Discours de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, sur les raisons de son "oui de combat" au Traité constitutionnel européen, Assemblée nationale le 5 avril 2005.

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Circonstance : Débat relatif à la ratification du traité constitutionnel européen à l'Assemblée nationale le 5 avril 2005

Texte intégral

Monsieur le Président
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames, messieurs
L'Europe est un combat. L'un des plus beaux de notre temps. Le Continent ruiné et humilié de l'après guerre s'est relevé. Nous avons conquis la paix, nous avons dépassé les murs de l'Histoire, nous avons uni des peuples, des cultures, des croyances qui jadis nous séparaient. Oui l'Europe a réussi ! Oui la France a réussi dans l'Europe !
Notre première victoire est d'avoir rendu ces acquis irréversibles, d'avoir fait de l'Europe une évidence, de lui avoir donné une solidité qui lui permet de surmonter les crises et les coups de tabac. Elle est depuis cinquante ans, notre fil rouge, notre défi permanent. Parfois la France s'est cabrée devant ses disciplines, jamais elle ne s'est dérobée. Nous avons été à l'origine de chacun de ses traités. Nous avons participé à chacune de ses réalisations. Nous avons donné chacune de ses impulsions.
Un Oui de Combat
J'ai pleinement conscience du doute qui s'est installé. On l'a connu pour le traité de Maastricht, on le mesure dans cette campagne, beaucoup de nos compatriotes, notamment dans les catégories populaires, ont le sentiment que leurs efforts sont devenus vains. Que l'Europe s'éloigne de notre modèle républicain. Qu'elle va toujours plus avant dans la dérégulation. Que la France est en train de perdre la bataille ou l'a déjà perdue.
Comment ne pas comprendre ce découragement quand les inégalités ravagent notre cohésion sociale, quand tant de nos élites renvoient l'image d'une " France qui tombe ". Comment ne pas comprendre la tentation de renverser la table quand l'Europe semble plus préoccupée par l'adaptation de sa compétitivité aux canons financiers de la mondialisation que du coût social qu'ils font peser sur ses peuples. Cette réalité, les socialistes n'ont pas attendu le référendum pour vouloir la changer.
C'est donc à tous les renoncements que je veux répondre. Je n'ai ni arrogance et ni mépris à l'égard de quiconque, mais j'ai la conviction bien trempée que la réponse n'est pas dans le repli du Non mais dans un Oui de combat. Combat pour les progrès de cette Constitution ; combat pour rendre l'Europe plus sociale, plus démocratique et plus puissante ; combat pour réconcilier la France avec elle-même et lui permettre de tenir son rang. Ce Oui est un combat d'orgueil.
Un combat de la gauche
J'assume totalement l'engagement européen des socialistes. Nous avons été parmi les architectes de l'Europe. Nous avons porté ou soutenu chacune de ses étapes. Avec la conviction d'uvrer pour la justice sociale et la grandeur de notre pays. Jamais dans cette construction, nous ne nous sommes dédits. Ni reniements hier, ni reniements aujourd'hui, ni reniements demain !
Le traité de Rome a ouvert la libre circulation des hommes et des capitaux. L'Acte unique a réalisé le marché intérieur. Le traité de Maastricht a fondé une Union monétaire
La Constitution nous fait monter dans une autre dimension. Elle est le premier texte à définir l'Europe dans un modèle de civilisation fondé sur des valeurs : la démocratie bien sûr, l'Etat de droit, mais aussi l'égalité, la solidarité, la neutralité confessionnelle, la protection sociale, le développement durable. Toutes ces valeurs sont les nôtres, elles sont celles de la République.
Nous réalisons le vieux rêve des pères fondateurs. Transformer un marché commun en une communauté de destin. Réunir nos peuples dans une citoyenneté, un passeport, une monnaie, des institutions et maintenant des valeurs partagées. Quel plus beau symbole de cette marche que la clause d'assistance mutuelle à laquelle les Etats ont souscrit dans la Constitution en cas d'agression armée d'un des leurs. Elle est l'une des marques les plus fortes de l'Europe solidaire que nous avons voulue. Comment peut-on y voir une défaite de la France ? Comment peut-on croire à une abdication des socialistes ?
