Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie à "Europe 1" le 25 avril 2005, sur les prévisions d'importations massives de textile de Chine et les moyens pour les contenir et sur les intentions de vote pour le référendum sur la Constitution européenne.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

Q- Vous avez annoncé dans le JDD que 7.000 emplois au moins seront perdus dans le textile en 2005. Est-ce que la vérité n'est pas pire que ça ?
R- Elle peut l'être évidemment, si nous ne réagissons pas assez vite bien sûr. Mais le Gouvernement français est décidé, déterminé à défendre son industrie, on ne se laissera pas faire.
Q- On va voir comment. La Commission de Bruxelles a du retard, on le voit, elle hésite, mais elle a proposé une enquête de plusieurs semaines, je crois que c'est de deux mois. Et J.-B. Cadier parlait tout à l'heure, à 7h00, de "chiffres effarants". Est-ce que cette enquête est, selon, utile ?
R- Elle est utile mais elle n'est pas indispensable. Nous avons d'ores et déjà des chiffres tout à fait alarmants, avec parfois plus de 500 % d'augmentation. Donc l'OMC prévoit deux procédures : une procédure qui est celle des "négociations informelles" - ce n'est pas inutile parce que la Chine est un pays raisonnable et la négociation informelle a son utilité -, et puis une autre phase, qui est la "négociation formelle".
Q- Est-ce que vous demandez ce matin que la Commission de Bruxelles réagisse et agisse plus vite ?
R- Oui, nous n'avons cessé de le demander. F. Loos, avec lequel j'agis en parfaite coordination, a demandé hier soir que nous nous dispensions de la procédure ou en tous les cas que nous la réduisions au strict minimum, car on n'est pas obligé de passer deux mois sur les négociations...
Q- La France n'est pas seule, sur les vingt-cinq pays, il y a douze pays avec elle... Et les douze autres, que font-ils ?
R- Les douze autres se désintéressent du sujet, parce qu'ils n'ont pas de textile tout simplement.
Q- Est-ce que c'est la Commission qui peut intervenir et prendre elle-même déjà des mesures de sauvegarde ou faut-il passer par l'OMC ?
R- Non, c'est la Commission elle-même qui, dans le cadre des négociations formelles - si les négociations informelles n'ont pas abouti à de l'autolimitation - peut prendre des mesures provisoires de sauvegarde et sous le contrôle de l'OMC.
Q- Mais la France avait déjà parlé de sanctions, et Bruxelles ne voit rien venir. A quoi cela tient-il ? La peur de la Chine ?
R- Non, cela tient au mode de fonctionnement de la Commission de Bruxelles, qui est un mode de fonctionnement très bureaucratique. Il est urgent que les politiques prennent le pouvoir. Et je me permets de dire que c'est précisément l'objet de la réforme constitutionnelle : c'est de sortir de la bureaucratie pour arriver à un système de décision beaucoup plus rapide.
Q- C'est normal que vous en profitiez pour le dire
R- ... Mais c'est une réalité !
Q- ... Comme du côté des "non", on se marre de voir les difficultés liées au textile...
R- Ils ont tort de se réjouir des malheurs de la France, et ça ne va pas leur porter bonheur, parce qu'en plus, c'est seulement avec l'Union européenne qu'on peut arriver à être entendu sur la scène internationale, ce n'est pas la France toute seule. On le voit d'ailleurs pour les autres pays, qui sont frappés de plein fouet aussi, tous les pays du Sud...
Q- Du Maghreb...
R- Du Maghreb : par exemple, l'industrie tunisienne repose à 50 % sur le textile, ils sont en train de souffrir...
Q- Le Maroc aussi...
R- Le Maroc aussi, l'Algérie aussi, ils sont en train de souffrir énormément de cette situation, parce que dans le même temps, quand nous importons massivement des produits chinois, nous allons cesser d'importer - à cause de la concurrence - les produits des pays du Sud. Et ce sont eux qui vont être les plus atteints.
Q- La Commission peut-elle prendre déjà, elle-même, des mesures de sauvegarde ?
R- Elle peut passer au stade de la négociation formelle, et dans ce cadre-là, effectivement prendre des mesures de sauvegarde.
Q- Dans quel délai ?
R- Dès qu'elle passe au stade de la négociation formelle...
Q- Mais qu'est-ce que ça veut dire "qu'elle passe au stade" ?! Est-ce qu'on ne peut pas y entrer ?
R- Elle peut le faire dans les quinze jours, pour être concret.
Q- A ce moment-là, quelles sont les mesures de sauvegarde ? Cela veut-il dire bloquer les importations ?
