Déclaration de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de LO, sur ses positions sur la Constitution européenne, son opposition au PS sur ce sujet, sur le capitalisme, Clermont-Ferrand le 11 avril 2005.

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Circonstance : Meeting à Clermont-Ferrand le 11 avril 2005

Texte intégral

Travailleuses,
travailleurs,
camarades et amis,
Maintenant que le "non" risque de l'emporter, Chirac et les siens voudraient bien dissocier la Constitution européenne du mécontentement social. Ils voudraient bien que l'électorat populaire oublie les coups reçus du gouvernement et qu'ils votent "oui" en pensant que c'est mieux pour l'Europe.
Les ministres de ce gouvernement qui mènent une guerre ouverte aux classes populaires se relaient dans les médias pour expliquer que l'Europe n'a rien à voire avec la politique intérieur et de chercher à convaincre des charmes cachés du projet de Constitution. Le président de la République va s'y mettre à son tour le jeudi qui vient. Il convoquera à l'Elysée une cinquantaine de jeunes, sélectionnés par un institut de sondage ainsi que trois vedettes de la télévision pour leur administrer un cours d'instruction civique se concluant par un appel au vote "oui".
Du coup, Sarkozy va s'y mettre aussi. Comme il a beaucoup usé et abusé d'émissions télévisées du genre 100 minutes pour convaincre et que ça finit par lasser, il va donner dans l'intime. Il propose des réunions d'appartements par audio-conférence. Les participants auront le droit de se laisser conforter dans leur choix du "oui" par Sarkozy soi-même.
Raffarin essaie, lui aussi, de donner de la voix, mais il se heurte apparemment à des réticences venant de son propre camp car tout le monde constate que plus il parle, plus le "oui" dégringole.
Que les ténors de la droite approuvent le projet de Constitution, c'est dans l'ordre des choses car il a été rédigé sous la houlette de Giscard d'Estaing, l'un des leurs.
Mais les chefs de la droite anti-ouvrière ont peu de chances de convaincre l'électorat populaire. Alors, c'est la direction du Parti Socialiste qui se charge de la besogne.
"L'Europe sociale passe par le oui" - affirme l'affiche de campagne officielle du PS !
Eh bien, elle est belle, cette Europe sociale, patronnée par Giscard, Chirac, Hollande et les autres !
Elle est belle, avec ses près de 3 millions de chômeurs en France, plus de 5 millions en Allemagne ! Elle est belle, avec les salaires qui stagnent, les prélèvements qui augmentent et le pouvoir d'achat qui baisse ! Elle est belle avec la précarité qui se généralise, la pauvreté qui s'étend ! Elle est belle avec ses hôpitaux surchargés où le personnel des services d'urgences est contraint de recourir à la grève illimitée pour tenter d'obtenir les moyens et le personnel qui manquent !
L'électorat socialiste lui-même a du mal à avaler qu'un projet chaleureusement défendu par Chirac, Raffarin ou Sarkozy puisse être cette "Constitution sociale", cette "Constitution démocratique" que leur présentent les dirigeants de leur parti. Ils ont du mal à avaler que -pour citer Hollande- "le oui socialiste soit un élément pour préparer la victoire de la gauche en 2007". Même s'il attend beaucoup des élections, l'électeur socialiste a du mal à comprendre en quoi voter de la même façon que Chirac et Raffarin en 2005 pourrait favoriser la gauche en 2007.
Cambadelis, une des têtes pensantes paraît-il du PS et partisan du oui, garde cependant son optimisme, malgré la montée du non. Il vient de déclarer : "La mort du pape a brisé l'élan médiatique du non." D'ici que la direction du Parti socialiste aille brûler quelques cierges à Lourdes pour être compris par son électorat...
