Tribune de M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication, dans "Le Figaro" du 5 février 2004, sur l'ouverture de la culture française aux créateurs du monde entier et l'apport des artistes étrangers à la culture française.

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L'apport essentiel des artistes étrangers
L'ouverture aux créateurs du monde entier est l'une des qualités les plus constantes de la culture française. Le XXème siècle en a été l'illustration la plus remarquable : les acteurs majeurs de la scène artistique française, de sa vitalité et de son rayonnement, eurent pour nom Picasso, Le Corbusier, Man Ray, Balenciaga, Beckett, Noureev, pour n'en citer que quelques-uns.
En ce début de XXIème siècle, les peintres Yan Peï Ming ou Anselm Kiefer, les designers Jasper Morisson ou Marc Newson, le couturier Karl Lagerfeld ou l'acteur Marcial di Fonzo Bo incarnent, au côté d'une nouvelle génération de jeunes artistes venus de tous horizons, cette même capacité d'accueil.
N'en déplaise aux prophètes du déclin, la culture française se porte bien. L'un des facteurs principaux de son dynamisme et de son rayonnement, c'est précisément la présence de ces quelque 25.000 artistes et professionnels de la culture, de nationalité étrangère, qui viennent travailler aujourd'hui dans notre pays.
Ils ont choisi la France pour la profonde disponibilité qu'elle sait manifester à leur égard. Aucun autre pays n'ouvre, par exemple, comme la France ses musées et collections publiques à l'art non national. Aucun autre pays ne s'affirme comme le lieu de la reconnaissance et de la visibilité des cinématographies du monde entier.
Cette tradition vivace de "xénophilie" - terme que j'emprunte à Christian Bernard, directeur du Musée d'art moderne et contemporain de Genève - reflète exactement la conception spécifiquement française du rayonnement culturel. Un rayonnement qui n'a pas pour objet la conquête, la domination, la volonté d'imposer au monde un modèle unique, mais, au contraire, l'ouverture à l'altérité, la défense de la diversité. Cette conception, si fortement ancrée dans notre histoire, et constitutive de notre patrimoine artistique, littéraire, architectural, musical ou intellectuel, trouve aujourd'hui une pertinence et une force toutes particulières. Elle est profondément cohérente avec une époque où la création tend à s'affranchir des cadres étroits, géographiques ou autres, à s'inscrire dans un espace élargi, où prédomine l'idée du nomadisme ou de la mobilité. Il nous appartient aujourd'hui de la réaffirmer, de la renforcer et de la promouvoir tant au niveau européen qu'international.
Pour cette raison, il est aujourd'hui capital de donner une ampleur nouvelle à notre dispositif d'incitation et d'accueil des artistes et professionnels étrangers en France. Cette priorité que j'ai assignée à mon ministère et à ses établissements est complémentaire de la mission de promotion internationale de la culture française, des artistes français et de la scène artistique française (y compris, bien entendu, dans ses dimensions industrielle et commerciale), conduite par le ministère des Affaires étrangères, en relation avec le ministère de la Culture.
Ce dispositif doit, c'est le premier point, nous conduire à retrouver une place éminente dans la formation des élites culturelles internationales. Cette nécessité m'avait frappé lorsque, travaillant en 1997 à la préparation des manifestations de l'année France-Egypte, j'avais constaté que la jeune génération des archéologues et des historiens égyptiens, n'était plus, comme celle de ses aînés, frottée de culture française. Et cela parce qu'ils avaient suivi leurs études, accompli des stages, ou travaillé dans les institutions allemandes ou anglo-saxonnes, plus disponibles, ou plus volontaires à cet égard. Ce sont précisément cette disponibilité et ce volontarisme qu'il nous faut réinvestir. En ouvrant d'avantage aux jeunes étrangers nos établissements d'enseignement supérieur, qu'il s'agisse des écoles supérieures d'art, des écoles d'architecture, ou de celles qui forment aux métiers de la conservation et de la restauration du patrimoine... En développement aussi la pratique de l'accueil de stagiaires dans les structures culturelles françaises.
J'ai ainsi tenu à ce que le nombre de jeunes professionnels étrangers accueillis dans le cadre du programme d'échanges internationaux intitulé "Courants" connaisse dès 2003 une augmentation sensible, de l'ordre de 15 %. J'ai, également, mis en place un programme spécifique d'accueil de ces professionnels dans les établissements publics relevant du ministère de la Culture et de la Communication, pour des stages de trois mois à un an, assortis de bourses. J'ai enfin souhaité qu'un dispositif de soutien à la pratique de la langue française soit mis en place à l'usage particulier de ces stagiaires.
A côté de la formation, l'accueil des acteurs du monde de l'art et de la culture doit faire l'objet de notre mobilisation. J'ai souhaité qu'un important effort soit engagé en faveur des résidences d'artistes dont plus de 130 programmes ont été d'ores et déjà recensés dans toutes les régions de France dans le secteur des arts plastiques. Le soutien budgétaire sera renforcé pour toutes les structures dévolues à l'accueil des artistes, comme les centres culturels de rencontres. Parallèlement à ce développement de l'offre en direction des artistes, il m'a semblé essentiel de travailler également à lever les obstacles qui peuvent en contrarier la venue, le séjour ou le travail sur notre territoire. Pour cette raison, j'ai confié à Thibaud de Camas, directeur adjoint de la Cité de la musique, une mission d'expertise sur la simplification des conditions, juridiques, administratives, sociales et fiscales. Les conclusions de cette étude, assorties de propositions très concrètes, ancrées dans la réalité des situations, ont déjà été mises en uvre.
Nous devons enfin faire évoluer nos cadres administratifs et statutaires, afin de permettre à des grandes personnalités étrangères d'occuper des postes de haut niveau. Ils sont aujourd'hui quelques-uns à assumer de telles fonctions, ils sont encore à mon sens trop peu nombreux, au regard du bénéfice que représente leur présence au sein de nos institutions. Ce bénéfice, c'est bien sûr le renouvellement du regard et de la pensée, par l'apport de points de vue, d'expériences, et de traditions intellectuelles diverses. C'est aussi la familiarisation de ces personnalités avec la scène artistique française, dont ils deviendront, à leur tour, les meilleurs ambassadeurs.
L'ensemble de ces mesures fait le pari que l'attractivité de notre pays dépend de sa confiance envers les hommes et les femmes de culture du monde entier. Il est fondé sur la conviction que c'est lorsqu'elle sait se montrer généreuse que la culture française est la plus forte, lorsqu'elle sait le plus largement s'ouvrir aux autres qu'elle est le plus profondément elle-même
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 février 2004)