R- Ce sont des mesures de rationnement des importations sur les produits considérés, il y a neuf produits qui ont été répertoriés comme ayant donné lieu à des chiffres tout à fait excessifs. Sur ces neuf produits-là, on peut rationner les importations progressivement et pour une durée limitée.
Q- J.-P. Raffarin en Chine comptait sur la Chine pour s'autoréguler ou s'autolimiter.
R- Oui, il a raison, parce que c'est le premier stade, celui des négociations informelles, c'est déjà intervenu d'ailleurs au mois d'octobre. La Chine a pris huit mesures pour s'autolimiter, mais on peut penser que si elle ne les avait pas prises, alors qu'est-ce que ce serait.
Q- D'accord, mais elle a pris et ça n'a pas empêché non plus.
R- Absolument, donc il faut d'autres choses plus rigoureuses.
Q- Les mesures de sauvegarde sont-elles permanentes ou sont-elles sont valables pendant une durée ?
R- Elles sont valables pendant une année. Et bien entendu, il faut mettre cette année à profit pour trouver des solutions de fond.
Q- Oui, lesquelles ?
R- Les solutions de fond, ce sont des mesures défensives. Mais les solutions de fond, la France n'a cessé d'ailleurs de les réclamer, par le "groupe de haut niveau"... Nous avons réussi à obtenir de la Commission de Bruxelles la constitution d'un groupe de haut niveau pour déterminer une politique industrielle en matière de textile. Et donc premièrement, nous voulons constituer, et il y a urgence, la zone "Euro med", c'est-à-dire une zone qui réunit les vingt-cinq pays de l'Union européenne et les vingt pays du pourtour méditerranéen, pour constituer une vraie zone de libre échange textile. Et nous sommes tous d'accord pour faire ça...
Q- J'ai lu qu'en 2003, le textile exporté de Chine représentait 17 %. Et dans trois ans ?
R- Dans 3 ans, c'est-à-dire en 2008, Monsieur Mandelson dit lui-même que l'on devrait atteindre 50 % de parts de marché.
Q- Donc vous voyez l'urgence...
R- Mais bien sûr qu'il y a urgence...
Q- D'autant plus que la Chine a une main-d'uvre jeune, Hyper abondante, des droits sociaux minimes, surtout employée par des entreprises d'Etat ?
R- Voilà, surtout c'est une économie d'Etat. Et donc il est très difficile de savoir de quel soutien d'Etat les entreprises chinoises du textile bénéficient. Et c'est le fond du problème. Nous ne sommes pas contre la concurrence. Mais la concurrence doit être loyale et transparente.
Q- Là, vous voulez dire qu'elle est faussée : d'un côté l'Etat qui peut accepter que ses entreprises vendent à pertes, et de l'autre côté la liberté ? Il y a des tricheurs ?
R- Je n'emploierai pas le mot... C'est un autre système économique que le nôtre. On le sait, le système mixte de la Chine est différent du système des pays libéraux, et donc les entreprises vivent sur un autre équilibre que les nôtres.
Q- C'est important qu'on s'attarde sur ce sujet, parce qu'on voit la dimension. Le commerce étant libre, on n'y peut rien, mais les distributeurs français, les grandes surfaces en profitent ?
R- Ce sont les grandes surfaces qui, en général, achètent le plus de produits chinois, parce que ce sont les moins chers, et donc leur objectif est effectivement de faire baisser les prix.
Q- 7.000 emplois perdus, avez-vous dit, en 2005 ?
R- Par an.
Q- Cela veut dire ?
R- Par an, cela veut dire que cela continue après. C'est pour cela d'ailleurs que j'ai demandé à Peter Mandelson, qui était très ouvert à cette question, d'abord que l'Union européenne constitue un fonds de reconversion pour les industries qu'on ne réussira pas à sauver...
Q- C'est-à-dire que le Gouvernement français aide les entreprises qui perdent pied ?
R- L'Union européenne finance elle-même les entreprises européennes, pas seulement françaises - nous ne sommes pas les seuls, nous sommes le troisième pays textile de l'Union européenne -, qui sont dépassés. Sur les chaussettes, par exemple, c'est très difficile de faire de la création...
Q- Mais il y a peut-être des secteurs du textile plus innovants où la France... Je ne sais pas, la mode par exemple...
R- Bien entendu, la France est leader dans le domaine des textiles innovants : 20 % de ce que nous produisons, ce sont des textiles innovants. Par exemple, des tissus médicaux, des tissus ignifugés, toute une série comme de tissus qui requièrent une haute technologie...
Q- Je ne veux pas vous choquer, mais est-ce que les Etats-Unis n'ont pas riposté plus vite que la Commission et l'Europe ?
