Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, à la télévision roumaine TVR le 25 février 2005, sur les relations franco-roumaines et la perspective de l'adhésion d'autres pays à l'Union européenne.

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Circonstance : Déplacement en Roumanie, le 25 février 2005

Média : Télévision - TVR

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, bienvenue en Roumanie. Cela fait plus de six ans qu'un ministre des Affaires étrangères français n'est pas venu en Roumanie. Vous êtes pour la première fois en Roumanie en tant que ministre des Affaires étrangères, vous êtes déjà venu en tant que commissaire européen, mais le fait que depuis six ans un ministre français des Affaires étrangères n'est pas venu, est-ce plutôt un bon signe parce que tout va bien ou un mauvais signe ? Quel est l'état des relations franco-roumaines ?
R - Je trouve que les relations entre nos deux pays sont très bonnes. Nous avons une histoire commune, une langue souvent en partage, beaucoup de coopération, une vraie solidarité depuis très longtemps. Maintenant, il ne faut pas vivre dans la nostalgie, il faut regarder l'avenir et, avec les souvenirs, regarder devant nous. C'est dommage qu'un ministre des Affaires étrangères français ne soit pas venu depuis plusieurs années. Moi je suis venu plusieurs fois en Roumanie, comme ministre délégué aux Affaires européennes de la France il y a une dizaine d'années, comme commissaire européen, notamment pour aider à la préparation de la Roumanie à son adhésion à l'Union européenne. Et je suis très heureux, quelques semaines après l'élection du nouveau président Basescu et la mise en place du nouveau gouvernement, de venir donner un nouvel élan, une nouvelle impulsion à nos relations, dans cette dernière ligne droite que doit franchir la Roumanie avant son adhésion en 2007 à l'Union européenne.
Q - Et la France a toujours soutenu l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne. Mais il y a de fortes communautés roumaines dans les pays voisins, et je parle ici de la Serbie, de l'Ukraine, de la Moldavie, et nous savons bien que la meilleure modalité d'être ensemble, c'est au sein de l'Union européenne. Que pensez-vous d'une éventuelle adhésion de la Moldavie ou d'une éventuelle adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne ?
R - Il faut vraiment voir les choses dans l'ordre. Ces pays peuvent avoir ou ont une aspiration européenne. J'ai été moi-même à Kiev il y a quelques semaines, pour rencontrer le président Iouchtchenko, et j'ai dit que cette aspiration européenne du peuple ukrainien était légitime, mais j'ai dit aussi qu'il fallait mettre les choses dans l'ordre. Nous avons, nous, de l'ordre à mettre dans notre maison européenne, avec la Roumanie et la Bulgarie, dans quelque temps. L'Ukraine, qui est un très grand pays, a beaucoup de choses à faire pour sa propre réforme économique et démocratique. Mettons les choses dans l'ordre et puis nous verrons ensuite les étapes suivantes. Ne les mettons pas dans le mauvais ordre. Ce qui est important, c'est d'avoir avec l'Ukraine, avec la Moldavie et d'autres pays, des relations de voisinage fortes, constructives, pour aider ces pays dans leurs réformes et dans leurs mouvements économiques et démocratiques.
Q - Les relations économiques entre la Roumanie et la France sont très dynamiques. Est-ce que vous avez eu l'occasion aujourd'hui d'approfondir quelques dossiers qui sont importants pour les deux pays, du point de vue économique ?
R - Nous sommes, nous Français, les troisièmes partenaires de développement de la Roumanie et non pas les premiers, donc on peut encore faire mieux. Des entreprises françaises sont présentes, très dynamiques, créent des emplois dans l'industrie, dans le commerce, dans les télécommunications, dans les transports, ici en Roumanie, et accompagnent le développement de votre pays. Il y a une très forte croissance actuellement. Et ce qui m'importe, c'est que cette croissance, ce progrès soient bien diffusés, bien sûr à Bucarest mais aussi dans les autres régions, dans les "judets" de l'ensemble de la Roumanie. Vous allez recevoir aussi beaucoup d'argent au titre de la solidarité européenne - j'ai géré ce budget de la solidarité régionale pendant 5 ans à Bruxelles - et donc, il faut vous préparer à bien utiliser cet argent pour améliorer la vie quotidienne des gens qui nous écoutent, l'éducation, la santé, les transports, l'emploi, la formation. Et la France est disponible pour participer à ce mouvement.
