Texte intégral
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Je vous remercie de votre invitation.
Les Journées scientifiques de l'ECOLE des MINES de PARIS ont porté cette année sur la gestion des déchets radioactifs. J'ai accepté avec plaisir de clôre les débats. La gestion des déchets radioactifs me paraît en effet, outre son intérêt propre, présenter un caractère d'exemplarité sur la façon dont doivent être élaborés, arbitrés et expliqués les choix scientifiques, technologiques et industriels majeurs, surtout lorsqu'ils engagent l'avenir sur de longues périodes, voire sur des périodes dont la durée est sans commune mesure avec une génération humaine.
Permettez-moi tout d'abord de féliciter les étudiants de l'Ecole des Mines pour l'intérêt et la tenue des débats qu'ils ont su organiser et animer. Le sujet est de ceux qui cristallisent aujourd'hui encore les passions et je note que les divers points de vue qu'il suscite ont pu s'exprimer dans un débat ouvert, sérieux et courtois.
Le respect pour la diversité des points de vue, même et surtout lorsqu'ils trouvent leurs arguments dans des domaines non techniques, me paraît une nécessité pour les ingénieurs d'aujourd'hui qui doivent sans doute mieux que par le passé intégrer la dimension humaine et sociale dans leur choix, leurs discours et leur comportement.
Je me félicite de constater que l'Ecole des Mines de Paris, au premier rang des Ecoles d'ingénieurs par son ancienneté et la qualité de ses élèves, et dont la réputation nationale et internationale n'est plus à faire, à su prendre ce souci en compte.
Les choix techniques aujourd'hui, en effet, ne sauront, dans un certain, nombre de domaines majeurs, se résoudre à de simples arbitrages économiques, voire financiers, ou pire encore, au triomphe éphémère d'une thèse, d'une école ou d'un lobby bien organisés.
Les grands choix techniques aujourd'hui doivent être correctement élaborés, évalués, définis, expliqués et enfin compris par la majorité des citoyens, Cette demande est d'autant plus nécessaire dans le secteur de l'énergie car les choix y engagent le pays pour de longues périodes.
A l'occasion du débat d'octobre 1981 de l'Assemblée Nationale, il a été décidé des mesures concrètes pour poursuivre le programme électronucléaire dans le cadre d'un plan global d'indépendance de maîtrise énergétique où doivent trouver leur juste place toutes les énergies.
Comme il était apparu que le besoin d'information et d'explication était ressenti avec une acuité particulière dans le secteur du nucléaire, des décisions spécifiques ont été prises qui valent d'être rappelées.
D'une part, les présidents de Conseils Généraux ont été incités à constituer auprès de chaque grand équipement énergétique une commission locale d'information, composée de façon pluraliste sous la direction des élus concernés. Ces commissions, dont le nombre est maintenant substantiel, facilitent les échanges entre les responsables de ces équipements et leur environnement. L'information doit en effet être décentralisée. L'énergie nucléaire est une industrie jeune qui a encore besoin de se faire connaître pour se faire mieux accepter.
D'autre part, le souci de disposer d'ure expertise technique indépendante de haut niveau a conduit à modifier profondément le conseil supérieur de la Sûreté nucléaire qui comprend maintenant, outre une majorité de scientifiques, des parlementaires et des représentants d'association et de syndicats professionnels. Le conseil constitue ainsi un "comité de sages" de haut niveau chargé de conseiller le Gouvernement dans le domaine de la sûreté nucléaire.
Je rappelle qu'un groupe de travail du Conseil, présidé car le professeur CASTAING, a examiné la gestion des combustibles irradiés. Ce groupe, renforcé de façon appropriée, vient d'examiner le projet de programme général de gestion des déchets radioactifs proposé par le Commissariat à l'Energie Atomique à la demande de mon département ministériel.
L'ensemble des documents correspondants ont été rendus publics.
Ce souci ne se limite pas, bien entendu, au secteur nucléaire et je note que M. CHAPUIS, Député de l'Ardèche et auteur de la proposition de loi tendant à la création de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, a participe aux débats d'aujourd'hui.
Cet élargissement, en fait, cette démocratisation de notre démarche collective doit à l'évidence se conjuguer avec une clarification nette des rôles de chacun : la confusion des genres et des responsabilités ne pouvant que conduire à des doutes, des déboires et des malentendus fâcheux.
