Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur l'intérêt des archives pour une collectivité et sur l'inauguration des Archives départementales de Digne, Digne le 20 juin 1998.

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Circonstance : Inauguration des archives départementales de Digne, à Digne, le 20 juin 1998

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Messieurs les conseillers généraux,
Monsieur le Préfet,
Mesdames, Messieurs,
Inaugurer un nouveau bâtiment d'archives n'est pas chose courante. C'est donc avec grand plaisir que je participe pour la première fois à une telle cérémonie et je suis heureuse qu'elle se déroule dans les Alpes de Haute - Provence, département si riche en histoire, au passé et aux traditions particulièrement attachants.
De plus, il m'est très agréable de constater que ce nouvel équipement culturel est le fruit d'une coopération institutionnelle, organisée par la loi, entre l'Etat et la collectivité départementale.
Tout document, sans que l'on ait à s'interroger sur son origine - publique ou privée - ou sur son statut, pas plus que sur celui de son créateur, a vocation à entrer dans cette " Maison de la mémoire " départementale dès lors qu'il peut contribuer à la connaissance de l'histoire du département dont vous avez la charge, Monsieur le Président du Conseil général.
En contrepartie, les textes législatifs et réglementaires issus de la décentralisation en 1983 et 1986 ont expressément prévu que l'Etat, en l'occurrence le ministère de la culture, contribuerait à cet effort de mémoire, en mettant ses cadres à la disposition du Département : des conservateurs chartistes qui dirigent le service et, parfois, des documentalistes pour organiser la collecte et la conservation, selon des normes unifiées pour tout le pays.
Naturellement, ils ont également prévu que l'Etat contribuerait à l'effort d'équipement et de construction de nouveaux bâtiments comme celui-ci, au taux en général de 30 % de la dépense consentie par les Conseils généraux.
Cette coopération a été voulue par le législateur pour assurer la perpétuation de la mémoire nationale à travers tout le territoire de la République.
Tout document historique a vocation à intégrer les magasins des Archives départementales.
Documents publics en premier lieu, mais aussi documents privés, archives des familles, des entreprises, archives des associations, des églises, des mouvements sociaux, ou des syndicats, parce qu'ils témoignent de l'activité multiforme de notre société.
Pour rendre compte de la richesse de la vie locale, on ne saurait évidemment se contenter de réunir les traces de l'activité des administrations et des services publics. Pour satisfaire les besoins d'une histoire de plus en plus globale, il nous faut des archives tout aussi globales, riches de la diversité humaine, gardiennes de la trace de tout un chacun, quel que soit son statut social. Il n'est que de songer au dernier ouvrage d'Alain Corbin sur un pauvre sabotier du Perche, pour comprendre que plus rien ne se situe en dehors du territoire de l'historien et donc de la quête de l'archiviste.
Ce lien entre Histoire et Archives ne s'est jamais démenti, même après l'ouverture à d'autres sources que le seul document écrit, même après Marc Bloch, Lucien Febvre, Labrousse et Braudel, l'école des Annales et la micro-histoire de Corbin. Ils ont les uns et les autres élargi les perspectives et le champ de l'histoire en l'ouvrant à toutes sortes de sources nouvelles : témoignages oraux, traditions et savoir-faire, objets, paysages, et même films de fiction.
Cependant, dans le même temps, qu'ils s'intéressaient à d'autres sources que les archives proprement dites, ils ont étendu et approfondi les recherches dans les dépôts d'archives.
Les Archives ont su s'adapter à la demande nouvelle de la recherche : documents de type nouveau, documents toujours plus récents.
Il est loin le temps où les archivistes, ne s'intéressaient qu'aux familles nobles ou notables et se préoccupaient plus de l'époque médiévale que de l'époque contemporaine.
Certes, les Archives, filles de la Révolution comme les Musées et les Bibliothèques, ont commencé par rassembler les documents des administrations d'Ancien régime, du régime féodal, des ordres religieux supprimés et les titres saisis sur les nobles émigrés. Et les premiers archivistes de ce département, la dynastie des Isnard, ont dû faire face en priorité au traitement de cette masse documentaire qui demandait des qualités d'érudition particulières pour la décrypter, l'ordonner, l'inventorier et enfin la livrer au public.
