Déclaration de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, lors d'un point de presse conjoint avec Mme Condoleezza Rice, secrétaire d'Etat des Etats-Unis d'Amérique, et entretien avec CNN, sur les relations franco-américaines et les grands dossiers de politique étrangère, à Washington le 2 mai 2005.

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Circonstance : Déplacement à Washington (Etats-Unis), le 2 mai 2005

Média : CNN - Presse étrangère - Télévision

Texte intégral

(Point de presse conjoint de Michel Barnier et de la secrétaire d'Etat des Etats Unis d'Amérique, Condoleezza Rice, à Washington le 2 mai 2005)
Bonjour à toutes et à tous, Mesdames et Messieurs, et merci de votre attention. Je voudrais également dire que je suis de mon côté très heureux de la qualité et de la cordialité des relations que j'ai établies avec Condi Rice depuis quelques mois. Elle disait tout à l'heure qu'elle me remerciait d'avoir traversé l'Atlantique pour venir à sa rencontre. C'est la deuxième fois. Je pourrais ajouter que ce serait difficile de la rencontrer sans traverser l'Atlantique mais en réalité, j'observe qu'elle traverse aussi l'Atlantique dans l'autre sens, assez régulièrement, puisque nous nous sommes vus assez souvent en Europe et tout récemment encore à Vilnius pour le Conseil ministériel de l'OTAN.
Nous avons beaucoup de raisons, je le redis ici à Washington comme je l'avais dit lorsque Condi était venue à Paris, de travailler ensemble : nos valeurs, notre histoire et surtout les défis que nous avons devant nous et que nous relèverons mieux ensemble que séparément.
Nous avons eu l'occasion d'aborder plusieurs des défis actuels sur lesquels nous pouvons agir concrètement, ensemble, en respectant les différences qui apparaissent parfois mais en nous parlant et c'est dans ce dialogue que nous trouvons, concrètement, le chemin d'actions communes pour faire progresser un certain nombre de dossiers.
Comme Condi le sait, je ne suis pas simplement ici en tant que ministre français mais aussi comme un ministre européen à un moment où tout le continent est devant un moment de vérité avec ce débat sur notre Constitution qui doit nous donner les moyens, les règles du jeu, le "règlement de copropriété" pour être mieux organisés, à vingt-cinq, avoir une parole commune et une action commune, apprendre à mieux travailler ensemble.
C'est le débat que nous avons en France et qui intéresse les Etats-Unis parce que, devant les enjeux globaux que nous devons relever, nous devons construire des réponses collectives. Pour cela il faut que les Européens soient capables et organisés pour apporter leur propre réponse.
Pour conclure, en tête des sujets, comme l'a dit le président Bush à Bruxelles, il y a la paix au Proche-Orient parce qu'elle est pour nous la clé car ce conflit est central, c'est une onde de choc dans toutes nos sociétés et nous devons accompagner et soutenir la dynamique de dialogue entre Israéliens et Palestiniens.
Et puis il y a d'autres preuves du travail que nous faisons ensemble, avec les autres membres de la communauté internationale. Je pense aux négociations difficiles et nécessaires avec l'Iran pour éviter les risques de prolifération ; la reconstruction politique et économique de l'Irak, à laquelle nous participons. Et puis, naturellement, ce dossier de la souveraineté politique du Liban, que nous avons souhaitée et qui est en route, avec ce moment de vérité des prochaines élections du mois de mai et la pleine et totale application de la résolution 1559.
Enfin, nous avons évoqué avec Mme Rice de la question importante de l'Afrique, le soutien que nous apportons ensemble aux médiations ou aux actions des Africains chez eux en Afrique, avec leurs organisations régionales. Nous sommes décidés à les aider quand ils le souhaitent.
Q - Mme Rice, vous savez peut-être que le grand débat en Europe sur la Constitution de l'Union européenne, et en particulier en France, conduit certains partisans du "oui" à dire que voter "non" serait un vote pour Bush. Comment réagissez-vous et quel serait votre vote si vous deviez voter ?
R - Quand le président Bush est venu en Europe au mois de février, il a fait un geste extrêmement important : c'était une des premières fois qu'il venait à la rencontre du Conseil européen, donc avec les chefs d'Etat ou de gouvernement. Et il a dit à cette occasion, comme Condi Rice l'a dit lorsqu'elle était à Paris, que l'Amérique avait besoin d'une Europe forte. Et comme je l'avais alors indiqué "Nous aussi, Européens, avons besoin d'une Europe forte".