Parmi ces choix majeurs qui interpellent la société contemporaine, la gestion correcte des déchets radioactifs est à l'évidence un point central, en quelque sorte l'aune qui mesurera notre capacité à entrer avec confiance et détermination dans cette nouvelle ère industrielle dont nous apercevrons déjà les prémisses et dont vous, ingénieurs des mines, vous serez les bâtisseurs.
Ce dossier doit être abordé dans tous ses aspects avec le plus grand sérieux, la plus grande responsabilité, la mobilisation la plus large des ressources de la science et de la technologie mais sans fantasmes et sans passion, HIROSHIMA fut un péché contre l'humanité mais un réacteur nucléaire c'est aujourd'hui la chaleur, le confort, le travail, la lumière, la vie pour des millions d'hommes, la matière n'est pas coupable et la science peut nous ouvrir le temps de la réconciliation entre la nature maîtrisée et l'homme responsable, n'était-ce pas déjà l'ambition de la Renaissance.
L'énergie est la vie, mais PROMETHE n'est pas tout à fait mort dans la conscience collective : de l'émerveillement craintif et respectueux des temps premiers de la "guerre du feu" "du phlogistique" médiéval plein de sombres mystères, à la réaction nucléaire sous différentes formes de notre siècle aussi créateur que tourmenté, les diverses formes de combustion - pour simplifier - ont alimenté les interrogations voire les angoisses de l'homme.
La science est d'abord raison et il convient aujourd'hui qu'en cette matière la raison sage s'impose à la passion facile.
C'est à vous qu'il appartient d'explorer la science et d'expliquer votre savoir et non de l'infliger, cela est nécessaire et possible et vous en avez parfaitement la capacité ; il appartient au pouvoir politique de vous en exprimer la volonté et de vous en donner les moyens.
Ouvrons ce dossier comme l'a fait notamment M. TEILLAC avec objectivité et sérénité.
Toute technique d'utilisation ou de transformation de la matière produit des déchets : entre la sciure et les copeaux de l'artisan menuisier et les rejets industriels ou miniers, il n'y a qu'une différence de masse.
Cependant, à la fin de ce siècle marqué par le développement considérable de l'industrie notamment dans les pays européens de faible dimension et d'une grande densité de population, il n'est pas douteux que les déchets industriels auxquels il convient d'ajouter les déchets domestiques de plus en plus nombreux de notre société de consommation sont mal vécus par l'opinion publique, a fortiori, s'ils sont - à tort ou à raison - perçus comme présentant un danger.
La vérité commande de dire que le traitement des déchets - de toute nature - et pas seulement ceux du nucléaire - représente le maillon faible de l'industrie. Par indifférence, par facilité, par économie, la récupération, le traitement, le recyclage des déchets de notre civilisation industrielle se font rarement spontanément - et à l'exception du nucléaire - ne bénéficient que rarement des meilleurs techniciens ni des entrepreneurs les plus sérieux.
En ce qui concerne le monde de l'énergie, où à l'évidence depuis le charbon, la part dite la plus noble du métier est de produire - en reléguant parfois un peu rapidement d'une manière ou d'une autre l'aspect commercialisation - je serai tenté de dire avec sans doute une certaine sévérité et une certaine simplification : c'est la " mentalité ou le principe du terril" qui a prévalu. En deux mots, je produis, je transforme, et j'entasse mes déchets en l'état.
Cette indifférence, je la ressens pour ma part comme un échec industriel et un abandon technologique et je suis convaincu que sais la pression de l'opinion publique, de la réglementation ou tout simplement par des considérations économiques, les décennies qui viennent marqueront une différence fondamentale d'approche.
Sans aller jusqu'à dire que les déchets formeront la base d'une nouvelle industrie, je prétends que l'industrie elle-même intégrera l'aval de ses processus de fabrication et de ses produits finis. L'impression de gaspillage ou d'inachevé disparaîtra ainsi progressivement : de nouveaux chantiers techniques s'ouvrent donc pour les ingénieurs.
Pour ce qui concerne la gestion des déchets radioactifs, l'honnêteté me commande de dire que ce dossier a été depuis de longues années traité avec le même sérieux qui dans notre pays est déployé pour tous les domaines touchant à la sûreté nucléaire.
