Texte intégral
Le Figaro Économique. Dès novembre vous avez fait part de votre soutien au traité de Constitution européenne, soutien renouvelé lors d'un meeting récent, mais le non reste en tête dans les sondages. Le climat social brouille-t-il les enjeux du référendum ?
François Chérèque. Il est temps que les politiques se ressaisissent sur le débat de la Constitution européenne. Le spectacle qu'ils donnent actuellement est pitoyable et indigne d'une démocratie majeure. A droite, la zizanie s'installe au sein même du gouvernement. A gauche, d'importants responsables du Parti socialiste ne respectent pas les règles de démocratie qu'ils se sont eux-mêmes données. Et ces responsables vont jusqu'à faire campagne contre leur propre parti. A partir de là, comment voulez-vous que les salariés se retrouvent dans le débat ? J'ai le sentiment que les politiques n'ont toujours pas tiré les leçons du 21 avril 2002. On n'a pas avancé d'un pouce sur les causes du désarroi qui s'est exprimé ce jour-là.
Quelles causes, selon vous ?
Le problème du chômage, notamment. Dès son élection, le gouvernement est parti sur de mauvaises pistes en ne mettant pas en place une véritable politique de l'emploi. Quant à la gauche, son succès aux élections régionales l'avait à peine remise en selle qu'elle se relançait dans les querelles internes, sans même prendre la peine de construire un projet digne de ce nom pour notre pays. Il ne faudrait pas que le 29 mai 2005 soit une répétition du 21 avril 2002.
Comment remettre la question européenne au centre des débats alors que le non semble cristalliser la grogne sociale qui s'exprime depuis le début de l'année ?
Il faut reprendre le débat à partir d'une question simple. Voulons-nous, oui ou non, rééquilibrer cette Europe que l'on trouve trop libérale ? Depuis quarante ans, elle s'est construite sur la liberté de circulation des biens et des personnes. C'était la mise en place du marché unique et de l'union monétaire. Aujourd'hui nous sommes à un tournant. La Constitution comporte un volet social et met en place une meilleure organisation politique. Si nous l'adoptons, le fonctionnement démocratique de l'Europe sera plus fort. Et c'est à partir de cette Europe-là que nous pourrons donner de vraies réponses aux inquiétudes qui s'expriment chez les salariés, notamment à propos du chômage, des délocalisations et de l'exclusion.
Mais les manifestations sur les salaires, le pouvoir d'achat ou le lundi de Pentecôte contribuent à entretenir la confusion.
Il est impératif de distinguer le débat franco-français du débat européen. Ce ne sont pas les mêmes. Ceux qui sèment la confusion sont ceux qui font délibérément l'amalgame entre ces deux débats.
La CFDT soutient de façon très claire la Constitution européenne. Mais cela ne nous empêche pas de faire notre travail de syndicaliste. Refuser de revendiquer sur les problèmes qui se posent à notre pays, notamment sur le chômage, le pouvoir d'achat, les salaires ou le lundi de Pentecôte, serait une erreur. Cela fait plus d'un an que nous refusons la suppression du lundi de Pentecôte. Ce n'est pas de notre fait si le 16 mai tombe deux semaines avant le référendum.
Cela brouille quand même le débat européen.
Ne faites pas à la CFDT le procès de prendre en otage le référendum alors que nous soutenons le traité ! Je vous rappelle que la CFDT était opposée dès le départ à la suppression de ce jour férié ou d'un autre, quel qu'il soit. Ce n'est pas aux salariés et aux entreprises de financer la solidarité nationale nécessaire vis-à-vis des personnes dépendantes et des personnes handicapées. Nous souhaitons que cette solidarité soit financée par tous les revenus. Or là, on oublie d'autres revenus du travail, ceux des professions libérales, certains de l'entreprise comme de l'actionnariat, une partie des revenus du patrimoine...
Quelle alternative proposez-vous à cette journée de solidarité nationale ?
