Déclaration de M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, sur les projets de renouvellement urbain et les projets de ville, l'importance d'une approche globale des problèmes urbains et l'éducation des jeunes, Mantes-La-Jolie, le 1er octobre 2000.

Prononcé le 1er octobre 2000

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Circonstance : Démolition des Tours Millet 7 et 9 dans le quartier des Peintres à Mantes-La-Jolie le 1er octobre 2000

Texte intégral

1. Le beau spectacle des Tours sonnantes, malgré sa très grande qualité, n'a pas réussi à effacer dans mon esprit l'effondrement, en début d'après-midi, des deux tours Millet.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire lors des précédentes démolitions de tours ou de barres auxquelles j'ai assisté : ces bâtiments qui sont détruits aujourd'hui portent avec eux la mémoire des habitants, et nous savons tous que l'heure pour eux n'est pas seulement à la fête. En effet, on ne raye pas d'un coup de détonateur l'histoire d'une vie, qui se confond le plus souvent avec celle des lieux dans lesquels on a vécu.
A ces habitants je voudrais donc dire, en citant la très belle phrase de Paul Valéry : " le détruire et le construire sont égaux en importance, et il faut des âmes pour l'un et l'autre ; mais le construire est plus cher à mon esprit. "
C'est pourquoi si j'ai voulu, dès ma prise de fonction, rompre avec les dogmes préétablis au sujet des démolitions, en finir avec le fétichisme du bâti qu'il s'agirait de conserver à toute force, c'est que je suis porté par un projet pour l'avenir, celui qui consiste à renouveler la ville.
La démolition constitue évidemment, un élément de solution lorsque, les habitants refusent eux-mêmes ce mode d'habitat.
La leçon que l'on peut tirer de la force symbolique de l'événement que nous venons de vivre, emprunt de nostalgie mais aussi d'espoir, c'est que la ville se construit autrement que sur un coup de tête, un effet de mode, ou pressé par le besoin de loger des gens.
Une ville est avant tout un espace social, pour la construction, le développement et l'harmonie duquel prévaudra toujours la concertation, le respect et le dialogue.
2. L'histoire singulière de la ville de Mantes-la-Jolie explique aujourd'hui ma présence, car en effet, pour la politique de la ville, Mantes n'est pas n'importe quelle ville.
C'est ici, au Val Fourré, que les premières réalisations de la politique de la ville sont nées, ici que sous l'impulsion du maire de l'époque, Paul PICARD, on a édifié, après celle de Paris, la première mosquée en France. Elle a 20 ans aujourd'hui et trop longtemps après, dans d'autres villes, on comprend l'impérieuse nécessité de reconnaître aux habitants, français ou immigrés, le droit de pratiquer leur culte de façon digne.
Mantes-la-jolie, c'est aussi la première ville à avoir mis en place un conseil de quartier élu, et à considérer les habitants comme les acteurs à part entière de la construction de leur cité.
Sur un autre plan, le projet " Mantes en Yvelines " préfigurait avant l'heure, le modèle de contrat d'agglomération, en mettant tous les partenaires dans le mouvement de requalification du Mantois.
C'est ici aussi que quatre tours furent détruites en 1992 pour mettre un terme définitif à des réparations inutiles.
C'est pourquoi nous sommes aujourd'hui rassemblés, c'est parce que la politique de la ville a cette faculté d'obliger, au-delà des clivages habituels, à une continuité de l'action publique, et qu'elle permet la mobilisation collective pour plus de justice sociale.
3. L'opération de construction du Quartier du Val Fourré fait partie de l'histoire de ces quartiers édifiés au début des années soixante.
- Quand, à la place d'un aéroport, comme c'est le cas ici, on décide, vu d'avion, d'édifier des cités comme on construit un jeu de cubes, sans trop de souci d'une forme urbaine humaine,
- quand faire la ville consiste à fabriquer à la hâte des cités pré-construites conçues par des techniciens,
- quand, dans un des plus beaux endroits de Mantes-la-Jolie, sur les bords de Seine, en dépit même du paysage, pour mieux rentabiliser une opération, on loge sur 3 % du territoire 20 % de la population,
- quand on coupe le quartier de son milieu naturel en l'enfermant dans un cul de sac par une rocade,
- quand loger les ouvriers des usines automobiles consiste à attribuer des logements par numéro de porte à des entreprises, sans même se préoccuper des demandes des habitants,
- quand pour répondre aux besoins de main d'uvre du pays, on fait venir des familles nombreuses d'immigrés qu'on va loger dans les HLM désertées par les classes moyennes, parce que ces derniers s'installent dans des pavillons,
alors, mesdames et messieurs, on crée des espaces qui ne sont pas dignes des habitants, on crée des lieux qu'on ne peut plus nommer " ville ", et on fait semblant d'oublier que la ville est d'abord uvre humaine.
4. Pourtant, imputer la responsabilité du dérèglement urbain au seul urbanisme et à la seule architecture est évidemment trop facile.
On sait que faire la ville nécessite une réflexion au long cours, une respiration, une méthode et une ambition ; cela requiert qu'on comprenne d'abord les personnes, avant de s'occuper des pierres, et l'on imagine aisément que ce ne sont pas une succession de raccommodages, une série d'opérations ponctuelles de réparation, ni même de démolitions qui redonneront à la ville ses couleurs humaines.
La politique de la ville a toujours mis en relief l'extrême importance d'une prise en compte globale des actions à entreprendre.
Dans le Mantois, un très gros effort a déjà été accompli en ce sens depuis vingt ans, effort pour lequel je tiens à rendre hommage ici à tous les acteurs, et à vous remercier, Monsieur le maire, plus particulièrement.
