Texte intégral
Monsieur le Ministre des Affaires étrangères,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs
C'est un grand honneur et en même temps une grande émotion pour le ministre français des Affaires étrangères, qui est aussi un ministre gaulliste et européen, que d'inaugurer ici avec vous, au coeur de la capitale de Pologne, cette belle statue du général de Gaulle. Je voudrais d'abord saluer l'initiative de la section polonaise de la Société d'entraide des membres de la Légion d'Honneur d'ériger ce monument près du rond-point qui porte déjà le nom du général de Gaulle.
J'adresse également mes remerciements à M. Lech Kaczynski, président de la ville de Varsovie, pour le soutien chaleureux qu'il a apporté à ce projet, comme je veux exprimer ma reconnaissance à toutes celles et à tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, ici à Varsovie ou à Paris, ont contribué au financement et à la construction de cette statue.
Merci encore à mon ami et collègue, le ministre Adam Rotfeld, pour sa présence et pour son appui. Tout cela, je vous le dis au nom, en particulier, de la Fondation Charles de Gaulle et de son secrétaire général, Jean Méo, qui est ici.
Mesdames, Messieurs,
Comment évoquer sans émotion l'action du général de Gaulle, qui nous rappelle les terribles épreuves du siècle passé, et l'attitude d'un homme que beaucoup voient aujourd'hui comme le plus grand des Français ?
En 1940, il refuse la défaite et devient l'âme de la résistance à l'occupation et au totalitarisme.
En 1944, il restaure les libertés et dirige la reconstruction du pays.
En 1958, il refonde l'Etat et permet à la France de s'engager résolument, un an après la signature du Traité de Rome, dans la construction européenne. Il s'opposa toujours à la division de l'Europe en deux blocs et fut porteur, dans le monde, d'un message de paix, de liberté et d'espérance.
Chacun garde à l'esprit les premiers mots de ses "Mémoires de guerre" : "Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France".
Et, dans cette idée, il y avait la liberté, il y avait l'indépendance, il y avait la grandeur, la générosité, autant de valeurs que Charles de Gaulle lui-même incarna toute sa vie.
Or, s'il est un peuple, s'il est une ville qui ressentent ces valeurs et qui les vivent du plus profond de leur identité, ce sont bien le peuple de Pologne et la ville de Varsovie. Oui, le grand peuple de Pologne qui, dans les malheurs, les invasions et les persécutions, parvint, par l'ardeur et le combat, à préserver son âme.
Oui, Varsovie, ville martyre, ville de l'insurrection du 1er août 1944, ville exemplaire qui a payé le prix de la souffrance et du sang versé. Varsovie, ville grande, généreuse, aujourd'hui libre et indépendante.
Mesdames, Messieurs,
Hommage donc à un homme d'exception, symbole d'une communauté de pensée et d'action, le monument que nous inaugurons aujourd'hui est aussi le témoignage et le souvenir de la rencontre entre Charles de Gaulle et la Pologne.
Leur histoire commune remonte à avril 1919. La Pologne libre, indépendante, vient de renaître. Charles de Gaulle, qui a passé près de trente et un mois comme prisonnier de guerre et a reçu au champ d'honneur ses galons de capitaine, choisit alors de rejoindre la Mission militaire française à Varsovie pour former la nouvelle armée polonaise.
Pendant près de deux ans, le jeune capitaine va se consacrer à l'instruction et à l'encadrement des officiers polonais dont je salue aujourd'hui les héritiers et les successeurs. Il le fait à l'école d'application de l'infanterie de Rembertow près de Varsovie.
Son enseignement prend notamment la forme d'un cycle de conférences durant l'hiver 1919-1920. Il encourage le moral de ces futurs cadres en soulignant à quel point leur jeune Etat, en proie à de lourdes menaces, aura besoin de son armée. Et à la parole, de Gaulle joint l'action, comme vous l'avez dit, Monsieur le Maire : il participe à l'offensive qui mènera à la victoire de 1920. Le ministre de la Guerre de Pologne cite le capitaine de Gaulle à l'ordre de l'armée pour sa conduite. Avant de regagner la France, le capitaine déclare et je le cite : "Chacun de nos efforts en Pologne, c'est un peu plus de gloire pour la France éternelle".
