Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des solidarités, de la santé et de la famille, sur les dispositions du Plan psychiatrie et santé mentale, Sorèze le 18 avril 2005.

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Circonstance : Journées scientifiques du Carla à Sorèze

Texte intégral

Monsieur le Maire de Saint-Paul Cap de Joux,
Cher André Jouqueviel,
Monsieur le Président, Cher Pierre (Fabre),
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de participer à ce symposium, et je remercie spécialement mon ami, le Président Pierre Fabre, sans qui ces journées remarquables consacrées à la classification des troubles mentaux n'auraient pas lieu.
Pourquoi faut-il une classification des troubles mentaux ? La classification facilite la rencontre entre les cliniciens, elle permet des études plus cohérentes, souligne des distinctions pour une meilleure connaissance et accorde enfin une compétence certaine à son utilisateur en vue d'une action plus efficace vis-à-vis du malade.
Comme vous le savez, nous devons la première classification des maladies mentales à Philippe Pinel à la fin du XVIIIème siècle, personnage historique très cher à Pierre Fabre à la fois pour sa créativité médicale et leurs racines géographiques communes.
Pinel appelait ces maladies les " vésanies". Cet enfant du Tarn - sa maison de famille se trouve près de Castres à Saint-Paul Cap de Joux dont je salue le maire André Jouqueviel ici présent - s'est passionné pour la classification des maladies de la folie. Il les a d'abord expliquées dans sa "Nosographie philosophique" en 1798, et complété trois ans plus tard, alors qu'il était médecin-chef de la Salpêtrière, dans son "Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale". Vous pouvez d'ailleurs admirer un exemplaire de ce traité dans la vitrine d'exposition consacrée à ce grand médecin, juste à côté de cet amphithéâtre.
Pinel fut ainsi le premier à découvrir que, parmi les patients hospitalisés, beaucoup n'étaient pas à leur place.
Certains n'ont pas manqué de lui attribuer des motivations personnelles, voire socio-politiques, même si Philippe Pinel a transformé le mythe indifférencié de la folie en représentations distinctes de maladies, et contribué par là à mieux faire accepter l'existence du trouble mental, le changement de statut de l'aliéné, sa libération et les soins en milieu médical, avec toutes les conséquences humanistes qui en ont résulté.
A partir de cette première classification de Pinel, le mythe initial de la folie a fait place en effet à la notion de maladie, puis à ses diverses catégories, avant que ces classes relativement closes ne se réduisent à un ensemble de critères apparents. C'est ensuite qu'elles ont retrouvé leur aspect dynamique, permettant la constitution de classes plus ouvertes, qui, par leurs combinaisons, peuvent désormais traduire les diverses formes pathologiques.
Ainsi naît et vit une classification, qui répond à un besoin de représentation, de langage et d'approche commun. Ce principe de classement apparaît en toute science, mais il est plus complexe en psychiatrie.
Cela tient à la nature des phénomènes psychiques, à la diversité et à l'évolutivité des troubles, aux relations établies entre l'observateur et le patient, aux références et connaissances retenues, ainsi qu'a l'influence du milieu.
Les classes représentent des ensembles hétérogènes, souvent disparates et mouvants de symptômes, de causes et de pathogénies multiples, justifiant la diversité des interprétations et les tentatives de quantification.
D'où le paradoxe constitué par le nombre de classifications et leur incapacité à inclure tous les troubles. Les classes intitulées "troubles non classés, indifférenciés, complémentaires, atypiques, autres troubles..." en témoignent. Quel que soit le type de classification adopté, certains troubles échapperont en effet toujours aux classes isolées.
La classification devrait donc s'orienter vers un agencement de classes plus souples et plus ouvertes, en fonction des nouvelles conditions de vie et de soins.
Des rencontres comme celle d'aujourd'hui ne peuvent que faciliter cette approche. Je sais que cette journée va marquer un pas important, car elle est une occasion d'amorcer la révision de la dixième classification internationale des maladies mentales, qui est née il y a déjà douze ans, à l'initiative de l'Organisation mondiale de la santé.