Un combat pour la Constitution
Oui la Constitution rend l'Europe plus démocratique.
On a trop critiqué son fonctionnement opaque, ses " directives technocratiques " pour ne pas applaudir les renforcements des pouvoirs de contrôle du Parlement européen. Le président de la Commission ne sera plus un notable désigné par les gouvernements, il sera élu par la majorité politique de l'Assemblée et sera responsable devant elle. Les directives de la Commission deviendront des projets de loi soumis à débat et à vote. Les parlements nationaux eux-mêmes seront saisis de la conformité de ces lois au principe de subsidiarité. Les intrusions dans les particularismes culturels des peuples seront mieux contrôlées. Les politiques prennent le pas sur les technocrates.
Oui la Constitution donne un vrai pouvoir de décision à l'Europe. Là où le traité de Nice risquait de la paralyser en octroyant une prépondérance excessive aux petits Etats, la Constitution reconnaît le poids démographique et politique des grandes Nations.
Oui la Constitution enracine l'Europe politique.
La présidence fixe du Conseil européen et la désignation d'un ministre des Affaires étrangères vont donner un visage et une présence à sa diplomatie. L'Europe commence à comprendre que ses divisions en Irak ou dans sa relation avec les Etats-Unis desservent son influence. Il est vrai que son acceptation de Paul Wolfowitz, artisan de la guerre en Irak, à la tête de la Banque mondiale traduit encore sa frilosité.
Mais comment oublier sa médiation réussie en Ukraine, sa tentative d'obtenir un contrôle pacifique du programment nucléaire iranien, ses initiatives de paix en Afrique, sa politique en faveur du développement. J'oserai même dire que si les Etats-Unis avaient écoutée les résolutions du Conseil européen sur le Proche-Orient, le conflit israélo-palestinien eût, peut-être, déjà trouvé son règlement. La voix de l'Europe est beaucoup plus unie qu'on ne le dit.
Oui la Constitution garantit mieux la sécurité.
Il développe les coopérations policières et judiciaires contre les nouvelles menaces du terrorisme, des mafias ou du blanchiment d'argent.
Mais surtout il pose les fondations d'une défense commune. Tous les partenariats dans ce domaine seront permis pour les Etats qui le veulent. Ils pourront s'appuyer sur une Agence européenne d'armements et sur la clause de secours mutuel que j'ai déjà évoquée. Toutes ces dispositions traduisent la volonté de l'Union d'assumer un statut d'acteur à part entière sur la scène mondiale.
Oui la Constitution est une protection pour le monde du travail.
Sa novation la plus importante est de reconnaître des droits sociaux inaliénables à tous les citoyens européens : les droits syndicaux, le droit de grève, l'égalité entre les sexes, la non-discrimination, les services publics entrent dans ses principes fondamentaux. Dans le même esprit, les objectifs de l'Union s'élargissent au plein emploi, à la protection sociale, aux aides à la reconversion. Mais surtout l'Union a obligation de prendre en compte la dimension sociale dans toutes ces politiques. Au moment où le libéralisme rogne partout ces acquis, les Européens les inscrivent dans leur Constitution. Qui peut dès lors parler de carcan libéral ?
Un combat de vérité
Ceux qui soutiennent cette thèse excipent les références à " la concurrence libre et non faussée ". Préférerait-il que l'Union laisse la porte ouverte au capitalisme monopolistique ? Ce principe, comme tous ceux qui ont trait à l'économie, fait partie du socle fondateur de l'Europe depuis le traité de Rome. La Constitution se limite à les codifier. En suivant la logique des partisans du Non, les Conventionnels de 1789 auraient rejeté la déclaration des droits de l'homme et du citoyen au motif qu'elle comportait la reconnaissance du droit de propriété et en expliquait les jouissances. Ce traité n'est certes pas le chef d'uvre de 1789. Mais quel progrès comparativement au vide antérieur !
