Déclaration de M. François Fillon, Ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur le projet de loi sur l'avenir de l'école, notamment ses liens avec les conclusions du rapport Thélot, la question de son financement et ses dispositions concernant les ZEP, l'enseignement professionnel et la définition d'un socle de connaissances et de compétences fondamentales, Assemblée nationale le 16 février 2005.

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Circonstance : Réponse de M. F. Fillon, Ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, lors de la discussion générale du projet de loi sur l'avenir de l'école à l'Assemblée nationale le 16 février 2005

Texte intégral

Notre débat est enfin engagé. Nos concitoyens peuvent juger nos orientations et évaluer les contre-propositions de l'opposition.
Il s'est engagé de façon sereine ; c'est important car l'avenir de l'Ecole ne se construira pas sur des invectives et des slogans.
Je veux adresser à nouveau à Monsieur le rapporteur tous mes remerciements pour la qualité de son rapport, la clarté de son éclairage fondée sur son expérience. Les orateurs de la majorité ont, chacun à leur façon, parfaitement saisi l'esprit de ce texte : il s'agit d'ouvrir le chemin de la réussite pour tous, en recentrant nos priorités éducatives et en personnalisant le soutien scolaire. M. Geoffroy l'a magistralement précisé au cours de son intervention.
Face au statu quo, l'UMP, mais aussi l'UDF, ont démontré qu'ils cherchaient des solutions innovantes qui pouvaient, c'est vrai, ici ou là, ébranler certaines des habitudes du système éducatif. Lorsqu'un système s'essouffle, et ceci malgré le dévouement des enseignants et malgré les efforts financiers de la Nation, c'est bien le rôle du politique que de revisiter les pratiques et les missions du service public.
Dans cette discussion générale, je ne puis répondre, de façon individuelle, à la quarantaine d'orateurs qui ont toutes et tous évoqué avec pertinence et cur leur vision de l'Ecole. Qu'ils m'en excusent. Je vais tenter de saisir l'essentiel de leurs interventions.
Mesdames et messieurs les députés,
Certains, dans l'opposition, ont d'abord regretté que le consensus ne soit pas réalisé sur cette réforme ; certains ont réclamé son retrait.
En France, chacun le sait, 60 millions d'avis coexistent sur l'Ecole. Les débats sont encore marqués par des vieux clivages idéologiques, par des querelles entre disciplines et méthodes pédagogiques, parfois même entre parents et corps enseignant.
Dans ces conditions, je dis à M. Ayrault et M. Liberti qu'espérer atteindre le consensus général est une utopie, à moins de le faire sur l'immobilisme, en finançant le statu quo et, disons-le, " le silence ". Pour avancer, la réforme doit passer par des choix, des choix forcément critiqués et momentanément contestés.
Mesdames et messieurs les députés,
Dans ce débat, l'opposition a également fait de mine de croire que ce projet surgissait de nulle part.
En réalité, peu de projets législatifs ont fait l'objet d'une telle confrontation d'échanges, d'avis et d'idées.
Il y a eu un an de débat, 25 000 réunions, des centaines de milliers de Français. J'ai organisé une concertation avec les membres de la communauté éducative sur les conclusions du rapport Thélot, puis une nouvelle concertation sur nos propres propositions.
Il est inadéquat de dire que le rapport Thélot n'est pas à la source de notre projet de loi.
Le parti socialiste critique l'ambition de la réforme mais se réfère aux travaux de M. Thélot. Soit dit en passant le parti socialiste sollicité au même titre que les groupes de la majorité, n'a pas souhaité y participer et je crois que c'est dommage. Mais je me félicite que le groupe socialiste se retrouve désormais dans les conclusions de la commission.
Je m'en félicite car notre projet retient beaucoup des propositions de ce rapport : le socle, le soutien, la priorité aux langues vivantes. Nous en reparlerons tout au long du débat.
Mais, puisque le PS m'y invite, je dirai un mot de ce que nous avons écarté des conclusions de la commission, car il est de la responsabilité de tout gouvernement de faire des choix !
Je n'ai pas retenu l'idée d'obliger chaque élève, dès le primaire, à apprendre l'anglais. Je rends justice à M. Thélot d'avoir tenu là une position courageuse. Certains pays, notamment du Nord de l'Europe, ont fait ce choix. En France, nous éprouvons un réel attachement à la diversité linguistique, et cela pas seulement en Alsace.