La CFDT souhaite qu'on rediscute globalement des prélèvements obligatoires dans notre pays, en y intégrant le débat sur la fiscalité et la solidarité avec certaines populations. Nous n'acceptons pas que le gouvernement choisisse de baisser les impôts, en particulier sur les hauts revenus, et qu'en même temps il taxe le travail.
Vous manifesterez donc le 16 mai prochain ?
La bataille doit d'abord être menée maintenant, dans les entreprises, pour conserver le lundi de Pentecôte. On a un problème qui est lié au pouvoir d'achat. Dans beaucoup d'endroits, non seulement les entreprises suppriment le jour férié, mais elles infligent aux salariés une modération salariale pour compenser les 0,3% de cotisation. Là, le gouvernement fait exactement l'inverse de ce qu'il dit sur le pouvoir d'achat. Je le redis : il n'est pas question de faire payer aux salariés la suppression du lundi de Pentecôte. Ajouté à la remise en cause des 35 heures, cela fait deux sujets de crispation.
Quel type d'action envisagez-vous ?
Nous voulons faire du lundi de Pentecôte une journée d'action, en particulier dans les entreprises et les administrations où ce jour est travaillé. Les modalités d'action seront décidées dans les branches ou les entreprises.
Pourquoi n'avoir pas manifesté au moment du vote ?
Le gouvernement a joué sur le sentiment de culpabilité postcanicule. Et beaucoup d'équipes syndicales pensaient peut-être que les employeurs n'iraient pas au bout. Il y a d'ailleurs de plus en plus d'entreprises, grandes et petites, qui ont décidé de garder le jour férié tout en s'acquittant de la contribution.
Y aura-t-il des manifestations communes avec d'autres syndicats ? En discutez-vous avec la CGT ou FO ?
Nos relations avec la CGT sont difficiles, en particulier à cause de sa décision sur le traité constitutionnel. Nous avons le sentiment d'avoir joué le jeu du syndicalisme rassemblé au niveau européen. Nous avons fortement appuyé l'adhésion de la CGT à la Confédération européenne des syndicats (CES) qui s'est engagée pour le oui. Le fait que la CGT dise non nous a déçus. Cela s'inscrit en tout cas en rupture avec ce que nous avons engagé ensemble sur l'Europe. Cela contribue à tendre nos relations.
A l'inverse, nous ne sommes pas surpris de la décision de FO. Depuis une dizaine d'années, FO est en désaccord avec la CES. Sa position sur le traité s'inscrit dans la logique de sa démarche.
Mais j'espère que nous saurons faire la différence entre nos divergences sur l'Europe et la situation en France, et agir ensemble lorsque c'est nécessaire.
A propos des négociations salariales dans les branches professionnelles, certains ont déjà appelé à manifester la veille du 10 juin, jour de la nouvelle réunion des partenaires sociaux chez Gérard Larcher.
Ceux qui ont prévu de manifester le 9 juin ont déjà fait le choix d'un échec des négociations. Nous déciderons en temps et en heure de l'attitude à adopter. Il est certain que le problème du pouvoir d'achat ne va pas se régler dans les 15 jours. Mais certaines professions innovent : par exemple, la plasturgie a décidé qu'elle n'aurait plus de niveaux salariaux inférieurs au smic et qu'elle renégociera dès que ce sera le cas. Voilà le type d'accord que la CFDT veut favoriser. Et nous proposons au gouvernement de remettre en cause certains allégements de charges dans les secteurs, les hôtels-cafés-restaurants par exemple, qui n'ont pas refait leur grille et ont des minima inférieurs au smic.
Avez-vous un favori pour la succession d'Ernest-Antoine Seillière à la tête du Medef ?
Aucun favori et bien évidemment pas de jugement sur les personnes. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir si le futur président va permettre au Medef de sortir de certaines contradictions, en particulier sa tendance à laisser faire la loi plutôt que le dialogue social quand ça l'arrange. Ce fut le cas notamment sur la réduction du temps de travail.
