Texte intégral
Q- Avant de parler de la Constitution, une question à propos du fameux lundi de Pentecôte : c'est vous qui avez supprimé la vignette ?
R- Oui, et je ne voudrais pas qu'on la rétablisse ! A l'époque, cela avait été créé théoriquement pour les personnes âgées et, en fait, cela avait été noyé dans une espèce de pot commun et les personnes âgées n'avaient rien vu. Là, je crois que c'est une mauvaise idée. Cela va être la pagaille...
Q- Pensez-vous que le Gouvernement doit supprimer cette Journée de solidarité, retirer son projet ?
R- Oui, je pense que ce projet est mal ficelé et que cela consiste, au fond, à faire travailler les gens pour rien...
Q- Mais c'est une loi maintenant...
R- Oui, c'est une loi. Il faut de la solidarité vis-à-vis des personnes âgées et des handicapés, mais elle ne doit pas prendre cette forme-là, qui n'est pas bonne.
Q- Alors, que fait-on ? On ne respecte pas la loi ? C'est de la désobéissance ! Qu'allez-vous faire ?
R- Je vois cela dans ma commune : on est obligé, dans les cantines, de prévoir les personnes pour que les enfants puissent venir. Mais en même temps, dans tout le département, cela va être la pagaille. Cela va donc être du temps perdu, de l'argent perdu, les gens vont être mécontents. C'est l'exemple même d'une loi mal fichue.
Q- Mais ceux qui ne respectent pas la loi se mettent hors-la-loi...
R- C'est juste. Je crois donc qu'il va falloir laisser les options ouvertes, c'est ce qui se fera dans beaucoup de cas. C'est-à-dire assurer les services minimum et, pour le reste, laisser le choix aux gens.
Q- Allez-vous travailler le lundi de Pentecôte ?
R- J'ai un travail un peu particulier, parce que je suis député ; donc, la notion de "travail ou pas travail", de "jour de vacances ou pas de jour de vacances"...
Q- Je crois savoir que vous allez tenir meeting avec J. Bové et J.-L. Mélenchon ?
R- Non, pas du tout. Bové et Mélenchon viennent à côté de Rouen. Je les verrai donc sûrement à titre de courtoisie, mais je n'irai pas à leur meeting.
Q- Vous aviez juré que vous ne feriez pas ouvertement campagne pour le "non". Et vous voilà partout dans les médias ! Abandonnez-vous toute la réserve promise ?
R- Non, mais revenons un petit peu en arrière. Il y a une position officielle du Parti socialiste, qui est pour le "oui". Mais en même temps, chacun a ses convictions. Il y a beaucoup de socialistes, de femmes et d'hommes de gauche, qui sont pour le "non". Les sondages, même s'il faut s'en méfier, montrent quand même qu'il y a une majorité de gens de gauche qui sont pour le "non". Et puis, j'allais dire que l'on est un peu venu me chercher. Lorsque M. Chirac, le grand chef du "oui", dit, la semaine dernière à la télévision, que "tous ceux qui sont pour le "non" sont antieuropéens", là, je ne suis pas d'accord. Il y a des millions de Français qui sont à fond pour l'Europe, comme c'est mon cas, et qui vont voter "non". Et donc, il y a une telle série de mensonges - c'est le mot - qu'il faut, tout en gardant son calme, sa réserve, sa mesure, son équilibre, rectifier ces mensonges. Et quand, gentiment, comme c'est votre cas ce matin, on m'invite : je viens et je réponds. Mais je ne ferai pas de meeting et je garderai mon équilibre, bien sûr.
Q- Etes-vous sorti de votre réserve à cause de l'intervention de J. Chirac ?
R- Il y a un ensemble de choses. Il y a cela et puis je trouve qu'il y a quand même beaucoup de faussetés, d'erreurs, de mensonges, qui sont véhiculés partout.
Q- Chez les partisans du "non" comme chez les partisans du "oui" d'ailleurs, peut-être...
R- Je suis surtout sensible à ce que dit le chef du "oui", M. Chirac. Quand il nous dit, par exemple, que la directive Bolkestein est enterrée, qu'il ne sait pas comment ses ministres ont voté pour la directive Bolkestein, là, il est pris en flagrant délit. La directive Bolkestein va ressortir dès après le vote, si le vote est "oui", c'est évident.
Q- Etes-vous le chef de file du "non" ?
R- Non, il n'y a pas de chef de file...
Q- Mais si, vous demandez d'ailleurs un face-à-face avec J. Chirac !
