter les sectarismes, éviter les intégrismes et les fondamentalismes. Nous avons fait une loi sur la laïcité pour éviter que, à l'intérieur de l'école de la République, la loi de la religion s'impose à la loi de la République."
Q- Croyez-vous que c'est aussi un problème de pédagogie, pour résoudre ces problèmes ? Que faut-il faire ? Il faut être pédagogue ? Quel message faut-il adresser aux jeunes beurs qui, aujourd'hui, virent vers l'antisémitisme virulent ?
R- "Il faut aller au-delà de la pédagogie, il faut aller à la véritable dissuasion. Nous sommes déterminés et donc nous, nous condamnons quand il y a racisme, quand il y a antisémitisme. Il y a maintenant une condamnation, c'est une faute pénale. Il n'y a pas de tolérance, c'est une violence, c'est une délinquance. Et donc, l'antisémitisme fait partie des actes qui sont réprimandés par notre société. Et donc, je dis aux uns et aux autres que chacun a droit à son identité, mais chacun a le devoir de respecter celle de l'autre. Et de voir développer l'injure comme type de dialogue, c'est quelque chose qui est répréhensible. Et de ce point de vue-là, nous avons fait voter des lois. Donc, nous ne nous contentons pas de la pédagogie, nous faisons en sorte que nous nous donnions les moyens juridiques et législatifs de faire respecter les valeurs de la République."
Q- Concernant les valeurs de la République, il y a aussi un problème qui inquiète les juifs, comme tous les Français, c'est la montée des extrémismes et c'est le danger Le Pen. Pour vous, aujourd'hui, y a-t-il un danger Le Pen ?
R- "Je pense que tous les extrémismes sont des dangers. Je pense que partout où l'on a une radicalisation de la pensée, partout où l'on ne veut pas reconnaître l'humanisme, qui est la valeur qui met la personne au centre de la société, je pense qu'il y a des dangers. Alors, tous les extrêmes sont évidemment des dangers. Et j'ai entendu des propos venant de différents extrêmes qui sont, au plan, par exemple, du racisme ou de l'antisémitisme, des propos condamnables. Donc, je suis là très vigilant sur les valeurs républicaines. Pour moi, c'est le Pacte républicain, et les extrêmes se mettent en-dehors du Pacte républicain, notamment quand ils s'attaquent aux valeurs de la République. Et pour moi, le racisme est une façon de s'attaquer aux valeurs de la République."
Q- Considérez-vous, comme certains, qu'il y a une jonction entre les extrémistes, entre l'intégrisme musulman, l'extrême droite et l'extrême gauche ?
R- "Je pense que "jonction" est un mélange sur lequel il faut être prudent. Je pense que, vraiment, tous ceux qui utilisent la négation de l'homme, c'est-à-dire enfermer la personne humaine dans une étiquette et faire de cette étiquette une occasion de rejet, sont des gens qui ne respectent pas les valeurs universelles de la France, qui ne respectent pas l'Egalité, la Liberté, la Fraternité. C'est cela, la France. Ce sont les valeurs essentielles qui nous rassemblent, c'est notre Pacte républicain. Dans ce Pacte républicain, il y a la laïcité. Tous ceux qui mettent en cause ces valeurs-là mettent en cause l'équilibre républicain. Et moi je les qualifie "d'extrémistes". Mais des extrémismes, il y en a plusieurs, avec différentes origines ; je ne les mélange pas, mais je reconnais que tous ensemble, ils peuvent être, pour la République, une préoccupation majeure."
Q- A propos de J.-M. Le Pen, comment expliquez-vous son attitude, aujourd'hui, en PACA ? A quel jeu, selon vous, joue-t-il ?
R- "Je ne sais pas. Pour le moment, je suis plutôt étonné de voir un professionnel de la politique ne pas correspondre aux démarches habituelles que chacun connaît quand il s'agit d'être éligible. Donc, je ne sais pas exactement quel "jeu" il joue dans cette affaire. Je suis circonspect face à cette situation et j'attends des éléments objectifs pour savoir quelle est sa situation juridique aujourd'hui. Nous avons des informations précises, le tribunal s'est prononcé. Quelle était sa situation en 1998 ? Et en 1998, pourquoi a-t-il été candidat ? Et est-ce que sa situation a changé ? Que s'est-il passé exactement ?"
Q- Croyez-vous qu'il joue au martyre ?
R- "Je ne sais pas. Je ne sais pas quel est le jeu. Mais, semble-t-il, il y a là, pour moi quand même, des raisons d'étonnement face à un professionnel de la politique qui ne manque pas d'expérience sur tous ces sujets. Parce que je crois qu'en termes de candidatures, il les a multipliées. Donc, je pense qu'il connaît toutes les règles et cette règle-là n'a pas pu lui échapper."
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 19 février 2004)