Il fait l'objet d'efforts de recherches et de développements continus et importants depuis plus de vingt ans de la part du Commissariat à l'Energie Atomique. Il est traité avec une grande attention par les services du Ministère de l'Industrie et de la Recherche. Un effort accru a été - vous le savez - récemment décidé par les Pouvoirs Publics - effort qui va trouver sa traduction budgétaire dans les moyens mis à disposition du CEA sur ce chapitre dans le cadre de ses choix pluriannuels.
En effet, cette démarche doit s'inscrire dans un programme général de gestion des déchets radioactifs. A la demande de mon prédécesseur, ce programme a été élaboré, transmis à l'Administration à l'Automne 1982 et examiné par le Conseil Supérieur de la Sûreté Nucléaire le 19 avril 1983. Cet examen avait été préparé par un pertinent rapport de la commission placée à cet effet auprès du conseil et présidée avec une grande objectivité par le Professeur CASTAING.
Dans son avis du 19 avril dernier, le Conseil a fait un certain nombre de propositions et de recommandations, que le Gouvernement a décidé de prendre en compte. A cet égard, je puis indiquer que le programme du CEA en la matière a été amélioré pour se conformer aux recommandations faites. Heureux aboutissement d'un souci permanent de concertation et d'éclairage des choix politiques par la prise en compte de la diversité des sensibilités et de la science des experts.
Voilà pour la démarche ouverte, concertée, responsable avec la place légitime des experts, des partenaires, des structures économiques et des Pouvoirs Publics qui disposent de la décision finale.
A cet égard, je voudrais confirmer mon souci de ne pas laisser s'établir une confusion des rôles entre les différents acteurs concernés :
- Au CEA revient la recherche et le développement des méthodes de traitement, de conditionnement de stockage ou de destruction.
- Au Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires de préparer la réglementation et d'en vérifier l'application.
- A l'ANDRA, Service public au sein du CEA d'assurer au nom de l'Etat et dans le cadre nécessaire de sa pérennité la gestion des déchets.
- Aux producteurs la responsabilité des déchets produits jusqu'à leur prise en charge pour gestion à laquelle ils doivent participer par une juste rémunération.
Je suis pour ma part très attaché au regard de l'opinion publique à cette clarification, institutionnelle qui n'exclut pas au demeurant des structures purement scientifiques plus horizontales et plus larges.
Ces principes étant posés : quel est l'état du problème en juin 1983 dans notre pays ? Deux questions se posent : le volume des déchets et leur nature.
- En ce qui concerne le volume, personne ne saurait raisonnablement contester qu'il est singulièrement restreint, environ 800.000 M3 d'ici l'An 2000, au regard de l'énergie fournie et des services rendus : cela pourrait correspondre très grossièrement à l'accroissement de la décharge municipale d'une ville de 100.000 habitants. La difficulté n'est donc pas là.
- En ce qui concerne la nature se pose un double problème : d'une part l'approche psychologique et sociologique actuelle de la radioactivité par l'opinion publique, d'autre part l'approche technique concernant les différents déchets à vie longue, voire très longue ou à vie courte qui présentent des exigences très différentes au regard de la sécurité des travailleurs et des populations, ce qui implique dans un premier temps de les identifier - donc de fixer des seuils, puis de les séparer et enfin de les gérer différemment.
Le faible volume a conduit à conseiller aux Pouvoirs Publics la recherche de deux, sites de surface et d'un site de profondeur. Le Gouvernement en est d'accord et je vais demander au CEA d'une part d'engager des prospections sur un nombre suffisant de sites potentiellement favorables à la création de centres de surface, d'autre part de réactiver les recherches sur les formations géologiques profondes pour installer dans un premier temps - de coordination, avec l'ensemble des démarches européennes - un laboratoire d'essais qui n'impliquerait pas une implantation définitive.
Cela sera fait avec toute la clarté nécessaire, nous devons vivre une société adulte qui assume sans imprudence, mais sans complexe sa technologie. Les sites sur lesquels une prospection sera faite, seront connus et pour ceux d'entre eux - les prospections étant faites - qui seront choisis par des opérations de qualification une commission locale d'information pourra être créée dès les opérations préliminaires afin que toutes les informations désirées puissent être fournies à la population et aux élus.