Sans cette Constitution, on garderait le grand marché sans avoir ni les contrepouvoirs politiques, ni les protections sociales qu'institue le nouveau texte. Son rejet aboutirait à ce paradoxe dont l'Histoire est coutumière. La surenchère anti-libérale enracinerait le libéralisme. Comme le dit le président de la Confédération européenne des syndicats : " les libéraux n'ont pas besoin de Constitution ".
C'est à la gauche de faire vivre ce traité.
L'intégration de la Charte des droits fondamentaux dans la Constitution lui donnera une portée juridique dont le mouvement syndical et associatif pourra se saisir pour exiger de nouvelles garanties sociales. C'est une vraie révolution qui s'inscrira dans la vie des gens, notamment par la création d'une jurisprudence européenne.
La reconnaissance des services d'intérêt général ouvre la voie à une loi garantissant le rôle et les missions des services publics. L'extension des coopérations renforcées offre la chance de fonder une défense européenne ou de développer des programmes de recherche et d'industrie. Autant d'atouts que pourront utiliser les forces de gauche mais aussi le mouvement social. On la vu pendant la guerre en Irak ou dans la mobilisation contre la directive Bolkestein, un espace public européen émerge, une opinion publique européenne s'exprime et commence à peser sur les décisions de l'Union. La Constitution en prend acte à travers l'instauration du droit de pétition collective.
Alors sortons des mythes et des faux-semblants qui encombrent nos greniers. Je ne veux pas faire croire aux Français que cette Constitution sera " le manège enchanté ".
Elle ne va pas faire disparaître le chômage. Elle ne va pas stopper les délocalisations. Elle ne va pas augmenter le pouvoir d'achat. Ses limites sont celles de toute Constitution. Elle ne définit pas des politiques. Elle est une proclamation de principes, une organisation des pouvoirs, un cadre de vie. Elle est surtout un compromis indispensable et imparfait entre des Etats et des forces politiques qui n'ont pas les mêmes visions et les mêmes objectifs. La gauche n'a pas à en rougir. Elle a arraché des avancées, elle n'a subi aucun recul.
Un combat d'efficacité
Ne nous lassons pas de le marteler. Aucune Nation ne construira jamais l'Europe seule. La décision du Conseil européen de remettre à plat la directive Bolkestein en est l'exemple le plus récent. La France a bénéficié de la pression du mouvement syndical européen. Mais elle n'aurait sans doute pas obtenu gain de cause si elle ne s'était pas inscrite dans la dynamique de la Constitution européenne. Il en est allé exactement de même pour la réforme du pacte de stabilité.
Nos exigences ont de l'écho dans les autres pays européens et servent la cause que nous souhaitons
Voilà qui prouve que la France n'est pas devenue le village gaulois assiégé par les légions libérales. Elle est toujours capable de peser d'influencer, d'orienter dès lors qu'elle assume pleinement ses engagements européens.. Le Non est impuissant parce qu'il est solitaire.
Quand ses leaders brandissent le talisman d'une renégociation, ils entraînent la France dans un mirage. Aucun ne détient les clés de cette renégociation. Aucun n'est au pouvoir. Aucun ne dispose d'alliés en Europe, en dehors du parti conservateur britannique et de formations populistes ou ultra-libérales. Quelles garanties de résultats peuvent-ils assurer ? Aucune. Ils devront s'en remettre au bon vouloir des Etats-membres dont une partie a signé l'actuelle Constitution à reculons parce qu'elle va trop loin dans le processus d'intégration. Par quelle opération du Saint Esprit va-t-on obtenir mieux avec des Etats qui veulent moins ?