Nous ne savons pas si le référendum confirmera ou pas les sondages, mais si le non l'emporte, la direction du Parti socialiste paiera pour une fois sa politique d'alignement derrière Chirac et c'est tant mieux ! Elle est en tout cas en train d'administrer la démonstration qu'entre la politique qu'elle propose et celle que proposent les dirigeants de la droite, il n'y a pas de différence !
Bien sûr, l'appel pour le "non", même présenté comme un "non de gauche" de Chevènement, Fabius, Emmanuelli ou Mélenchon ne fait pas pour autant de ces gens-là des amis des travailleurs. Ils ont montré, en tant que ministres et, pour l'un d'entre eux, Fabius, en tant que Premier ministre, qu'ils sont entièrement au service de la classe des possédants.
Mais leur calcul politique, c'est une chose. La réaction de l'électorat populaire, cela en est une autre. Et si l'électorat populaire se saisit du référendum pour exprimer tout le mal qu'il pense de la politique menée, le gouvernement n'aura eu que ce qu'il mérite, même si l'expression seulement électorale de ce mécontentement ne changera pas le sort des travailleurs !
Pour notre part, nous appelons à voter "non".
Cette Constitution n'apporte rien de bon aux travailleurs ni aux peuples d'Europe. Elle ne leur apporte ni des libertés supplémentaires ni des possibilités plus grandes pour se défendre. Elle ne cherche pas à uniformiser par le haut la législation du travail ni à améliorer les protections sociales. Et il n'est évidemment pas question d'un salaire minimum à l'échelle de l'Union européenne.
L'unification européenne, nous sommes pour. Nous pensons même que l'Europe devrait être unifiée depuis, au bas mot, un siècle, d'un bout à l'autre du continent. Le morcellement de l'Europe en une multitude de petits pays est un anachronisme à notre époque qui est celle d'entités à l'échelle des continents. Les grands pays qui jouent un rôle dans l'avenir de la planète sont à l'échelle d'un continent. C'est le cas des Etats-Unis, bien sûr, mais aussi la Russie ou encore la Chine et l'Inde, ces deux derniers comptant plus d'habitants que tous les pays d'Europe réunis.
Oui, nous sommes pour l'unification complète du continent, bien entendu Turquie comprise, et même bien au-delà. Les discussions sur les limites de l'Europe sont aussi stupides qu'hypocrites, chaque politicien cherchant à faire passer les frontières de l'Europe là où cela arrange sa démagogie. L'avenir, c'est l'association des peuples qui le souhaitent et c'est la disparition de toutes les frontières que l'on a dressées entre eux.
Dans cette construction européenne, jamais il n'a été question des hommes, des femmes, même s'il y a eu quelques retombées positives, comme la possibilité - mais pour les seuls Européens - de se déplacer plus facilement d'un pays à l'autre et de s'y installer.
Bien sûr, la Constitution européenne consacre la propriété privée, l'économie de marché, la concurrence sans entrave et par conséquent, la domination du grand capital. Mais ce n'est pas sa raison d'être car toutes les Constitutions nationales font la même chose. Mais, surtout, la bourgeoisie et le grand capital n'ont pas besoin de Constitution pour dominer l'économie et la société.
La seule raison d'être de cette Constitution, c'est de régler des procédures d'arbitrage en cas de différends entre les gouvernements qui dirigent l'Europe et de permettre aux pays les plus industrialisés de l'ouest européen d'avoir la primauté sur les autres pays qui constituent l'Union européenne.
Cette Constitution est faite pour verrouiller politiquement et juridiquement la domination économique des pays de l'Ouest européen et de leurs groupes industriels et financiers sur l'ensemble de l'Europe.
Depuis la chute de l'Union soviétique et l'ouverture économique des pays de l'Est européen, les grands groupes occidentaux ont mis la main sur l'économie des pays de l'Est. Les grandes entreprises industrielles des pays de l'Est, qui naguère étatisées ont été privatisées, elles sont tombées sous la dépendance de trusts occidentaux.
