Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, à "RMC info" le 31 mars 2005, sur le débat sur la Constitution européenne, sur la hausse des salaires des fonctionnaires, sur la hausse du prix des carburants, le développement des énergies renouvelables et l'implantation des éoliennes.

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Texte intégral


J.-J. Bourdin [...] - Avant de parler d'Europe - on va abondamment en parler, évidemment, dans cette demi-heure - je voudrais revenir sur le match hier soir. La Marseillaise sifflée hier soir à Tel-Aviv. Est-ce que vous avez envie de condamner ?
R - Non, je n'ai jamais envie de condamner les joueurs, c'est toujours très difficile, un match...
Q - C'est le public qui a sifflé.
R - Oui, mais, il a sifflé parce qu'il n'était pas content.
Q - Il a sifflé La Marseillaise, le public israélien.
R - Oui... C'est évidemment déplorable que le public siffle La Marseillaise, mais je crois que c'est dans le cadre du match que ça s'est passé. Je veux le voir dans le cadre du match et dans le jeu qui a eu lieu entre les joueurs d'Israël et je ne veux pas lui donner un sens politique.
Q - Bien. P. Devedjian, on parle de la TNT. C'est un événement...
R - C'est un événement, il est temps, parce que nous avons quand même quinze ans de retard...
Q - Par rapport à l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, l'Angleterre.
R - Eh bien oui, ils ont fait ça dans les années 90.
Q - Pourquoi avons-nous pris tant de retard ?
R - A cause de notre conservatisme. Notre système avec nos chaînes actuelles nous satisfaisait, il n'y avait pas une très forte demande. Enfin, pas de bonnes raisons.
Q - Est-ce que tout le territoire sera couvert, à terme ?
R - A terme. Enfin, dans un premier temps, il va y avoir 35 % du territoire couvert, à terme c'est 85 %. Il reste 15 % qui posent quelques difficultés, soit qu'on soit dans la zone frontalière et on a un problème de compatibilité avec nos voisins parce que ça fait des interférences, donc il va falloir que l'on trouve des solutions techniques, et puis on a quelques zones sur le territoire qui sont difficilement accessibles.
Q - A propos de télévision, le président de la Commission européenne devait venir sur France 2. Un ordre serait venu de chez le Premier ministre pour empêcher sa venue. C'est vrai ou faux, ça ?
R - Je ne crois pas que ce soit vrai, enfin, en tous les cas je n'ai pas connaissance de ça. Et puis il me semble que, monsieur Teissier affirme suffisamment son indépendance pour ne pas se laisser influencer.
Q - Donc c'est faux.
R - Je dis : "je ne pense pas que ce soit vrai ".
Q - N. Sarkozy, ce soir, sur France 2, troisième fois en trois ans, invité de "100 minutes pour convaincre". Est-ce que pour faire de l'audience à la télévision lorsqu'on parle politique, il faut inviter N. Sarkozy ?
R - Résultat, en tous les cas, c'est que c'est lui qui fait la meilleure audience. Alors, est-ce qu'il faut le punir de ça ?
Q - Oui, bien. La Constitution européenne...
R - Vous dites : oui, il faut le punir ?
Q - Ah non, non, je ne dis rien du tout, je vous pose la question.
R - Qu'est-ce que vous voulez, il est le meilleur à la télévision...
Q - C'est vous qui êtes ministre, ce n'est pas moi.
R - Il est le meilleur à la télévision, il faut croire que vos confrères en jugent ainsi. C'est comme dans les autres domaines de la télévision, on invite ceux qui ont du succès.
Q - La Constitution européenne, parlons-en. Est-ce que ceux qui votent non n'ont rien compris ?
R - Non, je ne dis pas ça, d'ailleurs c'est tellement compliqué que l'on peut s'égarer. Moi, je respecte ceux qui votent non, mais je pense qu'ils se trompent.
Q - Pourquoi ?
R - Je pense qu'ils sont dans une contradiction. Cette contradiction elle est celle du discours qu'ils ont développé constamment, en général, les tenants du non, ils ont fait des reproches sur le fonctionnement de l'Union européenne, et souvent, il faut le reconnaître, ces reproches étaient justifiés : une organisation trop complexe, pas assez démocratique, pas assez compréhensible par tout le monde. Or la Constitution européenne va améliorer considérablement, considérablement, le fonctionnement de l'Union européenne. D'une certaine manière, elle a pris en compte, cette Constitution, les reproches qui avaient été faits et jusqu'à maintenant elle y porte remède. C'est assez singulier de dénoncer certaines maladies et de refuser le médicament.
