Texte intégral
Messieurs les professeurs,
Mesdames, Messieurs,
Ma présence ce matin à vos côtés dépasse le simple cadre de mes responsabilités ministérielles Elle se veut un témoignage de respect et d'amitié pour le Professeur Pierre Potier que j'ai plaisir à retrouver.
Ces " retrouvailles " ne sont pas sans me rappeler quelques souvenirs... Voilà 10 ans, en effet, je me rendais à l'Institut de chimie des substances naturelles que vous présidiez. Cette visite se voulait un témoignage d'estime pour une oeuvre. Je souhaite le renouveler aujourd'hui et tirer avec vous quelques leçons d'un parcours que vous poursuivez de façon exemplaire, bien au-delà des limites convenues.
Dès le commencement de vos études pharmaceutiques, votre goût et vos aptitudes pour la recherche biomédicale se révèlent... D'emblée vous en percevez toute la dimension et comprenez l'importance de la recherche fondamentale, tournée vers l'élaboration de connaissances nouvelles. Mais, pour vous, cette quête de la connaissance a une finalité : son utilisation au bénéfice de l'homme... de l'homme souffrant !
Ainsi, durant toute votre carrière, saurez-vous marier avec aisance et succès, recherche fondamentale et recherche appliquée, l'une et l'autre étant indispensables à une recherche biomédicale performante.
On vous doit de véritables découvertes qui témoignent toutes de votre capacité à comprendre et à innover. C'est la Navelbine en 1989 ; c'est le Taxotère en 1996... Deux médicaments de première importance, mondialement connus et utilisés, pour le plus grand bénéfice des malades atteints du cancer.
Au-delà du contexte de ces découvertes et de leurs concepts biologiques, je souhaiterais m'attarder quelques instants sur votre démarche scientifique, à ses conséquences et aux leçons qu'il convient d'en tirer.
Avec clairvoyance, vous avez su constituer une équipe performante aux compétences spécifiques et venant d'horizons différents... De l'université et des organismes publics de recherche, certes, mais aussi du secteur privé de la recherche...
Car vous êtes convaincu que l'excellence académique et la valorisation de la science ne sont pas antinomiques. Au contraire, il y a un véritable continuum entre la recherche faite dans les établissements et les organismes et l'exploitation de celle-ci faite par les entreprises. Ce n'est pas une opinion. C'est une réalité d'expérience... Fort de celle-ci, vous avez tissé, notamment avec l'industrie pharmaceutique, des partenariats efficaces qui ont permis de valoriser vos travaux et de leur donner l'essor qu'ils méritaient.
Cette approche portera des fruits thérapeutiques... Des centaines de milliers de malades bénéficient ainsi de traitements remarquablement efficaces dans un domaine où les attentes sont grandes.
De nature profondément différente, mais de portée pas moins essentielle, votre démarche emporte également des conséquences économiques... Au-delà des bénéfices pour les firmes impliquées, votre équipe tire aujourd'hui encore, du produit des brevets de vos travaux, une part significative des ressources qui financent leurs travaux.
De vos travaux, Monsieur le Professeur, nombre de leçons peuvent être tirées... J'en citerai quelques-unes.
Sur la valeur du projet de recherche : véritable clé de voûte de la démarche scientifique, c'est le projet qui assigne un but à l'équipe, qui la fédère et qui rassemble les énergies. Il permet de transcender bien des barrières, qu'elles soient institutionnelles ou de nationalité.
C'est ensuite le continuum qui existe entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée, et j'ajouterai la phase de développement et d'industrialisation... Car sans elle, il n'y a pas d'application possible pour le malade !
Or, trop souvent, les chercheurs -tels que vous- sont confrontés à ce stade à la prudence des industriels... Ceux-ci doivent s'engager davantage auprès des acteurs de la recherche. Pour ce faire, l'implantation d'incubateurs au sein même ou à proximité des lieux où se développe la recherche doit être encouragée et des mécanismes d'incitation au capital-risque développé.
La valorisation qui résulte de ces relations entre recherche et industrie contribue à l'évidence au développement de notre tissu industriel et aux retombées de toute nature que l'on peut en attendre. L'attrait de nos laboratoires pour les scientifiques étrangers s'en trouve accru. Elle est de nature à inciter à l'installation dans notre pays de centres de recherche étrangers.
Monsieur le Professeur, vos travaux montrent le chemin à suivre... Un chemin que j'emprunte dans l'élaboration du projet de loi d'orientation et de programmation pour la recherche.
Un constat doit être posé : les moyens consacrés à la recherche dans notre pays ont été insuffisants, quels que soient les époques et les Gouvernements... Même s'il faut reconnaître que les mesures, que j'ai prises il y a tout juste 10 ans n'ont pas connu le développement dans les années qui suivirent !
Décidé à mobiliser des moyens de nature à permettre à la recherche française de combler le retard pris, le Gouvernement a fait, avec le monde de la recherche, l'analyse des difficultés structurelles et organisationnelles qui affectent sa performance. Ce constat et ces analyses permettent de dessiner une politique. Sans attendre qu'elle s'inscrive dans la loi et répondant à la mission que me confiait le président de la République, il y a tout juste un an, j'ai pris des dispositions pour mobiliser sans délai des moyens.
Ainsi l'effort de création de postes de toutes catégories et de tous grades a-t-il pu bénéficier aux universités et aux organismes dès cette année 2005. Cet effort sera poursuivi et amplifié en 2006. Ce sont 3000 nouveaux postes qui seront créés l'année prochaine. Cette dynamique sera prolongée...