Alors, bien sûr, cela intéresse ces trusts que les pièces et les marchandises, qu'ils font fabriquer à moindres coûts dans leurs succursales de la partie pauvre de l'Europe, puissent circuler sans obstacle. L'élargissement de l'Union européenne vers sa partie pauvre était donc de leur intérêt. Mais ce n'est pas pour autant qu'ils souhaitent que ces pays aient trop de possibilités d'influer sur les choix des institutions européennes, sur la gestion de leur budget. Et, à plus forte raison, ces trusts ne souhaitent absolument pas que l'intégration des pays de l'Est dans l'Union européenne signifie pour leurs travailleurs les mêmes salaires et les mêmes protections sociales.
Et puis cette Constitution n'est même pas capable d'assurer les mêmes droits d'un bout à l'autre de l'Europe. Par exemple, elle ne reconnaît pas le divorce. Elle ne reconnaît pas non plus le droit à l'interruption volontaire de grossesse à l'échelle de l'ensemble de l'Union Dans plusieurs pays, ce droit est réservé aux femmes les plus riches qui peuvent se payer le voyage pour aller dans le pays où le régime est plus tolérant. A plus forte raison, elle n'impose pas à tous les médecins l'obligation de pratiquer les IVG là où elles sont légales.
En ce qui concerne le sort des travailleurs, nous n'avons jamais eu la naïveté d'attendre de la Constitution européenne qu'elle l'améliore. Aucune constitution, pas plus celle de la France que d'autres, n'est faite pour cela.
Mais enfin, les institutions européennes auraient pu au moins peser pour balayer la crasse réactionnaire accumulée, ici quant aux droits des femmes, là quant au poids des Eglises dans la vie sociale, ailleurs en matière de libertés publiques. Mais les institutions européennes, qui sont si pointilleuses sur les conditions de concurrence, pour laquelle elles accumulent les paragraphes dans la Constitution, n'ont rien à faire et de la condition des femmes, et des libertés publiques. Au lieu de prendre le contre-pied des aspects les plus réactionnaires des législations nationales existantes, elle les consacre.
Qu'est-ce que vous voulez, nous ne nous revendiquons pas de cet "héritage religieux... de l'Europe" auquel la Constitution fait explicitement référence ! Référence qui a poussé la Conférence épiscopale de France à marquer sa prédilection pour le "oui", même si elle aurait trouvé mieux que la Constitution parle plus clairement d'héritage chrétien. Mais, comme l'a affirmé le porte-parole de l'Episcopat, "ce qui n'y est pas explicitement y est quand même implicitement". Ce n'est tout de même pas l'Eglise qui va reprocher leur jésuitisme aux rédacteurs de la Constitution !
Nous sommes pour l'Europe unie, mais pas pour leur Constitution.
Mais que les capitalistes et leurs serviteurs politiques le veuillent ou pas, j'ai l'espoir que leur construction européenne contribue à mettre dans la conscience de tous les travailleurs de ce continent, qu'ils soient exploités en France, en Allemagne, en Estonie ou en Bulgarie, qu'ils font partie d'une seule et même classe ouvrière.
Qu'ils le veuillent ou non, les promoteurs de l'Europe capitaliste auront contribué à forger une classe ouvrière d'Europe composée de travailleurs de toutes origines, nés sur le sol européen ou immigrés d'Afrique ou d'Asie.
Face à l'union fondée sur la concurrence et la rivalité des bourgeoisies d'Europe, il faut opposer la véritable union des travailleurs. Il faudra se fixer comme objectif commun à l'échelle de l'Europe, l'augmentation générale des salaires et leur alignement par le haut, afin qu'ils permettent partout de vivre correctement. C'est la seule façon d'empêcher les patrons de jouer les travailleurs les uns contre les autres, de délocaliser dans la partie la plus pauvre de l'Europe ou, encore, de faire appel ici même, en France, à des travailleurs mal payés venant des pays de l'Est.