Q - P. Devedjian, j'entends certains auditeurs nous dire : cette Constitution ne va pas nous protéger des délocalisations.
R - Mais l'absence de Constitution non plus, d'une part, mais encore pire, alors que, avec le projet de Constitution, avec la politique européenne, nous pouvons développer et nous faisons déjà une politique industrielle européenne. Par exemple, pour la première fois et sous l'influence de la France, en accord avec l'Allemagne, il y a un Commissaire européen à l'Industrie, et nous développons - c'est la stratégie de Lisbonne - nous installons une vraie politique industrielle dans l'Union européenne pour développer les emplois industriels. Par exemple, sur le textile, où nous avons une vraie crise, c'est au sein de l'Union européenne que nous organisons la réplique. La réplique, premièrement, en allant devant l'Organisation Mondiale du Commerce et demander des mesures de sauvegarde face à une concurrence qui est parfois déloyale ; deuxièmement, en organisant un marché du textile qui n'est pas seulement européen mais qui est celui de la zone méditerranéenne, ce que l'on appelle la zone Euromed, et qui représente 45 pays, et avec ces 45 pays, on veut faire un marché qui puisse faire face à la Chine. Donc, c'est collectivement que l'on peut trouver des réponses aux défis mondiaux. La France toute seule, c'est navrant à dire, elle ne fait pas le poids face à l'ensemble du monde si elle est isolée.
Q - P. Devedjian, lorsque vous augmentez les fonctionnaires, vous achetez les voix pour le oui au référendum ?
R - Non. D'abord...
Q - Non ?
R - Non, non, attendez... Avec 0,8 %, il ne faut pas non plus exagérer...
Q - 1 % + 0,8. 1,8.
R - L'augmentation qui vient d'être accordée, c'est 0,8. Bon. Il ne faut pas exagérer. Simplement, nous essayons et je crois que nous y réussissons, à faire des gains de productivité à l'intérieur de l'Etat. C'est-à-dire qu'il y a effectivement, par exemple, une réduction du nombre des fonctionnaires, eh bien nous en faisons profiter, aussi, de ces gains de productivité, les fonctionnaires.
Q - C'est uniquement la seule raison.
R - C'est juste.
Q - Pas de raison calendaire, rien de tout ça, non ?
R - Moi, franchement, je n'ai pas assez de mépris pour les fonctionnaires pour considérer que l'on peut les acheter avec une augmentation de 0,8 %.
Q - Les aides accordées aux agriculteurs, il paraît que T. Breton vient d'accorder un prolongement des aides sur les carburants aux agriculteurs...
R - Pardonnez-moi, mais sur les carburants, c'est programmé depuis longtemps et d'autre part, vous n'êtes pas sans voir la considérable augmentation du prix du pétrole et qui pose un vrai problème dans l'agriculture, parce que dans l'agriculture vous ne pouvez pas répercuter les coûts de production sur les prix de vente. Les prix agricoles, ils sont fixés à l'avance, ils sont fixés et déterminés, réglementés, et donc quand vos coûts de production augmentent, vous ne pouvez pas les répercuter.
Q - Mais c'est vrai aussi pour les transporteurs routiers, par exemple, est-ce que vous allez faire un geste ?
R - Mais pour les transporteurs routiers, ils peuvent, dans une certaine latitude, très réduite et modérée, mais ils peuvent... le marché leur permet, ce n'est pas des prix administrés.
Q - Est-ce que vous allez faire quelque chose ? C'est vrai que le prix de l'essence augmente, le gasoil... Vous êtes impuissant, totalement ?
R - On n'est pas impuissant mais on a quelques problèmes, tout de même. C'est très difficile, vous le voyez bien. Alors, il faut proposer. Il y a trois choses...
Q - Vous allez faire des propositions, là ?