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Mesdames, Messieurs,
En 1944, le chef de la France libre n'oubliera ni les paroles, ni les actes du capitaine de Gaulle.
Chef du gouvernement provisoire de la République française, il condamne sans détour les Accords de Yalta, qui privent des millions d'Européens du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Il n'hésitera jamais à clamer haut et fort cette conviction à Paris, à Londres, à Washington et à Moscou.
Dans la compassion qu'éprouve Charles de Gaulle envers ces nations privées de liberté et interdites d'Europe par la seule raison d'Etat, la Pologne occupe une place à part, cette Pologne pour laquelle il éprouve et du respect et de l'affection. En témoigne son geste, accompli dès mars 1944, de restituer le stock d'or de la banque nationale de Pologne, reçu en dépôt au début de la guerre, au gouvernement polonais en exil à Londres.
Revenu au pouvoir en 1958, le général de Gaulle, parallèlement à la grande entreprise de redressement national, fait entendre la voix de la France dans le monde.
Il refuse de considérer comme acquise la division de l'Europe imposée en 1945. Et s'il demeure fidèle aux alliés occidentaux de la France, il entend que celle ci ne se laisse pas dicter sa conduite. Aussi propose-t-il aux peuples d'Europe de l'Est les mots d'ordre de détente, d'entente et de coopération.
Il ne s'agit nullement, bien entendu, de manifester de la complaisance à l'égard de régimes totalitaires qu'il condamne avec fermeté.
Il s'agit au contraire, et je le cite "de permettre aux peuples européens de l'Atlantique à l'Oural de régler eux-mêmes les questions de leur ressort".
Ce message, Charles de Gaulle l'a clairement adressé aux Polonais lors de sa visite d'Etat en septembre 1967.
Le 10 septembre, il vous dit : "Les obstacles qui vous paraissent aujourd'hui insurmontables, sans aucun doute, vous les surmonterez. Vous comprenez tout ce que je veux dire". Et quand je relis cette phrase, toute de connivence, je ne peux m'empêcher de penser que de Gaulle n'avait pas seulement une certaine idée de la France, mais aussi une certaine idée de la Pologne, une certaine idée de l'Europe.
Et le peuple polonais n'en avait pas d'autre lui-même quand, plus tard, à Gdansk, sous l'impulsion de Solidarité, il s'est soulevé.
En 1978, le cardinal Wojtyla, que le général de Gaulle aurait pu croiser à Cracovie en 1967, fut élu Pape et dit au monde entier et à la Pologne : "n'ayez pas peur !". Ces mots-là étaient aussi sibyllins que ceux du général de Gaulle, mais là encore, tout le monde, le monde entier les a compris.
L'histoire retiendra, Mesdames et Messieurs, que c'est ainsi, par le seul pouvoir des mots et de la volonté des hommes, et non pas par la guerre, que s'est effondré le plus long règne totalitaire du XXème siècle. Des hommes de paix et d'humanité ont su trouver ces mots, avoir cette volonté et le courage de les répéter sans cesse sous les murailles de la dictature. Et un jour, comme dans le récit biblique des trompettes de Jéricho, les murailles se sont écroulées.
C'est grâce à eux que l'Europe s'est réunifiée.
L'Union s'enrichit de la présence en son sein, depuis maintenant un peu plus d'une année, de dix nouveaux Etats membres, et de ce grand pays et de ce grand peuple qu'est la Pologne. Et cette famille qui se retrouve, qui parfois d'ailleurs se redécouvre, qui doit tant à ceux qui ont lutté pour son indépendance, cette famille a le devoir aujourd'hui d'inventer son destin commun.
Et à l'heure où nos peuples sont appelés à approuver le projet de Constitution européenne, comment ne pas évoquer la question que posa Charles de Gaulle ici même, à Varsovie, le 11 septembre 1967, en disant, en nous disant : "Une Europe qui ne serait plus divisée, de quel poids pèserait-elle pour soutenir et maintenir la paix dans toutes les parties du monde" ?
Vive la Pologne !
Vive la France !
Vive l'amitié franco-polonaise !
Et vive l'Union européenne !
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mai 2005)