Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur les relations entre la France et Israël, la lutte contre l'antisémitisme et l'évolution du processus de paix au Proche-Orient, Jérusalem le 16 mars 2005.

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Circonstance : Visite en Israël les 15 et 16 mars 2005 : allocution devant la communauté française en Israël le 16.

Texte intégral

Monsieur le ministre,
Monsieur le sénateur,
Monsieur l'ambassadeur,
Madame la présidente de la Fondation pour la Shoah, chère S. Veil,
Mesdames et Messieurs les conseillers de l'assemblée des Français de l'étranger,
Mes chers compatriotes, chers amis.
Je suis sincèrement et profondément heureux d'être ici à vos côtés avec J.-F. Copé ici, dans cette ville de Jérusalem que je découvre avec une très grande et profonde émotion. J'ai voulu pour cette manifestation de mémoire, représenter notre pays, pour montrer notre attachement à cette histoire douloureuse qui nous oblige et je voudrais dire combien je suis heureux non seulement d'être avec le ministre, J.-F. Copé qui m'a beaucoup aidé, j'y reviendrais, dans la mise en place du comité interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, et aussi de saluer ici madame Brouste, une juste française qui m'accompagne pour ce voyage et qui porte en elle cette capacité non seulement de dévouement, d'humanité, mais aussi un moment où c'était difficile cette lucidité, sur ce nazisme grandissant que certains voulaient ignorer et que elle comme d'autres a vu à temps et a su s'engager pour sauver la vie de dizaine et de dizaine de juifs qui étaient pourchassés.
Mes chers compatriotes, vous qui êtes ici plus de 80 000 vous êtes le visage quotidien de la France en Israël. A l'occasion de mon premier déplacement en Israël, je sais que vous pouvez me féliciter que c'est le premier et aussi me reprocher que c'est le premier. C'est le premier, il y en aura d'autres. Je voudrais vous dire que je suis très heureux de vous rencontrer, je reconnais parmi vous, je les ai salués, les membres de l'Assemblée des Français de l'étranger, N. Poznanski, J. Grunewald et J. Friedman ainsi que les représentants des principales associations de notre communauté dont je sais le dévouement et le dynamisme. Je veux d'abord en cette période vous apporter tout le soutien de la France, une France solidaire avec toutes les victimes du terrorisme. Je n'oublie pas les 27 français tués en Israël du fait d'attentats terroristes, les nombreux blessés dont certains sont aujourd'hui handicapés à vie. La France condamne fermement et résolument ces actions terroristes qui continuent à endeuiller Israël. Rappelons-nous encore l'attentat de Tel Aviv du 25 février, la France dénonce, a dénoncé sans réserve les attentats commis contre les citoyens israéliens. Je voudrais vous dire ici la très fraternelle émotion. Je sais que parmi vous certains ont perdu des membres de leur famille, des amis proches, des voisins, des connaissances. Dans votre immense majorité vous êtes proches à la fois de ces malheurs, mais aussi de l'espoir sur lequel je vais revenir maintenant. Vous êtes, grâce à la double appartenance qui vous caractérise Françaises et Israéliennes une communauté enracinée dans l'histoire plurimillénaire d'Israël et de la France. Vous constituez donc un lien précieux entre nos deux pays. Je voudrais à cet égard saluer le travail de vos associations, particulièrement actives pour leur action sociale et leur soutien à la francophonie. La force de votre communauté a été reconnue. Vous aurez pour le renouvellement de l'assemblée des Français de l'étranger en 2006 quatre élus au lieu de trois. Cela représente le dynamisme et votre représentativité au sein de notre communauté nationale. Je sais aussi les nombreuses difficultés sociales d'une partie d'entre vous liées au contexte économique. Nos consuls à Jérusalem, à Tel Aviv, à Haïfa ont pour mission d'entretenir un dialogue permanent avec vos élus pour chercher à remédier à cette situation. Je suis venu dire ce matin à Roglit et ce soir à Yad Vashem combien dans le cur des Français le peuple israélien éveille de vieilles résonances d'abord celle de la tragédie, mais aussi celle de l'amitié. La Shoah appartient à votre histoire, à notre histoire, à celle de toute l'humanité. Cet après midi en participant à l'inauguration du nouveau musée historique, du mémorial de Yad Vashem je m'inclinerais devant l'immensité de la souffrance et de l'horreur vécue. Ce matin au mémorial pour les Juifs déportés de France j'ai été profondément, sincèrement ému par les témoignages de rescapés, de leurs familles. Je veux remercier hier S. Klarsfeld qui est parmi nous et sans qui ce mémorial n'aurait pas vu le jour.