La classe ouvrière d'Europe est numériquement la classe ouvrière la plus importante du monde. Une fois qu'elle aura pris conscience d'elle-même, de son unité et de ses intérêts politiques, elle représentera une force considérable, capable d'ébranler leur construction européenne jusqu'à ses fondations capitalistes !
Alors, nous voterons "non" à cette Constitution ! Mais tout en votant "non", il ne faut pas attendre de la victoire du "non" plus qu'elle ne peut donner. L'offensive menée contre les travailleurs par le grand patronat dans tous les pays d'Europe, quel que soit le gouvernement en place, n'a rien à voir avec la Constitution ni avec Bruxelles.
Contrairement à tous ceux qui disent que, pour améliorer le sort des travailleurs, il faut voter "non", nous disons : Votez "non" ! Mais pour stopper les attaques du patronat et du gouvernement, il faut la lutte, les grèves, les manifestations. Une éventuelle victoire du "non" ne remplacera pas la contre-offensive des travailleurs. Cette contre-offensive est indispensable si nous ne voulons pas que notre classe, la classe des travailleurs, continue à être poussée vers la pauvreté.
Cela fait longtemps, bien trop longtemps que le patronat récupère sur le dos des travailleurs les profits élevés que son économie en crise ne lui permet pas de récupérer par une extension de ses marchés.
Lorsque les patrons des grandes entreprises se vantent des profits fantastiques réalisés en 2004, ils s'adressent à leur monde, aux actionnaires, aux "investisseurs financiers", à tous ceux qui font fortune en spéculant sur l'achat et la revente d'actions.
Mais, pour les ouvriers, ces annonces sonnent comme des provocations. Eux, ils savent que ces profits gigantesques sont réalisés sur leur dos, par une exploitation de plus en plus dure. Et quand ils ne le savent pas, ils le sentent dans leurs muscles, dans leurs nerfs, par la fatigue de journées trop longues et des cadences qui rendent malades ou invalides au bout de 10 ou 15 ans de travail. Ils le voient aussi sur le montant de leur feuille de paie.
Oui, si les profits sont élevés, c'est parce qu'on écrase de plus en plus le monde du travail, parce que les salaires sont trop bas même quand on a un emploi stable ; parce que les horaires ont été rendus flexibles et sont imposés au gré des fluctuations du marché ; parce que les emplois stables sont remplacés par des emplois précaires : intérim, CDD, temps partiel non choisi.
Et ce qui est vrai pour le privé l'est aussi, et de plus en plus, dans le secteur public. Car la fameuse "sécurité de l'emploi" de la Fonction publique, si souvent attaquée par les porte-voix bornés du grand patronat, est depuis longtemps un mensonge, brandi pour diviser les travailleurs et pour opposer ceux du public à ceux du privé.
Combien de postiers sont des contractuels sans la moindre "sécurité de l'emploi" ? Combien d'infirmières ou aide-soignantes des hôpitaux publics sont des intérimaires ? Combien y a-t-il d'auxiliaires à l'Education nationale ? Combien y a-t-il de vacataires parmi les employés des ministères eux-mêmes ? Combien sont ceux qui, dans les mairies ou dans les collectivités locales, travaillent comme stagiaires ou en CES ? Sans même parler de celles et ceux, nombreux, qui travaillent dans des secteurs externalisés du service public ?
Au nom de la recherche de la rentabilité l'Etat, tout comme le patronat, cherchent partout à imposer des salaires fluctuants.
L'intensification du travail ne concerne pas seulement les entreprises de production. Il suffit de regarder le travail des caissières des supermarchés !
Dans combien de supermarchés, de grands magasins, on impose, en plus, le temps partiel morcelé en fonction des heures d'affluence de la clientèle, une heure le matin, deux heures à midi et deux heures en fin de journée ?