(Source http://www.cfdt.fr, le 27 avril 2005)
François Chérèque. Il est temps que les politiques se ressaisissent sur le débat de la Constitution européenne. Le spectacle qu'ils donnent actuellement est pitoyable et indigne d'une démocratie majeure. A droite, la zizanie s'installe au sein même du gouvernement. A gauche, d'importants responsables du Parti socialiste ne respectent pas les règles de démocratie qu'ils se sont eux-mêmes données. Et ces responsables vont jusqu'à faire campagne contre leur propre parti. A partir de là, comment voulez-vous que les salariés se retrouvent dans le débat ? J'ai le sentiment que les politiques n'ont toujours pas tiré les leçons du 21 avril 2002. On n'a pas avancé d'un pouce sur les causes du désarroi qui s'est exprimé ce jour-là.
Quelles causes, selon vous ?
Le problème du chômage, notamment. Dès son élection, le gouvernement est parti sur de mauvaises pistes en ne mettant pas en place une véritable politique de l'emploi. Quant à la gauche, son succès aux élections régionales l'avait à peine remise en selle qu'elle se relançait dans les querelles internes, sans même prendre la peine de construire un projet digne de ce nom pour notre pays. Il ne faudrait pas que le 29 mai 2005 soit une répétition du 21 avril 2002.
Comment remettre la question européenne au centre des débats alors que le non semble cristalliser la grogne sociale qui s'exprime depuis le début de l'année ?
Il faut reprendre le débat à partir d'une question simple. Voulons-nous, oui ou non, rééquilibrer cette Europe que l'on trouve trop libérale ? Depuis quarante ans, elle s'est construite sur la liberté de circulation des biens et des personnes. C'était la mise en place du marché unique et de l'union monétaire. Aujourd'hui nous sommes à un tournant. La Constitution comporte un volet social et met en place une meilleure organisation politique. Si nous l'adoptons, le fonctionnement démocratique de l'Europe sera plus fort. Et c'est à partir de cette Europe-là que nous pourrons donner de vraies réponses aux inquiétudes qui s'expriment chez les salariés, notamment à propos du chômage, des délocalisations et de l'exclusion.
Mais les manifestations sur les salaires, le pouvoir d'achat ou le lundi de Pentecôte contribuent à entretenir la confusion.
Il est impératif de distinguer le débat franco-français du débat européen. Ce ne sont pas les mêmes. Ceux qui sèment la confusion sont ceux qui font délibérément l'amalgame entre ces deux débats.
La CFDT soutient de façon très claire la Constitution européenne. Mais cela ne nous empêche pas de faire notre travail de syndicaliste. Refuser de revendiquer sur les problèmes qui se posent à notre pays, notamment sur le chômage, le pouvoir d'achat, les salaires ou le lundi de Pentecôte, serait une erreur. Cela fait plus d'un an que nous refusons la suppression du lundi de Pentecôte. Ce n'est pas de notre fait si le 16 mai tombe deux semaines avant le référendum.
Cela brouille quand même le débat européen.
Ne faites pas à la CFDT le procès de prendre en otage le référendum alors que nous soutenons le traité ! Je vous rappelle que la CFDT était opposée dès le départ à la suppression de ce jour férié ou d'un autre, quel qu'il soit. Ce n'est pas aux salariés et aux entreprises de financer la solidarité nationale nécessaire vis-à-vis des personnes dépendantes et des personnes handicapées. Nous souhaitons que cette solidarité soit financée par tous les revenus. Or là, on oublie d'autres revenus du travail, ceux des professions libérales, certains de l'entreprise comme de l'actionnariat, une partie des revenus du patrimoine...
Quelle alternative proposez-vous à cette journée de solidarité nationale ?