Dans le même temps, les Archives recevaient la mission - qu'elles conservent - de rassembler l'ensemble des documents produits par les administrations de l'Etat dans le département, notamment les services du Conseil général, les établissements publics, les juridictions.
Aujourd'hui, leur mission s'étend aux archives des petites communes rurales, aux minutes des notaires.
Le rassemblement de tous ces documents d'origines diverses au chef-lieu du département assure la sauvegarde et garantit la conservation de l'ensemble des archives qui documentent l'histoire des Alpes de Haute-Provence dans un bâtiment techniquement adapté, conforme aux normes nationales et internationales les plus modernes.
L'outil que vous offrez aujourd'hui à un public de plus en plus nombreux et diversifié ne pourra que dynamiser les études et les travaux sur les Alpes de Haute-Provence.
Votre patrimoine documentaire, tel qu'il nous est parvenu en cette fin de XXe siècle est des plus riches : je relève des documents en grand nombre dès les XIIIe et XIVe siècles dans les fonds seigneuriaux et chez les notaires, des archives des communautés d'habitants remontant parfois au XIIe siècle, ce qui est tout à fait exceptionnel, (1193 exactement pour la commune de Sisteron), et fréquemment au XIIIe et au XIVe siècle, ce qui encore très rare, pour des bourgades comme Mane ou des villages.
Certes, les troubles des Guerres de religion et de la Révolution ont entraîné des pertes irréparables. Ce qui explique, par exemple, la pauvreté des séries consacrées aux documents provenant des diocèses qui se partageaient le territoire de votre département, avant la Révolution. Heureusement le chapitre cathédral de Digne a su préserver ses titres, et la belle cathédrale de Notre Dame Du Bourg que nous avons visitée ce matin se trouve ainsi bien documentée.
Le nouveau siège des Archives départementales, constitue donc, dès maintenant, un pôle culturel de premier ordre.
C'est un outil de diffusion du savoir, largement ouvert aux professionnels de toutes disciplines et aussi de toutes origines, chercheurs français ou étrangers.
Mais c'est aussi un lieu de pratique amateur insoupçonné : que l'on songe aux généalogistes qui fréquentent quotidiennement la nouvelle salle de lecture et occupent bon nombre des 50 places offertes au lieu des 15 places de l'ancien dépôt.
Que l'on songe à tous ces passionnés d'histoire locale pour qui la civilisation des loisirs ne signifie pas " farniente ", mais enrichissement personnel et collectif au sein des sociétés savantes, des sociétés d'histoire locale. Chacun connaît la vitalité du milieu associatif des Alpes de Haute Provence. Je prendrai pour exemple la plus symbolique de ces associations, fondée il y a près de 50 ans parmi les toutes premières en France : la réputation de l'association Alpes de Lumière a dépassé depuis longtemps les limites de ce département : elle accomplit un superbe travail de connaissance et de mise en valeur de l'identité haut-provençale.
Ces militants de l'histoire et de l'identité régionales trouveront ici une maison accueillante, et des professionnels capables de satisfaire leurs requêtes.
Je suis convaincue que ce nouveau bâtiment des Archives constituera un lieu de rencontres et d'échanges où se formeront des projets de coopération entre gens de patrimoine, dont votre département a besoin pour son développement.
Je suis certaine également que le grand public lui-même se laissera séduire par les expositions présentées dans la grande salle de 300 mètres carrés, et par le calme de la salle de lecture. De spectateur, il deviendra acteur de sa propre histoire : n'est-ce pas l'aboutissement d'une démarche culturelle réussie ?
Si les Archives sont, selon la formule consacrée, le " grenier " de l'histoire, elles sont tout autant l'" arsenal " du citoyen, qui doit trouver là les armes pour prouver ses droits et exercer en toute conscience sa pleine citoyenneté. De là, notre devoir d'ouverture et de transparence.
Avec les lois de 1978 sur l'accès aux documents administratifs et sur l'informatique, dites lois CADA et CNIL, la loi de 1979 sur les archives avait permis une forte avancée dans le sens de l'ouverture des archives aux citoyens.
A la suite du rapport remarquable remis par le Président Guy Braibant, le Premier Ministre, Lionel Jospin, a demandé par sa circulaire du 2 octobre 1997, qu'un effort supplémentaire soit fait pour ouvrir les archives de l'Etat au public.