Des sommes très importantes ont été engagées dans le cadre du projet "Mantes en Yvelines".
650 MF, tous partenaires confondus, ont été mobilisés sur la période précédente pour redonner au Mantois le dynamisme dont il avait besoin. L'Etat, en participant pour plus d'un quart de la somme, a pris toute sa part dans l'effort collectif.
5. Les décisions que j'ai prises au plan national, pour que 50 grands projets de ville et 30 premières opérations de renouvellement urbain voient le jour, ouvrent une nouvelle période.
La loi de Solidarité et de Renouvellement Urbains fournira le cadre pour cette démarche de mixité et de reconquête des villes.
L'effort de l'Etat sera à la mesure des enjeux. Il sera poursuivi et amplifié, et viendra en appui des collectivités locales : villes, agglomération, conseil général, conseil régional, qui se mobilisent.
J'ai d'ores et déjà prévu pour le financement du projet " Mantes en Yvelines II ", qui nous liera jusqu'en 2006, lorsque nous serons parvenus à un accord, 90 millions de francs de crédits spécifiques, auxquels viendront s'ajouter les crédits de logement.
En trois ans, grâce aux décisions prises par le gouvernement, la dotation de solidarité urbaine versée à Mantes-la-Jolie, est passée de 9 millions de francs à 15 millions.
Le fonds de solidarité de la région Ile de France, que nous avons créée, permet de bénéficier chaque année de 15 autres millions de francs.
D'autre part, j'avais demandé que le Mantois soit retenu pour l'objectif 2, mais les critères déterminés par la commission européenne ne l'ont pas permis. C'est notamment pour cela que j'ai décidé de proposer la candidature en Pic urban.
Je sais, mesdames et messieurs les élus, que vous attendiez cet appui européen.
Madame la députée, vous m'en avez souvent parlé, et je suis donc heureux que le Mantois ait pu être retenu parmi les 9 sites français, ce qui représentera une dotation supplémentaire de 70 millions de francs.
Il convient également de mentionner, pour conclure les questions financières, le coût des éxonérations fiscales et sociales liées à la zone franche urbaine, qui représentent chaque année près de 20 millions de francs.
Je souligne à cette occasion que nous entendons poursuivre les efforts consentis pour les entreprises et les collectivités locales, et donc mettre en place un dispositif prenant le relais de la zone franche après 2002, ce qui n'avait pas été prévu par le Pacte de relance pour la ville.
6. Cependant, l'ampleur du travail accompli ne saurait nous faire oublier qu'il nous reste encore un long chemin à faire.
Nous savons tous qu'il n'existe pas une solution unique et facile à mettre en uvre, pour redonner au Val Fourré et à tout le Mantois une qualité urbaine.
Cela sera le résultat des efforts de l'ensemble des acteurs, Etat, élus, et habitants, regroupés autour d'un projet de développement, conjugué étroitement à un projet social ambitieux.
J'insiste sur ce point.
Renverser la logique de fuite du quartier pour donner envie de revenir habiter au Val Fourré, nécessite certes de restructurer le bâti, de desserrer l'étau de routes enfermantes et d'aménager de nouveaux espaces.
Mais pour un changement d'image plus radical, il nous faut réunir au moins trois conditions :
Conjuguer renouvellement urbain et revitalisation économique, faire profiter tous les habitants de la ville de la croissance, et renforcer le lien social.
Une intercommunalité renforcée sera nécessaire pour une prise en charge collective des populations, et éviter les effets centrifuges de déplacement des habitants vers les bords des villes. C'est sans doute même à une échelle plus large que l'on parviendra à organiser un mode d'habitat équilibré.
Le développement économique et le retour à l'emploi sont bien sûr la condition majeure d'une harmonie urbaine reconquise.
C'est au moment où nous retrouvons, partout en France, croissance et emploi, qu'il faut veiller très précisément à ce que nos quartiers populaires soient eux-aussi dans cette spirale positive.
Le dernier point de mon intervention portera sur l'éducation des jeunes.
Il convient d'abord d'apporter notre aide au service public d'éducation, pour qu'il puisse donner aux enfants toutes leurs chances. Des enfants qui vivent mal, apprennent mal. Tout est lié.
Il nous faut aussi organiser l'espace public pour qu'ils s'y sentent bien. Les pieds des tours ne sont pas des lieux éducatifs.
Il faut aussi prévoir après l'école des activités de qualité qui leur permettent d'accéder à la culture, et qui leur ouvre des choix et des découvertes possibles.
Enfin, il s'agit d'établir une continuité éducative qui anticipe la sortie du système scolaire et qui organise une prise en charge concertée et efficace. On devrait éviter définitivement que des jeunes de 16 ans aient le sentiment d'être abandonnés et considèrent leur avenir comme une voie sans issue.
La place de notre jeunesse n'est pas dehors, mais dedans. La place de la jeunesse de nos quartiers populaires est au cur même de la cité, elle en est le bien le plus précieux.
7. Mesdames et messieurs, le Mantois a une histoire qui prend ses sources à celles de l'histoire de France.
Dans la Charte Commune de Louis VI Le Gros, faisant de Mantes une des premières communes de France administrée par ses échevins, on trouve cette formule que nous pourrions reprendre pour toutes les villes :
" Tous ceux qui vivront dans cette communauté seront par droit perpétuel hommes libres ".
La démolition des tours aujourd'hui est le symbole de cette liberté.
Elle manifeste l'énergie inépuisable des villes et de ses habitants capables toujours de retrouver des forces pour non seulement résister aux crises mais surtout pour préparer l'avenir.

(source http://www.ville.gouv.fr, le 6 octobre 2000)