Souvenons-nous de l'Histoire. Il y a cinquante ans, la France a rejeté le traité de la CED. Depuis la défense européenne est restée dans les limbes et, avec elle, a capacité de l'Europe à assurer la sécurité sur son sol indépendamment des Etats-Unis. Si nous disons Non le 29 mai, le scénario a toutes les chances de se reproduire. Tous ceux qui à Bruxelles et dans les capitales européennes considèrent nos préoccupations sociales et politiques comme des lubies auront les mains libres. Soit ils enterreront la Constitution sans fleurs, ni couronnes. Soit la France sera marginalisée.
Rappelons-nous les refus hautains de Margaret Thatcher dans les années 80. Pendant dix ans, elle a dit Non à tout. Pendant dix ans elle a mis la Grande Bretagne en marge de l'Europe. Elle n'a pas pu empêcher François Mitterrand et Helmut Kohl de lancer la monnaie unique et l'espace Schengen. Je ne veux pas que la France demain connaisse le même sort et se retrouve sur le banc de touche. Quand on se met à l'écart, d'autres imposent le jeu.
Alors que les Français ne se trompent pas de sens. Notre Oui n'est ni béat, ni morose. Il n'est pas béni oui-oui, il est de combat. Notre ambition est de rapprocher l'Europe réelle de l'Europe souhaitée. Je viens d'expliquer longuement pourquoi cette Constitution y concourt. Mais son adoption n'est qu'un premier pas, le reste est à conquérir.
Un combat pour l'Europe sociale
Le grand défi des socialistes est de concrétiser les avancées de la Constitution avec les gouvernements et les partis de la gauche européenne tous favorables au traité. Nous avons conscience que l'Europe sociale est l'attente première des catégories populaires et du monde du travail.
Nous en avons posé les fondations au Parti socialiste européen en définissant une réelle stratégie de croissance et d'emploi. Celle-ci repose sur un investissement massif de l'Europe dans des programmes industriels et de recherche, dans la formation continue des travailleurs et dans une politique des hautes technologies et de la connaissance. Il est inadmissible qu'à votre initiative, M. le Premier ministre, le budget européen ait été plafonné alors que l'urgence sociale exige de nouvelles marges financières. De la même manière faut-il peser sur la Banque centrale pour qu'elle modifie sa politique monétaire qui bride la croissance et la compétitivité des entreprises européennes.
Notre deuxième bataille est la négociation d'un traité social qui traduise les principes énoncés dans la Constitution sur la protection des travailleurs.
Notre troisième bataille est d'obtenir une loi garantissant l'existence et le rôle des services publics comme la Constitution le permet. Nous ne voulons pas d'une marchandisation généralisée. Les services publics doivent conserver les moyens de leurs missions qui garantissent la solidarité sociale et la cohésion territoriale.
Notre quatrième bataille est de donner les moyens à l'Europe de mieux se protéger et de mieux s'assumer dans le monde. La constitution d'un noyau de défense commune est une priorité majeure. L'assouplissement des coopérations renforcées par la Constitution en offre l'opportunité. Nous avons acquis la paix chez nous, c'est vrai mais les menaces n'ont pas disparu : du terrorisme à l'instabilité des marches de la Russie en passant par la crise d'identité du monde musulman, l'Europe doit avoir la capacité de se défendre par elle-même.
Je ne veux pas faire croire que l'Europe puissance va émerger comme par magie. Comme pour la monnaie ou la citoyenneté, c'est un processus long qui enjambe les générations. Mais ce dont je suis sûr est qu'on n'avancera plus à 25 comme on l'a fait à 6 ou à 10. Les visions et les intérêts sont par trop différents. La grande intelligence du traité constitutionnel est de l'avoir compris et d'autoriser les pays qui le veulent à avancer plus vite. Là se forgeront les projets les plus ambitieux.
Mesdames et Messieurs,
Je ne suis pas devin. Je ne sais si les liens tissés entre les pays membres et l'exceptionnelle plasticité de l'Union lui permettront de résister à une nouvelle secousse. Tous les exemples du passé, la politique de la chaise vide, le chèque britannique, la guerre en Irak rappellent qu'à chaque fois que l'Union s'est divisée, elle s'est bloquée pendant des années.
