Interviews de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO à LCI le 7 janvier 2004, RTL le 20 et France 2 le 29, sur la loi sur l'emploi, la situation sociale et le 20 ème congrès de FO ainsi que la succession de Marc Blondel.

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - France 2 - La Chaîne Info - RTL - Télévision

Texte intégral

LCI - Le 7 janvier 2004
A. Hausser-. Avant de parler de la loi pour l'emploi ou des lois pour l'emploi, je voudrais que vous me disiez ce que vous pensez des soldes et des horaires bousculés. Vous trouvez cela normal ?
- "Il y a deux choses. Les soldes d'abord : je trouve très curieux que l'on puisse baisser les prix à ce point-là. Cela veut dire tout simplement que vous vous rendez compte de la valeur des choses, comment c'est fixé, etc. ?
Et des marges qui sont prises...
- "Et des marges ! C'est un système de vente comme les autres. Avant, les soldes, c'était pour se débarrasser - c'était les rossignols -, maintenant, c'est le contraire : c'est un système de vente. C'est très curieux, il y a un retournement. Deuxièmement, c'est clair : pendant de nombreuses années, j'ai été permanent des employés et je me suis toujours battu contre l'ouverture le dimanche, comme les ouvertures tardives, en partant d'un principe..."
Vous n'avez pas gagné.
- "Oh, quand même ! Ils voulaient ouvrir le dimanche partout et ce n'est quand même pas tout à fait le cas... En partant du principe que c'est le pouvoir d'achat des gens qui fait un magasin. Un magasin qui ouvrirait beaucoup plus que les autres vivrait au détriment des autres. Donc, ce qui compte, c'est le pouvoir d'achat des gens et ils peuvent acheter s'ils ont les moyens d'acheter et ils s'achèteront quand ce sera ouvert, il ne faut pas se faire d'illusion. Après, il y a un côté mode absolument extraordinaire, un effet - y compris dans ma famille -, parce que tout le monde parle des soldes."
Vous mettez un point d'honneur à ne pas les faire ?
- "Pas spécifiquement. Je suis ainsi fait que quand j'ai besoin de quelque chose, je vais dans la magasin. Je ne suis pas fana d'une période où on va acheter. J'aurais même tendance, en vieillissant, compte tenu des difficultés que l'on a pour survivre à dire "Attention, il faut la poire pour demain, il ne faut pas trop dépenser aujourd'hui". Je vais rentrer dans l'épargne, vous vous rendez compte !"
Très bien. Ca, c'est parce que vous évoquez votre départ ; vous quittez la tête de FO le mois prochain, mais on va y revenir. J. Chirac parle de l'emploi depuis les voeux. On savait qu'il y avait une loi dans les tuyaux mais là, c'est le leitmotiv des voeux, c'est le fil conducteur de l'action gouvernementale. Hier, il a un peu donné les détails. Pour vous, ce sont les étrennes au Medef, comme certains le disent, ou, au contraire, est-ce qu'on se penche vraiment sur le problème des salariés ?
- "Il y a deux choses : une certaine partie fait mon mécontentement et une certaine partie fait ma satisfaction. Le mécontentement, c'est un peu comme tout le monde : je me dis que c'est curieux, que le président de la République se met à mettre l'emploi prioritaire, à l'ordre du jour. On a du chômage récurrent depuis 1975, depuis le 1er choc pétrolier - il y a toute une série de Gouvernements qui ont abandonné - ; heureusement qu'il le dit. Donc, cela, c'est un peu critique. Deuxième considération : bravo, parce que cela veut dire maintenant que l'on ne compte plus exclusivement sur le marché pour résoudre le problème du chômage ; là, il est gaullien. Le Gouvernement dit, ou plus exactement, le président de la République dit qu'il faut que l'Etat interfère pour modifier les choses, parce qu'il faut retrouver du boulot. Troisièmement considération - c'est au moins ce qu'il avait dit dans les voeux, il ne l'a pas dit hier mais dans les voeux - il avait dit qu'il fallait remettre les gens au travail. Alors là, attention ! Laissez supposer que les chômeurs étaient des chômeurs volontaires, cela me met hors de moi, parce que je pense qu'à Metaleurop, à Testu, Pechiney, etc., les plans sociaux..."