Par ailleurs, et pour ma part, il m'apparaît conforme à l'équité dans le cadre cohérent de la filière du combustible et de son exploitation que les Collectivités Locales où seraient situées les nouveaux centres puissent bénéficier d'avantages financiers comparables à ceux attribués à celles qui accueillent une centrale nucléaire. J'y travaille actuellement et des dispositions seront rendues publiques le plus tôt possibles.
Cette démarche est au demeurant symétrique à la cohérence industrielle et technique que j'évoquais dans le début de mon propos.
Reste le problème éthique si souvent évoqué : a-t-on le droit d'abandonner ainsi des déchets radioactifs notamment à vie longue y compris avec toutes les précautions nécessaires à nos descendants pour des successions de générations.
A cela on peut répondre par le témoignage de monuments largement multimillénaires bâtis de la main de l'homme d'hier, on peut répondre par la capacité vérifiée des techniciens d'aujourd'hui, mais surtout on doit répondre que nos laboratoires et nos scientifiques savent d'ores et déjà, sur, le plan expérimental détruire des produits radioactifs à vie longue en produits à vie courte voire neutres.
Ce n'est pas là un aspect mineur des choses c'est au contraire la fin d'une vision, d'une sensation d'impasse scientifique et industrielle ; un sentiment d'irréversibilité pour l'homme qui disparaît, une porte qui s'ouvre sur l'avenir.
Certes il faudra du temps pour passer à la phase industrielle, du temps et de l'argent. Cela se trouvera. Certes cela conduira sans doute à des stockages réversibles. Pourquoi pas ?
Mais cela est aujourd'hui une angoisse de l'homme et ramène le problème à sa vraie dimension : un problème technique à résoudre dans sa dimension industrielle et un problème politique dans sa dimension financière.
Choses rudes parfois, mais solubles avec la volonté des uns et le talent des autres.
Je forme le vu qu'aujourd'hui soit un jour de rencontre entre la vérité et la responsabilité. Chacun en sortira grandi, vous les premiers qui m'avez accueillis ici et qui avez opportunément fait le choix de cet excellent sujet.
Je vous remercie de votre invitation.
Les Journées scientifiques de l'ECOLE des MINES de PARIS ont porté cette année sur la gestion des déchets radioactifs. J'ai accepté avec plaisir de clôre les débats. La gestion des déchets radioactifs me paraît en effet, outre son intérêt propre, présenter un caractère d'exemplarité sur la façon dont doivent être élaborés, arbitrés et expliqués les choix scientifiques, technologiques et industriels majeurs, surtout lorsqu'ils engagent l'avenir sur de longues périodes, voire sur des périodes dont la durée est sans commune mesure avec une génération humaine.
Permettez-moi tout d'abord de féliciter les étudiants de l'Ecole des Mines pour l'intérêt et la tenue des débats qu'ils ont su organiser et animer. Le sujet est de ceux qui cristallisent aujourd'hui encore les passions et je note que les divers points de vue qu'il suscite ont pu s'exprimer dans un débat ouvert, sérieux et courtois.
Le respect pour la diversité des points de vue, même et surtout lorsqu'ils trouvent leurs arguments dans des domaines non techniques, me paraît une nécessité pour les ingénieurs d'aujourd'hui qui doivent sans doute mieux que par le passé intégrer la dimension humaine et sociale dans leur choix, leurs discours et leur comportement.
Je me félicite de constater que l'Ecole des Mines de Paris, au premier rang des Ecoles d'ingénieurs par son ancienneté et la qualité de ses élèves, et dont la réputation nationale et internationale n'est plus à faire, à su prendre ce souci en compte.
Les choix techniques aujourd'hui, en effet, ne sauront, dans un certain, nombre de domaines majeurs, se résoudre à de simples arbitrages économiques, voire financiers, ou pire encore, au triomphe éphémère d'une thèse, d'une école ou d'un lobby bien organisés.
Les grands choix techniques aujourd'hui doivent être correctement élaborés, évalués, définis, expliqués et enfin compris par la majorité des citoyens, Cette demande est d'autant plus nécessaire dans le secteur de l'énergie car les choix y engagent le pays pour de longues périodes.