Les classifications et les études épidémiologiques permettent une définition plus précise des critères de diagnostic, une plus grande homogénéité des diagnostics et des évaluations symptomatiques, en particulier par les médecins généralistes, ainsi qu'une meilleure information des patients et de leurs familles sur la maladie.
En santé mentale, il est nécessaire de tenir compte des progrès des neurosciences, qui ont permis une meilleure connaissance des mécanismes de certaines maladies, et l'amélioration des indications de prise en charge des patients, notamment par les psychothérapies.
Il convient également de prendre en compte l'apparition de nouvelles populations concernées par la maladie mentale : les enfants, les adolescents, les personnes âgées, les personnes ayant vécu un grave traumatisme ou encore les détenus. Or il n'existe actuellement aucun classement pour ces maladies qui touchent des populations fragiles.
Comme la dernière classification est déjà ancienne, sa révision se justifie afin de tenir compte des derniers progrès réalisés au cours de la dernière décennie, et de permettre de mieux ajuster les réponses thérapeutiques à des critères diagnostiques plus précis.
La dernière classification de l'OMS comporte environ 500 catégories et sous-catégories de troubles mentaux et du comportement, alors qu'il n'existe que 4 classes thérapeutiques : les anti-psychotiques, les anti-dépresseurs, les anxiolytiques et les stabilisateurs de l'humeur.
Ceci rend compte de la difficulté inhérente à la psychiatrie de se laisser modéliser comme une autre discipline médicale organique, où à un symptôme correspond un traitement. N'a-t-elle pas pour objet la personne dans son ensemble, et dans toute sa diversité ?
Ainsi, alors qu'un anti-hypertenseur traite l'hypertension artérielle ou un diurétique la rétention d'eau et de sel, des troubles aussi divers que la boulimie, l'anorexie, les troubles paniques, les troubles obsessionnels compulsifs et les symptômes dépressifs relèvent, dans bien des cas, d'un traitement par un anti-dépresseur, ce qui peut sembler surprenant, tout particulièrement aux yeux d'un médecin généraliste ou d'un patient.
Déjà, Philippe Pinel, avait distingué deux types de classification des maladies mentales :
- celui où la pathologie mentale est considérée en soi, de manière autonome, qui doit se fonder sur des critères propres issus des sciences de l'esprit et où, à la limite, il n'y a pas à tenir compte des critères utilisés en médecine pour les autres chapitres de la pathologie ;
- et celui où, au contraire, au sein d'une classification générale des maladies, même si un chapitre est réservé aux maladies mentales, il doit répondre aux mêmes critères que les autres.
Depuis Pinel, la recherche de critères permettant d'établir une classification scientifique des maladies ne va pas cesser de préoccuper les médecins.
Après son premier geste libérateur, une classification s'est constituée progressivement grâce, en particulier, aux grandes écoles de psychiatrie française et allemande. C'est ainsi qu'au cours du XIXème siècle, Emil Kraeplin isole la psychose maniaco-dépressive, Jean-Marie Charcot distingue l'hystérie de l'épilepsie, Eugène Bleuler découvre la schizophrénie et même l'autisme, Sérieux et Capgras décrivent les délires paranoïaques, et Sigmund Freud, en explorant l'inconscient, donne le ressort structural des névroses obsessionnelles et phobiques.
Jusqu'à la fin du XIXème siècle, les classifications des maladies demeurent propres à chaque École médicale nationale, même si elles peuvent parfois s'influencer mutuellement.
Ce n'est qu'en 1893 que Jacques Bertillon, alors chef des travaux statistiques de la Ville de Paris, propose une "Classification internationale des maladies, traumatismes et causes des décès", au Congrès de l'Institut international de statistique de Chicago. Cette classification internationale ne comportait pas encore de chapitre spécifique pour les troubles mentaux et ce n'est que sa 6ème révision, réalisée en 1948, cette fois par l'OMS, qui crée un chapitre particulier, pour les individualiser spécifiquement.