Cela veut dire inciter les chômeurs à accepter des emplois pour lesquels ils ne sont pas forcément qualifiés.
- "Il a été plus nuancé hier. Hier, il a dit "il faut que le salaire reste, en quelque sorte, un objectif et qu'il soit entraînant par rapport à la situation des chômeurs. Ca, je crois que c'est vrai, il n'y a aucune raison, lorsque l'on est au chômage - encore que... C'est toujours pareil : la vie a ceci de particulier. J'ai signé avec monsieur Chirac, il y a de très nombreuses années, lorsqu'il était dans le Gouvernement de monsieur V. Giscard d'Estaing, les licenciements économiques à 90 %. Je ne sais si vous vous souvenez de cela."
Si, si...
- "On disait "licenciement économique à 90 %, et moi, je me souviens avoir dit - c'était au moment où on désarmait le paquebot France - que le mieux serait quand même de faire du préventif plutôt que du curatif, aussi excellent soit-il. C'est d'ailleurs la première fois qu'on a eu d'ailleurs des ruptures."
C'est aussi l'époque où on a créé l'ANPE.
- "Voilà. Donc, a ce moment-là, il y a eu une petite rupture, enfin, disons un petit échange avec monsieur Chirac, qui, à l'époque, était secrétaire d'Etat à l'Emploi. Il faut donc bien comprendre ce genre de choses. Ceci étant, maintenant, je crois qu'il faut regarder les choses. Nous allons discuter avec monsieur Fillon, [parce que] c'est [avec] lui. Il ne va pas y avoir de grands-messes à Matignon m'a-t-on dit. On va discuter avec monsieur Fillon, mais cela ne sera pas suffisant. Il ne s'agit pas de discuter tout simplement, de simplifier le code du travail, ce qui sera quasiment impossible."
On prépare une législation du travail au rabais, comme le laisse entendre J.-M. Ayrault, ce matin ?
- "Je crains que ce soit ce genre de choses, que l'on fasse pression sur les chômeurs pour les contraindre à accepter des emplois en dehors de leur qualification ou qui les déqualifieraient. Une espèce de volonté de pousser, y compris en mettant le travail et la fourniture de l'emploi sur le marché, où des gens gagneraient de l'argent avec ce genre de choses. Moi, ce que je veux dire, et le président de la République l'a repris hier : la désindustrialisation en France - j'insiste sur ce point ; je donne toujours les chiffres, ils sont identiques, mais je les répète - nous avions 3,2 millions de personnes qui travaillaient directement ou indirectement dans la métallurgie en 1990, et en l'an 2000, nous en avons 1,8 million. Cela veut dire que dans l'industrie, c'est-à-dire des emplois productifs, des emplois où on produit de la richesse..."
Ils ont quitté la France, parce que les industriels disent que le coût du travail est trop cher.
- "Les industriels vont nous le dire tous les jours ! Il suffit de savoir qu'au Maroc, un salarié sur deux n'est pas déclaré. Donc, avant que l'on soit concurrentiel avec le Maroc, il va falloir à notre tour que l'on ait pratiquement la moitié du salariat qui soit en informel ? Ce n'est pas possible ! Il y a un chantage permanent de la part des employeurs en la matière. Il y a longtemps que je le dis, que je raconte ici ou là, que l'argent n'a pas d'odeur et n'a pas de patrie et pour gagner des sous, ils sont prêts à s'installer n'importe où, pourvu que cela rapporte de l'argent. Ce n'est pas ça le problème ; le problème, c'est est-ce que nous faisons encore dans la machine-outil, est-ce que nous faisons encore dans les médicaments, par exemple."
Cette loi ne va pas le résoudre ce problème-là ; c'est un problème de politique industrielle.
- "C'est la raison pour laquelle je pense que je ne pourrais pas simplement discuter avec monsieur Fillon ; je veux discuter avec madame Fontaine, avec monsieur Mer. Je veux essayer de pousser, pour que, effectivement, le Plan se remette en action et on regarde quels sont les créneaux que l'on peut effectivement reprendre. J'avais lancé quelques idées avec l'histoire de la canicule, avec l'histoire de l'air conditionné, etc. Mais ce n'est pas cela qui va résoudre les problèmes mais ce serait quand même que l'on regarde les choses pour voir quels sont les créneaux industriels dans lesquels la France a reculé et sur lesquels nous pourrions revenir pour créer des emplois."