A l'occasion du débat d'octobre 1981 de l'Assemblée Nationale, il a été décidé des mesures concrètes pour poursuivre le programme électronucléaire dans le cadre d'un plan global d'indépendance de maîtrise énergétique où doivent trouver leur juste place toutes les énergies.
Comme il était apparu que le besoin d'information et d'explication était ressenti avec une acuité particulière dans le secteur du nucléaire, des décisions spécifiques ont été prises qui valent d'être rappelées.
D'une part, les présidents de Conseils Généraux ont été incités à constituer auprès de chaque grand équipement énergétique une commission locale d'information, composée de façon pluraliste sous la direction des élus concernés. Ces commissions, dont le nombre est maintenant substantiel, facilitent les échanges entre les responsables de ces équipements et leur environnement. L'information doit en effet être décentralisée. L'énergie nucléaire est une industrie jeune qui a encore besoin de se faire connaître pour se faire mieux accepter.
D'autre part, le souci de disposer d'ure expertise technique indépendante de haut niveau a conduit à modifier profondément le conseil supérieur de la Sûreté nucléaire qui comprend maintenant, outre une majorité de scientifiques, des parlementaires et des représentants d'association et de syndicats professionnels. Le conseil constitue ainsi un "comité de sages" de haut niveau chargé de conseiller le Gouvernement dans le domaine de la sûreté nucléaire.
Je rappelle qu'un groupe de travail du Conseil, présidé car le professeur CASTAING, a examiné la gestion des combustibles irradiés. Ce groupe, renforcé de façon appropriée, vient d'examiner le projet de programme général de gestion des déchets radioactifs proposé par le Commissariat à l'Energie Atomique à la demande de mon département ministériel.
L'ensemble des documents correspondants ont été rendus publics.
Ce souci ne se limite pas, bien entendu, au secteur nucléaire et je note que M. CHAPUIS, Député de l'Ardèche et auteur de la proposition de loi tendant à la création de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, a participe aux débats d'aujourd'hui.
Cet élargissement, en fait, cette démocratisation de notre démarche collective doit à l'évidence se conjuguer avec une clarification nette des rôles de chacun : la confusion des genres et des responsabilités ne pouvant que conduire à des doutes, des déboires et des malentendus fâcheux.
Parmi ces choix majeurs qui interpellent la société contemporaine, la gestion correcte des déchets radioactifs est à l'évidence un point central, en quelque sorte l'aune qui mesurera notre capacité à entrer avec confiance et détermination dans cette nouvelle ère industrielle dont nous apercevrons déjà les prémisses et dont vous, ingénieurs des mines, vous serez les bâtisseurs.
Ce dossier doit être abordé dans tous ses aspects avec le plus grand sérieux, la plus grande responsabilité, la mobilisation la plus large des ressources de la science et de la technologie mais sans fantasmes et sans passion, HIROSHIMA fut un péché contre l'humanité mais un réacteur nucléaire c'est aujourd'hui la chaleur, le confort, le travail, la lumière, la vie pour des millions d'hommes, la matière n'est pas coupable et la science peut nous ouvrir le temps de la réconciliation entre la nature maîtrisée et l'homme responsable, n'était-ce pas déjà l'ambition de la Renaissance.
L'énergie est la vie, mais PROMETHE n'est pas tout à fait mort dans la conscience collective : de l'émerveillement craintif et respectueux des temps premiers de la "guerre du feu" "du phlogistique" médiéval plein de sombres mystères, à la réaction nucléaire sous différentes formes de notre siècle aussi créateur que tourmenté, les diverses formes de combustion - pour simplifier - ont alimenté les interrogations voire les angoisses de l'homme.
La science est d'abord raison et il convient aujourd'hui qu'en cette matière la raison sage s'impose à la passion facile.
C'est à vous qu'il appartient d'explorer la science et d'expliquer votre savoir et non de l'infliger, cela est nécessaire et possible et vous en avez parfaitement la capacité ; il appartient au pouvoir politique de vous en exprimer la volonté et de vous en donner les moyens.
Ouvrons ce dossier comme l'a fait notamment M. TEILLAC avec objectivité et sérénité.
Toute technique d'utilisation ou de transformation de la matière produit des déchets : entre la sciure et les copeaux de l'artisan menuisier et les rejets industriels ou miniers, il n'y a qu'une différence de masse.
