Texte intégral
(Déclaration du ministre lors du point de presse conjoint avec le ministre indien des affaires étrangères, le 13 février 2004) :
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Permettez-moi de vous dire que j'ai été très heureux de pouvoir rencontrer ce matin mon ami et collègue Yashwant Sinha. Il a dit qu'il s'agissait de ma deuxième visite en Inde mais n'oubliez pas que j'ai été en poste dans ce pays, qui est pour moi un grand pays ami et un pays respecté. Nous avons abordé, bien entendu, l'ensemble des grands problèmes, les crises régionales, le terrorisme et la prolifération, et j'ai été très heureux de voir une fois de plus que nos relations bilatérales se renforçaient. De grandes sociétés françaises, vous le savez, investissent aujourd'hui en Inde pour former des partenariats. Notre coopération technique et scientifique est le reflet de ce que nous pouvons réaliser ensemble ; je ne prendrai qu'un exemple, celui de la mise en place en Iran d'un atelier commun de télémédecine et la création d'un laboratoire conjoint de gestion des ressources hydrauliques à New Delhi. Dans le domaine culturel, vous savez sans doute qu'un grand festival du cinéma indien vient de s'ouvrir à Paris. Cela montre une fois de plus le grand intérêt du public français pour la culture de l'Inde.
Notre dialogue stratégique nous permet d'élargir cette relation bilatérale. Nous avons en commun la volonté de renforcer la paix et la stabilité dans les régions de crises, et d'apporter la bonne réponse aux nombreuses menaces de notre temps, qu'il s'agisse du terrorisme ou de la prolifération. J'ai eu l'occasion, Yashwant Sinha l'a dit ce matin, d'expliquer en présence de nombreux responsables politiques, d'universitaires et de jeunes, comment l'Inde et la France peuvent perfectionner leur coopération pour faire face à ces défis. Notre approche repose sur les mêmes principes que celle de l'Inde, en particulier sur la nécessité de préserver l'unité de la communauté internationale afin que nos actions demeurent légitimes. Unité, responsabilité, sécurité collective, ces principes auxquels nous croyons sont les facteurs-clefs de la stabilité de notre monde. Cela est vrai, bien entendu, en Afghanistan : nous ferons en sorte que le processus politique soit un succès si la communauté internationale reste résolue à garantir la sécurité collective et le développement économique de ce pays. Nous accueillons favorablement la perspective de la conférence de Berlin, et celle du processus politique et des élections qui doivent avoir lieu cette année en Afghanistan.
Cela vaut aussi, bien sûr, pour l'Irak : pour garantir la sécurité et pour reconstruire ce pays, nous devons rester unis. Un échec en Irak serait évidemment un échec pour tous. Nous ne pourrons toutefois progresser dans le bon sens qu'avec l'aide des Nations unies. Il y a de cela quelques jours, je me trouvais à New York où j'ai discuté de ce sujet tant avec Kofi Annan qu'avec Colin Powell. Nous nous félicitons de la décision prise par le Secrétaire général des Nations unies de dépêcher une mission en Irak afin d'étudier comment nous pourrions enrichir le processus politique. Il nous faut un véritable processus politique susceptible d'assurer l'avenir de la démocratie en Irak. Cela implique d'abord, bien sûr, que l'Irak recouvre sa souveraineté aussitôt que possible conformément à la résolution 1511 ; il a été décidé par accord entre l'Autorité provisoire de la coalition et le Conseil de gouvernement irakien que ce serait possible à la fin du mois de juin, et nous espérons évidemment que cette date pourra être respectée.
Au-delà de ces questions stratégiques, nos amis indiens participent à la définition d'un nouvel ordre mondial. Nous partageons les mêmes valeurs démocratiques et la volonté d'en faire la base du cadre multilatéral. Cela est nécessaire pour faire en sorte que la voix de chacun et la diversité des peuples soient dûment prises en considération. Cela dit, plusieurs initiatives doivent encore être prises pour améliorer l'efficacité de ce cadre : l'une de ces initiatives est l'élargissement du Conseil de sécurité. Vous savez combien nous sommes favorables à ce que l'Inde devienne membre permanent de cet organisme. Nous sommes en effet profondément convaincus que l'Inde a un grand rôle à jouer sur la scène mondiale. Elle vient une fois encore de faire preuve de sens des responsabilités en engageant un dialogue avec le Pakistan, ce qui va dans le sens des intérêts de toute la région. L'Inde est profondément attachée à la lutte contre le terrorisme. Elle a présenté des propositions concrètes, soutenues par plusieurs pays dont la France, et a également engagé des consultations avec des pays du Sud comme le Brésil, où je me trouvais voici quelques jours, et l'Afrique du Sud afin d'élaborer les nouvelles règles de gestion des affaires publiques au niveau mondial dont nous avons tant besoin aujourd'hui. Je vous redis donc ma joie d'être ici et je suis prêt à répondre à vos questions.
