Interview de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité, à "RMC" le 1er mars 2005 sur l'avenir de la politique agricole et sur le référendum sur la Constitution europeenne.

Prononcé le 1er mars 2005

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q- Quand vous allez dans une grande surface, vous allez dans un hard discount ou vous allez dans une...
R- Je vais vous avouez que je n'y vais pas souvent. C'est plutôt une affaire gérée par ma femme et mes filles. Et quand je suis dans ma commune en Charente-Maritime, on a des petits commerces de proximité et un marché ; et c'est ce que je préfère à titre personnel.
Q- Vous avez vu le succès du hard discount !
R- C'est évident. Cela correspond à un intérêt des consommateurs pour les prix. Il faut faire attention, quand même, à toujours maintenir la qualité. Et c'est vrai que parfois, ne pas connaître exactement le produit que l'on consomme, cela peut gêner le consommateur.
Q- Pourquoi est-ce que la grande distribution est absente du Salon de l'Agriculture ?
R- Elle y était présente, et même l'année dernière je crois encore. Et puis les relations ne sont pas très bonnes entre la grande distribution et l'agriculture. On l'a bien vu à la suite du rapport Canivet, sur les fixations de prix. Et d'ailleurs, dans le projet de loi sur les territoires ruraux, nous avons fait adopter un certain nombre d'amendements qui permettent, justement, en cas de crise, sur les fruits et légumes en particulier, d'adapter les relations avec la grande distribution. Il y a beaucoup d'efforts à faire, il y a d'un côté 600.000 exploitations agricoles, il y a de l'autre côté dix grandes centrales d'achat. Les gens ne se parlent peut-être pas avec la qualité de dialogue que l'on pourrait souhaiter.
Q- Des initiatives vont-elles être prises ? Avez-vous envie de rapprocher ces positions ?
R- Mon collègue C. Jacob, le ministre du Commerce et de l'Artisanat, est en charge de cela. Il prépare une loi pour réformer la loi Galland, dans laquelle on devrait traiter ce type de sujet.
Q- Avant de parler d'agriculture, je voudrais que l'on parle d'Europe, puisque hier, un pas important a été franchi vers le référendum - un pas décisif, même ! Il y aura référendum en France sur la Constitution européenne. Quand connaîtra-t-on la date de ce référendum ?
R- Il y a eu une question posée hier au président de la République à Arras, à l'occasion du sommet franco-polonais et il a fait une réponse de bon sens : une fois qu'il aura terminé les consultations qu'il commence aujourd'hui avec les grands responsables des formations politiques de la majorité comme de l'opposition - il va les consulter sur l'organisation du scrutin, son déroulement, la campagne -, je pense qu'à l'issue de tout cela, il sera en mesure d'annoncer la date.
Q- A la fin de la semaine ?
R- Ces consultations commencent aujourd'hui, elles durent deux jours je crois, voilà le calendrier que l'on peut imaginer.
Q- Une date a-t-elle votre préférence ?
R- Non, il faut éviter de faire quelque chose qui gêne les gens, parce que nous avons besoin d'une forte participation. Ce référendum est un moment fondamental pour notre pays, donc, il faut trouver une date qui soit la moins gênante dans la vie familiale, les examens pour les étudiants. Donc, on voit à peu près en mai-juin quelles sont, comme ont dit, les "fenêtres de tir".
Q- Je vous lis ce mail d'un auditeur de l'Aube : "Je devais voter oui au
référendum, mais après le scandale Gaymard, je vais voter non"..
R- Cela n'a strictement rien à voir. D'abord, ce n'est pas un "scandale", c'est un fait malheureux, cela a entraîné H. Gaymard à, courageusement, donner sa démission. Il a subi beaucoup de critiques...
Q- À donner "logiquement" sa démission. Auriez-vous fait la même chose ?
R- Une affaire de démission, c'est toujours dans la tête de quelqu'un que cela se passe. Je ne porte donc pas de jugement sur ce qui se passe dans la tête de Hervé. Je considère que c'était un bon ministre, qu'il a été courageux, qu'il en a pris - pardonnez-moi l'expression - "plein la tête". Aujourd'hui, l'affaire est terminée, le Premier ministre en a tiré les conclusions. Il y a un nouveau ministre de l'Economie et des Finances. Est-ce que tout cela remet en cause le système politique ? Non, les Français savent bien que leurs élus municipaux, départementaux, régionaux, nationaux, sont des gens honnêtes. Nous ne sommes pas dans un pays de corruption, de malhonnêteté. Donc, ce monsieur, il faut lui dire qu'une raison de plus pour voter "oui", et pas de voter "non" comme il se prépare à le faire, c'est justement plus de démocratie. Parce qu'avec la Constitution européenne nouvelle, il y a un président de l'Europe, qui est élu par la Commission, il y a une commission elle-même qui est élue par les autres chefs d'Etat, il y a un président de la Commission qui est élu par le Parlement européen. Donc, justement, la Constitution européenne, c'est plus de démocratie. Il faut se donner les instruments pour plus de démocratie, donc, pardonnez-moi : il faut voter "oui".
Q- Voter "non", c'est voter "con" ?!
R- Bien sûr que non !
Q- Mais j'ai entendu J. Chirac le dire !