Cependant, à la fin de ce siècle marqué par le développement considérable de l'industrie notamment dans les pays européens de faible dimension et d'une grande densité de population, il n'est pas douteux que les déchets industriels auxquels il convient d'ajouter les déchets domestiques de plus en plus nombreux de notre société de consommation sont mal vécus par l'opinion publique, a fortiori, s'ils sont - à tort ou à raison - perçus comme présentant un danger.
La vérité commande de dire que le traitement des déchets - de toute nature - et pas seulement ceux du nucléaire - représente le maillon faible de l'industrie. Par indifférence, par facilité, par économie, la récupération, le traitement, le recyclage des déchets de notre civilisation industrielle se font rarement spontanément - et à l'exception du nucléaire - ne bénéficient que rarement des meilleurs techniciens ni des entrepreneurs les plus sérieux.
En ce qui concerne le monde de l'énergie, où à l'évidence depuis le charbon, la part dite la plus noble du métier est de produire - en reléguant parfois un peu rapidement d'une manière ou d'une autre l'aspect commercialisation - je serai tenté de dire avec sans doute une certaine sévérité et une certaine simplification : c'est la " mentalité ou le principe du terril" qui a prévalu. En deux mots, je produis, je transforme, et j'entasse mes déchets en l'état.
Cette indifférence, je la ressens pour ma part comme un échec industriel et un abandon technologique et je suis convaincu que sais la pression de l'opinion publique, de la réglementation ou tout simplement par des considérations économiques, les décennies qui viennent marqueront une différence fondamentale d'approche.
Sans aller jusqu'à dire que les déchets formeront la base d'une nouvelle industrie, je prétends que l'industrie elle-même intégrera l'aval de ses processus de fabrication et de ses produits finis. L'impression de gaspillage ou d'inachevé disparaîtra ainsi progressivement : de nouveaux chantiers techniques s'ouvrent donc pour les ingénieurs.
Pour ce qui concerne la gestion des déchets radioactifs, l'honnêteté me commande de dire que ce dossier a été depuis de longues années traité avec le même sérieux qui dans notre pays est déployé pour tous les domaines touchant à la sûreté nucléaire.
Il fait l'objet d'efforts de recherches et de développements continus et importants depuis plus de vingt ans de la part du Commissariat à l'Energie Atomique. Il est traité avec une grande attention par les services du Ministère de l'Industrie et de la Recherche. Un effort accru a été - vous le savez - récemment décidé par les Pouvoirs Publics - effort qui va trouver sa traduction budgétaire dans les moyens mis à disposition du CEA sur ce chapitre dans le cadre de ses choix pluriannuels.
En effet, cette démarche doit s'inscrire dans un programme général de gestion des déchets radioactifs. A la demande de mon prédécesseur, ce programme a été élaboré, transmis à l'Administration à l'Automne 1982 et examiné par le Conseil Supérieur de la Sûreté Nucléaire le 19 avril 1983. Cet examen avait été préparé par un pertinent rapport de la commission placée à cet effet auprès du conseil et présidée avec une grande objectivité par le Professeur CASTAING.
Dans son avis du 19 avril dernier, le Conseil a fait un certain nombre de propositions et de recommandations, que le Gouvernement a décidé de prendre en compte. A cet égard, je puis indiquer que le programme du CEA en la matière a été amélioré pour se conformer aux recommandations faites. Heureux aboutissement d'un souci permanent de concertation et d'éclairage des choix politiques par la prise en compte de la diversité des sensibilités et de la science des experts.
Voilà pour la démarche ouverte, concertée, responsable avec la place légitime des experts, des partenaires, des structures économiques et des Pouvoirs Publics qui disposent de la décision finale.
A cet égard, je voudrais confirmer mon souci de ne pas laisser s'établir une confusion des rôles entre les différents acteurs concernés :
- Au CEA revient la recherche et le développement des méthodes de traitement, de conditionnement de stockage ou de destruction.
- Au Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires de préparer la réglementation et d'en vérifier l'application.
- A l'ANDRA, Service public au sein du CEA d'assurer au nom de l'Etat et dans le cadre nécessaire de sa pérennité la gestion des déchets.