Soulignons au passage que c'est l'appartenance de la France à cette organisation mondiale qui légitime l'utilisation dans notre pays de cette classification internationale.
C'est pourquoi est né, au sein même de la section Classifications de l'Association mondiale de psychiatrie - dont je salue son président, le Pr. Juan Enrique Mezzich et son ancien président, le Pr. Jorge Alberto Costa e Silva ici présents - un mouvement tendant à prendre en considération la diversité actuelle des conceptions des troubles mentaux dans les classifications internationales des maladies.
Toutes ces tentatives de classification des maladies mentales témoignent de la difficulté de maîtriser la complexité et la diversité du trouble psychique.
Si la psychiatrie et la santé mentale représentent un enjeu majeur de santé publique aujourd'hui, elles constituent aussi un enjeu social considérable, tant la maladie mentale altère le rapport à l'autre.
Or la psychiatrie française se trouve aujourd'hui confrontée à une situation paradoxale et complexe.
Les capacités d'hospitalisation en psychiatrie placent notre pays en troisième position européenne, et en deuxième position pour son nombre de psychiatres par habitant, puisque 13 000 psychiatres sont actuellement en exercice.
Mais l'utilisation de cette offre de soins psychiatriques est loin d'être parfaite. Plus de 80 % des patients sont pris en charge par des médecins généralistes, et l'offre de soins souffre de cloisonnements entre les différents acteurs, sanitaires, médico-sociaux et sociaux, et d'une répartition inégale sur l'ensemble du territoire.
En outre, les indicateurs de santé mentale ne sont pas satisfaisants. La France détient le taux de suicide le plus élevé en Europe pour les personnes âgées, le deuxième pour les adolescents, alors que la consommation des psychotropes est parmi les plus importantes.
Enfin, l'image de la santé mentale n'est pas bonne auprès du grand public. Face à la maladie mentale, la société se tait à la mesure du silence qui entoure un système encore porteur de tabous, qui nous renvoie à nos propres angoisses. C'est le délicat problème du rejet de celui qui est différent, qu'a si bien décrit Michel Foucault. A cette stigmatisation de la maladie mentale s'ajoute aujourd'hui une médiatisation exclusivement centrée sur des actes de violence, pourtant exceptionnels, mais symboliques de nos peurs.
J'ai voulu, dès mon arrivée dans ce ministère, me rendre compte de ce qu'il en était réellement. J'ai découvert que la psychiatrie était en difficulté, des hôpitaux psychiatriques souvent hérités du XIXème siècle, des pavillons dont certains étaient abandonnés. Mais j'ai aussi rencontré un personnel exemplaire, motivé, compétent et dévoué, bien que se sentant souvent délaissé, épuisé à force de tenter de maintenir à flots un navire qui est en train de perdre son cap.
Ma volonté est aujourd'hui d'apporter une réponse construite avec l'ensemble de tous les acteurs.
C'est pourquoi je vais présenter mercredi au Président de la République, en Conseil des Ministres, un programme Psychiatrie et Santé Mentale, qui comporte des priorités correspondant aux préoccupations les plus exprimées lors de la phase d'écoute et de concertation que j'ai entamé depuis mon arrivée au ministère.
Ce plan propose une politique cohérente, structurée et innovante, accompagné d'un effort financier très important, portant à la fois sur le fonctionnement et sur les investissements. Il faut non seulement renforcer l'offre de soins, mais aussi la réorganiser.
Il s'agit tout d'abord de rompre avec le désinvestissement hospitalier, en maintenant un moratoire sur la fermeture des lits de psychiatrie - 50 % des lits ont été supprimés en moins en 10 ans. Un programme massif d'investissements pour la psychiatrie sera lancé sur 6 ans : 750 millions d'euros d'aides seront dégagées pour générer plus de 1,5 milliards d'euros d'investissements supplémentaires, afin d'humaniser l'offre de soins et de la réorganiser sur le territoire, en cherchant à la rapprocher de la cité.