R - Mais nous faisons, d'abord nous conduisons une politique. Il y a trois choses d'abord. La première, c'est de développer les énergies alternatives. La France, quand même, notamment grâce au nucléaire, est le pays d'Europe qui dépend le moins du pétrole. Nous avons 50 % d'indépendance énergétique. Il y a 30 ans nous n'avions que 26 %. Nous avons fait de considérables progrès dans l'indépendance énergétique. Il faut accentuer cela, soit par le nucléaire, soit par les énergies renouvelables, toutes les énergies renouvelables qui représentent une alternative à la consommation de pétrole. C'est une première voie. Une deuxième voie consiste à favoriser les investissements à la production et au raffinage, parce qu'il y a deux causes - enfin, il y en a trois - à l'augmentation du prix du baril : il y a l'insuffisance de production face à la demande qui augmente, celle de la Chine et de l'Inde ; il y a l'insuffisance du raffinage, parce qu'on n'a pas assez investi dans la capacité de raffinage et on ne produit pas assez de carburant dans le monde et notamment aux Etats-Unis où une raffinerie a explosé, on produit beaucoup moins, et troisièmement, il y a une spéculation internationale qui tient compte de ces déséquilibres et qui joue sur la hausse. Il faut essayer de désarmer cette spéculation, et moi je pense que l'on peut le faire en regroupant nos stocks stratégies.
Q - Oui, mais en ce qui concerne les énergies renouvelables, on a du retard en France, on a beaucoup de retard par rapport à d'autres pays européens.
R - Ce n'est pas exact. Actuellement, nous sommes à peu près à 14, 15 % d'énergies renouvelables dans notre bilan énergétique.
Q - Le Gouvernement avait confirmé l'engagement de la France d'augmenter de 15 à 21% d'ici 2010 la part d'énergies renouvelables.
R - Nous sommes à 15 % aujourd'hui. D'ici 2010, on va y arriver.
Q - On va prendre Raphaël qui est ingénieur agronome. [...] Raphaël : Oui, bonjour Jean-Jacques, bonjour monsieur le ministre. Dans le même mois, on bat le record absolu de consommation en France et on met en application le protocole de Kyoto. J'aimerais savoir, notamment sur l'éolien, pourquoi vous avez des députés qui veulent déposer un amendement pour freiner ce projet de développement d'éolien.
R - Je ne crois pas que l'amendement des députés freine le développement de l'éolien, il l'organise. Mais je rappelle que sur l'éolien, notre gouvernement l'a considérablement favorisé. Quand nous sommes arrivés aux responsabilités, au 1er janvier 2002 - nous sommes arrivés un peu après - la France produisait en éolien 100 mégawatts. Aujourd'hui, en éolien, nous produisons 450 mégawatts, donc nous avons multiplié par quatre et demi la production.
Q - Combien en Allemagne, P. Devedjian ?
R - Il y a davantage en Allemagne. D'abord les paysages - ce n'est pas insulter l'Allemagne de dire que leurs paysages sont moins à protéger que les paysages français qui sont tout à fait exceptionnels...
Q - Pourquoi ?
R - En France, vous avez des résistances considérables par les défenseurs du paysage. Il faut savoir qu'un permis de construire sur deux, qui a été délivré, a été attaqué par les habitants, parce qu'ils ne veulent pas voir ça dans leur paysage. Donc il faut que nous trouvions un équilibre entre le développement nécessaire de ces énergies. Je rappelle quand même que s'agissant de l'électricité éolienne, EDF l'achète obligatoirement à 65 le mégawatt, alors qu'elle produit son électricité à 34 le mégawatt, ça fait quand même une différence d'une trentaine d'euros, celui là il est sur la facture du consommateur. C'est le consommateur qui paie le surcoût du prix de l'électricité d'origine éolienne. Il ne faut pas l'oublier. Mais nous le développons quand même parce que ça représente une alternative...
Q - Vous n'allez pas limiter l'achat d'électricité des éoliennes ?
R - Non, au contraire. Nous voulons au contraire faire des grandes zones d'éoliennes. L'amendement des députés, il a cet objectif : avoir des champs d'éoliennes et non pas du mitage éolien.
Q - Des grands champs d'éoliennes.
R - Oui des grands champs, c'est-à-dire produisant au moins 20 mégawatts. Une éolienne ça produit à peu près 2,5 mégawatts. Jusqu'à maintenant, on pouvait mettre une éolienne par-ci, une éolienne par-là, ce qui d'ailleurs, au plan économique, n'était pas très rentable, parce qu'il faut faire les câbles de liaison, il faut assurer une production continue, ce n'était pas très rentable et en plus ça arrivait parfois n'importe où. Il y a des endroits où franchement on peut en mettre beaucoup sans que ça ne crée de difficultés. Eh bien c'est ça que nous voulons favoriser. Or jusque là, c'était interdit.
[...]
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 31 mars 2005)