R- Oui, J. Chirac, au Salon de l'Agriculture, a réagi avec son tempérament à une question qui lui était posée de manière un peu abrupte. Ceux qui votent "oui" ne sont pas intelligents et ceux qui votent "non" idiots. Le "non" est respectable et nous souhaitons d'ailleurs, autour du Premier ministre et dans la majorité, présidentielle et gouvernementale, mener une campagne d'explications, dialoguer avec celles et ceux qui ont des doutes, qui s'apprêtent à voter "non" ou qui ne savent pas ce qu'ils doivent voter. Mais voter "non", ce n'est pas un vote d'avenir à nos yeux. Nous allons donc leur expliquer, mais il est hors de question, pour nous, de considérer le vote "non" comme un vote qui serait à jeter aux orties. Il faut que nous ayons un dialogue et il faut que nous convainquions. Et cela va être l'honneur de cette campagne de dialoguer et de convaincre.
Q- Justement : vous devez convaincre les agriculteurs en priorité. Quels sont les trois arguments que vous avancez pour les convaincre de voter "oui" ?
R- Je n'en ai même pas trois, j'en ai un ! Vous être aujourd'hui 600.000 dans notre pays, vous avez fait de l'agriculture française depuis trente ans la première d'Europe et une des premières du monde. Vous l'avez fait grâce à la PAC : ce sont 8 milliards d'euros chaque année qui viennent de l'Europe vers les agriculteurs français. Si le "non" l'emportait, cette politique agricole commune, qui est très controversée au sein même de l'Europe à 25, serait remise en cause. C'est donc tout l'équilibre économique et social de notre agriculture qui risquerait d'être mis en cause. Ce serait vraiment se tirer une balle dans le pied pour un agriculteur que de voter "non", parce que c'est l'édifice même économique de sa vie et de l'organisation de son travail qui pourrait être mis en cause.
Q- Sans la PAC, un agriculteur ne peut pas vivre ?
R- Cela dépend des produits. Il y a des produits qui sont dans le marché, il y a des produits pour lesquels la PAC apporte un complément de production important. Dans le revenu moyen d'un agriculteur français, ce qui vient de la PAC, c'est grosso modo autour de 30 à 40 %. Vous voyez que dans le revenu d'une exploitation, d'une entreprise ou d'un ménage ou de chacun d'entre nous, 30 à 40 % en moins, cela se sent.
Q- Je lisais ce mail, ce matin, d'une agricultrice en Haute-Loire, qui dit : "L'Etat et l'Europe nous perçoivent comme des fraudeurs. Même J. Chirac, qui dit avoir la fibre paysanne, ne se préoccupe plus de notre triste sort depuis déjà pas mal d'années. Le fait est que nous ne représentons plus un poids électoral comme autrefois". Ce qui est vrai, entre parenthèses...
R- Oui, Il faut bien faire attention : il y a moins d'agriculteurs mais il y a de plus en plus de monde dans la ruralité. Cela veut dire que dans cette ruralité, même s'ils ne sont pas les majoritaires, les exploitants agricoles...
Q- Mais qui sont les nouveaux ruraux ?
R- Je vais vous dire ce qui se passe chez moi, en Charente-Maritime : des Anglais, beaucoup, dans l'ouest de la France ; des gens qui travaillent en ville et qui préfèrent habiter à la campagne ; et puis, beaucoup de gens qui viennent prendre leur retraite à la campagne, pour y vivre de manière plus heureuse. Nous avons donc une ruralité qui s'accroît. Dans le dernier recensement, les communes rurales françaises, à l'exception de la Champagne-Ardenne, voient leur nombre d'habitants augmenter. Ce que je veux dire par là, c'est donc que les agriculteurs, d'abord le président de la République les considère et les aime, cela se voit. Si elle avait été avec nous à l'inauguration du Salon - je l'inviterai l'année prochaine -, elle aurait vu ce rapport personnel et physique entre le Président et le monde agricole. Deuxièmement, les contrôles - puisque c'est de cela qu'elle parle -, les contrôles liés à l'Europe, etc.
Q- Oui, trop de contrôles, c'est ce qu'elle dit : "Dans nos fermes, nous sommes harcelés maintenant. Dieu merci, les vaches ont toujours deux oreilles et une boucle à chacune d'elle, à moins qu'ils ne décident de nous en mettre une au bout de la queue ! Si par malheur une vache en a perdu une, juste avant le contrôle, 5 % de la subvention en moins !".
R- Ce n'est pas vrai ! C'est ce qui devait exister avant que je sois nommé à ces fonctions et ma première décision a été de simplifier les contrôles, de faire en sorte qu'ils soient intelligents. Cette histoire de boucle, on voit qu'un animal dans une étable, il peut perdre une boucle ! On ne va donc pas, naturellement, entraîner des sanctions là-dessus. Nous sommes donc en train de faire une charte des contrôles, nous avons assoupli les règles. Il faut qu'aujourd'hui, être agriculteurs, ce soit du temps consacré à produire et pas du temps consacré à la paperasse. La loi d'orientation agricole que nous allons présenter devant le Parlement dans quelques semaines sera une loi de simplification, car on en a un peu assez, en effet, de tout ce qui a été introduit comme complication ces dernières années. Le rôle du ministre de l'Agriculture, sous l'autorité du Premier ministre et à la demande du Président, cela va être de mettre de la simplicité dans tout cela. Et j'aurais besoin des agriculteurs pour le faire, parce que l'organisation administrative est complexe du côté du l'Etat, elle l'est également dans le monde agricole et dans tout ce qui s'est créé dans le monde agricole. Nous allons essayer de mettre un peu de simplicité dans tout cela.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 mars 2005)