Q - Seriez-vous favorable à une plus grande présence de la communauté internationale dans le règlement du dossier indo-pakistanais ? Pensez-vous que la France ait un rôle à jouer en ce sens ?
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R - Je pense que l'Inde et le Pakistan ont tous deux montré comment on peut régler les problèmes du monde actuel, que le geste du Premier ministre indien, qui a décidé en avril dernier d'engager le dialogue, et les derniers contacts en date entre autorités indiennes et pakistanaises constituent la meilleure manière de traiter ces questions. Les relations bilatérales sont évidemment la clef de tout le reste ; entre l'Inde et le Pakistan, ces derniers mois offrent à l'ensemble de la communauté mondiale le meilleur exemple de la manière de concevoir des solutions, dans cette région comme dans bien d'autres domaines. Je crois donc que l'esprit de l'accord de Shimla est le meilleur esprit possible pour agir. Je le redis, après notre rencontre et sur la base de ce que nous avons pu voir des derniers échanges, je suis tout à fait optimiste quant à la bonne volonté de l'Inde, quant à son intention et son désir d'aller de l'avant. Ce dialogue et cette volonté d'aller de l'avant sont dans l'intérêt de la région comme, bien sûr, dans l'intérêt de la communauté mondiale.
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Q - Je souhaiterais poser une question aux deux ministres. Dans sa conférence, M. de Villepin a beaucoup parlé de l'Irak ; j'aimerais savoir quel est votre sentiment sur la situation dans ce pays après les attentats qui viennent de se produire, en ce qui concerne la situation réelle sur le terrain. Y a-t-il un mieux par rapport à ce qu'elle était il y a six ou huit mois ? J'aimerais également, s'il est possible, poser une autre question à M. de Villepin au sujet des relations bilatérales franco-indiennes, en ce qui concerne la vente d'Airbus ou de sous-marins Scorpene. Pensez-vous que les Russes ou les Britanniques soient plus avancés que vous dans ce domaine ?
R - En ce qui concerne la première partie de votre question, sur l'Irak, il va sans dire que nous suivons de très près l'évolution de la vie quotidienne des Irakiens qui est, bien entendu, l'un des facteurs-clefs. S'efforcer de remettre en marche les services publics est un élément très important et l'on peut, je crois, observer dans tout le pays des progrès très encourageants. Il est certain que la question cruciale de la sécurité et de la violence nous préoccupe beaucoup ; je pense que la situation dans ce domaine, la violence et le terrorisme, est très préoccupante. Si, au cours des derniers mois, les attentats étaient perpétrés contre la coalition, aujourd'hui un nombre croissant d'attentats terroristes sont commis contre le peuple irakien lui-même, contre certaines cibles précises, la police, certains représentants des milieux politiques et de la société civile irakienne. Cela nous préoccupe beaucoup et c'est la raison pour laquelle nous pensons que le processus politique doit être considérablement développé et renforcé.
C'est là le point de départ : comment parvenir à une pleine souveraineté de l'Irak ? Vous savez qu'afin d'assurer le renforcement de ce processus, nous avons émis l'idée d'une conférence internationale qui pourrait avoir lieu juste après ce retour à la souveraineté, au mois de juin, afin de faire en sorte que toutes les parties et toutes les forces politiques irakiennes travaillent ensemble et que nous soyons en mesure de maintenir l'unité de l'Irak. Il s'agira aussi de nous assurer que tous les pays de la région soient associés à ce processus : il est très important que tous les voisins, l'Iran, la Syrie, la Turquie, le soient, et il est très important que tous les Etats arabes soient associés à ce processus et le soutiennent. Je pense aussi que cette conférence, qui sera naturellement consacrée aux questions économiques, pourrait également traiter de questions de sécurité dans la région, ce qui est très important si nous voulons poursuivre sur la lancée actuelle.