Dans combien de chaînes de restauration rapide, des Flunch aux cafétérias de Casino, en passant par tous les McDo et autres Quick, les salaires mensuels tournent autour de 700 à 800 euros ?
Ce sont en majorité les femmes qui sont victimes du temps partiel non choisi. Des travailleuses -y compris des mères de famille- qui n'ont même pas le temps de rentrer chez elles dans les moments libres entre les heures travaillées. Elles sont prises toute la journée sans être payées à temps complet.
Ce qui se passe dans chaque entreprise se traduit à l'échelle de l'ensemble du pays par une baisse continue de la part des salaires dans le revenu national. Les revenus du capital augmentent en conséquence.
Cela se traduit, aussi, par le nombre de chômeurs Un travailleur sur dix est au chômage. Quand on fait faire de plus en plus de travail par de moins en moins d'ouvriers, qu'on augmente la productivité, comme ils disent, cela signifie forcément des suppressions d'emplois.
Et on arrive à cette situation folle, aberrante, qu'on fait trimer au travail ceux qui ont un emploi, pendant que plusieurs millions de travailleurs n'ont pas d'emploi du tout ou n'en ont un que de temps en temps. Rien que le temps partiel subi représente 1.200.000 personnes. Et les ministres nous répètent qu'il faut travailler plus pour rendre le pays compétitif. Mais qu'ils commencent donc par assurer du travail et un salaire correct à ceux qui n'en ont pas !
Comment s'étonner qu'avec l'accroissement du chômage et de la précarité, la pauvreté s'étende aussi. Le nombre de RMIstes a littéralement explosé ces derniers mois. Plus d'un million de personnes qui n'ont plus de travail n'ont plus pour vivre que les quelque 425 euros mensuels du RMI. Mais, parmi les pauvres, il y a aussi et de plus en plus des travailleurs en activité. Avec les prix des loyers qui flambent, un nombre croissant de travailleurs ne peuvent même plus se payer un logement et sont contraints de dormir chez des amis ou des parents ou, pire, dans leurs voitures ou dans la rue.
Tous les bien-pensants nous expliquent que le profit est indispensable et que la vocation des entreprises est de faire du profit. Mais qu'est-ce qu'elles font donc de ce profit ? Est-ce qu'elles l'investissent dans des machines nouvelles ? Est-ce qu'elles l'investissent pour créer de nouvelles usines et de nouveaux emplois ? Pas du tout !
Est-ce qu'elles achètent des machines pour soulager la pénibilité du travail ? Evidemment non !
Est-ce que les travailleurs, ceux qui créent ces profits, en bénéficient en quoi que ce soit ? Non !
Le profit est pour l'essentiel empoché purement et simplement par les propriétaires des entreprises et par leurs gros actionnaires. Il augmente la fortune des possédants, le nombre de leurs résidences, de leurs voitures de luxe, de leurs avions privés ou de leurs châteaux. Et, quand il n'est pas gaspillé en dépenses de luxe par la classe riche, le profit vit sa propre vie, alimente les circuits financiers, la spéculation internationale, les rachats d'entreprises les unes par les autres.
Et, pourtant, c'est le profit que tous les gouvernements favorisent. C'est pour donner toujours plus au grand patronat qu'on économise sur l'éducation. On économise sur les hôpitaux sur les équipements collectifs. C'est pour cela qu'il y a de moins en moins de logements corrects accessibles avec un salaire ouvrier.
Oui, ce gouvernement Chirac-Raffarin est ouvertement, cyniquement, au service du grand patronat et de ses intérêts. Toutes les mesures prises depuis qu'il est au pouvoir aggravent les conditions d'existence des travailleurs et des classes populaires.
La réforme des retraites aboutit au recul de l'âge de la retraite et à l'amputation du montant des pensions.
La réforme de la Sécurité sociale consiste à faire payer plus les assurés par le biais de la hausse de la CSG, de l'augmentation du forfait hospitalier et de l'euro obligatoire à chaque consultation médicale.