Il est nécessaire d'assurer le respect des droits, de la dignité et la sécurité des patients et des soignants dans les établissements.
Pour y répondre, les moyens humains, notamment dans les zones désertifiées en psychiatrie, seront renforcés, afin de permettre un meilleur accueil des patients.
Des financements supplémentaires - 287 millions d'euros - seront affectés aux équipes de psychiatrie générale et surtout pédiatrique, afin d'adapter et d'améliorer l'hospitalisation complète, mais aussi de développer les alternatives à l'hospitalisation et l'offre de soins ambulatoire.
Parallèlement, la formation des infirmiers sera renforcée par une formation complémentaire de mise en situation professionnelle et surtout par un dispositif innovant de tutorat-compagnonnage de tout nouvel infirmier.
Je souhaite aussi inciter les psychologues hospitaliers à se regrouper pour mutualiser les projets de soins, de formation et de recherche en psychologie clinique.
Je veux en outre développer l'offre médico-sociale, afin de désengorger l'hospitalisation temps plein, en créant 1 900 places de services d'accompagnement à domicile, et des places fléchées en établissements médico-sociaux, soit 1 000 places d'hébergement et 300 clubs d'entraide mutuelle.
Par ailleurs, face à la montée de certains risques et à la vulnérabilité de publics particuliers, des programmes spécifiques répondront notamment à la meilleure prise en charge de la dépression et à la lutte contre le suicide.
Une campagne média grand public sera réalisée pour expliquer aux Français la différence qui existe entre "la déprime", la souffrance liée à un événement difficile de la vie, comme la perte d'emploi ou le dépit amoureux, et la vraie dépression, en soulignant que les antidépresseurs ne sont pas forcément une bonne réponse à la tristesse. Les professionnels de santé seront également aidés par un guide de repérage des troubles dépressifs et des recommandations de conduite à tenir.
C'est là où votre travail de classification prend toute son importance. Les médecins généralistes doivent savoir quand, et devant quels symptômes, ils doivent adresser le malade au psychiatre.
Enfin, la stratégie nationale d'actions face au suicide sera accentuée à destination des jeunes, notamment dans les établissements scolaires, et en multipliant les Maisons des Adolescents.
Pour répondre aux besoins de 60 % de la population carcérale, qui souffrent de problèmes mentaux, un financement sera dédié dans le cadre du schéma national d'hospitalisation en psychiatrie des personnes détenues. Des unités hospitalières spécialement aménagées permettront la prise en charge de détenus hors du milieu pénitentiaire.
En outre, nous nous efforcerons de renforcer la sécurité dans les établissements psychiatriques et de leurs abords. Je viens de signer un protocole avec le Ministre de l'Intérieur dans ce sens.
Enfin, il faut mieux prendre en compte les usagers et les familles, en les associant aux processus décisionnels, en particulier à travers leurs associations que nous aiderons financièrement.
Au total, ce plan bénéficiera de plus d'un milliard et demi d'euros. C'est un effort considérable de la collectivité à la hauteur des enjeux de la santé mentale.
Ces journées scientifiques, en cherchant à favoriser un consensus national sur la classification des troubles mentaux et le rapprochement entre les écoles françaises et la classification internationale, ne pourront qu'aider les professionnels de santé à mieux prendre en charge les patients, en les accompagnant dans l'établissement du diagnostic.
La France a souvent été pionnière en matière de psychiatrie. Cette réunion correspond au début, en se référant à l'histoire, de la discussion pour la révision de la classification des maladies mentales et du comportement, car il ne peut y avoir de progrès et de projet de santé publique sans clarification des concepts.
Je sais pouvoir compter sur vous, vous pourrez compter sur moi.
Je vous remercie.

(Source http://www.sante.gouv.fr, le 27 avril 2005)