Quels sont-ils, d'après vous ?
- "Il y a quelques secondes, je faisais un sous-entendu avec l'air conditionné. Faut-il aller acheter le matériel de l'air conditionné fabriqué par les Américains en Corée ou faut-il que nous mettions, nous, debout, quelques entreprises qui fabriqueraient ce genre de choses ? Et on dirait : "Blondel, si vous installez l'air conditionné chez votre mère, l'année prochaine, on vous met 1 % d'impôt en moins", ou je ne sais quoi. Une mesure incitative pour essayer, justement, de recréer des secteurs industriels."
Vous n'aurez pas le temps de faire tout cela, puisque vous allez quitter la tête de FO, le mois prochain.
- "Ce n'est pas parce que je vais quitter la tête de FO que je vais me désintéresser des choses et que je ne militerai pas. Je vais continuer à me battre pour essayer de faire que ceux auxquels j'appartiens ait une situation à peu près convenable et puissent vivre tranquillement."
Cela vous ennuie de partir à ce moment ?
- "Oui, d'une certaine façon. Pendant quelques années - j'ai transformé, je crois, d'une certaine façon, l'expression de FO pour cela -, nous avons été obligés de faire de l'autodéfense. On remettait en cause la situation des salariés. Peut-être y a-t-il une opportunité de la redynamiser et de revenir et de reconquérir certaines choses. C'est peut-être le moment, nous sommes à la veille d'élections. J'aurais peut-être voulu, mais que voulez-vous, c'est comme cela : j'ai annoncé que je partirai et je partirai et mon successeur fera le travail."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 janvier 2004)
RTL - Le 20 janvier 2004
J.-M. Aphatie-. Bonjour M. Blondel.
- " Bonjour. "
Des arrêts de travail se produiront aujourd'hui à EDF. Demain ce sera jour de grève à la SNCF, et puis jour de grève encore jeudi dans les hôpitaux. De quoi s'agit-il selon vous M. Blondel, d'un mouvement passager de mauvaise humeur, ou bien du début d'un véritable conflit social, entre les salariés du secteur public et le Gouvernement ?
- " Un avertissement. Un avertissement sérieux. Un avertissement pour les problèmes de salaires d'abord, un avertissement ensuite pour les problèmes d'effectifs. Un avertissement aussi pour cette menace permanente que représente la volonté de mettre un service minimum, c'est-à-dire de remettre en cause le droit de grève, dans les administrations d'une part, et d'autre part dans le secteur public. "
Ce n'est pas très grave un avertissement.
- " C'est-à-dire que dans mon esprit, un avertissement c'est un peu pour rendre publiques les choses. Maintenant, les gens comprendront que Monsieur Gallois, président de la SNCF, a reçu les revendications des organisations syndicales. Que va-t-il en faire ? De manière à éviter de dire que c'est les syndicats qui veulent perturber, gêner les gens... C'est clair, il y a des revendications, elles sont déposées, elles sont claires. Il va y avoir des suppressions d'emplois, ce qui veut donc dire que ça a des conséquences sur notre société. Et d'une certaine façon, la grève en quelque sorte a deux dimensions : la première, la revendication propre des agents, et deuxièmement ce que représentent ces entreprises dans le fonctionnement général de la société. "
Alors EDF aujourd'hui. EDF va changer de statut dans l'année et F. Roussely, qui était l'invité dimanche du Grand Jury RTL/Le Monde/LCI, a expliqué que ce changement de statut, que les syndicats refusent, est indispensable. Notre actionnaire, qui est l'Etat, n'a pas mis un centime depuis vingt-deux ans. Changer de statut c'est faire appel à des capitaux privés. EDF en a besoin.
Oui, par exemple Total, par exemple les Emirats arabes, c'est-à-dire ceux que nous concurrençons. Il est bien certain que si nous avons EDF, électricité et nucléaire en France, c'est pour l'indépendance énergétique du pays, on va faire appel à de l'argent qui viendra des pétroliers. Je trouve ça formidable. Pourquoi pas Enron aussi, actionnaire principal d'EDF, Enron entreprise américaine, qui a assoiffé la Californie en matière d'électricité... Je pense que c'est bien.
