Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Disposer de ressources importantes en calcul scientifique, c'est aujourd'hui indispensable pour un pays qui prétend à la modernité, et à l'indépendance de ses grands projets : que ce calcul soit mis au service de l'information, de l'industrie, de la recherche, de la défense, il est l'indice direct de notre avancement, et surtout la condition de sa poursuite.
Le calcul massif obéit donc aujourd'hui, dans une société qui se confie à l'informatique et qui attend beaucoup d'elle, aux problématiques qui régissaient hier l'approvisionnement en énergie.
C'est le mérite du rapport de mars 2005 sur " la politique française dans le domaine du calcul scientifique " que de nous avoir rappelé ce caractère stratégique de la ressource, et l'urgence de la renouveler. Comme François d'Aubert avant moi, je veux rendre hommage à ses auteurs, et les remercier d'une contribution dont le ministère de la recherche a commencé sans tarder à tirer les acquis.
C'est en effet une véritable restructuration des acteurs français du calcul intensif que François d'Aubert vient de vous annoncer. Elle va dans le sens d'une coopération toujours plus étroite, que trois arguments forts justifient à mes yeux.
Le premier réside dans le coût des installations, et dans la relance constante de l'investissement qu'elles exigent.
Le deuxième argument en faveur de la coopération des acteurs tient à l'irrégularité des besoins. Une simulation lourde entraîne un bref " pic de consommation ", suivi d'un temps mort qui correspond au dépouillement des données, et à la préparation de la simulation suivante. Rentabiliser les machines suppose donc d'en mutualiser l'usage.
Cela n'est possible, et c'est le troisième argument, qu'au moyen d'un développement du calcul à distance : il est largement entamé. Le développement des capacités des réseaux de transport et la baisse du coût de ces infrastructures le permettent. Il doit être exploité, au niveau national, comme au niveau européen.
Notre pays peut-il tout faire ? Oui, car c'est un grand pays. Peut-il faire tout, tout seul ? Non, car dans la compétition mondiale, la France a besoin de son inscription dans le continent européen.
C'est sur la scène européenne, donc, que doit se préparer la seconde restructuration des grands acteurs du calcul intensif. Avec le soutien de la Communauté européenne, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni ont pris l'initiative ambitieuse d'un engagement commun : financer conjointement, tous les deux ans, la construction d'un calculateur de très hautes performances, que chaque partenaire accueillera à son tour. La France se trouverait ainsi dotée d'un nouvel outil tous les six ans, ce qui correspond à peu près à la durée de vie actuelle de ce type de matériel. Un protocole d'accord est en cours d'élaboration. Je redis ici mon soutien sans réserve à ce projet, déjà bien engagé. Nous pourrions en espérer les premières réalisations dès l'année 2008. Il peut répondre à votre impatience et à celle de toute la communauté scientifique. Il doit être mené à bien.
Mais il ne suffit pas de gérer une politique d'investissement. Il faut une planification stratégique, et une programmation pluriannuelle. C'est la raison pour laquelle il a été décidé d'inscrire les calculateurs français les plus puissants parmi les " très grandes infrastructures de recherche ". Ils feront ainsi l'objet d'une gestion et de moyens spécifiques.
Au-delà des grands outils de calcul, c'est toute la recherche française qui relève ainsi d'une intervention plus judicieuse et plus volontaire de la puissance publique.
L'objectif est donc maintenant de préparer une réforme qui prenne à bras le corps les problèmes structurels.
Une loi ne peut se faire sans les chercheurs et enseignants-chercheurs, moins encore contre eux. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi de mettre en place un groupe de travail technique et restreint, éloigné des postures et des envolées partisanes. Coordonné par le directeur de l'enseignement supérieur, M. Monteil, ce groupe de travail associe le comité de suivi des Etats généraux de la recherche, la Conférence des présidents d'université, la Conférence des grandes écoles et la Conférence des formations d'ingénieurs, ce qui lui assure une représentativité de haut niveau. Ainsi, réunion après réunion, thème après thème, les briques de la future loi sont constituées.
Cette loi, l'ensemble de la communauté l'attend.
Mesdames, messieurs,
J'ai la claire conscience de l'importance de ces enjeux. Cette conscience n'est pas sans relation avec la voix du monde de la recherche, que j'ai décidé d'écouter. C'est pourquoi j'ai considéré avec la plus grande attention les propositions faites.