R- Ils ont essayé mais n'ont pas réussi : contrairement à une légende, les Etats-Unis ont pris des mesures de leur propre chef de sauvegarde, mais elles ont été annulées par les tribunaux, donc ils en sont exactement au même stade que nous. Et c'est aussi grave pour eux que pour nous.
Q- Est-ce que ce matin, vous dites que "la guerre du textile aura lieu" ?
R- Ce n'est pas la "guerre", mais c'est une situation préoccupante. La Chine est un grand pays, dont l'économie connaît une croissance extraordinaire naturellement, et les frontières sont maintenant pratiquement abolies dans le domaine du textile. Cela a des effets avec lesquels il faut avoir une gestion.
Q- Mais la guerre commerciale a lieu, la concurrence ou la guerre...
R- Je n'emploierai pas ce vocabulaire, mais la concurrence est très vive, mais ce qu'il faut c'est qu'elle soit loyale, et c'est ça le fond du problème.
Q- Vous allez entendre, quand vous irez en Chine dans trois semaines, comme Monsieur Raffarin, le chantage aux représailles : la Chine dit "nous vous achetons de l'électricité, des trains, des Airbus"...
R- C'est vrai, mais la balance commerciale entre la France et la Chine, l'année dernière, n'était couverte qu'à 35 % au détriment de la France.
Q- Donc on voit l'ampleur du problème, du mal. Et en même temps les mesures que la France exige et que la Commission va peut-être, peut-être...
R- Non, elle va le faire, mais le problème est qu'elle le fasse vite.
Q- Vous êtes un des ministres à Bercy. Les contribuables qui ont préféré Internet pour leur déclaration d'impôts ont paraît-il quelques difficultés...
R- Ils n'en ont plus...
Q- Comment ça, "ils n'en ont plus" ?
R- Parce que maintenant, ça fonctionne très bien, il n'y a plus aucune difficulté. On a été un peu dépassé par le succès. Maintenant le système fonctionne très bien, et je recommande à ceux qui s'étaient découragés de recommencer, et ils verront que ça marche.
Q- Sans utiliser les formulaires papier pour leur déclaration ? Ou peuvent-ils faire les deux ?
R- Non, il faut déclarer par Internet. Maintenant, si l'on a une impossibilité technique, on peut faire une lettre pour l'expliquer, mais il n'y a pas d'impossibilité technique...
Q-R- Donc vous dites que par Internet, cela fonctionne ? Ca marche...
Q- Cela a eu tellement de succès qu'il y a eu des blocages, et maintenant c'est redevenu fluide, c'est ça ?
R- Voilà, d'abord parce qu'on a rallongé les délais, et puis parce qu'on a pris les dispositions techniques pour que ça fonctionne.
Q- Le lendemain de la coupe d'Europe de football, qui aura lieu à Istanbul, et trois jours avant le référendum du mois de mai, P. de Villiers dénonce le fait que l'UMP, avec le PPE, le parti centriste de droite européen, va discuter, à Ankara, avec le parti du Premier ministre turc Erdogan. Est-ce que c'est vrai et est-ce que c'est pensable qu'on aille, l'UMP et N. Sarkozy, à Ankara ou à Istanbul, trois jours avant le référendum ?
R- Premièrement, N. Sarkozy ne va pas à Ankara. Deuxièmement, l'UMP n'y est pas en tant que tel, parce que c'est le PPE. Et de toute façon, N. Sarkozy souhaite qu'on n'y soit pas représenté.
Q- J'ai dit tout à l'heure que les partisans du "non" se frottent lesmains. Est-ce que tout ce que l'on a dit sur le textile, que l'on pourrait dire peut-être sur l'énergie mais vous en parlerez une autre fois, n'est pas bon pour les "oui" à la Constitution ?
R- D'abord, même ce qu'on dit sur le textile, on voit bien que c'est seulement avec l'Europe que l'on peut répondre, parce que la France toute seule, isolée dans le monde n'a aucune chance. Que deuxièmement, on a besoin de cette réforme de la Constitution pour avoir une meilleure gouvernance, une réplique plus efficace et une France plus puissante. Nous avons 9 % des droits de vote, nous aurons 13,2 %...
Q- D'accord, d'accord, mais le "non" est en train de gagner !
R- Non, le "non" n'est pas en train de gagner, parce qu'on ne s'adresse jamais en vain à la raison des Français. Et ils voient bien que la réforme de la Constitution va rendre la France plus forte, plus puissante au sein de l'Union européenne. Et moi, je suis certain qu'à l'arrivée, les Français feront prédominer la raison sur la passion.
Q- Le "oui" ?
R- Naturellement, la raison c'est le "oui" !
Q- Et pourquoi touchez-vous du bois en le disant ?!
R- Parce que je pense qu'il faudrait que ça vienne un peu plus vite, pour que les gens se mobilisent.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 avril 2005)