Mais quand vous entendez F. Roussely dire : pendant vingt-deux ans, l'Etat n'a pas mis un centime.
- " Eh bien ça prouve que la charge n'est pas aussi lourde que ça ! Ceux qui disent que maintenant EDF ne pourrait plus avoir avec son actionnaire unique, c'est-à-dire l'Etat, les moyens de se développer selon ses besoins, eh bien pendant vingt-deux ans, ça n'a pas été le cas, et a priori, EDF s'est bien tenue. On peut dire ce que l'on veut, EDF est la première entreprise industrielle de France, et ma fois elle rend le service pour lequel elle a été mise en place, à savoir distribuer l'électricité sur l'ensemble du territoire. Moi, à partir de ce moment-là, je tire mon chapeau, et on peut rester dans les formes de société que nous connaissons. "
Demain, c'est la SNCF.
- " Oui, vous noterez au passage comme ça, un petit peu, pour faire peur comme ça aux gens : à EDF, les camarades qui ont fait grève n'ont jamais coupé l'électricité. "
D'accord. Donc aujourd'hui non plus ils ne la couperont pas. En tout cas c'est ce qui est annoncé. La SNCF, là, les syndicats protestent parce qu'il n'y aura pas de revalorisations de salaires durant l'année. Et puis il y a des suppressions d'emplois. Et puis demain, des usagers mettront deux heures, trois heures pour aller à leur travail.
- " Oui, bien entendu, vous allez encore me refaire le coup des otages. Je vous en prie. "
"Je vais vous refaire le coup" ! ?
- " Pardonnez-moi, je suis presque en fin de carrière militante. "
On va en parler aussi.
- " Au moins en tant que secrétaire général, ne me refaites pas le coup des otages. C'est quand même autre chose, les otages. Vous savez quand on a un fusil sur la tête c'est autre chose que faire trois kilomètres à pied pour aller travailler. "
Que dites-vous aux gens qui vont passer plusieurs heures avant d'aller travailler?
- " Eh bien, je dis simplement qu'il y a un minimum de solidarité à avoir entre les uns et les autres quand on est des salariés. Et que le salarié du secteur privé est exploité comme le salarié du secteur public. Et que dans le secteur public c'est clair, là en ce moment, mes camarades défendent à la fois leur situation bien entendu, mais aussi le secteur public en tant que tel. On ne peut pas entendre les édiles, voire le président de la République, dire que l'Etat se désengage sans que ça ait des conséquences. On est en train de faire une mutation extraordinaire de la société française ! Je n'ai pas le temps ici pendant les quelques minutes, mais on est en train de faire une société à l'anglo-saxonne. Eh bien, je rappelle que la société anglo-saxonne, apprendre que les Etats-Unis, [c'est] tout simplement 255 millions d'habitants, 45 millions d'exclus. C'est un bon pourcentage. Je ne souhaite pas que ce soit le cas en France, même s'il y a des chômeurs, moi je souhaite qu'ils trouvent du travail ! "
Vous allez encourager ceux qui notamment au sein de la majorité, veulent faire voter rapidement une loi garantissant un service minimum dans les services publics.
- " Non, parce que je n'y crois pas ! "
Vous ne croyez pas à quoi ?
- " Parce qu'on ne prend pas le train comme on prend sa voiture le matin. C'est pas un coup de démarreur. Ca se prépare un train ! et que ça voudrait dire, deux heures - je dis deux, ça serait vraisemblablement trois si on voit les précédents - trois heures de service minimum ; il faudrait une heure avant, une heure après, ce qui veut dire que pratiquement il n'y aura pas de grève dans la journée. Le jour où on nous retire le droit de grève, c'est plus symbolique qu'autre chose, alors notre démocratie en aura pris un coup ! Le droit de grève doit exister. De là à l'utiliser tous les matins c'est autre chose. Mais le droit de grève doit exister dans notre pays. Je rappelle que la France a ratifié les conventions internationales du travail donnant le droit de grève. "
Force Ouvrière tiendra son congrès début février. Vous en êtes le secrétaire général depuis 1989. Vous allez passer le témoin à J.-C. Mailly, 50 ans, qui est l'unique candidat.
- " Attendez, laissez-le se faire élire d'abord ! "
Il est le seul candidat.