Ce sont les Européens qui ont la clé. Ce sont eux qui ont la responsabilité dans leurs mains. Les Français le 29 mai, mais également tous les autres pays européens qui vont voter. Pour qu'on se donne les moyens de cette Europe qui ne soit pas seulement un grand marché mais qui soit un acteur politique. Cela c'est l'affaire des Européens et de leur confiance en eux-mêmes
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mai 2005)
(Entretien de Michel Barnier avec CNN, le 2 mai 2005)
Q - Bienvenue à Washington et merci beaucoup d'être avec nous.
R - Merci à vous aussi, merci de me recevoir.
Q - Commençons par la question des relations franco-américaines. Comprenez-vous pourquoi il y a tant d'Américains à l'heure actuelle qui sont en colère contre la France ?
R - Franchement non. Je ne crois pas qu'il y ait de vraies raisons à cela. Nous avons eu des désaccords, sérieux, notamment il y a deux ans sur le lancement de la guerre en Irak. Je crois que tout le monde connaît les raisons de nos désaccords sur ce point. Mais vous posez votre question aujourd'hui. Nous sommes entrés dans une nouvelle étape. Nous sommes déterminés à regarder devant nous. C'est, je pense, tout à fait le sens du message du président Bush lorsqu'il est venu à Bruxelles il y a quelques semaines au mois de février. C'est aussi notre état d'esprit de regarder devant nous, et de nous demander, entre Français et Américains, et entre Européens et Américains, ce que nous pouvons faire ensemble pour faire face aux problèmes, aux défis que nous devons affronter, car il y a tant de menaces globales. Un pays ne peut pas répondre seul à ces défis. Nous devons travailler et trouver des solutions collectivement pour assurer la paix, la construction de la paix, et notamment résoudre la question clé qu'est le conflit israélo-palestinien. Regardez ce que nous avons réalisé ensemble sur le Liban. C'est également vrai pour la lutte contre le terrorisme et pour le développement.
Q - Je veux aborder toutes ces questions. Mais revenons aux relations franco-américaines. Il y a une opinion largement répandue chez les Américains, pas tous, et que les Etats-Unis ont sauvé la France pendant la Première guerre mondiale, que les Etats-Unis ont sauvé la France pendant la Deuxième guerre mondiale et que quand les Etats-Unis ont eu besoin d'aide, ils ont pu compter sur la Grande-Bretagne pour leur venir en aide pour partir en guerre en Irak, mais la France a manqué au rendez-vous. Et cela a irrité beaucoup d'Américains.
R - Nous n'oublions rien du passé et de ce que nous devons au peuple américain. Rien de tout cela n'est oublié. Le président de la République l'a dit lorsqu'il se tenait aux côtés du président Bush au mois de juin dernier sur les plages de Normandie. Nous n'oublions pas le passé. Nous sommes des Alliés. Nous, Américains et Français, sommes les plus anciens alliés au monde. Cette alliance ne veut pas dire allégeance. Cette alliance signifie que nous devons travailler ensemble en nous respectant. Après le 11 septembre, quand il a été nécessaire de partir en guerre contre le terrorisme et en particulier en Afghanistan, nous avons été à vos côtés. Et je pense qu'aujourd'hui, comme je l'ai dit, nous devons regarder devant nous. Bien sûr, nous n'oublions pas les raisons de ce grave désaccord sur la guerre en Irak et la nécessité de partir en guerre. Nous allons de l'avant, c'est notre état d'esprit aujourd'hui.
Q - Parlons de l'avenir. Il y a en Irak, aujourd'hui, un nouveau gouvernement démocratique issu des élections du 30 janvier. Un nouveau gouvernement a été formé. Les Etats-Unis, le nouveau gouvernement irakien seraient ravis que des troupes françaises viennent en aide à ce nouveau gouvernement, en aide au peuple irakien. Quelles que furent les divergences du passé, repartir à zéro, avec un espoir. Votre gouvernement est-il prêt à réfléchir à l'envoi de troupes françaises en Irak ?