Ma philosophie de l'école, et j'ose dire aussi ma philosophie politique, ne m'inclinent d'ailleurs pas à multiplier les obligations. Les parents, les élèves doivent être informés. A eux de choisir. J'observe d'ailleurs que les élèves qui ne font jamais d'anglais de toute leur scolarité sont moins de 3%.
Dans le même esprit je n'ai pas retenu l'abaissement de la scolarité obligatoire à 5 ans. Plus de 95% des élèves sont effectivement scolarisés avant leur 6e anniversaire. Certaines familles pour diverses raisons font le choix contraire. Je ne vois pas de raison impérieuse de les contraindre. D'autant moins que certains membres de la communauté éducative, curieusement mais vraiment, y voyaient une menace pour la maternelle, comme si la grande section devait être dissociée. Notre école maternelle est une vraie réussite. Je ne veux pas la fragiliser.
Troisième proposition que je n'ai pas retenue, celle tendant à créer un statut du lycéen professionnel, avec une rémunération. Je pense qu'il s'agit là d'une fausse bonne idée. Au-delà de son coût, j'observe qu'il est relativement difficile socialement de créer ainsi une attraction forte pour les filières professionnelles au détriment des séries générales et technologiques. Ce serait accentuer les biais sociologiques dans les choix d'orientation. J'ai préféré mettre en place un projet ambitieux de bourses au mérite s'ajoutant aux bourses sur critères sociaux.
La commission du débat national proposait aussi une organisation très structurée des établissements scolaires. Je l'ai jugée trop lourde, et je me limite à l'institution du conseil pédagogique, qui est pour moi l'essentiel.
La commission évoquait aussi une évolution importante du métier d'enseignant, en prévoyant notamment un temps d'accompagnement des élèves, de travail en équipe, de coordination, de relations avec les familles. D'aucuns évoquaient ainsi un temps de travail hors enseignement de 3 à 6 heures par semaine.
Je n'ai pas retenu cette idée pour plusieurs raisons. D'abord l'article 912-1 du Code de l'éducation, issu de la loi de 1989, prévoit déjà que ces missions font partie du travail des enseignants au même titre que leurs cours aux élèves. Et c'est un principe qu'explicite largement une circulaire du 23 mai 1997. Ensuite, et surtout, les discussions menées avec les syndicats amenaient de manière évidente à amputer le temps d'enseignement pour dégager une marge pour ce qui serait considéré comme une tâche nouvelle alors qu'elle fait déjà partie du travail de l'enseignant. Enfin, je ne crois pas qu'on puisse quantifier de manière bureaucratique cette partie du métier d'enseignant. Beaucoup d'entre eux, avec une grande conscience, y consacrent beaucoup plus que les 3 heures envisagées.
Sans vouloir être exhaustif sur l'analyse du rapport Thélot, je relève néanmoins que le chiffrage du total des mesures était de l'ordre de 8 Milliards d'euros, à rapporter aux 56 Milliards d'euros du budget actuel de l'enseignement scolaire. Ce montant était déraisonnable.
D'autres différences peuvent être signalées : la commission Thélot proposait qu'une haute autorité se substitue au Ministre pour décider du socle, des programmes. Je vous propose quant à moi d'en rester aux principes démocratiques classiques où le gouvernement mandaté par la Nation gouverne !
Les sujets éducatifs doivent rester le fait de la Nation, et je ne suis pas favorable à ce qu'ils soient confisqués par des experts, voire par des personnalités indépendantes. Je ne récuse pas pour autant l'importance d'avis et d'expertises. Je vous propose donc un haut conseil qui donnera au gouvernement un éclairage indispensable à des décisions transcendant les polémiques internes.
Je n'ai pas non plus retenu la création d'établissements publics locaux pour rassembler des écoles voisines. Je pense que le lien entre la commune et son école primaire est trop fort pour être ignoré.
Pour être complet, je mentionne également des points d'accord à côté de l'inspiration principale qui relie le rapport Thélot à cette loi :
- Le brevet refondu pour sanctionner l'acquisition du socle
- Une meilleure différenciation des filières au lycée
- La simplification de la voie technologique
- Le développement des formations et diplômes dans le secteur sanitaire et social
- La rénovation de la série littéraire
- La contractualisation des établissements avec l'académie
- La réorganisation de la formation des enseignants
- L'affectation des nouveaux enseignants dans leur académie de formation.