- " Oui, pour cause, mais pour l'instant il n'est pas le secrétaire général, je suis encore le calife. "
Oui, mais enfin début février, c'est lui qui le sera le calife. "C'est mon bras droit, mon ombre, mon copain", avez-vous dit de J.-C. Mailly.
- " Ah bon ! j'ai dit ça. J'avais déjà entendu que, paraît-il, j'avais dit que c'était mon fils. Ce qui n'est pas tout à fait faux. "
Alors votre fils, votre bras droit, votre ombre, votre copain.
- " Non, c'est un garçon qui a fait un travail très important en matière de sécurité sociale. Et quand j'ai lu ce travail, puisque c'était le fils d'un militant, j'ai souhaité le rencontrer, et c'est à ce moment-là que je l'ai pris comme assistant. "
Ca c'est début des années 80.
- " Il a été avec moi pendant de nombreuses années. Un jour, il m'a dit : je veux passer à l'acte plus politique que l'assistant. Je veux être candidat. Je n'étais pas chaud quand il a été candidat au bureau confédéral. Ca a été le cas, il a été très correctement élu et maintenant il est le seul candidat à ma succession. Il sera vraisemblablement le secrétaire général de la confédération, et il appliquera les décisions du congrès ! Comme moi. "
Quand on lit des papiers dans la presse, on dit de lui qu'il a été - alors c'est une formule bizarre - "proche du Parti des travailleurs" c'est le groupuscule trotskiste.
- " Tout ça... "
Excusez-moi. Trotskiste, dirigé par Pierre Lambert - L. Jospin en a été membre dans le temps. C'est vrai ? C'est pas vrai ?
- " Ah ben! dites donc, vous faites une belle bio, vous. Mais ceci étant... "
Vous le connaissez le passé politique de J.-C. Mailly ?
- " J.-C. Mailly n'est pas du tout trotskiste. Vous savez on l'a dit de Blondel aussi. Il arrive un moment où à partir du moment où vous dites " non ", et vous ne dites pas comme votre interlocuteur, il faut qu'il vous trouve des qualités, et l'une des qualités à la mode en ce moment, c'est de dire qu'on est trotskiste. Moi je ne suis pas trotskiste, et Mailly, à ma connaissance, n'est pas trotskiste.
Vous lui avez posé la question ?
- " Non mais c'est à lui qu'il faut poser la question. "
Mais vous, vous lui avez posée ?
- " Moi ? La question ? "
Vous lui avez posée à lui ?
- " Je n'ai pas eu à lui poser la question, je travaille tous les jours avec lui, je sais très bien son comportement, et je sais très bien les gens qu'il fréquente ! Et je vous dis, moi, qu'il ne fréquente pas... Enfin, je ne dis pas qu'il n'a jamais serré la main d'un trotskiste, mais ça vous est arrivé aussi Monsieur Aphatie... "
Sans doute, d'accord.
- " ... C'est pas la peine de vous laver les mains demain matin. Elles ne sont pas souillées pour autant. C'est clair. "
(Source :premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 janvier 2004)
France 2 - Le 29 janvier 2004
- F. Laborde-. Nous allons évidemment évoquer la loi de mobilisation pour l'emploi, puisque F. Fillon reçoit en ce moment tous les responsables syndicaux. Et nous allons aussi évoquer la carrière de M. Blondel, puisque vous devez quitter la tête de Force ouvrière sous peu. La loi de mobilisation pour l'emploi de F. Fillon, vous n'en pensiez plutôt pas du bien. Après avoir rencontré F. Fillon, cela va un peu mieux ou pas du tout ?
R- "Comment peut-on régler le problème de l'emploi par une loi ? Je connais deux points - la solution me fout la trouille - : c'est l'emploi obligatoire. Cela veut dire qu'on interdit le chômage, cela veut dire que, comme en Union soviétique, on était "hooligans". Nous vivons dans une démocratie, alors, je ne crois pas que cela soit l'objectif. Discussion avec M. Fillon : il nous ramène toute une série de solutions que nous connaissons bien, qui ne sont pas des solutions : il faut assouplir le code du travail, il faut faire le fameux contrat de Virville, le contrat de mission ou de projet etc."
Q- Pour les cadres...