Elles visent non pas à bouleverser notre système, mais à lui donner les moyens d'être plus efficace, plus cohérent, plus rassemblé, et donc plus à même de faire face à la compétition internationale. Cela suppose que les conditions d'exercice offertes aux acteurs de la recherche leur permettent d'exprimer pleinement leur engagement, leur compétence, leur volonté de développement scientifique.
Une première proposition d'amélioration consiste en une meilleure coopération entre les acteurs de la recherche, nos universités, nos écoles, nos organismes. C'est pourquoi la loi que je prépare mettra en place des pôles de recherche et d'enseignement supérieur, susceptibles de donner à cette coopération toute la densité, l'efficacité et la compétence nécessaires à une ambition collective renouvelée. Ces PRES seront construits sur la base d'une relation contractuelle et volontaire avec l'État.
Cette coopération réclame, pour être pleinement efficace, que l'on puisse en mesurer précisément les effets. Chacun s'accorde sur ce point : il est nécessaire d'affermir notre dispositif d'évaluation, afin de rendre comparable ce qui doit être comparé, notamment les unités de recherche, quelles que soient leur nature et leur origine. Cela se fera dans le respect naturel des disciplines et des activités, dont les critères d'évaluation doivent prendre en compte les caractéristiques propres.
Par ailleurs, nos établissements de recherche et d'enseignement supérieur ont besoin eux-mêmes, pour la conduite de leur politique, expression d'une appropriation des grandes orientations de l'État, de disposer à la fois de leur propre dispositif d'évaluation et d'une évaluation externe. Le principe de transparence en sera le principe organisateur : ses critères seront publics, les compétences de ceux qui seront chargés de la réaliser reconnues. L'objectif essentiel de cette nouvelle donne évaluative, c'est bien de conférer à tout acte de jugement - car l'évaluation est un jugement - un fondement objectif.
Alors, et alors seulement, s'ouvriront un certain nombre de perspectives nouvelles pour les établissements, les unités de recherche et les personnes.
Ainsi, la possibilité sera offerte aux enseignants-chercheurs, et d'abord aux plus jeunes d'entre eux, de s'engager encore plus fortement dans l'activité de recherche, que cette recherche soit fondamentale ou appliquée, inscrite dans le champ des sciences exactes ou dans celui des sciences humaines et sociales, à travers une évolution de leurs conditions d'exercice. Cet objectif ambitieux, mais raisonnable, de moduler la répartition de l'activité entre deux éléments d'un couple nécessaire et indissociable, recherche et enseignement, constitue l'un des fondements de la politique que je souhaite mener.
Offrir la possibilité d'une organisation du temps dont le partage ne relèverait pas exclusivement de la norme mais de l'activité elle-même me semble aujourd'hui une condition nécessaire à un exercice rénové de la fonction d'enseignant-chercheur.
Par ailleurs, les chercheurs de nos organismes, au sens strict de " chercheurs ", ont une responsabilité quant à la diffusion de la connaissance qu'ils contribuent à produire. Sur la base du volontariat, on doit encourager cette nécessaire diffusion de la connaissance par ceux-là mêmes qui en sont les producteurs.
Bref, notre système de recherche et d'enseignement supérieur, qui reposera sur une évaluation publique et transparente, permettra une cohérence accrue entre les établissements grâce à leur coopération plus efficace, et aux possibilités nouvelles offertes aux enseignants-chercheurs et aux chercheurs.
Ce qui m'anime, plus largement, c'est la quête d'une relation beaucoup plus organique entre l'univers de la recherche, au sens large, et la société. Cette quête s'inscrit dans une double perspective : d'abord, faire en sorte que notre dispositif public de recherche soit au service du développement de notre pays, pour qu'il constitue un pôle d'équilibre et de dynamisme, dans un monde où la compétition globale est féroce.
Ensuite, offrir à l'ensemble de nos concitoyens un accès plus large à la connaissance. Parce que la connaissance et son partage sont un vecteur puissant de démocratie et d'égalité républicaine. Parce que l'ignorance nourrit les dérives de tous ordres, obscurantistes, idéologiques et sectaires. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nos sciences de l'homme et de la société doivent éclairer le chemin des sciences, et bien au-delà continuer de nourrir notre conscience.
Une certaine pratique scientifique est susceptible d'en éclairer une autre ; de même il me semble important qu'un État stratège soit doté d'instruments d'aide à la décision. En effet, les grands choix et les grandes orientations scientifiques de notre pays déterminent notre contribution au développement international, tout en exprimant la volonté politique d'en infléchir le cours. C'est pourquoi un Haut conseil, composé de scientifiques susceptibles de couvrir l'ensemble du spectre des pratiques et des objets de la science et de la technologie, éclairera les décisions prises au plus haut niveau de l'État.