J'ai souhaité, au Ministère de la Culture, la refonte de la loi de 1979 : en ce moment même nous travaillons à ce chantier législatif. Le projet de loi visera à l'ouverture la plus large de toutes les archives publiques françaises, autant que le permet le respect impératif des secrets liés à la vie privée, à la défense et à la sécurité de l'Etat, ainsi que celui de la sécurité des personnes et des biens. Dans l'immédiat, le Conseil des Ministres vient d'adopter un projet de loi sur l'amélioration des relations du citoyen et de l'administration qui donne compétence à la Commission d'accès aux documents administratifs pour connaître des difficultés que pourrait rencontrer un citoyen pour obtenir communication d'un document d'archives.
Les archives constituent un élément essentiel de l'Etat de droit et d'une démocratie avancée comme la nôtre. La France doit servir de modèle en ce domaine.
Votre Assemblée, Monsieur le Ministre, a montré l'exemple par cette très belle réalisation moderne, confiée à des architectes de grande renommée comme Manolo NUNEZ YANOWSKY, et à son confrère, Olivier SABRAN, lauréats du concours lancé en 1993.
Voilà la meilleure manière de commémorer le bicentenaire de la création des Archives départementales. Mieux qu'une simple commémoration, vous avez offert, Messieurs les conseillers généraux, aux habitants des Alpes de Haute Provence et aux usagers, venus parfois de fort loin pour rechercher leurs racines, un nouveau " lieu de mémoire " qui demeurera pour les générations futures.
Vous l'avez doté de magasins suffisamment vastes : 10 000 mètres de rayonnages, ce n'est pas rien, et cela permet d'envisager l'avenir avec sérénité quelle que soit l'inflation, la véritable marée de papier que nous connaissons en cette fin de siècle. Mais l'informatique et le numérique aidant, cette marée devrait inéluctablement refluer.
La numérisation et les réseaux devraient ouvrir de nouveaux moyens de diffusion dans les deux sens : permettre aux habitants de Digne et du Département de disposer à domicile des données éloignées concernant leurs recherches. Et vous permettre aussi de diffuser au loin les images numérisées de vos documents les plus précieux. Le Ministère de la Culture lance en ce moment même avec la Datar, un plan de numérisation du patrimoine régional. Je vous engage vivement à vous porter candidats.
L'Etat s'est associé à votre réalisation en octroyant une subvention d'équipement ; il s'associe en permanence à la vie du service des Archives départementales à travers son Directeur, Mme Hautefeuille, qui anime remarquablement l'équipe en place et exerce sous l'autorité du Préfet le contrôle scientifique et technique de l'Etat sur toutes les archives publiques de son ressort. Malheureusement pour vous, Mme Hautefeuille va vous quitter prochainement pour poursuivre très légitimement sa carrière ; chacun sait la part qu'elle a pris à la réalisation du nouveau site des Archives.
En notre nom à tous, je tiens à la remercier et à lui souhaiter pleine réussite dans ses nouvelles fonctions de chef du Service régional de l'Inventaire général en Auvergne.
Je formule le voeu que ce nouveau " Vaisseau de la mémoire " rempli de ses chartes médiévales, de ses protocoles sur parchemin, de ses sceaux de seigneurie ou de communautés, de ses milliards de pages manuscrites, dactylographiées, imprimées, de ses milliers d'images photographiques, micro-photographiques, de cartes postales, de plans, de gravures, de films, de cartes géographiques et bientôt de mémoires informatiques et numériques, soit pour vous un objet de fierté, un outil de rayonnement, un élément particulièrement attractif de votre politique culturelle.
Je souhaite qu'il permette à chacun de se familiariser avec le territoire sur lequel il vit, qu'il en soit originaire ou non, et qu'il l'aide à le connaître, donc à l'aimer davantage.
Pour terminer, permettez-moi de citer un auteur grec qui vivait au siècle de Démosthène, expert en démocratie, et bon connaisseur en archives, semble-t-il. Il s'agit d'Eschine, qui s'adressait ainsi à ses concitoyens dans son Discours contre Ctésiphon : " Qu'il est utile, ô Athéniens, qu'il est bon d'avoir des archives publiques ! Là, les écrits restent fixes et ne varient pas selon le caprice de l'opinion. "
Monsieur le Ministre, Mesdames, Messieurs, je vous remercie.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 7 septembre 2001)