R- Non, il n'y pas de chef de file, il y a beaucoup de gens qui sont pour le "non". Et j'ai le trait à la fois de connaître très bien ces problèmes, puisque j'ai l'expérience pro-européenne incontestée, et en même temps d'être connu comme quelqu'un de responsable. Donc, je prends mes responsabilités. Sur le face-à-face avec J. Chirac, c'est France 2 qui me l'a proposé il y a un certain temps. J'ai dit "oui", mais il semble que J. Chirac ne soit pas d'accord avec les débats. C'est d'ailleurs une des distinctions, parmi d'autres, avec F. Mitterrand.
Q- Pourquoi, selon vous, n'est-il pas d'accord ?
R- Je n'en sais rien. Mais l'une des conséquences que cela aurait, s'il acceptait le débat, c'est que le temps d'antenne serait équilibré. Vous savez certainement que lorsque M. Chirac parle, c'est hors contingent. J'ai appris, d'ailleurs à ma grande surprise, que lorsque M. Giscard d'Estaing parle aussi ! J'ai demandé pourquoi ; on m'a dit - mais il faudrait le vérifier - que c'est parce que lui ne prend pas partie, il "explique" ! J'ai trouvé ce commentaire extraordinaire !
Q- Pensez-vous qu'il y a une injustice, que les tenants du "oui" sont favorisés dans les médias ? Vous aussi, vous entrez sur ce terrain là ?
R- Ecoutez, il faut essayer d'équilibrer les choses, que chacun puisse s'exprimer, et surtout que les gens se fassent une opinion - c'est ce qui est important. Et d'ailleurs, il y a des choses que l'on découvre. Hier, je regardais un petit peu le débat sur TF1 ; les uns et les autres avaient la Constitution, et on a parlé de la Turquie notamment. J'étais très surpris, parce que - cela va peut-être surprendre vos auditeurs - il a été mentionné - et après, j'ai été vérifié - que la Turquie est signataire de la Constitution. J'ai regardé dans le texte et, effectivement, page 165, il y a la liste de tous les pays qui ont signé la Constitution, et le dernier, c'est la Turquie. Cela fait quand même réfléchir, parce que l'on nous dit que la Turquie, "on verra dans quinze ans", mais si elle signe la Constitution aujourd'hui, qu'est-ce que cela veut dire ? On découvre donc sans cesse des choses.
Q- Etes-vous totalement opposé à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne ?
R- Je suis sur une thèse qui était celle de F. Mitterrand. Vous vous rappelez sa thèse des "trois cercles", c'est-à-dire qu'il faut qu'il y ait un premier cercle de pays - la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la Belgique - qui veulent avancer vite et qui puissent le faire. Il faut que l'on puisse avancer ensemble en matière scientifique, technologique, etc. Un deuxième cercle de pays, qui sont les pays de l'Union européenne, aujourd'hui à 25, peut-être demain à 27 ou 28. Et puis, à la périphérie, il faut qu'il y ait des pays que l'on doit puissamment aider sur le plan de la démocratie et de l'économie - je pense à la Turquie, je pense à l'Ukraine, je pense au Maghreb... Mais si on les fait entrer tous dans les mécanismes de décision, à ce moment-là, on ne pourra plus rien décider du tout. On sera tellement nombreux et il y aura une telle hétérogénéité, que l'on risque d'être paralysés.
Q- Peut-on en décider aujourd'hui ? Le problème est là... La Constitution règle le jeu, en quelque sorte...
R- Ce qui est sûr, c'est que si l'on engage la négociation, comme c'est prévu, au mois d'octobre, à chaque fois qu'une négociation est engagée, elle se termine toujours par un "oui". C'est donc beaucoup d'hypocrisie de dire que l'on va engager la négociation et que l'on ne sait pas la conclusion, alors que l'on sait que ce sera "oui". Il faut des étapes à tout ça, il ne faut pas aller plus vite que la musique. Oui, pour aider les pays qui sont vraiment autour de nous et ceux qui sont avec nous dans l'élargissement...
Q- Qui sont déjà entrés...
R- Bien sûr, il faut les aider. Et l'Europe ne les aide pas assez. Je ne sais pas si vous le savez, mais on va, à 25, consacrer aux nouveaux pays moins que lorsque l'on était 15. Cela veut donc dire que ces pays-là vont avoir énormément de mal à se développer et à nous rattraper, alors que c'est notre intérêt et le leur qu'ils se développent.
Q- "Le "oui" de gauche et le "oui" de droite sont compatibles" : ce n'est pas moi qui le dit, c'est L. Jospin. Etes-vous d'accord ?
R- Je me suis fixé une règle et je ne veux pas y déroger : je suis tout à fait d'accord pour aller sur le débat politique, mais pas sur la polémique. Je ne commente donc pas - vous le comprendrez - tel ou tel propos tenu par...