Ces quelques éléments constituent à la fois l'architecture d'une action et celle d'une pensée politique, orientées l'une et l'autre vers le renouveau de notre système de recherche. Ce renouveau réclame évidemment un engagement fort du pays, mais aussi de la communauté scientifique.
C'est pourquoi nous avons décidé un accroissement programmé et très significatif des moyens, sous réserve, bien entendu, de la mise en oeuvre des éléments de la réforme.
D'importants moyens nouveaux de financement seront donc attribués à notre recherche, dans la logique même d'une loi d'orientation et de programmation : 6 milliards d'euros sur trois ans sont d'ores et déjà prévus. Par leur répartition, ces moyens marqueront les principales priorités de la politique que j'entends mener : la convergence des acteurs de la recherche, la solidification de la base de nos laboratoires, l'amélioration de leur réactivité et l'accroissement de leurs moyens humains.
S'agissant de ces derniers, la création de 3 000 emplois est d'ores et déjà prévue en 2006. Cet effort sera renouvelé en 2007, en fonction de l'avancement de la mise en oeuvre de la loi et constituera une référence pour la programmation.
Nous mettrons également en place des moyens de fonctionnement et d'équipement, d'une part pour augmenter significativement les soutiens dits de base de nos unités de recherche, dans le cadre naturel des activités qui les structurent fondamentalement ; et d'autre part pour leur fournir des abondements complémentaires dans le but d'asseoir ou de favoriser leur réactivité. Réactivité qui s'exprimera vis-à-vis d'un certain nombre de thématiques jugées et reconnues comme prioritaires dans l'espace international de la compétition scientifique et technologique. Réactivité qui permettra aussi de promouvoir les idées nouvelles susceptibles demain d'être au coeur même des grands enjeux de la recherche.
Cette volonté qui est la mienne traduit le désir d'une recherche solidement et durablement installée sur ses bases, qui pourra naturellement et sans retenue s'engager pour répondre aux grandes orientations définies comme prioritaires par l'État en même temps qu'à des problématiques totalement nouvelles, dont certaines structureront une partie du fonctionnement de la recherche de demain. De ce point de vue, l'Agence nationale de la recherche devra garantir la convergence de compétences et de projets originellement situés dans des organismes de recherche et des établissements d'enseignement supérieur différents. Elle aura pour fonction de rendre plus étroites, et pour ainsi dire plus organiques les relations entre les acteurs du système. L'ANR sera donc une composante incitative complémentaire d'un système de recherche dont le fondement réside bien entendu dans la qualité de nos laboratoires.
Je n'évoque pas ici faute de temps la recherche privée, et le développement des partenariats avec la recherche publique. Ce sera l'une des dimensions essentielles du projet du Gouvernement car j'ai la conviction que l'avenir de nos emplois en dépendra nécessairement.
Quant au calendrier, le Gouvernement n'a pas changé d'idée. Dès que l'on pourra s'appuyer sur un accueil favorable de la communauté scientifique, le projet sera achevé et transmis au Conseil économique et social. Compte tenu des progrès enregistrés dans les groupes de travail, j'ai bon espoir qu'un texte pourra être consolidé à la mi-juin, qu'un Conseil des Ministres en délibérera à l'été et qu'un vote interviendra avant la fin de l'année pour entrer en vigueur dès le 1er janvier 2006.
Mesdames, Messieurs,
Nous devons être aujourd'hui porteurs collectivement d'une idée simple, peut-être, mais fondamentalement exigeante : pour que notre pays puisse peser dans le concert des nations, il faut lui fournir les moyens d'une reconnaissance scientifique et technologique accrue à l'échelle internationale. La France peut et doit être une référence mondiale, à travers l'affirmation de son identité renouvelée. Identité renouvelée, à travers la coopération accrue entre nos universités, nos organismes de recherche et nos écoles. Identité renouvelée, à travers un système d'évaluation internationalement incontestable. Identité renouvelée, à travers la puissance de notre dispositif public de recherche comme moteur du développement industriel, économique et social. Identité renouvelée, enfin, à travers notre système de formation supérieure qui, par la mise en place du LMD, devient une référence européenne.
Nous avons une ambition partagée. Nous aurons les moyens de la mettre en oeuvre.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 19 mai 2005)