Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement honorée d'ouvrir les travaux de cette rencontre européenne organisée dans le cadre de la Présidence française.
Honorée de rencontrer toutes celles et tous ceux qui ont uvré sans relâche, et qui uvrent au jour le jour, pour faire aboutir le projet d'une société plus juste, plus fraternelle et donnant à nos concitoyens handicapés, la place qu'ils revendiquent légitimement.
La solidarité profonde qui nous rassemble dans ce combat, fera de ces journées un moment privilégié d'échanges de débats, fructueux et utiles, qui viendront enrichir notre participation à la vie démocratique des pays de l'Union européenne et, je l'espère, contribueront à faire évoluer les mentalités.
Le handicap est un concept qui s'est construit progressivement
Le terme de "handicap" s'est aujourd'hui imposé avec une telle évidence dans le vocabulaire courant qu'on oublie souvent que d'autres appellations nos représentations collectives il n'y a pas si longtemps. On parlait alors "d'infirmes", de "débiles", "d'arriérés mentaux"...
L'examen attentif de cette évolution retrace l'histoire des rapports changeants de notre société à l'altérité, la façon dont elle élabore successivement les images qu'elle s'en donne et la relativité de nos représentations sociales.
Périodiquement, des faits viennent néanmoins nous rappeler que la question du rapport à la différence n'a pas encore trouvé de réponse totalement satisfaisante ; faits divers affligeants, quand ils illustrent la bêtise humaine qui dénigre une personne handicapée à l'occasion d'un "bon mot " ; faits divers tragiques quand ils expriment le désespoir de ces parents qui ne supportent plus la souffrance sans réponse de leur enfant autiste ou bien le mépris, les mauvais traitements dans lesquels sont tenues des personnes handicapées, accueillies sans considération dans des lieux sans nom.
Le handicap et les interrogations qu'il nous pose sont aujourd'hui, il faut le reconnaître, des sujets d'une actualité toujours renouvelée. La place de la personne handicapée dans notre société relève, encore, d'un fragile équilibre qu'il convient de consolider en renforçant, notamment, l'apprentissage de l'altérité : connaître délivre des craintes, savoir permet de prévoir et prévoir permet d'agir.
Agir, en portant une attention plus forte aux besoins de la personne handicapée -à ses besoins physiques, relationnels et sociaux , à ses aspirations culturelles, affectives. Agir pour que nos actions se centrent sur son choix de vie, librement exercé, et non pour que ce choix soit dicté uniquement par l'offre de services et un cadre de valeurs éthiquement non respectueux de la dignité humaine.
Créer les conditions d'un vrai choix de vie
Je souhaiterais à présent tracer devant vous les grandes lignes de l'évolution de la politique menée dans notre pays en direction des personnes handicapées depuis les dernières décennies.
Au tournant des années 70, il importait alors au Législateur d'affirmer les droits de ces personnes, de les reconnaître dans leur citoyenneté et de prescrire les devoirs de la société afin que ces droits passent dans la réalité. Il convenait aussi de passer d'un système d'assistance à celui d'une solidarité nationale.
Certes, la volonté d'intégration est clairement définie dans l'article premier de la loi d'orientation du 30 juin 1975, mais les actions conduites par les Pouvoirs Publics ont contribué, pendant de nombreuses années, au développement de la prise en charge en institutions spécialisées.
Si elles étaient tout à la fois nécessaires et demandées par les associations représentatives des personnes handicapées, si elles se révèlent encore indispensables pour ceux qui sont le plus lourdement handicapés, ces solutions n'en ont pas moins pris le pas sur celles qui auraient pu favoriser le maintien en milieu de vie ordinaire, ignorant progressivement cette aspiration légitime des personnes handicapées et de leurs familles qui expriment de plus en plus souvent ce désir, cette volonté, de garder leur parent handicapé près d'eux pour lui offrir cette affection, cette attention, qui fait la qualité d'une vie.
Aujourd'hui, après cette longue période où les organisations représentatives des personnes handicapées ont été surtout animées par les parents, les familles, les amis, nous voyons, nous voyons se révéler des personnes handicapées, qui ont bénéficié de cette prise ne charge, de cette éducation, qui sont instruites, formées et qui ne veulent plus qu'on parle pour eux, qui ne veulent pas de la complaisance, encore moins d'assistance. Ces jeunes revendiquent la reconnaissance de leurs droits de citoyens, c'est à dire de ces droits qui permettent à chacun de participer aux décisions qui concernent aussi bien sa vie, sa liberté d'aller et venir, de penser, que celles qui concernent la collectivité.
Pour répondre aux attentes et aux besoins de tous, en permettant une individualisation des réponses, il faut désormais créer les conditions de ce vrai choix de vie.
C'est pourquoi :
*en privilégiant résolument l'autonomie des personnes et leur intégration dans le milieu de vie ordinaire ;
*en répondant aussi aux besoins de prise en charge et d'accueil protégé des personnes les plus lourdement handicapées ;
*en assurant la modernisation des instruments sur lesquels s'appuie son action ;
*en s'inscrivant dans la durée avec des objectifs financés à échéance pluriannuelle ;
la politique que notre Gouvernement entend mener marque un infléchissement déterminé et une orientation nouvelle par rapport à celles qui l'ont précédée.