Un Combat pour que la France retrouve son rang
J'entends parler de la nécessité d'une " crise salutaire ". Mais avec qui et pourquoi faire ? La crise n'est salutaire que pour ceux qui se rêvent un destin d'homme providentiel. Elle ajouterait le marasme européen à la dépression économique, sociale et morale que la France traverse. Avons-nous l'envie et les moyens d'affronter cette épreuve ? Sommes-nous prêts à en assumer toutes les conséquences ? C'est à chaque Français d'y répondre en conscience.
Pour ma part, je veux leur dire qu'il n'y a pas ceux qui capitulent et ceux qui résistent. Le Oui est une volonté de mettre la France et l'Europe en concordance des temps et des volontés. Un Oui qui veut s'inscrire dans la réalité européenne pour mieux l'orienter. Un Oui qui signifie clairement que notre pays veut rester maître de son destin.
L'Europe n'est ni l'enfer, ni le paradis. Elle n'est pas l'épopée héroïque dont parfois nous rêvons. Construite sur les ruines de ses empires, elle se défie des magistères et préfère les compromis d'intérêt. Chaque projet est une partie d'échecs, chaque négociation est un bras de fer. Gagne celui qui sait créer une dynamique de rassemblement. Pas celui qui s'isole.
Les forces qui s'opposent aujourd'hui à la Constitution sont les mêmes qui hier dénonçaient la réconciliation franco-allemande, qui accusaient le traité de Rome d'être une hydre supranationale, qui considéraient le marché unique comme un asservissement au pouvoir des multinationales, qui rejetaient la monnaie unique comme l'abdication de notre souveraineté. C'est toujours " Apocalypse Non ". Aujourd'hui ils se réfugient dans le drapeau d'une autre Europe comme un hommage involontaire à sa réussite et comme un exorcisme de leur propre aveuglement.
Mais l'Europe reste aussi un combat entre la droite et la gauche. Nous voulons presque tous son avènement. Chaque président, chaque gouvernement a apporté sa pierre mais sur des bases souvent opposées. Aux visions volontaristes et fédéralistes de François Mitterrand et de Jacques Delors a répondu la raideur nationale d'un Charles de Gaulle ou l'absence d'initiatives du premier septennat chiraquien. Le référendum dépasse momentanément nos clivages politiques mais il ne les épuise pas. La politique d'alignement libéral de l'actuelle majorité est aux antipodes de l'Europe sociale du groupe socialiste. La même bataille politique existe au sein des institutions européennes.
Souvenons-nous de ce qui s'est passé en 2000. La majorité de gauche du Conseil européen avait arrêté la stratégie dite de Lisbonne pour faire de l'Europe la zone la plus performante en matière de croissance, d'emplois, de recherche et de nouvelles technologies. Depuis la majorité européenne est passée à droite et aucun des objectifs de Lisbonne n'a été rempli faute de moyens et surtout de volonté. C'est l'une des preuves les plus flagrantes que l'orientation de l'Europe dépend moins de ses traités que des rapports de force politiques. Si nous voulons changer l'Europe, changeons de majorités en France et en Europe !
Un combat de responsabilité
Je récuse le discours de la défausse qui fait de l'Europe la cause de tous nos maux. Aucune institution de Bruxelles n'a exigé la privatisation d'EDF. Aucun n'a imposé l'austérité salariale et la baisse des impôts des plus fortunés. Aucun n'a demandé la fin des 35 heures ou des retraites par répartition. Toutes ces inégalités relèvent des choix du gouvernement. Nulle Constitution ne les dicte, nulle main invisible ne les fabrique.
C'est l'une de vos grandes fautes, Monsieur le Premier ministre. Vous avez instrumentalisé l'Europe pour justifier le désastre de votre gestion. A chaque coup de rabot sur les acquis sociaux ou sur le droit du travail, vous avez servi le même refrain aux Français : il faut rétablir notre compétitivité européenne, il faut s'adapter à ses règles, il faut faire ce que font tous les autres.