Si, au terme de la mise en uvre de la loi, nous pouvons certifier aux Français que tous les élèves maîtriseront le socle de connaissances et compétences indispensables, qu'ils parleront vraiment une langue étrangère, qu'il n'y aura plus, grâce au remplacement des enseignants absents, de classes sans professeur, que les enseignants seront formés à la maîtrise de leur discipline comme à la pratique de leur métier, j'estime que nous aurons vraiment uvré pour l'avenir des Français et celui de la France.
Mesdames et messieurs les députés,
Au cours de nos débats, beaucoup de contradictions sont apparues. Elles sont révélatrices des hypocrisies trop longtemps accumulées sur l'Ecole. Hypocrisie tout d'abord sur les objectifs et les résultats. L'Ecole doit toujours tout faire, dispenser tous les enseignements, sur tous les sujets, à tous les élèves. Mais derrière cette façade égalitaire, les résultats stagnent, voire régressent depuis une dizaine d'années, d'abord au détriment des catégories sociales les moins favorisées.
Hypocrisie également autour du débat sur les moyens humains et financiers consacrés à l'Ecole au regard des résultats obtenus. Depuis vingt ans, le nombre d'enseignants a augmenté de plus de 100 000 alors que celui des élèves diminuait de 500 000 ; depuis vingt ans le budget de l'éducation nationale est en constante progression : la France est classée en tête des pays de l'OCDE pour sa dépense scolaire. Qui ne voit dans ces conditions que la question des moyens ne peut plus être posée sans une redéfinition des priorités et de l'organisation de notre système éducatif ? Ceux qui veulent le statu quo acceptent ces hypocrisies. J'affirme que mon projet incarne la justice scolaire contre la façade égalitaire. Sur ce point, beaucoup d'entre vous ont évoqué les ZEP et le soutien aux élèves en difficulté. Je le dis avec force : l'effort, supérieur à la moyenne, en faveur des ZEP et sera maintenu. Nous allons même passer à la vitesse supérieure et ceci en développant une stratégie complémentaire autour, notamment, des CIRE. 600 millions seront programmés, à partir de l'analyse des difficulté personnelles rencontrées par les élèves, mais ceci partout, car des enfants en échec ne sont pas exclusivement dans les ZEP ! Le fait est là : la dotation pour le financement des CIRE renforcera les moyens mis à la disposition des ZEP !
Hypocrisie aussi sur l'une des missions du système éducatif qui est de préparer nos jeunes à un métier. Tout le monde évoque les filières professionnelles, mais avec une sorte de regret de voir l'Ecole ne pas exclusivement prodiguer un enseignement académique. J'ai même entendu certains dans l'opposition s'insurger sur le fait que l'Ecole puisse avoir une relation avec le monde du travail et celui de l'économie. C'est absurde et injuste à l'égard des adolescents qui privilégient des filières plus pratiques.
Sur l'enseignement professionnel deux priorités fortes sont affichés :
- le baccalauréat professionnel sera proposé en 3 ans au lieu de 4 ans pour ceux qui le souhaitent et le peuvent ;
- la redéfinition des filières du professionnel sera mis en adéquation avec les perspectives d'emplois et les techniques d'aujourd'hui.
Dans la série technologique, le nombre des STI sera resserré autour de dominantes plus lisibles et plus attractives.
D'une façon plus globale, afin de sensibiliser tous les jeunes Français aux enjeux et possibilités de la vie professionnelle, nous allons généraliser l'enseignement de découverte professionnelle, enseignement qui sera de 3 heures par semaine. Il est temps, en la matière, d'arrêter avec les cloisons, les hiérarchies, les ségrégations à l'égard des enseignements pratiques et technologiques. Il est temps de rappeler que l'Ecole a aussi le devoir de sensibiliser la jeunesse à son avenir professionnel !
Mesdames et messieurs les députés,

Instrument de justice et de qualité, l'idée de socle - autour de laquelle tournent tous nos échanges - n'est pas pour autant exclusive. On a vu revenir dans le débat la hantise du " SMIC culturel ".
Faut-il, une fois encore, répéter que rien dans les programmes n'est retiré à l'ambition d'aujourd'hui. Mais il est temps de donner à l'Ecole une obligation de résultat sur les éléments d'un " cur " de connaissances et compétences. Ce socle, il est débattu, attendu, depuis 30 ans. Tous les connaisseurs du système, de droite comme de gauche, en ont souligné la nécessité pour que l'exclusion scolaire soit combattue, là ou elle prend ses racines, c'est-à-dire dans la non maîtrise des indispensables. La pire des exclusions, c'est l'illettrisme, c'est l'absence de maîtrise des fondamentaux, c'est l'impossibilité, à partir de là, de se construire une perspective professionnelle et sociale solide. C'est le principal défi que le projet de loi propose de relever.