Aujourd'hui, nous avons sur le terrain une commission mise en place par le Secrétaire général des Nations unies. Nous attendons ses conclusions. Il est très important de voir si nous pouvons étendre le processus politique et faire en sorte que ce processus soit bien accepté par toutes les parties. Au vu de ses conclusions, nous verrons ce que nous pouvons faire et comment nous pouvons mieux agir. Je pense que c'est dans l'intérêt de la communauté mondiale. Une chose est sûre, c'est que chacun de nous est concerné par ce qui se passe en Irak, et que chacun de nous souhaite que les choses s'améliorent. C'est dans l'intérêt de la communauté régionale, dans l'intérêt de l'Irak, mais aussi dans celui de la communauté mondiale.
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En ce qui concerne la question d'ordre plus bilatéral que vous avez posée, je dois vous dire que j'ai eu ce matin avec mon ami et collègue Yashwant Sinha une discussion excellente et fructueuse, et nous avons bon espoir pour les différents projets afférents aux relations franco-indiennes que vous avez mentionnés.
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Q - La France soutient la candidature de l'Inde au rang de membre permanent du Conseil de sécurité. Quand cela aura-t-il lieu ? Existe-t-il un calendrier précis ?
R - Nous apportons notre soutien à l'idée de voir l'Inde devenir membre permanent du Conseil de sécurité, d'abord parce que c'est le bon sens même : un milliard de personnes, un milliard d'Indiens au sein de la communauté mondiale, la plus grande démocratie du monde. Il est certain que si nous voulons conférer plus de représentativité au Conseil de sécurité, nous devons en tenir compte. Je ne doute pas de l'esprit de responsabilité de l'Inde qui, naturellement, est la bienvenue au Conseil de sécurité.
Il importe, au stade actuel, de s'assurer que l'on va réformer les Nations unies dans le bon sens. Cela répond à deux nécessités, la première étant, bien sûr, d'assurer une plus grande représentativité. Le deuxième aspect de la réforme, c'est une plus grande efficacité. Dans ce domaine, nous devons faire en sorte que les Nations unies disposent des outils nécessaires pour être plus actives au sein de la communauté internationale. Nous avons lancé un certain nombre d'idées qui pourraient être utiles : avoir, par exemple, un véritable conseil de sécurité chargé des questions économiques et sociales, avoir un corps du désarmement, avoir un corps des Droits de l'Homme, avoir une organisation spécialisée dans les questions d'environnement. Je crois qu'il importe de pouvoir réfléchir à toutes ces différentes questions. Nous avons pensé qu'il serait utile que le Conseil de sécurité, dans sa formation politique, puisse se réunir une fois par mois en qualité de conseil de la paix, afin que nous puissions étudier et traiter les différentes crises régionales et non pas seulement laisser les choses suivre leur cours pour venir ensuite déclarer que telle ou telle crise régionale est devenue incontrôlable. Nous devons pouvoir traiter ces questions difficiles à l'avance. Vous savez que le Secrétaire général des Nations unies a décidé de mettre en place un comité des sages qui vont travailler sur ces sujets dans les mois à venir et proposeront plusieurs projets importants de réforme des Nations unies.
Q - Ma question s'adresse au ministre français. Monsieur le ministre, le projet d'interdiction du turban en France a suscité ici de vives inquiétudes. Je suis sûr que notre ministre des Affaires étrangères a abordé ce sujet avec vous. (M. de Villepin : Absolument.) Ne croyez-vous pas que ce genre de polémique fasse le jeu des extrémistes qui en font d'ores et déjà un thème de propagande ?
R - D'abord, j'espérais que quelqu'un me pose cette question car, comme vous le dites, il importe que chacun comprenne ce qui se passe en France et pourquoi nous avons décidé de nous doter d'une loi sur cette question qui relève de ce que nous appelons en France la "laïcité". C'est un concept qui n'est pas facile à expliquer et qui tient à notre histoire, à une tradition politique qui remonte au XIXème siècle et au début du XXème siècle.
Afin d'assurer la neutralité, la tolérance, l'esprit de démocratie et des Droits de l'Homme qui est celui de la France, nous avions décidé à l'époque de nous doter d'une loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, pour faire en sorte que la religion n'intervienne pas dans notre système. Ce n'est pas une question de défiance envers la religion, c'est, au contraire, une question de confiance, de tolérance, de respect. En ce qui concerne la situation d'aujourd'hui, nous avons pensé qu'il serait utile de nous doter d'une loi pour faire en sorte que cet espace de tolérance soit pleinement respecté.