Q- Surtout quand il vient de quelqu'un du Parti socialiste ?
R- Oui, parce que sinon, on rentre dans une espèce de ping-pong...
Q- Mais L. Jospin s'est engagé...
R- Mais L. Jospin fait ce qu'il pense devoir faire et son opinion est tout à fait respectable. Mais sur le sujet de l'Europe comme sur beaucoup d'autres, vous avez une vision de droite - qui est tout à fait légitime - et vous avez une vision de gauche. Et par exemple, en matière sociale, je n'ai jamais caché que j'étais favorable à une Europe sociale. Quand je regarde le texte de cette Constitution, cela me frappe beaucoup : tout ce qui est économique et financier est très précis, c'est du droit dur ; et tout ce qui est social, c'est assez flou, c'est du droit mou. Si on veut une Europe sociale, la vraie question est que si l'on vote "oui", on poursuit la plupart des défauts des politiques actuelles. Et c'est seulement le "non" qui permet un changement européen.
Q- On poursuit sur les textes que vous avez approuvés.
Mais qui, pour une part, se sont révélés dépassés. Je prends un exemple : j'ai voté pour Maastricht, il y avait l'euro, ce qui était positif, mais en revanche, il y avait le fait que la Banque centrale européenne disait que la croissance et l'emploi ne l'intéressaient pas et qu'elle s'occuperait que des prix. On voit aujourd'hui que l'on a 5 millions de chômeurs en Allemagne, plus de 10 % en France. Il ne faut donc pas reconduire cette disposition. Si la Banque centrale continue à dire que la croissance et l'emploi, ce n'est son problème et qu'elle ne s'occupe que des prix, on aura demain la même situation. Il y a donc des textes qui ont été votés, mais maintenant, il faut les regarder à la lumière de l'expérience. J'ai l'expérience, et justement, à la lumière de cette expérience, je dis qu'il y a des textes que l'on peut reprendre, mais des textes qu'il ne faut pas reprendre tels quels. Et c'est la raison pour laquelle je suis toujours surpris lorsque l'on dit que, d'un côté, il y a des défauts aux textes actuels, mais de l'autre, il faut voter la Constitution puisqu'elle les reprend. Si elle reprend tous les textes actuels, on aura tous les mêmes défauts qu'hier.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 mai 2005)
R- Oui, et je ne voudrais pas qu'on la rétablisse ! A l'époque, cela avait été créé théoriquement pour les personnes âgées et, en fait, cela avait été noyé dans une espèce de pot commun et les personnes âgées n'avaient rien vu. Là, je crois que c'est une mauvaise idée. Cela va être la pagaille...
Q- Pensez-vous que le Gouvernement doit supprimer cette Journée de solidarité, retirer son projet ?
R- Oui, je pense que ce projet est mal ficelé et que cela consiste, au fond, à faire travailler les gens pour rien...
Q- Mais c'est une loi maintenant...
R- Oui, c'est une loi. Il faut de la solidarité vis-à-vis des personnes âgées et des handicapés, mais elle ne doit pas prendre cette forme-là, qui n'est pas bonne.
Q- Alors, que fait-on ? On ne respecte pas la loi ? C'est de la désobéissance ! Qu'allez-vous faire ?
R- Je vois cela dans ma commune : on est obligé, dans les cantines, de prévoir les personnes pour que les enfants puissent venir. Mais en même temps, dans tout le département, cela va être la pagaille. Cela va donc être du temps perdu, de l'argent perdu, les gens vont être mécontents. C'est l'exemple même d'une loi mal fichue.
Q- Mais ceux qui ne respectent pas la loi se mettent hors-la-loi...
R- C'est juste. Je crois donc qu'il va falloir laisser les options ouvertes, c'est ce qui se fera dans beaucoup de cas. C'est-à-dire assurer les services minimum et, pour le reste, laisser le choix aux gens.
Q- Allez-vous travailler le lundi de Pentecôte ?
R- J'ai un travail un peu particulier, parce que je suis député ; donc, la notion de "travail ou pas travail", de "jour de vacances ou pas de jour de vacances"...
Q- Je crois savoir que vous allez tenir meeting avec J. Bové et J.-L. Mélenchon ?
R- Non, pas du tout. Bové et Mélenchon viennent à côté de Rouen. Je les verrai donc sûrement à titre de courtoisie, mais je n'irai pas à leur meeting.
Q- Vous aviez juré que vous ne feriez pas ouvertement campagne pour le "non". Et vous voilà partout dans les médias ! Abandonnez-vous toute la réserve promise ?
