Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur le rôle des Cours administratives d'appel et notamment celle de Paris, Paris le 26 février 2004.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Inauguration de la Cour d'appel de Paris le 26 février 2004

Texte intégral

Monsieur le Maire,
Monsieur le Vice-Président,
Mesdames et messieurs les présidents,
Mesdames et messieurs,
I - Les cours administratives d'appel
A. L'ambition : l'Etat respectueux de ses propres engagements
L'histoire de la construction de notre nation est indissociable de l'histoire de notre Etat. En France, l'Etat a fait la nation et la nation a fait l'Etat.
L'Etat est donc notre bien commun. C'est parce que nous y sommes attachés que nous devons constamment le réformer, l'adapter aux évolutions du monde. C'est parce ce que nous y sommes attachés que nous devons toujours veiller à ramener l'administration au respect de ses propres engagements et des règles de droit que la puissance publique a elle-même définies.
Tel est le rôle des juridictions administratives et des magistrats qui les servent. C'est une tâche spécifique qui justifie l'existence d'un ordre de juridiction distinct de l'ordre judiciaire, c'est une tâche essentielle ce qu'elle doit chercher à concilier la défense des libertés individuelles et les exigences de l'intérêt général, c'est aussi une tâche difficile compte tenu de la complexité du droit applicable qui malgré les avancées récentes vers plus de simplification reste ardu à comprendre par le citoyen.
B. Les pouvoirs de ces cours
La cérémonie qui nous rassemble aujourd'hui coïncide avec un double anniversaire, intervenu le 1er janvier 2004 : les cinquante ans des tribunaux administratifs, créés par transformation des anciens conseils interdépartementaux de préfecture, et les quinze ans des cours administratives d'appel, créées ex nihilo, parachevant l'organisation de la juridiction administrative.
Mais, plus généralement, ces années me paraissent avoir été marquées par l'enracinement de la juridiction administrative, par trois phénomènes importants :
1. La qualité des juges administratifs d'abord. Les conseillers de tribunaux administratifs et de cours administratives d'appel sont des magistrats qui connaissent l'administration et le droit qu'elle est chargée d'appliquer, de par leur formation et leur expérience passée. Ils peuvent ainsi se montrer d'autant plus exigeants à son égard. La valeur constitutionnelle de l'existence et de l'indépendance de la juridiction administrative a été consacrée par le Conseil constitutionnel en 1980 et 1987.
2. L'affirmation plus concrète de l'indépendance de la justice administrative ensuite. La naissance des cours administratives d'appel, au 1er janvier 1989, a été concomitante, à quelques mois près, du début du fonctionnement du Conseil supérieur des tribunaux administratifs, organisme que vous présidez, Monsieur le Vice-Président, et qui est chargé de proposer les décisions relatives au déroulement de carrière des magistrats administratifs. Elle a été suivie quelques mois plus tard par le décret du 19 décembre 1989 qui confie à compter du 1er janvier 1990 la gestion du corps des membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ainsi que celle des moyens des juridictions au Conseil d'Etat. Le cordon ombilical avec le ministère de l'intérieur, jusqu'alors en charge de cette gestion, a été ainsi rompu.
3. Le renforcement de ses pouvoirs enfin. Depuis 1995, en premier lieu, les juridictions administratives peuvent assortir leurs décisions de la prescription des mesures d'exécution que celles-ci impliquent nécessairement de la part de l'administration. En outre, si un jugement de tribunal administratif ou un arrêt de cour n'est pas correctement exécuté, le requérant peut s'adresser directement à la juridiction qui en est l'auteur, pour qu'elle définisse les mesures d'exécution nécessaires, impartisse un délai à l'administration et, le cas échéant, prononce une astreinte à son encontre.
Des évolutions récentes importantes ont marqué l'histoire des juridictions administratives : en 1995 a été décidé le transfert de l'appel de tous les jugements des tribunaux administratifs devant les cours administratives d'appel.
Depuis 2001, en second lieu, grâce à une profonde réforme des référés, le juge administratif dispose d'instruments rénovés pour prendre les mesures provisoires que commande l'urgence. Il peut désormais suspendre l'exécution d'une décision administrative dès lors qu'un moyen est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision. Il peut également ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale.
Avec ces nouveaux pouvoirs, il ne s'agit plus seulement pour le juge administratif de dire le droit de façon abstraite, mais de rendre sa décision dans un délai suffisamment bref, et de s'assurer qu'elle est ensuite correctement exécutée.
C'est pourquoi deux nouveaux tribunaux administratifs ont été créés, l'un à Marseille et l'autre à Douai, et qu'une Cour administrative d'appel entrera bientôt en fonction à Versailles pour rapprocher les juridictions d'appel des justiciables, mieux équilibrer leurs ressorts, et renforcer leur capacité de jugement.
II. L'attachement du gouvernement
La justice est inscrite au cur des fonctions régaliennes de l'Etat. Dans le mouvement de restauration de l'autorité de l'Etat que nous avons entrepris depuis bientôt deux ans, nous avons accordé une place fondamentale à la justice et j'ai souhaité que la justice administrative soit pleinement associée à cet effort de la nation.