R - J'ai déjà dit clairement, comme le président Chirac l'a dit, qu'il n'y aurait pas de troupes françaises en Irak. Maintenant, l'idée selon laquelle, et c'est notre idée, nous allons aider l'Irak à se reconstruire démocratiquement, politiquement, économiquement, cette idée ne nécessite pas de troupes supplémentaires. Je ne le crois pas. Je crois à la coopération politique et c'est ce que nous avons fait avec la résolution 1546 que nous avons négociée ensemble au Conseil de sécurité, à l'allègement du poids de la dette irakienne - et la France a pris sa part, et même plus qu'elle ne le voulait au départ - et au processus politique que nous avons soutenu au travers de la conférence de Charm el-Cheikh. Et nous continuons dans cet état d'esprit. Nous croyons que l'Irak sortira de cette crise grâce à un processus politique et nous le soutenons.
Q - Pourquoi pas de troupes ? Pas de déploiement ? Vous avez envoyé des troupes en Afghanistan, dans d'autres parties du monde. Pourquoi pas en Irak ?
R - Parce que nous étions en désaccord sur les origines de cette guerre, sur la nécessité de cette guerre. Nous pensons que ce dont l'Irak a besoin maintenant, ce n'est pas de troupes supplémentaires qui viendraient s'ajouter à celles qui y sont déjà, à la force multinationale qui y est déjà. L'Irak a besoin de soutien politique et économique. C'est en cela que nous serons les plus utiles.
Q - Il y a une coopération en cours entre les Etats-Unis, la France, l'Allemagne, l'Angleterre en ce qui concerne l'Iran et son programme nucléaire. Il y a, cependant, des craintes que la France dans certaines circonstances, pourrait accepter un Iran nucléaire, un Iran doté d'armes nucléaires. La France est-elle prête à accepter un Iran doté de l'arme atomique ?
R - Les trois pays européens qui ont engagé ces négociations demeurent côte à côte et resteront ensemble. Ils sont à la pointe de la diplomatie européenne et ils travaillent au nom de la communauté internationale. Nous avons entrepris ce dialogue, qui est difficile et fragile, il y a un an et demi. Nous le poursuivons les yeux grands ouverts. Au mois de novembre dernier, nous avons obtenu un accord important, un accord positif par lequel l'Iran a accepté de suspendre indéfiniment, à long terme, ses activités d'enrichissement et de conversion de l'uranium. Nous continuons à travailler en vue d'un accord global et durable en vertu duquel l'Iran abandonnera, renoncera aux armes nucléaires et prouvera précisément, concrètement que son programme nucléaire est à usage exclusivement civil. Nous n'avons pas encore obtenu cet accord. Nous essayons d'y aboutir. Ce qui est important dans cette affaire, c'est que nous agissons en tant qu'Européens mais que nous travaillons main dans la main avec la communauté internationale, en particulier les Américains, les Russes et les Chinois.
Q - Votre réponse est "en aucun cas la France n'accepterait que l'Iran devienne une puissance nucléaire" ?
R - Sous aucune circonstance nous n'abandonnerons la voie que nous avons tracée ensemble, qui consiste à obtenir de l'Iran un engagement clair, durable, à long terme que son programme d'énergie nucléaire est à but purement civil.
Q - Nous terminerons par où nous avons commencé, les relations franco-américaines. Quel est le cur de votre message au peuple américain à l'occasion de cette visite aux Etats-Unis ?
R - Nous sommes dans une nouvelle étape, une nouvelle phase. Nous avons beaucoup de défis à relever, beaucoup de raisons de travailler ensemble tout en nous respectant de part et d'autre de l'Atlantique. Nous ne réussirons pas la paix au Proche-Orient l'un sans l'autre. Nous ne gagnerons pas le combat contre la pauvreté, contre le terrorisme si nous ne sommes pas côte à côte. C'est la raison pour laquelle, depuis le 11 septembre, nous sommes à vos côtés dans la guerre contre le terrorisme. J'ai la chance de m'adresser aux Américains, au peuple américain ce soir. Je voudrais qu'il comprenne que l'Europe se bâtit, se construit, qu'elle a besoin de cette unité, tout comme les Américains ont besoin d'une Europe forte pour être à leurs côtés. Nous avons besoin d'une Amérique forte qui nous respecte et qui nous fait confiance pour affronter les défis du monde d'aujourd'hui
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mai 2005)