Q - Est-ce qu'il y a des dossiers économiques quand même que vous avez défendus aujourd'hui plus que d'autres ?
R - Nous sommes présents dans beaucoup de secteurs : la banque, la grande distribution, les télécommunications, la construction, les transports, l'environnement. Sur tous ces sujets, nous avons des entreprises performantes qui veulent créer des emplois en Roumanie, qui veulent transférer de la technologie pour la Roumanie, au service de la Roumanie, et dans tous ces domaines, nous sommes prêts à participer au développement, aux appels d'offres, aux différents marchés qui s'ouvrent, et de manière équitable et ouverte. Nous sommes prêts à participer à ce développement.
Q - Il y a un autre sujet qui est délicat entre la Roumanie et la France ou surtout pour la Roumanie, c'est le sujet de l'adoption internationale. Je sais qu'il y a quelques cas qui étaient déjà en train de se régler quand la nouvelle législation roumaine est venue pour empêcher les adoptions internationales. Est-ce que vous avez abordé aujourd'hui ce sujet ? Est ce qu'il y a des réponses ?
R - Oui, j'ai évoqué cette question avec le président Basescu, avec le ministre des Affaires étrangères et avec le Premier ministre. Naturellement, parce qu'il s'agit d'un sujet humanitaire et humain, je ne veux pas commenter ni faire de jugements sur la loi roumaine qui est une affaire de souveraineté de la Roumanie et qui est, d'ailleurs, une loi assez conforme aux standards de la législation européenne. Donc je ne ferai pas de commentaires. C'est l'affaire de la Roumanie de voter une loi de protection de l'enfance et sur l'adoption, telle qu'elle l'entend. Simplement, un certain nombre de dossiers étaient engagés auparavant, notamment 24 dossiers qui intéressent des familles françaises et je souhaite sincèrement, dans le respect de cette loi, dans le respect des standards européens, que l'on puisse trouver, au cas par cas, une solution. J'ai fait cette demande, pour qu'on trouve une solution à des cas qui sont des cas humains, humanitaires.
Q - Et vous avez eu de bonnes réponses ?
R - J'ai eu une réponse d'attention à cette demande et, encore une fois, nous allons continuer à travailler.
Q - Est ce que vous comprenez le besoin de sécurité de la Roumanie qui l'a poussée un peu à demander un lien transatlantique plus fort ? Est-ce que vous comprenez ou est-ce que vous avez la même évaluation pour ce qui concerne la zone de la Mer Noire et la zone de sécurité de la Mer Noire ?
R - Le besoin de sécurité de la Roumanie, c'est le même besoin de sécurité de la France, de l'Allemagne, de la Grèce qui n'est pas loin et qui est déjà dans l'Union européenne. C'est un besoin de sécurité pour se protéger, protéger ses frontières, lutter contre le terrorisme. Je pense que la meilleure sécurité, c'est d'être dans l'Union européenne, qui n'est pas seulement un grand marché, mais qui est une communauté solidaire avec, d'ailleurs, dans la nouvelle Constitution européenne, une clause de solidarité entre nous, et puis qui va devenir un acteur politique. Et cette Union européenne dans laquelle la Roumanie va avoir toute sa place - et nous avons besoin de la Roumanie, comme la Roumanie a besoin des autres européens - est alliée - une grande partie des pays européens - avec les Américains, au sein de l'Alliance transatlantique. Donc, je pense que le bon réflexe quand on veut entrer dans l'Union européenne, le réflexe légitime, nécessaire, c'est un réflexe européen. Et cela n'interdit pas d'être ami avec les Américains ou avec d'autres peuples
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1e mars 2005)