R- Non, mais revenons un petit peu en arrière. Il y a une position officielle du Parti socialiste, qui est pour le "oui". Mais en même temps, chacun a ses convictions. Il y a beaucoup de socialistes, de femmes et d'hommes de gauche, qui sont pour le "non". Les sondages, même s'il faut s'en méfier, montrent quand même qu'il y a une majorité de gens de gauche qui sont pour le "non". Et puis, j'allais dire que l'on est un peu venu me chercher. Lorsque M. Chirac, le grand chef du "oui", dit, la semaine dernière à la télévision, que "tous ceux qui sont pour le "non" sont antieuropéens", là, je ne suis pas d'accord. Il y a des millions de Français qui sont à fond pour l'Europe, comme c'est mon cas, et qui vont voter "non". Et donc, il y a une telle série de mensonges - c'est le mot - qu'il faut, tout en gardant son calme, sa réserve, sa mesure, son équilibre, rectifier ces mensonges. Et quand, gentiment, comme c'est votre cas ce matin, on m'invite : je viens et je réponds. Mais je ne ferai pas de meeting et je garderai mon équilibre, bien sûr.
Q- Etes-vous sorti de votre réserve à cause de l'intervention de J. Chirac ?
R- Il y a un ensemble de choses. Il y a cela et puis je trouve qu'il y a quand même beaucoup de faussetés, d'erreurs, de mensonges, qui sont véhiculés partout.
Q- Chez les partisans du "non" comme chez les partisans du "oui" d'ailleurs, peut-être...
R- Je suis surtout sensible à ce que dit le chef du "oui", M. Chirac. Quand il nous dit, par exemple, que la directive Bolkestein est enterrée, qu'il ne sait pas comment ses ministres ont voté pour la directive Bolkestein, là, il est pris en flagrant délit. La directive Bolkestein va ressortir dès après le vote, si le vote est "oui", c'est évident.
Q- Etes-vous le chef de file du "non" ?
R- Non, il n'y a pas de chef de file...
Q- Mais si, vous demandez d'ailleurs un face-à-face avec J. Chirac !
R- Non, il n'y pas de chef de file, il y a beaucoup de gens qui sont pour le "non". Et j'ai le trait à la fois de connaître très bien ces problèmes, puisque j'ai l'expérience pro-européenne incontestée, et en même temps d'être connu comme quelqu'un de responsable. Donc, je prends mes responsabilités. Sur le face-à-face avec J. Chirac, c'est France 2 qui me l'a proposé il y a un certain temps. J'ai dit "oui", mais il semble que J. Chirac ne soit pas d'accord avec les débats. C'est d'ailleurs une des distinctions, parmi d'autres, avec F. Mitterrand.
Q- Pourquoi, selon vous, n'est-il pas d'accord ?
R- Je n'en sais rien. Mais l'une des conséquences que cela aurait, s'il acceptait le débat, c'est que le temps d'antenne serait équilibré. Vous savez certainement que lorsque M. Chirac parle, c'est hors contingent. J'ai appris, d'ailleurs à ma grande surprise, que lorsque M. Giscard d'Estaing parle aussi ! J'ai demandé pourquoi ; on m'a dit - mais il faudrait le vérifier - que c'est parce que lui ne prend pas partie, il "explique" ! J'ai trouvé ce commentaire extraordinaire !
Q- Pensez-vous qu'il y a une injustice, que les tenants du "oui" sont favorisés dans les médias ? Vous aussi, vous entrez sur ce terrain là ?
R- Ecoutez, il faut essayer d'équilibrer les choses, que chacun puisse s'exprimer, et surtout que les gens se fassent une opinion - c'est ce qui est important. Et d'ailleurs, il y a des choses que l'on découvre. Hier, je regardais un petit peu le débat sur TF1 ; les uns et les autres avaient la Constitution, et on a parlé de la Turquie notamment. J'étais très surpris, parce que - cela va peut-être surprendre vos auditeurs - il a été mentionné - et après, j'ai été vérifié - que la Turquie est signataire de la Constitution. J'ai regardé dans le texte et, effectivement, page 165, il y a la liste de tous les pays qui ont signé la Constitution, et le dernier, c'est la Turquie. Cela fait quand même réfléchir, parce que l'on nous dit que la Turquie, "on verra dans quinze ans", mais si elle signe la Constitution aujourd'hui, qu'est-ce que cela veut dire ? On découvre donc sans cesse des choses.
Q- Etes-vous totalement opposé à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne ?