Pour autant, je l'ai dit, répété : les autres disciplines ne sont pas exclues. Arrêtons avec les rumeurs et craintes sans fondement.
Prenons l'exemple de l'EPS que certains d'entre vous ont cité. Notre projet n'apporte aucune modification concernant cette matière (30 articles dans la partie législative du Code de l'éducation en font mention. Aucun de ces articles n'est supprimé !)
Mesdames et messieurs les députés,
Beaucoup d'entre vous ont évoqué le rôle important des parents, des enfants.
C'est pour eux que nous réformons !
Aux parents, cette réforme donnera l'assurance de moyens nouveaux contre la violence scolaire, les remplacements de courte durée des enseignants absents seront enfin mieux organisés pour qu'aucun enfant ne soit privé d'enseignement, au moins deux rencontres annuelles avec les enseignants seront obligatoires pour un meilleur suivi de la scolarité des enfants, une plus grande participation des parents sera organisée dans l'élaboration des projets d'écoles ou d'établissements scolaires.
Mais c'est surtout à nos enfants que ce projet est destiné. Beaucoup de lycéens manifestent ces jours-ci contre certaines de ses dispositions. Je suis sensible à leurs craintes et attentif à leur message. Il ne faut jamais ignorer la voix de ceux qui ont moins de vingt ans. Je leur dis que je ne me retranche pas dans mes certitudes. Mais la situation de l'Ecole exige le changement. Ce projet, je l'ai dit, n'est pas seulement celui d'un responsable politique mais l'enjeu d'une génération.
Il est pragmatique, précis, innovant et j'invite ses opposants à ne pas dire " non " au bon sens ! L'école obligatoire recentrée sur les connaissances fondamentales, trois heures de soutien hebdomadaires à tous les élèves en difficulté, un plan sans précédent pour l'apprentissage des langues étrangères, la multiplication par trois des bourses au mérite, la multiplication par cinq des dispositifs relais contre la violence scolaire, le tout représentant un effort financier de l'ordre de 2 milliards d'euros et la programmation de 150 000 recrutements d'enseignants d'ici cinq ans.
Qui peut légitimement affirmer que ce projet ne représente pas une réelle avancée contre l'échec scolaire dans notre pays ?
La questions des moyens a été largement évoquée par l'opposition dont c'est visiblement le seul critère d'appréciation pour moderniser l'Ecole.
Sur les moyens, notre discussion a déjà permis de relancer les objectifs figurant dans le rapport annexé. A partir de là, le rapporteur a formulé des amendements qui donnent la traduction chiffrée de l'ambition expérimentée.
Je les résume :
- 321 M d'euros pour le soutien scolaire dans le primaire,
- 396 M d'euros pour le soutien dans le secondaire,
- 50 000 bourses au mérite en plus des 25 000 existants,
- 1 520 postes d'infirmières,
- 1 000 unités pédagogiques d'intégration pour les handicapés,
- 68 M d'euros pour la formation des enseignants, à leur initiative, dans le cadre individuel s'ajoutant au droit existant,
1 000 dispositifs de relais nouveaux,
10 000 équivalents temps plein pour rénover notre dispositif d'enseignement des langues.
C'est concret, et je le dis, dès à présent, le gouvernement acceptera ces amendements, en se félicitant de la démarche du rapporteur et de la commission au bénéfice d'un renforcement du projet.
Mesdames et messieurs les députés,
L'urgence a été mise sur ce projet de loi. Elle est naturelle. Certaines des mesures prévues par ce projet pourront ainsi s'appliquer dès la rentrée. L'opposition fait mine de s'en indigner Cette urgence, c'est la marque de notre détermination. Le temps de l'action est venu.
" La mission des hommes et des femmes qui font accéder les jeunes aux domaines de la connaissance comporte, au point de vue humain, une responsabilité primordiale ! ". Cette conviction, de Charles de Gaulle, exprimée dans ses " Mémoires d'espoir " n'est pas restée dans le seul ordre du discours. Dès 1960, les collèges d'enseignement général sont créés. En 1975, René Haby créait le collège unique. C'est dire que cette majorité est l'héritière d'une tradition réformatrice, et qu'il lui appartient aujourd'hui de la prolonger dans un nouvel effort pour que le service public soit au rendez-vous, une fois encore, et puisse conforter l'égalité des chances en même temps que l'avenir de la France.

(Source http://www.education.gouv.fr, le 17 février 2005)