- Aux producteurs la responsabilité des déchets produits jusqu'à leur prise en charge pour gestion à laquelle ils doivent participer par une juste rémunération.
Je suis pour ma part très attaché au regard de l'opinion publique à cette clarification, institutionnelle qui n'exclut pas au demeurant des structures purement scientifiques plus horizontales et plus larges.
Ces principes étant posés : quel est l'état du problème en juin 1983 dans notre pays ? Deux questions se posent : le volume des déchets et leur nature.
- En ce qui concerne le volume, personne ne saurait raisonnablement contester qu'il est singulièrement restreint, environ 800.000 M3 d'ici l'An 2000, au regard de l'énergie fournie et des services rendus : cela pourrait correspondre très grossièrement à l'accroissement de la décharge municipale d'une ville de 100.000 habitants. La difficulté n'est donc pas là.
- En ce qui concerne la nature se pose un double problème : d'une part l'approche psychologique et sociologique actuelle de la radioactivité par l'opinion publique, d'autre part l'approche technique concernant les différents déchets à vie longue, voire très longue ou à vie courte qui présentent des exigences très différentes au regard de la sécurité des travailleurs et des populations, ce qui implique dans un premier temps de les identifier - donc de fixer des seuils, puis de les séparer et enfin de les gérer différemment.
Le faible volume a conduit à conseiller aux Pouvoirs Publics la recherche de deux, sites de surface et d'un site de profondeur. Le Gouvernement en est d'accord et je vais demander au CEA d'une part d'engager des prospections sur un nombre suffisant de sites potentiellement favorables à la création de centres de surface, d'autre part de réactiver les recherches sur les formations géologiques profondes pour installer dans un premier temps - de coordination, avec l'ensemble des démarches européennes - un laboratoire d'essais qui n'impliquerait pas une implantation définitive.
Cela sera fait avec toute la clarté nécessaire, nous devons vivre une société adulte qui assume sans imprudence, mais sans complexe sa technologie. Les sites sur lesquels une prospection sera faite, seront connus et pour ceux d'entre eux - les prospections étant faites - qui seront choisis par des opérations de qualification une commission locale d'information pourra être créée dès les opérations préliminaires afin que toutes les informations désirées puissent être fournies à la population et aux élus.
Par ailleurs, et pour ma part, il m'apparaît conforme à l'équité dans le cadre cohérent de la filière du combustible et de son exploitation que les Collectivités Locales où seraient situées les nouveaux centres puissent bénéficier d'avantages financiers comparables à ceux attribués à celles qui accueillent une centrale nucléaire. J'y travaille actuellement et des dispositions seront rendues publiques le plus tôt possibles.
Cette démarche est au demeurant symétrique à la cohérence industrielle et technique que j'évoquais dans le début de mon propos.
Reste le problème éthique si souvent évoqué : a-t-on le droit d'abandonner ainsi des déchets radioactifs notamment à vie longue y compris avec toutes les précautions nécessaires à nos descendants pour des successions de générations.
A cela on peut répondre par le témoignage de monuments largement multimillénaires bâtis de la main de l'homme d'hier, on peut répondre par la capacité vérifiée des techniciens d'aujourd'hui, mais surtout on doit répondre que nos laboratoires et nos scientifiques savent d'ores et déjà, sur, le plan expérimental détruire des produits radioactifs à vie longue en produits à vie courte voire neutres.
Ce n'est pas là un aspect mineur des choses c'est au contraire la fin d'une vision, d'une sensation d'impasse scientifique et industrielle ; un sentiment d'irréversibilité pour l'homme qui disparaît, une porte qui s'ouvre sur l'avenir.
Certes il faudra du temps pour passer à la phase industrielle, du temps et de l'argent. Cela se trouvera. Certes cela conduira sans doute à des stockages réversibles. Pourquoi pas ?
Mais cela est aujourd'hui une angoisse de l'homme et ramène le problème à sa vraie dimension : un problème technique à résoudre dans sa dimension industrielle et un problème politique dans sa dimension financière.
Choses rudes parfois, mais solubles avec la volonté des uns et le talent des autres.
Je forme le vu qu'aujourd'hui soit un jour de rencontre entre la vérité et la responsabilité. Chacun en sortira grandi, vous les premiers qui m'avez accueillis ici et qui avez opportunément fait le choix de cet excellent sujet.