La CFDT souhaite qu'on rediscute globalement des prélèvements obligatoires dans notre pays, en y intégrant le débat sur la fiscalité et la solidarité avec certaines populations. Nous n'acceptons pas que le gouvernement choisisse de baisser les impôts, en particulier sur les hauts revenus, et qu'en même temps il taxe le travail.
Vous manifesterez donc le 16 mai prochain ?
La bataille doit d'abord être menée maintenant, dans les entreprises, pour conserver le lundi de Pentecôte. On a un problème qui est lié au pouvoir d'achat. Dans beaucoup d'endroits, non seulement les entreprises suppriment le jour férié, mais elles infligent aux salariés une modération salariale pour compenser les 0,3% de cotisation. Là, le gouvernement fait exactement l'inverse de ce qu'il dit sur le pouvoir d'achat. Je le redis : il n'est pas question de faire payer aux salariés la suppression du lundi de Pentecôte. Ajouté à la remise en cause des 35 heures, cela fait deux sujets de crispation.
Quel type d'action envisagez-vous ?
Nous voulons faire du lundi de Pentecôte une journée d'action, en particulier dans les entreprises et les administrations où ce jour est travaillé. Les modalités d'action seront décidées dans les branches ou les entreprises.
Pourquoi n'avoir pas manifesté au moment du vote ?
Le gouvernement a joué sur le sentiment de culpabilité postcanicule. Et beaucoup d'équipes syndicales pensaient peut-être que les employeurs n'iraient pas au bout. Il y a d'ailleurs de plus en plus d'entreprises, grandes et petites, qui ont décidé de garder le jour férié tout en s'acquittant de la contribution.
Y aura-t-il des manifestations communes avec d'autres syndicats ? En discutez-vous avec la CGT ou FO ?
Nos relations avec la CGT sont difficiles, en particulier à cause de sa décision sur le traité constitutionnel. Nous avons le sentiment d'avoir joué le jeu du syndicalisme rassemblé au niveau européen. Nous avons fortement appuyé l'adhésion de la CGT à la Confédération européenne des syndicats (CES) qui s'est engagée pour le oui. Le fait que la CGT dise non nous a déçus. Cela s'inscrit en tout cas en rupture avec ce que nous avons engagé ensemble sur l'Europe. Cela contribue à tendre nos relations.
A l'inverse, nous ne sommes pas surpris de la décision de FO. Depuis une dizaine d'années, FO est en désaccord avec la CES. Sa position sur le traité s'inscrit dans la logique de sa démarche.
Mais j'espère que nous saurons faire la différence entre nos divergences sur l'Europe et la situation en France, et agir ensemble lorsque c'est nécessaire.
A propos des négociations salariales dans les branches professionnelles, certains ont déjà appelé à manifester la veille du 10 juin, jour de la nouvelle réunion des partenaires sociaux chez Gérard Larcher.
Ceux qui ont prévu de manifester le 9 juin ont déjà fait le choix d'un échec des négociations. Nous déciderons en temps et en heure de l'attitude à adopter. Il est certain que le problème du pouvoir d'achat ne va pas se régler dans les 15 jours. Mais certaines professions innovent : par exemple, la plasturgie a décidé qu'elle n'aurait plus de niveaux salariaux inférieurs au smic et qu'elle renégociera dès que ce sera le cas. Voilà le type d'accord que la CFDT veut favoriser. Et nous proposons au gouvernement de remettre en cause certains allégements de charges dans les secteurs, les hôtels-cafés-restaurants par exemple, qui n'ont pas refait leur grille et ont des minima inférieurs au smic.
Avez-vous un favori pour la succession d'Ernest-Antoine Seillière à la tête du Medef ?
Aucun favori et bien évidemment pas de jugement sur les personnes. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir si le futur président va permettre au Medef de sortir de certaines contradictions, en particulier sa tendance à laisser faire la loi plutôt que le dialogue social quand ça l'arrange. Ce fut le cas notamment sur la réduction du temps de travail.
(Source http://www.cfdt.fr, le 27 avril 2005)