Oui, on fait payer toujours plus les assurés alors même que le système de santé se détériore parce qu'on n'embauche pas un personnel suffisant dans les hôpitaux ou dans les maisons de retraite, parce qu'il n'y a rien ou presque pour les handicapés, parce qu'on ferme des lits, parce qu'on compense les restrictions de crédits au système hospitalier en comptant sur le personnel. Et, avec ça, ils ont le culot de présenter la suppression d'un jour férié à la Pentecôte comme un acte de générosité envers les personnes âgées !
Dans l'enseignement, la réforme Fillon contre laquelle les lycéens protestent à juste raison est encore une façon de justifier et d'aggraver l'insuffisance des crédits à l'Education nationale ; une insuffisance de crédits dont les conséquences sont particulièrement graves pour les enfants des classes populaires. Et même si les deux assemblées réactionnaires ont donné leur bénédiction à la loi Fillon, les lycéens ont eu raison de montrer que cela s'est fait sans leur accord, contre eux, en manifestant massivement puis en occupant de nombreux lycées.
Alors oui, on ne peut qu'être révolté par le cynisme et par le mépris de ce gouvernement réactionnaire. Mais n'en oublions pas pour autant la suffisance des ministres socialistes, et surtout leur politique !
Combien de mesures anti-ouvrières sous le gouvernement Jospin ? Combien de privatisations, combien d'attaques contre les services publics, au nom de la rentabilité ? Combien de baisses de charges sociales sous prétexte d'inciter les patrons à créer des emplois, qu'ils n'ont jamais créés ? Et, bien des travailleurs ont des raisons de se souvenir qu'ils n'ont trouvé aucun soutien face à leur patron licencieur. Et n'oublions pas que bien des mesures anti-ouvrières mises en oeuvre par le gouvernement Chirac-Raffarin ont été préparées sous le gouvernement Jospin par Fabius, par exemple, et ses semblables.
Souvenons-nous en car, dès maintenant, le Parti socialiste nous dit que ceux qui veulent un changement doivent attendre les élections de 2007 et espérer un président de la République ou un gouvernement de gauche.
Mais ce n'est pas le gouvernement qui dirige l'économie, pas plus que les institutions européennes, c'est le grand patronat. Seillière, le président du Medef, l'a rappelé récemment et avec la cynique brutalité qui le caractérise. Lorsque le Premier ministre, ô combien obéissant pourtant au grand patronat, s'est avisé de parler salaires après les manifestations du 10 mars, il s'est fait rappeler à l'ordre par Seillière : "De quoi j'me mêle", affirma-t-il, "ce sont les patrons qui décident des salaires, pas le gouvernement".
Mais, sur le fond, Seillière n'a fait qu'exprimer sans fioriture le constat d'impuissance fait par Jospin de sa propre action, lorsqu'il avait été premier ministre et lorsque, devant l'annonce faite par Michelin en même temps d'une hausse de ses profits et des suppressions d'emplois, il déclara qu'il n'y pouvait rien.
Eh oui, les licenciements, le chômage, les salaires, les conditions de travail, c'est-à-dire l'essentiel de ce qui concerne la vie des travailleurs, dépendent des patrons. Le patronat règne en maître en vertu de son monopole sur les entreprises, sur les machines, sur les moyens de production, pourtant créés grâce aux efforts des travailleurs. Et on nous parle de démocratie ! Et on nous dit que pour changer les choses, il faut bien voter. Mais ceux qui décident de tout, ne sont élus par personne, si ce n'est par leurs semblables des conseils d'administration !
Au cours des dernières années, le patronat et les gouvernements successifs ont réussi à ramener la condition ouvrière en arrière. Pour renverser ce mouvement et ne serait-ce que pour retrouver les conditions conquises dans le passé, il faut une explosion de colère.