Le financement de la recherche connaît, lui aussi, une très importante progression : un milliard d'euros supplémentaires lui est affecté dès cette année. Cet effort sera lui aussi poursuivi sur un rythme annuel pour atteindre 6 milliards d'euros au total et tendre à consacrer 3% du PIB à notre effort de recherche.
Dès à présent, les outils de financement de projets sont en place avec la récente installation de l'Agence nationale pour la recherche. Doté de moyens importants, 30% de ses ressources seront consacrés au financement de projets blancs, c'est-à-dire sans finalité affichée. La recherche fondamentale pourra naturellement en bénéficier.
Ce choix du financement sur projet, à côté du financement contractuel traditionnel en France, est privilégié par les instances européennes de la recherche et par nos partenaires européens. Il favorise en cela les collaborations internationales, et, en particulier, européennes...
Cette dimension européenne doit être constamment présente Notre réflexion ne saurait dons se concevoir en dehors de cet horizon européen. Nous devons constamment garder présent à l'esprit cet arrière-plan européen. C'est dire combien une loi sur la recherche purement hexagonale, fût-elle d'orientation et de programmation, n'aurait guère de sens !
Il convient dès lors, aussi bien en ce qui concerne la participation de nos établissements d'enseignement supérieur et de recherche aux programmes européens, les priorités que la nation se donne en termes de champs thématiques de recherche ou encore la politique des grands équipements, que nous travaillions en ayant toujours à l'esprit cet arrière-plan européen.
Parallèlement, l'Europe des 25 doit disposer, en matière de recherche plus encore que dans d'autres domaines, des moyens efficaces pour son organisation, faute de quoi elle ne se trouvera pas en mesure d'atteindre les objectifs qu'elle s'est fixés.
À l'importance des moyens mobilisés, Mesdames et Messieurs, doit répondre une rigueur accrue de leur affectation et de leur utilisation. C'est une exigence morale, envers nos concitoyens notamment, qui contribuent par l'impôt au financement de la recherche.
L'évaluation d'une part, et une nouvelle organisation de notre appareil de recherche d'autre part, permettront d'atteindre cet objectif. L'une et l'autre s'inscriront dans la loi d'orientation.
L'évaluation rigoureuse des structures et des équipes est une nécessité. Alors qu'en France le secteur de la recherche est sans doute l'un des plus constamment évalués, notre système d'évaluation manque de lisibilité et de transparence.
Dès lors, i l nous faut rénover, sinon inventer, les principes et les modalités de fonctionnement d'une évaluation moderne, efficace, objective et indépendante. L'auto-évaluation est nécessaire ; elle n'est nullement suffisante.
Les comités ou commissions d'évaluation doivent associer des membres aux compétences reconnues, issus des diverses institutions qui contribuent à la recherche. Élus et nommés doivent s'y trouver dans des proportions équivalentes. La participation d'étrangers, et d'Européens en particulier, est de nature à améliorer la qualité et la pertinence du travail accompli.
La méthodologie même de l'évaluation doit faire l'objet d'une véritable accréditation, élaborée en toute transparence par un organisme ad hoc dont la vocation est d'assurer la rigueur, l'objectivité, l'équité et la reproductibilité de l'exercice.
L'évaluation des personnes peut ne pas relever des mêmes commissions. Pour autant ses règles doivent-elles, aussi, répondre à des exigences de rigueur et de transparence.
Pour assurer un fonctionnement efficace de notre recherche une réorganisation structurelle est également indispensable.
L'université, les organismes et les écoles apportent une contribution à la recherche ; ces institutions doivent disposer des moyens de travailler ensemble. Je m'attacherai à ce que cette possibilité leur soit non seulement offerte mais qu'elle devienne la règle plutôt que l'exception.
Je m'attacherai aussi à ce que les dispositions mises en place permettent la coopération de tous les acteurs concernés, à quelque secteur d'activité qu'ils appartiennent. Souplesse de gestion, plasticité de l'organisation, allégement des contraintes administratives, constituent pour moi les principes fondamentaux de cette nouvelle organisation.
Je sais que le poids des habitudes mais aussi celui des corporatismes institutionnels ne favorise guère cette évolution. À la suite de nombreuses consultations qui ont déjà eu lieu, je m'emploie actuellement à favoriser les rapprochements et le dialogue inter-institutionnel.
J'ai, en réalité, bon espoir que les prochaines semaines voient se dessiner les convergences de vues sans lesquelles le projet de loi qui devrait être présenté au Parlement avant l'été serait vide de sens. Chacun comprend l'ardente obligation de donner à notre recherche les moyens de sa performance dans un monde où la compétition est farouche. C'est une responsabilité partagée. Soyez convaincus de ma détermination à en assumer ma part.
Mesdames, Messieurs,
Un projet pour la recherche, c'est un projet de société.
À l'heure où nous entrons véritablement dans la société du savoir ; à un moment où de profondes transformations annoncent une économie toujours plus imbriquée de l'ensemble de nos pays développés : nous devons avoir l'ambition de contribuer à bâtir le socle d'un nouveau pacte entre la recherche et la Nation, entre les chercheurs et la société.
L'ambition n'est pas mince. Mais elle est vitale si nous voulons continuer à faire de notre recherche le fer de lance de l'ambition française.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 27 avril 2005)