Ces 80 000 noms, ces martyrs rappellent chaque jour à notre conscience la monstruosité de l'ouverture de ce Kafka avait appelé les écluses du mal ". la France, par la voix du Président de la République dans son discours du Vel d'Hiv a reconnu en 1995 la responsabilité de l'Etat français, dans le drame des Juifs de France. Notre pays est à jamais inconsolable de cette faute inexpiable. Chers compatriotes, vous êtes les acteurs de la relation entre la France et Israël. Elle est passionnée, elle est forte, elle est marquée par l'émotion. Entre la France et Israël, entre les Français et le peuple juif il y a une relation du cur. En pleine affaire Dreyfus, le père d'E. Levinas, ne rappelait-il pas paradoxalement qu'un pays où l'on se déchire à propos du sort d'un petit capitaine juif est un pays où il faut aller. C'est au cur de Paris dans un café du boulevard Montmartre que votre langue a ressurgi de ces longues années de sommeil, comme le raconte E. Ben Yehuda, le fondateur de l'hébreux moderne. C'est dans un café du boulevard Montmartre que je me suis appris le nouvel hébreux, pour la première fois, dit-il. La France est heureuse d'avoir joué son rôle dans la naissance d'Israël. Nous étions au côté d'Israël lors de ses premiers pas. Vous vous en souvenez encore. La France entend être à vos côtés aujourd'hui aussi. Il nous faut travailler ensemble à l'amitié entre les deux peuples, qui passe évidemment par une meilleure connaissance des réalités objectives. Les Français doivent voir Israël comme une nation jeune, créative, inventive avec une vie démocratique intense. Nous avons besoin de nous regarder avec les yeux de la vérité. Je me sens responsable pour cette mission d'affection entre nos deux peuples. Il nous appartient maintenant de donner un souffle nouveau à nos relations. La France constitue déjà l'un des premiers partenaires économiques d'Israël, son troisième partenaire au plan scientifique et le seul pays européen à déployer une présence culturelle aussi étendue. Notre pays est votre deuxième destination touristique. Les Français, juste après nos amis américains, sont les plus nombreux à venir en Israël. Je pense aussi à des investissements importants comme l'usine de dessalement de Veolia, ou au projet mené aussi par cette entreprise et Alstom pour le tramway de Jérusalem. Cette relation s'appuie sur une coopération scientifique et culturelle très forte. Je voudrais saluer cette communauté scientifique d'Israël capable d'innovation, capable de recherche fondamentale qui fait avancer la science dans le monde. Je souhaite que l'ensemble du milieu scientifique français développe ces coopérations avec les milieux scientifiques, technologiques d'Israël.
Nous venons de tenir le premier haut conseil pour la recherche et pour la coopération scientifique et technologique. Nous continuerons dans cette voie, sur le plan scientifique, comme sur le plan culturel. Plus de la moitié de la création cinématographique israélienne bénéficie aujourd'hui de coproductions françaises. L'institut français de Tel Aviv devrait s'établir dans de nouveaux locaux en 2006, car Israël le sait et c'est souvent injustement oublié, est une terre éminemment francophone ; Il nous faut travailler la participation d'Israël aux différents cercles francophones avec évidemment l'association des maires, les forums des affaires, les agences universitaires, mais je veux aller plus loin, en disant ici devant vous qu'Israël a vocation à adhérer à l'organisation internationale de la francophonie. Je souhaiterais plus que jamais, comme l'a souligné le Président de la République lors de la visite d'Etat du président Kassav qu'Israël soit admis dès que possible au sein de cette organisation. L'Union européenne est le premier interlocuteur d'Israël et pas seulement sur le plan économique. L'Europe doit constituer le partenaire stratégique et l'espace naturel de développement de l'Etat hébreux. C'est le sens de notre action, nous qui sommes aujourd'hui engagés dans une nouvelle géographie européenne, dans une nouvelle organisation européenne, mais engagés en raison d'un passé d'horreur que nous voulons surmonter.
Chers compatriotes, j'ai le sentiment que la relation entre nos amis israéliens et les amis français se renforcent de jour en jour. Notre action, nos positions sont mieux comprises sur deux sujets qui ont essentiels. J'allais dire existentiels. D'abord la résurgence de l'antisémitisme en Europe ensuite le processus de paix. Mon gouvernement a rompu avec les stratégies du silence faussement consolantes en ce qui concerne l'antisémitisme. Quant on veut combattre l'adversaire il faut le regarder en face et ne pas nier la réalité. L'antisémitisme a pris en France comme en Europe une nouvelle dimension ces dernières années, la France n'a pas pris à légère cette situation et a réagi vite. Nous avons mis en place, sous l'autorité du Président de la République, un dispositif de mobilisation nationale, autour d'un comité interministériel contre le racisme et l'antisémitisme avec un dispositif législatif, qui nous permet aujourd'hui de condamner et l'injure et d'interdire les émissions aussi violentes aussi inhumaines que celles d'Al-Manar. Je sais que chacun d'entre vous est affecté par la multiplication des actes à connotation antisémites, je peux vous dire que la France entend lutter sans merci avec détermination contre l'antisémitisme. Je l'ai dit récemment au dîner du CRIF je souhaite que personne n'ait peur en France, la République est là pour assumer à chacun sa place autour de nos valeurs, adhérons aux valeurs républicaines, défendons-les. C'est là que se trouve la sécurité de chacun et de chacune. C'est cet engagement là qui est le nôtre. Et c'est pour ça que nous poursuivrons avec détermination cette action. Le Premier ministre A. Sharon, que j'ai rencontré ce matin, a tenu à saluer les efforts de la France dans ce domaine. Il a aussi souligné combien nous avions pu prendre des initiatives qui avaient été ensuite prises par d'autres pays, je pense notamment aux Etats-Unis, en ce qui concerne les messages audiovisuels.