La communauté sikhe de France est tout à fait reconnue et respectée. Il existe en France environ 5.000 Sikhs, et il va sans dire que cette loi ne vise aucune religion en particulier et que nous respectons pleinement les religions, les confessions et les traditions. Cette loi vise les signes religieux dans les établissements scolaires publics, susceptibles de créer un climat de défiance et de porter atteinte à cet esprit de tolérance. C'est pourquoi nous avons décidé de proscrire tous les signes ostensibles dans nos écoles publiques. Vous observerez que c'est seulement dans les écoles publiques, dans un domaine limité encore que très important. Nous avons également engagé un dialogue avec la communauté sikhe, dont les représentants ont été reçus en délégation à deux reprises le mois dernier au ministère de l'Education nationale, et le ministre Luc Ferry, avec qui je me suis entretenu avant de venir en Inde, m'a dit qu'il rencontrerait à nouveau cette délégation dans les jours à venir à Paris. Moi-même, d'ici quelques heures, je rencontrerai le président de la Commission nationale des minorités de l'Inde afin d'évoquer ce sujet. Nous allons naturellement rechercher le meilleur moyen de résoudre cette question en faisant preuve du nécessaire respect que nous avons pour cette communauté, mais tout en tenant compte des contraintes qui sont les nôtres, et je suis convaincu que nous allons trouver une solution satisfaisante pour la communauté sikhe de France.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 février 2004)
(Entretien avec "Hindustan Times", le 13 février 2004) :
Q - Quelle est votre vision d'un partenariat stratégique entre l'Inde et la France ?
R - Nos relations ont toujours été excellentes, mais une nouvelle impulsion leur a été donnée depuis la visite en Inde du président Jacques Chirac en 1998, lors de laquelle nous avons mis en place un partenariat stratégique.
Notre partenariat est fondé sur une importante convergence de vues sur toutes les grandes questions internationales. Il s'agit là d'un atout précieux pour répondre aux enjeux mondiaux que sont le terrorisme, la prolifération et le développement. Mon ambition consiste à renforcer ce partenariat, pour que nous puissions contribuer à la définition des nouveaux équilibres stratégiques.
Q - Quelle est, de votre point de vue, la solution à la crise irakienne ?
R - Notre objectif est le développement du pays, ainsi que la restauration rapide de sa souveraineté. C'est par une action unie et déterminée de l'ensemble de la communauté internationale que nous pourrons agir de manière légitime et efficace. C'est pourquoi il est plus nécessaire que jamais de donner aux Nations unies leur place dans la reconstruction politique, sécuritaire et économique de l'Irak. Cela suppose bien sûr d'assurer la sécurité de ses représentants, mais également de tenir compte des messages et des recommandations du Conseil de sécurité.
Q - Quel est votre point de vue sur l'élargissement du Conseil de sécurité des Nations unies ? Soutenez-vous la cause de l'Inde qui demande un siège permanent au Conseil de sécurité ?
R - L'existence d'un monde multipolaire n'est ni un projet ni une ambition. C'est une réalité. Elle est perceptible depuis quelques années, elle prend forme aujourd'hui ; demain, elle sera une réalité plus claire. Certains pays et groupes de pays majeurs ouverts sur le monde influencent la manière dont celui-ci est organisé. L'Inde et l'Union européenne en font partie.
Dans ce cadre, notre action internationale est fondée sur le principe de la responsabilité collective.
Dans ce contexte, la France soutient sans réserve la candidature de l'Inde à un siège permanent au Conseil de sécurité. Notre appui est fondé sur la certitude que l'Inde est capable d'exercer son pouvoir avec un profond sens des responsabilités, comme l'a brillamment illustré la politique de la main tendue vers le Pakistan du Premier ministre indien, M. Vajpayee.
Q - Quels sont les nouveaux domaines de coopération dans la lutte contre le terrorisme que vous pourrez évoquer avec les dirigeants indiens ?
R - La lutte contre le terrorisme s'inscrit au coeur de notre coopération avec l'Inde. Je pense en particulier à l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et au développement de circuits de financement complexes.
Les réseaux terroristes bénéficient d'un appui financier et logistique de réseaux internationaux voire de factions de certains Etats qui considèrent le terrorisme comme un instrument politique. Le message que nous leur adressons est clair : aucune cause, quels que soient ses fondements religieux ou politiques, ne peut justifier le massacre d'innocents.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2004)