Texte intégral
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Je vous remercie de m'avoir invité à évoquer devant vous un thème qui me tient particulièrement à coeur.
La diversité culturelle est au coeur des préoccupations du Ministère de la culture et de la communication. Et cela depuis l'origine. Il suffit pour s'en convaincre de relire les termes mêmes, choisis par André Malraux, du décret du 24 juillet 1959 portant " organisation du ministère chargé des affaires culturelles " : "Le ministère chargé des affaires culturelles a pour mission de rendre accessibles les oeuvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; d'assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des oeuvres de l'art et de l'esprit qui l'enrichissent."
En effet, l'existence même d'un Ministère de la culture témoigne de la conviction française, de plus en plus partagée en Europe et dans le monde, que la culture est une réalité essentielle à protéger et à développer : c'est le fondement de nos politiques culturelles.
La dimension internationale d'une telle ambition n'avait pas échappé à Malraux, qui pressentait l'avènement d'une " civilisation mondiale " - on ne parlait pas encore, à l'époque de la " guerre froide ", de mondialisation, ni du mot, ni de la chose - mais elle prend aujourd'hui une toute autre portée, dans un monde où, nos mesures de soutien, de quotas, sont parfois jugées discriminantes au regard de la libéralisation des échanges.
Au coeur du défi que représentent la préservation et la promotion de la diversité culturelle, il y a aujourd'hui la capacité des Etats à établir et mettre en oeuvre librement des politiques culturelles. De quoi s'agit-il ? Tout simplement d'assurer que toutes les cultures aient la possibilité de faire entendre leur propre voix.
L'objectif de ces politiques culturelles est de garantir aux productions nationales des capacités d'expression et de présence, qu'elles ne trouveraient pas spontanément sur des marchés où ne régnerait que la seule règle de la rentabilité économique.
L'uniformité culturelle n'est pas un fantasme, mais une menace réelle. Les seules parts de marché des cinématographies étrangères, notamment américaines, en Europe, en attestent. Je rappelle que les exportations audiovisuelles américaines, sont le deuxième poste d'exportation aux Etats-Unis derrière l'aéronautique. Et c'est le seul secteur présentant une balance commerciale positive avec tous les pays du monde.
La part de marché globale des films européens dans l'Union européenne a baissé : 25,7 % en 2003 contre 27,8 % en 2002. Celle des films américains a augmenté : 72,1 % contre 70,1 % dans le même temps. D'après l'UNESCO, en l'an 2000, 85 % des films diffusés en salle dans le monde, sont produits dans les studios d'Hollywood ; 50 % des fictions diffusées à la télévision en Europe sont d'origine américaine, cette proportion atteignant jusqu'à 67 % dans un pays comme l'Italie ; 70 % des enregistrements légaux de musique étaient partagés entre deux grandes entreprises dans le monde ; et, parmi les dix romanciers les plus traduits au monde, neuf sont des écrivains de langue anglaise.
Ces réalités du monde d'aujourd'hui nous montrent que la diversité culturelle n'est ni une mode, ni un slogan, mais un atout pour faire reculer cette part d'ombre de la mondialisation, portée par les risques d'uniformisation du monde.
De quoi s'agit-il ? Tout simplement de notre capacité à continuer de recevoir et de proposer une offre culturelle large et étendue; de la faire partager à des publics nombreux ; enfin de notre droit de continuer à mener des politiques culturelles propres.
La diversité culturelle, c'est à la fois la liberté de création et la liberté d'accès à la création. Il s'agit de permettre aux publics les plus divers d'accéder aux créations intellectuelles et artistiques les plus larges possibles, tout en donnant aux artistes et aux créateurs les moyens de leur libre expression. Il s'agit de préserver la diversité des pratiques culturelles, et surtout celle des contenus des oeuvres de l'art et de l'esprit.
Les politiques publiques en faveur de la diversité culturelle contribuent aussi au dynamisme de nos économies et à l'emploi.
A la veille de l'ouverture du 25ème salon du livre, permettez-moi de citer l'exemple du prix unique du livre, que neuf pays européens ont mis en place. Il montre qu'une politique culturelle peut permettre à un réseau économique (les librairies) de trouver un équilibre financier qui ne pourrait exister si les prix étaient "libres", ce qui permettrait aux grosses structures de pratiquer des prix abusivement bas sans risque de concurrence.
Reconnaître le droit des Etats à prendre toutes les mesures nécessaires pour promouvoir et préserver la diversité des cultures, tel est précisément l'objet de la " convention sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques " en cours de négociation à l'UNESCO.
La France, répondant au souhait exprimé par le Président de la République au sommet de Johannesburg, a la première, aux côtés du Canada et du Québec, engagé une réflexion sur un projet de convention internationale sur la diversité culturelle.
Cette convention a pour objet de consacrer en droit la légitimité des politiques en faveur de la protection et de la promotion de la diversité culturelle. Elle a vocation à devenir un cadre de référence pour les Etats et les autres organisations internationales. Elle permettra d'établir un équilibre entre les règles du commerce international et les normes culturelles qui ne peuvent être subordonnées aux accords internationaux et doivent bénéficier d'un règlement des différends efficace.