R- Je suis sur une thèse qui était celle de F. Mitterrand. Vous vous rappelez sa thèse des "trois cercles", c'est-à-dire qu'il faut qu'il y ait un premier cercle de pays - la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la Belgique - qui veulent avancer vite et qui puissent le faire. Il faut que l'on puisse avancer ensemble en matière scientifique, technologique, etc. Un deuxième cercle de pays, qui sont les pays de l'Union européenne, aujourd'hui à 25, peut-être demain à 27 ou 28. Et puis, à la périphérie, il faut qu'il y ait des pays que l'on doit puissamment aider sur le plan de la démocratie et de l'économie - je pense à la Turquie, je pense à l'Ukraine, je pense au Maghreb... Mais si on les fait entrer tous dans les mécanismes de décision, à ce moment-là, on ne pourra plus rien décider du tout. On sera tellement nombreux et il y aura une telle hétérogénéité, que l'on risque d'être paralysés.
Q- Peut-on en décider aujourd'hui ? Le problème est là... La Constitution règle le jeu, en quelque sorte...
R- Ce qui est sûr, c'est que si l'on engage la négociation, comme c'est prévu, au mois d'octobre, à chaque fois qu'une négociation est engagée, elle se termine toujours par un "oui". C'est donc beaucoup d'hypocrisie de dire que l'on va engager la négociation et que l'on ne sait pas la conclusion, alors que l'on sait que ce sera "oui". Il faut des étapes à tout ça, il ne faut pas aller plus vite que la musique. Oui, pour aider les pays qui sont vraiment autour de nous et ceux qui sont avec nous dans l'élargissement...
Q- Qui sont déjà entrés...
R- Bien sûr, il faut les aider. Et l'Europe ne les aide pas assez. Je ne sais pas si vous le savez, mais on va, à 25, consacrer aux nouveaux pays moins que lorsque l'on était 15. Cela veut donc dire que ces pays-là vont avoir énormément de mal à se développer et à nous rattraper, alors que c'est notre intérêt et le leur qu'ils se développent.
Q- "Le "oui" de gauche et le "oui" de droite sont compatibles" : ce n'est pas moi qui le dit, c'est L. Jospin. Etes-vous d'accord ?
R- Je me suis fixé une règle et je ne veux pas y déroger : je suis tout à fait d'accord pour aller sur le débat politique, mais pas sur la polémique. Je ne commente donc pas - vous le comprendrez - tel ou tel propos tenu par...
Q- Surtout quand il vient de quelqu'un du Parti socialiste ?
R- Oui, parce que sinon, on rentre dans une espèce de ping-pong...
Q- Mais L. Jospin s'est engagé...
R- Mais L. Jospin fait ce qu'il pense devoir faire et son opinion est tout à fait respectable. Mais sur le sujet de l'Europe comme sur beaucoup d'autres, vous avez une vision de droite - qui est tout à fait légitime - et vous avez une vision de gauche. Et par exemple, en matière sociale, je n'ai jamais caché que j'étais favorable à une Europe sociale. Quand je regarde le texte de cette Constitution, cela me frappe beaucoup : tout ce qui est économique et financier est très précis, c'est du droit dur ; et tout ce qui est social, c'est assez flou, c'est du droit mou. Si on veut une Europe sociale, la vraie question est que si l'on vote "oui", on poursuit la plupart des défauts des politiques actuelles. Et c'est seulement le "non" qui permet un changement européen.
Q- On poursuit sur les textes que vous avez approuvés.
Mais qui, pour une part, se sont révélés dépassés. Je prends un exemple : j'ai voté pour Maastricht, il y avait l'euro, ce qui était positif, mais en revanche, il y avait le fait que la Banque centrale européenne disait que la croissance et l'emploi ne l'intéressaient pas et qu'elle s'occuperait que des prix. On voit aujourd'hui que l'on a 5 millions de chômeurs en Allemagne, plus de 10 % en France. Il ne faut donc pas reconduire cette disposition. Si la Banque centrale continue à dire que la croissance et l'emploi, ce n'est son problème et qu'elle ne s'occupe que des prix, on aura demain la même situation. Il y a donc des textes qui ont été votés, mais maintenant, il faut les regarder à la lumière de l'expérience. J'ai l'expérience, et justement, à la lumière de cette expérience, je dis qu'il y a des textes que l'on peut reprendre, mais des textes qu'il ne faut pas reprendre tels quels. Et c'est la raison pour laquelle je suis toujours surpris lorsque l'on dit que, d'un côté, il y a des défauts aux textes actuels, mais de l'autre, il faut voter la Constitution puisqu'elle les reprend. Si elle reprend tous les textes actuels, on aura tous les mêmes défauts qu'hier.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 mai 2005)