Le processus de paix maintenant je voudrais vous en parler avec le grand espoir qui lève en nos curs. Assurer la sécurité d'Israël, établir la paix avec ses voisins sur la base de frontières sures est reconnue, tel est notre objectif. Tel est aussi évidemment l'objectif du gouvernement israélien, le souhait de la France et de l'Union européenne. Et pour nous particulièrement clair, nous voulons saluer la décision courageuse prise par A. Sharon de se désengager de Gaza. Nous saluons l'élection de M. Abbas à la tête de l'autorité palestinienne à l'issue d'un scrutin démocratique. Les mesures prises par les Israéliens et les Palestiniens pour assurer un cessé le feu et une reprise des contacts sécuritaires et politiques sont des forces d'avenir auxquelles nous voulons donner toute leur chance pour la paix. La France et l'union européenne entendent apporter tout leur appui politique, économique, sécuritaire, pour assurer la réussite de ces initiatives. Nous comprenons et je l'ai entendu ce matin, cela m'a été répété avec force et conviction, et si je ne l'avais pas compris la première fois, à la cinquième reprise je l'aurais compris. Nous comprenons donc que le préalable de la sécurité est essentiel, car sans lui aucune confiance n'est possible. Et donc il faut soutenir les efforts, les encourager, mobiliser l'autorité palestinienne pour mettre fin à l'Intifada et ne rien faire qui pourrait complique sur le terrain cette négociation que nous attendons sur le statut final. Il nous appartient de travailler dans le cadre de l'Union européenne avec les Etats-Unis, les Nations Unies, et la Russie à une paix qui soit à la fois juste, mais aussi durable.
Cette paix repose sur des principes que la France depuis plus de vingt ans soutient et qui sont désormais acceptés par Israël ainsi que par l'autorité palestinienne, la coexistence pacifique de deux Etats vivant cote à cote, l'Etat hébreux dans les frontières sures et reconnues, et un Etat palestinien viable. Nous disposons à cette fin d'un instrument, vous le savez cette feuille de route dont on a parlé qui est un guide et dont je comprends que la question de la sécurité est un préalable, il faut l'actualiser à la mettre en oeuvre dès que possible. Je suis confiant, je pense que les conditions historiques sont aujourd'hui sont aujourd'hui réunies pour que nous puissions affirmer qu'il n'y a pas de fatalité au conflit. Nous sommes dans un de ces moments rares où tout paraît possible. Nous n'avons pas le droit de manquer cette occasion unique. La France et l'Europe n'entendent pas rester observateurs passifs mais comptent s'engager. l'Europe unie en a les moyens elle est le partenaire naturel d'Israël, et se tient résolument aux côtés des Israéliens et des Palestiniens dans cette marche vers la paix. Cette démarche là nous Européens, nous tous nous devons la défendre parce que l'Europe est née de la paix. Ce n'est pas la géographie qui a fait l'Europe, ce n'est pas l'histoire qui nous a imposé l'Europe, c'est le malheur, ce sont les guères, c'est qu'un jour des personnalités particulièrement clairvoyantes ont dit plus jamais ça. Et c'est pour ne plus avoir à regarder derrière nous, c'est pour avoir cette conscience de l'avenir de bâtir la paix que l'Europe a pu se tracer cette ligne d'avenir qui est sa communauté de destin. Cette communauté de destin qui consiste à échapper au mal, madame la présidente du parlement européen. C'est un combat que vous connaissez.
Le dimanche 29 mai le Président de la République interrogera chaque française et chaque français sur l'avenir de l'Europe. Je voudrais vous dire que ce vote est historique, il concerne chacun d'entre vous. Pour moi, je le dis avec sincérité, l'Europe est née de la victoire sur l'horreur et donc l'Europe signifie la paix. La génération de nos parents a fait l'Europe à l'intérieur de nos frontières pour faire la paix en Europe. Notre génération a le devoir aujourd'hui de conforter l'Europe pour faire la paix à l'extérieur sur la planète pour l'ensemble de ceux qui aujourd'hui ont droit à cette paix. Merci à chacune et à chacun d'entre vous de faire vivre cette amitié entre Israël et la France, dont vous êtes le lien charnel, historique, diversifié, culturel, engagé, merci de vous impliquer dans cette amitié. Nous vivons des étapes nouvelles dans cette amitié, notamment depuis la venue du président Kassav à Paris. Nous avons vu partout dans Paris des drapeaux israéliens sans aucune manifestation, sans aucun acte qui pourrait porter atteinte à cette dignité et du peuple et de l'Etat. Nous avons vu que nous étions capables de parler entre pays adultes de certaines divergences, mais d'une grande communauté de vision, celle de deux peuples amis qui veulent construire ensemble l'avenir. Je le dis du fond du cur " vive la France en Europe et vive Israël en paix ".
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 24 mars 2005)