Elle devra :
- réaffirmer la spécificité des biens et services culturels ;
- souligner le droit des Etats à mettre en oeuvre des politiques culturelles pour préserver la diversité de la production et de l'offre culturelle ;
- renforcer la coopération et la solidarité en faveur des pays en développement. En effet, la diversité culturelle ne saurait justifier un repli sur soi, sur une identité fermée. Elle exige par nature l'ouverture aux autres cultures.
A ceux qui craignent qu'un tel texte ne restreigne la liberté de circulation des oeuvres de l'esprit, la France répond qu'il n'en est rien. Il est en effet conforme au rôle de l'Etat dans nos démocraties libérales, d'assurer l'exercice des libertés, de lutter contre les monopoles, de protéger les minorités, de stimuler la création artistique et le mécénat, de favoriser la diversité. Ce qui vaut pour nos Etats vaut pour le monde. Loin de tout protectionnisme, la convention sur la diversité culturelle permettra une circulation des idées plus assurée, parce que plus respectueuse de l'autre.
Aujourd'hui, nous pouvons nous réjouir, car l'élaboration de cette convention est bien engagée. Un consensus s'est dégagé en conférence plénière sur la reconnaissance de la spécificité des biens et services culturels et la nécessité de permettre aux Etats de mettre en oeuvre des politiques culturelles, confirmant ainsi l'intérêt de la majorité des Etats membres pour ce projet de convention.
Il reste cependant beaucoup à faire pour mener cette négociation à bonne fin, pour obtenir un texte efficace, qui trouve sa place dans l'ordre juridique international, sans être subordonné aux traités commerciaux, et convaincre le maximum d'Etats de son utilité. La France continuera à peser de tout son poids pour que cette convention permette de résister aux pressions exercées sur la culture par les accords de commerce et par l'Organisation Mondiale du Commerce, et soit adoptée en 2005.
Je me suis personnellement impliqué très fortement dans ce dossier. Je citerai à titre d'exemples : ma participation à la réunion du Réseau international sur la politique culturelle à Shanghai, la signature avec mon homologue chinois d'une déclaration franco-chinoise sur la diversité culturelle, la relation étroite avec le ministre brésilien de la culture à l'occasion de l'année du Brésil en France, l'action dans le cadre européen - entretiens bilatéraux, la réunion des ministres de la culture du 16 novembre dernier adoptant un mandat de négociation de l'Union européenne, la déclaration de la conférence de Berlin appelant une charte pour l'Europe de la culture, la rencontre très positive avec M. Barroso le 20 janvier, le MIDEM, la rencontre de Cordoue, l'organisation en juin prochain des ministres de la culture de l'ASEM sur le thème de la diversité culturelle.
Et je me réjouis que, contrairement à ce que l'on peut observer dans certains pays, la promotion de la diversité culturelle fait l'unanimité de tous nos ministères, comme le montre, par exemple, la réunion des ministres du commerce extérieur des dix nouveaux entrants de l'Union européenne organisée avec mon collègue François Loos en juillet dernier.
Les travaux en cours à l'UNESCO donnent à l'Union européenne une nouvelle occasion de réaffirmer son engagement en faveur de la diversité culturelle - un engagement qui est aussi une obligation inscrite dans l'actuel Traité de l'Union et qui est élevé dans la Constitution européenne, sur laquelle les Français sont appelés à se prononcer le 29 mai prochain, au rang des valeurs et des objectifs de l'Union.
Je tiens à citer ici trois extraits clés du texte même du traité constitutionnel, qu'il importe de connaître et de faire connaître :
- à l'article 3§3d, " [l'Union] respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen " ;
- à l'article 280§1 du Traité, " l'Union contribue à l'épanouissement des cultures des Etats membres, dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage commun " (disposition reprises du Traité instituant la Communauté européenne actuellement en vigueur) ;
- à l'article 280§4 du Traité, "l'Union tient compte des aspects culturels dans son action au titre d'autres dispositions de la Constitution, afin notamment de respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures " (disposition reprises du Traité instituant la Communauté européenne actuellement en vigueur).
J'ajoute, c'est essentiel, que la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, intégrée dans le Traité constitutionnel lui-même stipule que " l'Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique ".
Enfin, en maintenant dans le Traité constitutionnel la règle de l'unanimité pour la négociation et la conclusion d'accords par la Commission européenne au nom de l'Union européenne et de ses Etats membres dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels, l'Union européenne a renouvelé sa volonté de défendre la diversité culturelle dans les négociations commerciales.
L'ambition européenne étant d'unir les peuples de ses 25 Etats membres, et pas seulement de bâtir une zone de libre-échange, le respect de la diversité culturelle et linguistique à l'intérieur de l'Union est un principe fondamental. Il s'agit bien de faire vivre aujourd'hui la promesse, et la devise, de Jean Monnet : "nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes".
C'est au regard de ces fondements culturels et humanistes de la construction européenne que nous devons agir et progresser sur les sujets les plus urgents à mes yeux.