Et quand les chiffres comparatifs avec nos partenaires ont tourné à votre confusion, vous et vos amis avez plongé dans des guerres démagogiques contre " les bureaux anonymes " de Bruxelles, contre la réforme de la PAC, contre l'adhésion de la Turquie. Votre responsabilité est immense dans le désarroi des Français vis-à-vis de l'Europe. Là où il fallait assumer, vous vous êtes défaussé. Là où il fallait peser, vous vous êtes isolé.
Peut-on alors s'étonner que nos compatriotes doutent de la capacité de leurs dirigeants politiques à influencer le cours de l'Europe. Soit nous la montrons sous le profil patibulaire d'une bureaucratie lointaine sur laquelle la politique n'a pas de prise. Soit nous la présentons sous les traits naïfs d'une " France en grand " qui, telle Saint Louis, guérit les écrouelles.
Notre démocratie est malade de ces confusions. Elle aspire à un langage de vérité. C'est tout le sens de notre Oui. Se défaire des peurs et des caricatures. Peu importe les querelles intestines, peu importe les ambitions personnelles. Ces enjeux sont de faible poids au regard de la nécessité de doter l'Europe d'une Constitution et de lui tracer une perspective qui concilie le souhaitable et le possible.
Un combat contre les peurs
Puisque nous parlons vrai, allons jusqu'au bout. L'une des inquiétudes les plus vives de nos compatriotes est de voir le projet européen se diluer au fil d'élargissements que beaucoup considèrent hâtifs et mal maîtrisés. Les mêmes craintes existaient quand l'Espagne, le Portugal et la Grèce ont adhéré dans l'Union. Eux aussi étaient vécus comme un danger de concurrence déloyale. Eux aussi étaient accusés de tirer les salaires vers le bas. Eux aussi étaient perçus comme fauteurs de délocalisations. Qui aujourd'hui peut se plaindre qu'ils aient comblé leur retard ? Nous en profitons en terme d'exportations et d'emplois. La solidarité est l'un des fondements de l'Europe. C'est une dette envers des Nations qui ont vécu le joug totalitaire. Elles ont consenti de gros efforts pour entrer dans l'Union. Nul ne peut leur contester d'avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres.
Quant à la question de la Turquie, elle est hors sujet. Le processus de négociation est indépendant de la Constitution. Son résultat dépendra de la volonté turque de remplir les critères d'adhésion, de la capacité de l'Europe de l'accueillir et in fine du choix des Français. Tout cela prendra de 10 à 20 ans.
Mesdames et messieurs,
La grande vertu de cette campagne est de sortir des fantasmagories. Nul ne peut faire croire que cette Constitution va nous jeter dans les ténèbres. Nul ne peut prétendre qu'elle va résoudre tous nos problèmes. Comme dans toute réalisation européenne, son application dépendra des majorités politiques mais surtout de la volonté de porter des projets ambitieux.
Depuis dix ans, la France renvoie l'image d'une Nation qui ne sait plus ce qu'elle veut. Entre les foucades de son président et les échecs de son gouvernement, elle s'est repliée dans le doute. Tout notre défi est là. Sortir notre pays de son enfermement. Lui redonner foi en lui-même et en l'Europe. C'est un chemin plus escarpé qu'un Non tonitruant. Il y faudra du temps, de la constance, des alliés. Mais au moins est-il la promesse d'une réalité plutôt que d'une chimère.
Dans ce référendum, la France va engager une part de son destin.
Ne prenons pas le risque que le train parte dans la mauvaise direction parce que nous ne sommes pas dedans. Plutôt qu'un Non solitaire, je propose un Oui de combat. Un Oui puissant qui mette la France en position d'agir et de peser. Les seuls combats perdus d'avance sont ceux qu'on ne livre pas.
(Source http://www.deputessocialistes.fr, le 6 avril 2005)