Interview de Jean-François Roubaud, président de la CGPME, sur RMC le 18 mars 2005, sur sa position concernant l'ouverture de négociations salariales suite aux manifestations du 10 mars 2005.

Prononcé le

Circonstance : Réunion de la Commission nationale de la négociation collective sur les salaires à Paris le 18 mars 2005

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin - Merci d'être avec nous. Vous représentez plus de deux millions cinq cent mille PME.
J.-F. Roubaud - Oui, c'est peut-être un petit peu exagéré, mais au moins 1,6 million, parce que 2,5 millions, c'est toutes les entreprises.
Q- 1,6 million, c'est énorme. Combien de salariés ?
R- Environ 12 millions, 85 % des salariés du secteur privé.
[...]
Q- J.-F. Roubaud, je regarde la Une des journaux et notamment des Echos ce matin, et je lis : " Ensemble, les 40 sociétés de l'indice CAC-40 ont gagné 50 milliards d'euros de profits en 2004". Vous qui représentez les petites et moyennes entreprises, quand vous voyez ce chiffre, vous réagissez comment ?
R- Première réaction : tant mieux. Il faut que les grandes entreprises gagnent de l'argent. Quand elles en perdent, on crie en disant "etc."... et puis quand elles en perdent, elles débauchent, il n'y a plus d'emploi. Donc, tant mieux si les grandes entreprises gagnent de l'argent. Malheureusement, l'image des très grandes entreprises n'est pas identique à celle des PME que je représente. Lorsque nous faisons des profits de 1 ou 2 % de notre chiffre d'affaires, nous sommes glorieux, nous sommes heureux, parce que nous n'avons pas les mêmes marges, parce que nous n'avons pas les mêmes... nous ne travaillons pas sur les mêmes terrains. Total a fait des résultats excellents et il les a fait à travers le monde entier, il l'a trouvé sur des terrains qui ne sont pas la France. Nous, la plupart de nos entreprises, même si elles exportent, puisque nous faisons 40 %, presque, de l'exportation de nos PME de la France, même si elles exportent, l'essentiel est quand même sur le territoire français.
Q- Les salaires, c'est la préoccupation principale aujourd'hui. Réunion tout à l'heure de la Commission nationale de la négociation collective sur les salaires, il y aura G. Larcher, le ministre du Travail, qui va présider cette réunion, les syndicats seront invités. Vous y serez ?
Bien sûr.
[...]
Q- Les salaires du privé : d'abord, est-ce qu'on peut les augmenter, ces salaires,
dans le privé ?
R- On peut peut-être les augmenter, dans une entreprise, dans dix, dans cinquante, je ne sais pas. Le problème se pose différemment. D'abord, deux faux problèmes : il n'y a pas de différence entre le montant des salaires du secteur privé et des PME ou des grandes entreprises, il n'y a pas des écarts épouvantables, au contraire, à la limite. Ce que je veux dire, c'est simplement...
Q- C'est qu'on gagne mieux sa vie dans les petites entreprises que dans les grandes...
R- On peut la gagner mieux et plus vite à partir du moment où on a l'envie de travailler. Ceci étant, en ce qui concerne les salaires, vous savez que dans le privé, les minimaux, les salaires minimums, sont réglés par les branches, dans les conventions collectives, je ne veux pas rentrer dans le détail.
Q- Mais une branche, c'est quoi, parce que l'auditeur, parfois, ne comprend pas.
R- Une branche, c'est le bâtiment, c'est la restauration, c'est la mécanique, voilà. Donc, c'est les branches qui fixent les minima en fonction d'une qualification. Ensuite, dans l'entreprise, on paie le salarié en fonction de l'offre et de la demande et de ce que l'on peut lui offrir. Ce que je peux vous dire, c'est que dans les PME on est rarement aux minima. Je prends par exemple un métier que je connais bien, le bâtiment, puisque je sévis dans ce secteur, les salaires réels sont, en moyenne - c'est une analyse que nous avons faite l'année dernière -, 30 % au-dessus des minima. Alors, on entend dire : " oui, mais il y a des minima qui sont inférieurs au SMIC". C'est vrai, parce que les augmentations des salaires minimaux ont percuté ces grilles. Alors, c'est un peu technique mais on ne peut pas très facilement les remettre au niveau parce que c'est une valeur du point qui ferait augmenter l'ensemble des salaires ...
Q- Vous voulez dire que le Smic a plus augmenté que les bas salaires,
en France ?
R- Ah oui, le Smic a augmenté, vous l'avez vu, en trois ans, de l'ordre de 15 %. Je crois que c'est plutôt une bonne nouvelle. Je crois que l'on a été peut-être un tout petit peu vite, parce que nous avions préconisé de le faire en 5 ans. Il fallait augmenter ce Smic. Mais il ne faut pas trop l'augmenter, trop rapidement parce que d'abord nous vivons au-dessus de nos moyens et il y a un effet pervers : quand vous augmentez trop le Smic, les salaires qualifiés sont moins attrayants, mais le chef d'entreprise va préférer embaucher un salarié qualifié plutôt que quelqu'un qui n'a pas de qualification au Smic si le delta n'est pas suffisant. Donc, attention à l'effet pervers.