R- "Non, ce n'est même pas ce que dit M. de Virville. Il parle des "emplois qualifiés". Quant à M. Seillière, il dit : "faites confiance aux entreprises". Quant à M. Roubaud, président de la CGPME, il dit : "pour tous les emplois". Alors, cela veut dire la fragilité, cela veut dire le labour day, cela veut dire très exactement ce qui se passe aux Etats-Unis quand, tous les ans, fin avril, on disait qu'on renouvelle ou non les contrats et que ceux que l'on ne veut plus, on les laisse sur le bord du trottoir. C'est comme cela que l'on a fait naître le 1er mai aux Etats-Unis. C'est clair : cela veut dire fragilisation, précarisation, embauche à la minute, licenciement à la minute etc. Donc nous avons dit à M. Fillon ce que nous en pensions. M. Fillon a été un petit peu désagréable, dans la limite où ils ont rappelé que lorsqu'on a révisé l'Unedic et qu'on a fait le Pare, il était justement inclus la notion du contrat de projet - ce que l'on peut regretter d'ailleurs. Ceci étant, peu importe, toutes les organisations syndicales estiment que c'est une mauvaise initiative, pratiquement que des petits trucs. Je continue à dire quelque chose de relativement simple : les patrons n'embauchent que s'ils ont besoin. Il faut donc regarder dans quels secteurs on peut faire renaître, notamment de l'industrie. Il y a un problème énorme de la machine-outil etc. La réindustrialisation de ce pays est une nécessité et il ne faut pas tout laisser aller - je vais être opportuniste ! - aux Chinois ! La cristallerie d'Arc va transférer l'activité de 3.000 emplois en Chine, c'est quand même terrible."
Q- F. Chérèque, qui était assis à cette même place hier, disait qu'effectivement, en termes de compétitivité, de coût du travail, on ne pourrait jamais arriver au niveau des Chinois. Et il proposait une grande journée d'action pour le 3 avril...
R- "La journée d'action de F. Chérèque est européenne ! On verra, je n'en sais rien..."
Q- Est-ce qu'il pourrait y avoir effectivement une association intersyndicale pour cette journée européenne ?
R- "Je suis à la veille d'un congrès confédéral. Je vais prendre les décisions avant le congrès confédéral, arriver au congrès confédéral et avertir les gens que le 3 avril, on va faire quelque chose ?! Chez nous, c'est la démocratie. Cela veut donc dire que ce sont mes camarades qui vont décider ce que nous allons faire. Je ne suis pas un général qui contraint les troupes à aller à la bagarre. Ce sont les troupes qui décident. Donc nous avons le congrès la semaine prochaine, il décidera la stratégie que nous allons faire avec les autres organisations, c'est aussi simple que cela."
Q- Lors de ce congrès, vous allez passer la main. Aujourd'hui, Force ouvrière, c'est quoi ? Pour la moitié, une zone d'influence très forte dans la fonction publique ? Un petit peu dans le privé, notamment dans les transports - on a vu que vous aviez été très actif sur ces mouvements ? Comment cela se situe-t-il ?
R- "Si on calcule en nombre d'adhérents, contrairement à ce que l'on peut penser, on a plus d'adhérents dans le privé que dans le public. Mais j'indique au passage que si nous voulions être une représentation de la société à peu près correcte, il faudrait avoir deux fois dans le privé ce que nous avons dans le public, puisque que grosso modo, il y a 11 millions et 4,5 millions. Cela veut donc dire qu'il faudrait manifestement le double. Ce n'est pas le cas, mais nous avons plus de gens dans le secteur privé que dans le secteur public. Ensuite, généralement, il s'est passé quelque chose depuis quelques années : nous avons un rajeunissement de nos cadres. Nous avions des camarades qui étaient plutôt des camarades d'un certain âge, que l'on disait relativement responsable ; maintenant, on a plutôt des camarades qui sont des jeunes. Et d'ailleurs, cela choquera un peu les gens - on le verra peut-être à l'occasion du congrès -, des garçons et des filles qui ont pris conscience de ce que c'était que travailler et défendre ses intérêts quand on travaille. Et ma foi, cela donne un résultat satisfaisant."
Q- Et sur le spectre politique, vous avez toujours aussi bien des trotskistes lambertistes que des gens issus d'une tendance plus chrétienne-démocrate ? Tout ce petit monde milite au sein de FO ?