Ce que revendiquent les personnes handicapées, c'est une véritable citoyenneté.
Etre citoyen aujourd'hui en France, c'est aussi, pour chacun d'entre nous adhérer aux valeurs qui nous rassemblent au sein d'une société fraternelle et solidaire, au-delà de nos différences, de quelque nature qu'elles soient.
C'est pourquoi il est de notre devoir de reconnaître à chacun une égale dignité et une responsabilité tout à la fois individuelle - la maîtrise de sa propre vie -, et collective - la participation à la vie de la communauté et à ses choix.
Rompre avec des situations aussi douloureuses qu'inacceptables, reconnaître à chacun une égale dignité, exige une politique globale, ambitieuse et déterminée, cohérente et équilibrée, que notre Premier Ministre a lui-même présentée devant le CNCPH, le 25 janvier dernier.
Je ne reprendrai pas ici l'ensemble du programme extrêmement ambitieux qui a été annoncé par le Premier Ministre. Celui-ci a voulu à la fois marquer le caractère interministériel de la politique qui doit être menée à leur égard, mais aussi marquer l'engagement financier majeur pris au titre de la solidarité nationale : au total 2,5 milliards seront mobilisés d'ici 2003. Jamais l'engagement collectif n'a été aussi important en direction de nos concitoyens handicapés handicapées.
Je dirai seulement à quel point le fil rouge de cette politique, le fil rouge de la considération de la personne handicapée dans son parcours d'insertion, me tient personnellement à cur :
Pour les plus jeunes, nous avons fait se multiplier les processus d'intégration scolaire, et les services d'accompagnement ;
Pour les adultes, nous sommes en marche pour faciliter leur maintien à domicile et leur autonomie ; la réforme du remboursement des appareillages a été engagée par Martine AUBRY, ministre de l'emploi et de la solidarité, et aboutira dans les semaines qui viennent;
L'insertion par l'emploi prend un nouvel essor avec des résultats extrêmement encourageants.
Bref je suis convaincue :
Tout en augmentant les moyens institutionnels de prise en charge des handicapés lourds, des autistes, des traumatisés crâniens ;
Tout en réfléchissant aux modalités à inventer pour la prise en compte du vieillissement des personnes handicapées;
Je suis convaincue, dis-je, que l'intégration des personnes handicapées, mais aussi de toutes les personnes en situation de vulnérabilité, dans notre société, progresse et progressera rapidement.
Par ailleurs, le projet de loi rénovant l'action sociale et médico-sociale, que j'ai présenté cet été au Conseil des Ministres français, va permettre de concrétiser cette ligne politique :
*en ouvrant le champ des missions et en assouplissant les réponses institutionnelles ;
*en permettant de multiplier les passerelles entre vie institutionnelle et vie à domicile ou en milieu ordinaire ;
*en suscitant l'innovation ;
*en développant des perspectives entièrement nouvelles, comme celles de l'évaluation et de la qualité ;
*en confirmant la nécessité d'une planification équilibrant sur le territoire l'offre d'institutions et de l'offre de services ;
*enfin et peut-être surtout, en donnant une véritable place aux usagers, en garantissant leur droit à la dignité, à l'information et à la participation à la vie de l'établissement qui les accueille.
C'est ainsi d'un outil totalement rénové dont disposeront les professionnels du champ médico-social et social.
Les mesures favorisant le maintien des personnes handicapées en milieu ordinaire et leur autonomie
J'aimerais plus particulièrement insister sur le volet le plus innovant de notre politique : il s'agit des mesures récentes prises pour favoriser le maintien ou le retour à domicile des personnes qui le souhaitent en respectant et en développant ainsi leur autonomie.
Je sais combien les associations représentatives des personnes handicapées ont déjà uvré pour mettre en place des prestations répondant à cette aspiration.
Beaucoup reste à faire, mais pour la première fois, en France, l'Etat va dégager des moyens conséquents sur trois ans afin de faciliter l'accès aux aides techniques et aux aides humaines qui faciliteront la vie à domicile ainsi qu'aux adaptations des logements qui permettront la vie dans les quartier ordinaires. Cet effort représentera un coût de 430 MF sur trois ans.
L'expérimentation menée depuis 1997 sur 4 sites pilotes pour la vie autonome nous a confirmé combien il est nécessaire, pour la personne handicapée, de pouvoir disposer en un même lieu, des fonctions d'accueil, d'information, d'orientation et d'évaluation des besoins.
Je sais que dans cette salle vous êtes nombreux à partager cette expérience, cette recherche.
La préconisation, par une équipe pluridisciplinaire, d'aides techniques, d'aides humaines, d'aménagements ou d'adaptations du lieu de vie, est aussi apparue de nature à améliorer la qualité et l'adaptation, la synergie, de ces aides, tout en facilitant la mobilisation des différents financeurs.