Q- Qu'est-ce que vous allez dire, vous, au ministre, dans cette réunion ?
R- Laissons au privé le soin de régler les problèmes des salaires du secteur privé.
Q- Ce n'est pas à l'Etat d'intervenir.
R- Mais bien sûr que non, bien sûr que non, c'est aux salaires... Vous savez, il y a de l'offre et de la demande. Nous cherchons dans nos entreprises PME, nous avons 300 000 emplois qui ne sont pas pourvus alors qu'il y a deux millions et demi de chômeurs, c'est quand même des aberrations et nous offrons des salaires, je vous assure, très intéressants, pour des gens qui commenceraient dans l'entreprise.
Q- Mais on bute toujours sur ces chiffres : 300 000 emplois non pourvus alors qu'il y a plus de 2 millions de chômeurs, 2,5 millions de chômeurs.
R- Mais je crois que c'est des années de culture où on a appris que le travail n'était pas forcément ce qu'il fallait faire. Il faut récompenser le travail... il y a beaucoup de chômeurs qui ont de vrais problèmes pour trouver du travail.
Q- Mais comment peut-on récompenser le travail ?
R- Eh bien simplement : il faut le favoriser, il faut dire aux Français que c'est quand même par le travail que la femme ou l'homme se réalise dans la vie, ce n'est pas les loisirs, ce n'est pas l'assistanat. Donc, il faut préférer et améliorer les salaires de ceux qui travaillent et ne pas favoriser l'assistanat en permanence. Ne me faites pas dire le contraire de ce que je dis. Il y a des cas de gens qui n'ont pas de travail qui sont dramatiques, des gens qui veulent vraiment travailler et qui ne trouvent pas. Mais il y a aussi une catégorie de personnes qui refusent les emplois qu'on leur propose.
Q- Il faut les sanctionner ?
R- Eh oui, bien sûr.
Q- Comment ?
R- Eh bien simplement, si on leur propose trois emplois, par exemple, de suite, qu'ils refusent et qui correspondent à leur profit, bien sûr, on diminuerait le salaire qu'ils reçoivent de l'assistanat...
Q- Les indemnités.
R- Oui, bien sûr.
Q- "La participation et l'intéressement favorisent l'épargne, pas la consommation". Ce n'est pas moi qui le dis, c'est N. Sarkozy qui a dit ça hier. Qu'en pensez-vous ?
R- Oui, sans doute, ça favorise l'épargne, mais ce n'est pas un mal de favoriser l'épargne. On a besoin d'avoir de l'épargne, d'ailleurs, ne serait-ce que pour améliorer nos retraites quand nous serons plus âgés. Mais ça favorise aussi, quand même, le pouvoir d'achat et donc les dépenses. Quand vous faites de l'intéressement, vous savez que c'est la seule chose sur laquelle on va pouvoir réagir et essayer d'inciter nos entreprises pour améliorer l'intéressement, ou tout du moins l'officialiser, parce que dans nos PME, nous pratiquons beaucoup la pratique des primes pour un résultat qui est bon, pour remercier. La proximité du chef d'entreprise avec ses salariés, ce n'est pas une histoire. L'histoire du patron qui s'en met plein les poches au détriment de ses salariés, c'est fini, personne n'y croit plus à cela. Vous savez, on a fait une enquête récemment : 80 % des Français ont une idée positive des PME, de leur PME, et 78 % ont image positive du chef d'entreprise. C'est ça qui est formidable. Donc on a une bonne image parce qu'on est prêt de nos salariés, on a les mêmes combats et quand on est content d'eux, on essaie de les remercier. Alors, ce qu'il faut, c'est peut-être officialiser de manière plus importante, comme ça s'est fait dans les grandes entreprises, les formules d'intéressement.
Q- Justement, dans les PME qui sont affiliées à votre organisation, la CGPME, il y a combien d'entreprises qui pratiquent l'intéressement ?
R- Je n'ai pas le chiffre exact. Mais, enfin, au moins dans les secteurs que je connais, une grande partie, disons 60, 70 %, pratiquent réellement l'intéressement, avec des formules qui sont prêtes en fonction des résultats de l'entreprise, du secteur, etc. Vous savez, l'intéressement, le chef d'entreprise le fait, surtout dans les toutes petites, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose : il donnait une prime de satisfaction. Il faut peut-être l'officialise et dire aux chefs d'entreprise "cet intéressement, essayez de l'organiser, de façon à ce que tout le monde soit concerné, peut-être de manière un petit peu plus claire ".
Q- La prime proposée par T. Breton, une bonne idée ?
R- C'est la seule chose que l'on pouvait accepter, c'est-à-dire qu'il ne faut pas toucher aux salaires, parce que les salaires, c'est un engagement sur l'avenir. Si on augmente nos salaires, le jour où l'entreprise va plus mal, on ne peut pas les diminuer.