La juridiction administrative est aujourd'hui confrontée au défi que constitue la nécessité de rendre une justice plus rapide, tout en maintenant la qualité de ses décisions. Mon gouvernement est décidé à l'y aider.
La demande de justice est en effet croissante, et l'importance de la place de l'action administrative dans notre société explique que le juge administratif soit de plus en plus sollicité, que ce soit par des contribuables qui contestent le montant de leurs impôts, par des associations de défense de l'environnement qui s'inquiètent de certains projets immobiliers, par des étrangers qui veulent obtenir la régularisation de leur situation, par des entreprises qui s'estiment évincées à tort d'un marché public, etc. C'est rarement la vie et la liberté des individus qu'il tient entre ses mains - même si l'on peut rappeler que c'est un jugement administratif qui est à l'origine de la célèbre décision du Conseil constitutionnel du 16/7/71 consacrant la liberté d'association comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République- mais c'est souvent leur avenir, et presque toujours leur vie quotidienne.
Mon gouvernement est très attaché au bon fonctionnement de la justice administrative, comme le montrent les engagements pris dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation que vous avez évoquée, Monsieur le Vice-Président.
Cette loi prévoit en effet la création de 480 emplois et l'attribution de 60 millions d'euros d'autorisations de programme au profit de la juridiction administrative, pour créer les trois nouvelles juridictions déjà évoquées et renforcer les juridictions existantes. Ces engagements ont été tenus lors de l'adoption de la loi de finances pour 2004 et ils continueront de l'être.
La loi d'orientation prévoit également la mise en uvre de contrats d'objectifs avec les Cours administratives d'appel. Vous avez, Monsieur le Vice-Président, mené à bien la conclusion de tels contrats avec les présidents de toutes les Cours qui, en contrepartie de l'allocation de moyens supplémentaires, se sont engagés sur le nombre d'affaires jugées - il doit doubler entre 2002 et 2007- et sur le délai moyen de jugement - il doit être ramené devant chaque Cour à un an maximum là où il est aujourd'hui de 2 ans et 10 mois-.
Le Gouvernement s'est aussi attaché à favoriser les réformes procédurales ayant pour objet d'alléger ou de faciliter la
tâche des Cours administratives d'appel : ainsi, depuis le 1er septembre dernier, les litiges de faible importance ne peuvent plus faire l'objet d'un appel mais seulement d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat ; pour les autres litiges, le ministère d'avocat est rendu obligatoire.
III - La réhabilitation du monument
Je voudrais enfin saluer l'opération exemplaire, qui a permis à la fois la réhabilitation d'un bâtiment classé monument historique -mais laissé à l'abandon pendant de nombreuses années- et le relogement d'une juridiction d'importance dans ce magnifique Hôtel de Beauvais, en plein cur du Marais où nous sommes réunis aujourd'hui.
Plusieurs projets d'utilisation de ces locaux avaient été proposés à la Ville de Paris, propriétaire des lieux, mais aucun n'avait reçu son agrément. C'est finalement en 1993 que le projet d'installation de la Cour administrative d'appel, très à l'étroit dans ses locaux de la rue Desaix (15ème), a été retenu, donnant lieu à la conclusion d'un bail emphytéotique à titre gratuit pour une durée de 75 ans au bénéfice de l'Etat . Avec quelques difficultés et surtout la mort d'un ouvrier dont je tiens à saluer aujourd'hui la mémoire, le chantier a duré plus de 2 ans.
La restauration, dans l'état du bâtiment en 1730, a donné lieu à une coopération excellente et efficace entre deux ministères, celui de la culture et le celui de la justice (budget du Conseil d'Etat), qui ont assuré le co-financement de l'opération (26,2 million , pris en charge à 70% par le budget du Conseil d'Etat et à 30% par le budget du ministère de la culture).
Une salle d'audience a été créée pouvant accueillir 80 personnes, le grand escalier d'honneur a été rétabli dans son état d'origine, les caves médiévales pré-existantes à la construction du bâtiment au XVIIème siècle sont aménagées en salles de lecture, des bureaux modernes pour les magistrats ont pu être créés aux niveaux supérieurs du bâtiment principal, le greffe s'est déployé dans des locaux fonctionnels situés au rez de chaussée et à l'entresol, une zone publique a été tout spécialement conçue, donnant sur la cour d'honneur, pour permettre l'accueil des justiciables, leur information et le dépôt de leurs requêtes dans des conditions d'accessibilité et de facilité satisfaisantes.
Cet hôtel donnera à la juridiction administrative la solennité et l'éclat qu'elle mérite et permettra aux 50 magistrats et aux 63 agents de greffe de la cour de travailler dans de bonnes conditions, sur près de 4000 m2, au service du public
Ce bâtiment pourra être admiré non seulement des justiciables, mais également de tous les curieux qui le souhaiteront (le public peut, tous les jours, admirer librement la cour d'honneur et participer à des visites guidées organisées par une association).
Conclusion
Mesdames et messieurs, je suis très heureux aujourd'hui de cette inauguration qui s'inscrit dans le cours que je compte donner à la politique dans notre pays :
1. un Etat responsable
2. Un patrimoine qui bénéficie à tous
3. Une justice exemplaire, rapide et proche du citoyen.
Je vous remercie.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 1er mars 2004)