Les luttes ouvrières sont les seuls freins à l'aggravation de l'exploitation. Mais pour supprimer l'exploitation, il faut mettre fin à l'ordre économique et social capitaliste, aussi irrationnel qu'inhumain. Voilà ce qui est à la base de nos convictions communistes.
Les dégâts du capitalisme, ce n'est pas seulement ce que les travailleurs et les chômeurs subissent ici même, dans un pays qui passe pour être un des plus riches du monde. Les dégâts du capitalisme, ce sont les inégalités profondes entre pays et entre continents entiers. Les dégâts du capitalisme, c'est le sous-développement de la majorité des pays de cette planète. C'est la famine dans certains d'entre eux, ce sont les maladies -qu'on pourrait pourtant guérir.
Le capitalisme, c'est aussi des sociétés à la dérive, déchirées par des guerres de clans politiques ou ethniques, derrière lesquelles il y a le plus souvent les intérêts économiques de grands trusts.
Oui, les dégâts du capitalisme, ce sont aussi les guerres. Après les deux guerres mondiales du siècle passé, la paix n'est jamais complètement revenue. Il y a en permanence des affrontements armés sur un point ou un autre de la planète. Et même dans les pays qui ne sont pas touchés par des affrontements sur leur territoire, des sommes sans cesse croissantes sont dépensées en armements, en matériels militaires.
Et puis, comment oublier que, si la France ne connaît pas la guerre sur son territoire, elle n'a cessé d'en mener ailleurs dans le monde. De sales guerres coloniales à Madagascar, en Indochine ou en Algérie. Et depuis la fin des guerres coloniales, combien d'interventions militaires de l'armée française pour soutenir des dictatures pourries un peu partout en Afrique, de Djibouti au Gabon, en passant par le Tchad ? Comment oublier que des troupes françaises sont stationnées dans plusieurs pays africains et qu'elles ont assassiné en Côte-d'Ivoire et qu'elles interviendront peut-être, demain, au Togo ? Comment oublier que les Chirac et compagnie qui ont fait des simagrées à propos de la guerre contre l'Irak, sont en même temps les complices des Etats-Unis en Afghanistan ? Comment oublier que Poutine est accueilli en ami par Chirac malgré les massacres en Tchétchénie ?
Alors oui, le capitalisme, c'est tout cela. Cet ordre social injuste qui gâche les immenses possibilités de l'humanité de maîtriser sa vie sociale. Cet ordre social capitaliste représente le passé, et pas l'avenir. Il disparaîtra tôt ou tard, comme ont disparu dans le passé bien d'autres formes de sociétés basées sur l'exploitation et l'oppression. La question qui se pose n'est pas si un nouvel ordre social basé sur la propriété collective et soucieux de satisfaire les besoins de tous remplacera la société actuelle. La question, c'est quand cela se produira.
Plus vite la classe ouvrière sera capable de faire surgir de ses rangs des partis qui affirment clairement dans leur programme que leur objectif est l'émancipation des travailleurs et le renversement de l'ordre capitaliste, plus l'humanité s'épargnera des crises, des guerres, des souffrances. Eh bien, il faut tout faire pour que cela se produise au plus vite !
Il faut tout faire pour que la classe ouvrière retrouve cette confiance en elle-même qui la rendra capable de se défendre. Mais aussi pour qu'elle retrouve la conscience de sa capacité à mettre fin à l'exploitation et à fonder une société égalitaire et démocratique, une société véritablement communiste.
Amis et camarades,
Personne ne pouvait avoir la naïveté de croire que le succès de la journée du 10 mars suffirait pour faire céder le patronat et le gouvernement, mais cela a montré l'ampleur du mécontentement.
La journée du 10 mars doit avoir une suite. Un mois après, les directions syndicales n'en ont pas annoncé une. Le patronat et le gouvernement poursuivent méthodiquement leurs attaques contre les travailleurs. En face, aucune des confédérations ne propose un plan de mobilisation des travailleurs.