Au regard de son efficacité et des services rendus aux personnes handicapées, le dispositif sera étendu à l'ensemble de notre territoire d'ici 2003.
Parallèlement, Martine AUBRY et moi-même avons souhaité, dès décembre 1999, qu'une réflexion soit menée sur la formalisation de la reconnaissance d'un droit à la compensation des incapacités des personnes handicapées, quels que soient leur âge et l'origine de leur handicap. Ce droit impliquera la mise en uvre de toute mesure permettant d'assurer un processus dynamique d'égalisation des chances.
C'est avec une grande impatience que nous attendons les résultats de cette réflexion, qui nous seront remis dans les prochains jours.
Du droit formel au droit effectif
Au plan international et européen, l'égalité des chances a toujours été le principe affirmé à l'égard de tous. Comme corollaire de ce principe, nous trouvons bien évidemment l'absolue nécessité de combattre toute forme de discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les croyances, un handicap, l'âge, l'orientation sexuelle ou une originalité comportementale.
Tel est le sens, vous l'avez reconnu, de la rédaction de l'article 13 du traité d'Amsterdam qui ouvre aux personnes handicapées un droit formel, leur permettant d'agir pour leur propre compte contre toutes les formes de discriminations.
Ce que rappelle, par ailleurs, l'article 21, alinéa 1, du projet de Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en interdisant toute discrimination.
Mais, j'en suis convaincue, pour essentielle que soit l'affirmation des droits, celle-ci doit être impérativement complétée par des mesures qui permettent l'exercice effectif de ces droits par des actions positives et concrètes. C'est la voie me semble-t-il ouverte par le projet de directive " emploi " relative à l'article 13 du Traité d'Amsterdam.
Nos concitoyens vivant des situations de handicap dans les pays de l'Union européenne nous interpellent vigoureusement et légitimement :
Il veulent exercer pleinement leur droit à faire le libre choix de leur mode de vie ;
Ils veulent accéder à l'autonomie la plus large ;
Ils veulent aussi participer de plein droit à l'élaboration et à la prise de décision dans tous les champs les concernant.
Ils ont raison !
Et il nous revient de mettre en uvre, tous ensemble, comme nous y invite l'article 25 "intégration des personnes handicapées" du projet de Charte des droits fondamentaux, des "mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté"
Parce que l'expérience collective s'enrichira de l'expérience de chacun d'entre vous, parce que nous avons une volonté commune de faire progresser une dynamique européenne respectueuse des attentes des personnes handicapées, les travaux de ce colloque vont y contribuer.
Nos attentes
La construction d'une dynamique européenne ne peut se faire qu'avec tous les citoyens de droit et par conséquent avec les personnes handicapées :
- Elles doivent être reconnues, à titre individuel, dans leur capacité de réflexion, d'expertise et de revendication, gage de l'expression de leur libre choix ;
- Elles doivent également être reconnues dans leur rôle d'acteurs dans la société au travers d'une participation à tous les niveaux de l'élaboration, de l'exécution et du suivi des politiques d'inclusion .
Pour atteindre ces objectifs, nous devrons mobiliser tous les moyens disponibles, que ce soit dans le cadre législatif, que ce soit par le dialogue civil et social, que ce soit enfin, par des programmes d'action et des moyens financiers mis à disposition.
Dans le large éventail d'actions décrites par le nouvel agenda pour la politique sociale adoptée par la Commission le 26 juin 2000, un certain nombre d'actions se concentreront sur la modernisation et l'amélioration de la protection sociale, sur la promotion de l'inclusion sociale, sur le renforcement de l'égalité entre les femmes et les hommes et sur la consolidation des droits fondamentaux, ainsi que sur la lutte contre la discrimination.
En matière de proposions spécifiques concernant les personnes handicapées, il nous faudra :
*suivre la mise en uvre de la communication " vers une Europe sans entrave pour les personnes handicapées " et préparer un rapport de mise en uvre pour 2003 ;
*proposer une année européenne consacrée aux personnes handicapées pour 2003.
Pour dynamiser et soutenir cette nécessaire évolution, j'attends de vous des propositions :
- pour la création d'un dispositif européen permettant un recueil d'informations, en articulation avec les dispositifs nationaux.
- pour la facilitation des échanges et du suivi de bonnes pratiques à l'échelle européenne
CONCLUSION
J'aimerai conclure en vous faisant part de ma conviction profonde :
- Aucune société ne peut s'édifier en ignorant la valeur individuelle de chacun ;
- Aucune société ne peut se construire sur l'exclusion ;
- Aucune société ne peut se contenter d'un idéal de vie médiocre.
C'est la raison pour laquelle je souhaite que nous uvrions, tous ensemble, pour changer durablement et profondément le regard que porte notre société sur la personne handicapée afin de lui permettre de profiter de ses potentialités, de lui permettre de donner libre cours à sa créativité, d'exercer ses talents, d'épanouir sa personnalité.
Alors, seulement, nous pourrons dire que l'Europe, cette grande Idée que nous cherchons à bâtir, n'est plus une Utopie mais une réalité.
(source http://www.social.gouv.fr, le 20 octobre 2000)