Q- Il ne faut pas toucher aux salaires, vous dites.
R- Non, attendez, on peut les toucher en fonction de chaque entreprise. C'est au chef d'entreprise, dans son entreprise, de voir s'il peut augmenter ses salaires, mais par contre, l'intéressement c'est quelque chose que l'on peut distribuer sur de l'argent que l'on a déjà gagné, qui ne mettra pas en cause les résultats de l'entreprise l'année suivante ou la vie de l'entreprise. C'est ça qui est important.
Q- On va parler des charges sociales des entreprises, parce qu'à chaque fois qu'un chef d'entreprise m'appelle, patron de PME, il me dit : " mais il n'y a qu'à baisser les charges sociales, nous sommes assommés par les charges sociales, baissons les charges sociales et ça ira mieux". On va en parler, J.-F. Roubaud. Est-ce possible ? Comment... Je voudrais que l'on comprenne, une bonne fois pour toutes.
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Q- J.-F. Roubaud, je voudrais revenir sur ce mal français. C'est vrai que l'on a perdu, peut-être, un peu la valeur du travail, c'est ce que vous disiez tout à l'heure. En Grande-Bretagne, après 13 semaines d'inactivité, les chômeurs indemnisés sont contraints d'accepter le premier emploi qui se présente, même éloigné de sa qualification, de son domicile ou mal payé. Est-ce que l'on devrait faire la même chose en France ?
R- La même chose, je ne sais pas, mais ce qui est certain c'est qu'il faudrait quand même avoir une tendance à favoriser ceux qui veulent travailler et à obliger ceux qui n'ont pas envie de travailler à le faire quand même. Alors, peut-être que la solution anglaise est un peu brutale, surtout avec notre culture française, mais on pourrait peut-être aller un petit peu dans ce sens là : proposer des emplois et ceux qui les refusent devraient être pénalisés.
Q- Faut-il permettre aux petits patrons de licencier plus facilement ?
R- C'est l'ensemble des contrats de travail, c'est un peu simple de dire... j'allais vous dire "oui", mais c'est un petit peu provocateur. Ce que je veux simplement dire, c'est qu'il faut amener un peu d'oxygène. Je crois que l'on a tellement mis de contraintes autour de l'emploi et des contrats de travail, que c'est incitatif à ne pas embaucher pour le chef d'entreprise, c'est trop complexe. Le chef d'entreprise qui embauche aujourd'hui, se dit : "si jamais j'embauche, je ne pourrais plus me séparer de cet employé". Quand l'entreprise va mal, il faut bien essayer de se remettre au niveau de l'entreprise pour garder, pour la sauver l'entreprise. Cela passe souvent par des licenciements. Mais si on mettait un petit peu de souplesse, entre l'embauche et les licenciements, on aurait sans doute des embauches beaucoup plus faciles et beaucoup plus rapides.
Q- J.-F. Roubaud, l'entreprise doit aussi être citoyenne. Quand je vois le cas de Total qui veut se séparer de sa branche Chimie parce qu'elle a envie de vendre cette branche et qui en profite pour supprimer des emplois pour rendre cette branche plus rentable, ça paraît inadmissible. Non ?
R- Il y a des contradictions. Quand on voit les résultats de cette entreprise, par exemple, et des plans sociaux qui risquent d'arriver, c'est effectivement un peu difficile à comprendre. Mais je ne peux pas m'immiscer dans cette affaire.
Q- Et surtout que les sous traitants en souffrent.
R- Bien sûr, mais vous savez... c'est ce que je dis aussi, les très beaux résultats de ces grandes entreprises, sont en partie aussi la raison pour laquelle nos PME, souvent, ont des petits résultats, parce que nous sommes souvent sous-traitants, mais je ne critique pas ces résultats.
Q- Et sous-traités ? Sous-traitants et sous-traités ?
R- Sous-traitants et peut-être des fois mal traités.
Q- Que faire ? Un "Grenelle des salaires" ? Ça veut dire... je ne sais pas ce que cela veut dire, d'ailleurs.
R- Moi, le "Grenelle des salaires", c'était en 68, je venais de rentrer dans l'entreprise comme salarié. Alors, on va peut-être se mettre un petit peu à la mode, être un petit peu plus moderne, je crois qu'il n'y a pas de "Grenelle des salaires". Laissez aux entreprises privées le soin de régler le problème des salaires. D'ailleurs, je voudrais faire remarquer que dans le privé, sauf dans les très grandes entreprises, mais ce ne sont pas les miennes, dans le privé nous n'avons pas de conflit sur les salaires aujourd'hui, nous n'avons pas de conflit, parce que les dialogues sont permanents et nous augmentons nos salariés, en général le mieux que nous pouvons le faire en fonction de nos capacités financières et très souvent et quasiment généralement au-dessus du pouvoir d'achat.
[....]
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 mars 2005)