Comme vous le savez, le Président de la République et le Premier ministre ont demandé à la Commission européenne une mise à plat du projet de directive " services ", dite directive Bolkestein, en raison des risques d'insécurité juridique et de dumping social qu'elle fait peser.
Le président de la Commission européenne a fait de premières ouvertures en ce sens le 2 février. Elles ont été précisées par le Commissaire en charge du Marché intérieur lors de la conférence de presse du 3 mars : la directive ne sera pas retirée mais amendée. M. Barroso vient de s'exprimer pour défendre à nouveau le principe même de cette directive et justifier le principe du pays d'origine. Il s'agit de sa part d'un coup de balancier vis-à-vis des nouveaux Etats membres pour faire passer l'idée, qui nous est favorable, que le projet de directive n'est pas acceptable en l'état.
J'ai eu l'occasion de faire part à M. Barroso comme à M. Mc Creevy des réserves de la France concernant la culture et la communication.
Nous avons demandé et nous continuons de demander trois exclusions :
- l'audiovisuel, sujet sur lequel neuf Etats nous rejoignent ;
- la presse ;
- la gestion collective des droits d'auteur. Nous sommes seuls sur ces deux derniers sujets.
Si la culture et la communication constituent à elles seules près de la moitié des exclusions demandées par la France, c'est précisément en raison de notre engagement en faveur de la diversité culturelle.
Il nous faut d'autant plus réaffirmer cet engagement que, sur plusieurs autres dossiers, nous avons des différends avec la Commission, parce que les Directions Générales chargées du Marché intérieur et de la Concurrence ont du mal à accepter le principe de la diversité culturelle.
- Ainsi, sur le cinéma, je viens de faire adopter un crédit d'impôt en faveur de la relocalisation des tournages et un crédit d'impôt audiovisuel. Je constate un paradoxe : la méfiance des services de la Commission vis-à-vis de nos aides, alors que nombre d'Etats membres viennent nous voir pour reproduire notre système.
- Sur les secteurs interdits de publicité à la télévision : la Commission nous a adressé un avis motivé concernant les secteurs du cinéma et de l'édition et envisage une saisine de la Cour de justice. Nous pensons que la dérèglementation réduirait la diversité de l'offre culturelle.
Sur la présomption de salariat pour les artistes : la Commission a engagé une procédure contentieuse contre la France pour restriction à l'activité des professionnels et des artistes non établis en France. Nous pensons que la présomption de salariat est une disposition fondamentale de la protection des artistes et des interprètes.
L'adoption d'une constitution est une étape historique pour l'affirmation d'une Europe politique. Afin de débattre de la place accordée à la culture et des conditions dans lesquelles la création et la vie artistique peuvent rayonner dans une Europe qui a donné la priorité à l'intégration économique, j'organise, à la demande du Président de la République, les Rencontres pour l'Europe de la culture les 2 et 3 mai prochains. Des artistes, des écrivains, des intellectuels débattront du rôle de la culture dans le développement de l'identité européenne, de la préservation des identités régionales et nationales dans l'Europe réunie.
Le sens de ce débat est de construire un dialogue étayé, solide, et suivi, avec les responsables politiques de l'Union européenne et des peuples de l'Europe.
Ce combat pour la diversité culturelle, il se décline aussi dans le domaine essentiel de la communication audiovisuelle. C'est pourquoi la chaîne française d'information internationale est, pour notre pays, une nécessité stratégique. La France a un message spécifique à faire entendre sur la scène internationale, une culture propre à exprimer, une voix originale à élever.
Il faut à cet égard bien distinguer ce qui relève du rayonnement de la francophonie et ce qui est du ressort du débat et de la diffusion des idées. S'agissant de ce dernier point, l'importance de la diffusion en langues étrangères, en anglais et en arabe, est cruciale. C'est pourquoi, dès son démarrage au plus tard au printemps 2006, la chaîne diffusera 4 heures d'informations en anglais. J'ai demandé aux deux actionnaires de réfléchir à une diffusion suffisante en langue arabe.
Nous devons avoir un dispositif complet d'action audiovisuelle extérieure qui fasse place de manière cohérente à cette chaîne d'information internationale : la Chaîne française d'information internationale complète notre dispositif, aux côtés de TV5, de RFI, de l'AFP, avec qui elle va travailler en synergie et en complémentarité, j'y suis particulièrement attentif.
Le projet a été longuement mûri par les actionnaires de la future chaîne - France Télévisions et TF1 - et l'Etat. Le financement nécessaire en 2005, 30 millions d'euros, a été débloqué. Nous attendons le vert de Bruxelles, à qui nous avons officiellement notifié le projet de convention entre l'Etat et les deux actionnaires.
Lorsque ces autorisations auront été obtenues, la société pourra être constituée, probablement dans le courant du printemps, et se mettra au travail, en vue d'une début des émissions au premier semestre de l'année prochaine.
Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les Députés, la promotion de la diversité culturelle est l'affaire de tous. Le Gouvernement s'y engage pleinement sous l'autorité du Président de la République et du Premier Ministre. Il me paraît essentiel que la Représentation Nationale y prenne toute sa part.
Je vous remercie.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 17 mars 2005)