R- "Nous avons tout simplement ce que représente la classe ouvrière à l'heure actuelle, c'est-à-dire l'ensemble des engagements politiques."
Q- Mais il n'y a pas une frange qui manipule l'autre ?
R- "C'est impossible..."
Q- Redites-le, parce qu'on en a douté longtemps : on s'est demandé si les lambertistes ne manipulaient pas un peu...
R- "Vous ne vous rendez pas compte : vous leur faites une pub extraordinaire aux lambertistes, parce qu'entre nous, ils ne sont pas aussi nombreux que cela ! Mais peu importe, en plus, je ne trouve pas que ce soient des gens qui aient les pieds fourchus, ce sont des gens comme les autres. Ceci étant, c'est clair, nous sommes représentés très exactement comme on est représentés dans la classe ouvrière ou chez les salariés, avec des trotskistes, des non-trotskistes, des socialistes, des non-socialistes, des chrétiens-démocrates, des non-chrétiens-démocrates, des centristes, même des gens vraisemblablement de l'UMP etc. On ne leur demande pas !"
Q- Vous ne leur demandez ni leur carte politique ni leur confession religieuse ?
R- "Surtout pas, on s'en fout !"
Q- J.-C. Mallet était candidat, ancien patron de la Cnam, où il n'avait pas démérité. Et pourtant, votre favori, c'est J.-C. Mailly ?
R- "Mais qui vous a dit "mon favori" ? Je n'ai jamais rien dit !"
Q- Vous avez laissé clairement voir où allaient vos sympathies ! Vous avez dit : "Il est formidable ce garçon, il devrait me succéder" !
R- "Ce n'est pas vrai, c'est inexact. Je vous l'ai dit, même à vous, à cette antenne : j'ai dit que l'un était mon frère, l'autre était mon fils. C'est une question d'âge, il faut regarder..."
Q- Ah, c'est gracieux pour Mallet ! Quel âge a-t-il ?!
R- "Il a 57 ans. Il est quand même plus près que l'autre qui en a 50 ans. [...] Ceci étant, c'est clair, net et précis : au sein de l'organisation, il y a eu des consultations officieuses et Mallet a dit qu'il lui semblait qu'il ne pouvait pas devenir le secrétaire général, qu'il n'aurait pas sa majorité et qu'il a donc laissé tomber. Ce qui est un acte très courageux et un acte de respect pour l'organisation en tant que telle, parce que Mallet s'est battu pour que l'organisation soit ce qu'elle est. Et j'espère que Mailly se battra demain pour qu'elle continue."
Q- Certains esprits retors pourraient voir quelque malice dans l'idée qu'avec Mailly, qui est un de vos proches, vous continuez à garder une sorte de regard amical, voire plus, sur FO ?
R- "D'abord, il faut être tout à fait clair : je quitte mes fonctions de responsable de FO. C'est fini, je vais sur un autre terrain, mais je ne me battrai plus en tant qu'expression de FO. C'est normal et c'est Mailly qui va faire ce travail. A lui de se faire entendre. Je ne serai pas son tuteur, c'est faux, ce n'est pas dans mon genre."
Q- Vous qui êtes un habitué de la climatologie sociale, pensez-vous que les quelques mouvements de protestation et de contestation sont le début de quelque chose qui va prendre de l'ampleur ?
R- "Il est certainement un secteur d'activités dans lequel il va y avoir effectivement des réactions qui vont être plus solides ou plus assises. Regardez bien du côté des hôpitaux : ce n'est plus que le personnel, c'est aussi le personnel médical, ce sont aussi les patrons, les chefs de service. Il y a un malaise énorme en ce qui concerne l'hospitalisation publique. Et ce malaise, le corollaire, c'est la Sécurité sociale. Ce qui veut dire que demain, il peut se passer des choses, parce que l'on a tout le dossier de la Sécurité sociale. C'est un des acquis les plus importants pour les salariés dans ce pays. Ceci étant, les manifestations et les grèves qui ont été suscitées par les retraites en 2003 ne sont pas complètement digérées. On est encore dans une période d'attente. Mais peut-être que le congrès de FO va un peu éclairer le débat. En tous les cas, je le souhaite."
[...]
(Source : premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 29 janvier 2004)