Sarkozy, le frère, qui est un des ténors du Medef a réaffirmé récemment "qu'il n'y aura pas dans le privé d'ouverture de négociations".
Ce n'est certainement pas que le patronat craigne de retrouver les chefs syndicaux autours d'un tapis vert. Mais le patronat ne veut rien de collectif, il veut une classe ouvrière atomisée, chaque usine, chaque bureau, chaque atelier, voire chaque travailleur individuel seul face à son patron.
Eh bien non, c'est seulement la force collective des travailleurs qui leur permet de résister au grand patronat et au gouvernement.
Le patronat et le gouvernement sont en train de niveler par le bas les salaires et les conditions de travail. Leur offensive est en train de faire disparaître dans la réalité les statuts particuliers, les conditions particulières de telle ou telle corporation. C'est la réalité elle-même qui nous réunit toutes et tous dans une seule et même condition ouvrière. C'est cette réalité qui nous apprend que c'est ensemble que nous avons la force de faire reculer le patronat et le gouvernement !
Alors, camarades et amis,
L'actualité fera que, pendant les semaines qui viennent, la scène politique sera occupée par les débats et les confrontations autour de la Constitution européenne.
Nous souhaitons, bien sûr, la victoire du "non" pour que la Constitution européenne réactionnaire qu'on voudrait faire cautionner par l'électorat soit rejetée. Mais une victoire du "non" ne changera rien à l'Union européenne telle qu'elle est, qui continuera à fonctionner en s'appuyant sur les traités antérieurs. A infiniment plus forte raison, le résultat du référendum ne changera rien à l'organisation économique et sociale, au capitalisme, à la course au profit, à la concurrence, qui sont les causes des crises, du chômage et de la pauvreté.
Le "non" au référendum n'empêchera pas un seul patron de licencier ou de délocaliser. Il n'obligera aucun patron à payer des salaires corrects.
Certains disent que l'Europe est responsable de beaucoup de maux. Nous disons que les attaques contre les salaires, contre les retraites, contre les horaires de travail, cela n'est pas le fait de l'Europe. C'est le fait du grand patronat et du gouvernement qui le soutient, quelle que soit sa couleur politique.
Alors, c'est contre ces véritables ennemis que les travailleurs auront à lutter, et pas contre Bruxelles ou quelque bouc-émissaire que ce soit.
Ce que nous avons contre nous, ce n'est pas un projet constitutionnel, un texte dont on peut toujours changer le contenu, mais c'est une classe sociale, la bourgeoisie, le grand patronat. Une classe sociale en chair et en os, qui est forte du pouvoir que lui confèrent ses capitaux, sa mainmise sur l'économie mais qui est aussi vulnérable si elle voit se dresser contre elle toute la classe des travailleurs dans un mouvement de grèves et de manifestations allant en se généralisant. Pour la faire reculer, il faut lui donner de bonnes raisons de craindre de tout perdre en ne voulant rien lâcher !
Alors, il faut voter "non" mais il faut surtout continuer à oeuvrer pour que les travailleurs retrouvent confiance en leur force, dans la force que leur donnent leur nombre et leur place irremplaçable dans la production.
Il faut oeuvrer pour que tous les travailleurs, quels que soient leurs secteurs, leurs professions, leurs corporations, se retrouvent autour d'objectifs qui découlent de leurs intérêts communs.
Les patrons eux-mêmes se vantent d'avoir de l'argent. Il faut les contraindre à ce qu'au moins une partie de cet argent serve à augmenter tous les salaires, à transformer les emplois précaires en emplois stables correctement payés, à arrêter les licenciements collectifs et à donner un emploi à tous en répartissant le travail.
Imposer ces objectifs au grand patronat est le seul moyen d'arrêter l'appauvrissement du monde du travail. C'est moralement et humainement légitime, c'est nécessaire, et j'ai aussi la conviction que c'est possible !

(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 12 avril 2005)