Texte intégral
Q- La CFDT, avec d'autres centrales syndicales, prépare la grande manifestation de samedi contre la réforme des 35 heures. Pour les trois députés UMP qui présentent ce projet de loi, il ne s'agit pas d'une remise en cause, mais d'une réforme, d'un aménagement d'un temps choisi. Manifestement, ce n'est pas du tout la lecture que vous en avez ?
R- La CFDT est très clairement contre ce projet de loi pour une raison simple : c'est que cela va beaucoup plus loin qu'une simple remise en cause des 35 heures. C'est une remise en cause du système d'organisation du temps de travail dans les entreprises. Tout va devenir monnayable : les 35 heures bien évidemment, les heures supplémentaires, les repos compensateurs qui ont été mis en place pour protéger la santé des travailleurs lorsqu'ils travaillent trop, et une partie des congés annuelles. Donc tout va pouvoir se vendre. C'est donc une remise en cause sur le fond et nous sommes clairement contre.
Q- Vous dites que cela va au-delà du temps de travail et qu'en effet, désormais, dans chaque entreprise, il y aura une sorte de négociation qui va même au-delà du code du travail en fait ?
R- Cette loi ne se concentre pas uniquement sur le problème des 35 heures.
On met dans le paquet de tout ce qui est monnayable, dans les entreprises, une partie des congés annuelles et tout ce qui a été créé pour protéger la santé du travailleur lorsqu'il travaille trop. C'est-à-dire que jusqu'à 48 heures par semaine, on va pouvoir tout vendre, tout acheter. Et c'est une remise en cause qui va aussi atteindre les problèmes de santé au travail.
Q- Pour autant, la loi sur les 35 heures avait un bilan un peu mitigé. Quand L. Jospin a perdu les élections présidentielles, quand on a fait les premiers bilans des 35 heures et des propositions de M. Aubry, vous n'étiez d'ailleurs des moindres à dire qu'il y avait des choses qui n'étaient pas formidables dans cette mise en place...
R- La CFDT n'a jamais dit que tout était parfait dans les 35 heures. Mais ce que l'on sait, c'est que partout où cela a été négocié - il y a eu 72.000 accords d'entreprises sur la réduction du temps de travail -, il y a eu une réorganisation du travail, il y a eu un équilibre entre l'organisation du travail, le temps de travail et les salaires. Et inévitablement, les remettre en cause aujourd'hui, c'est remettre en cause des acquis pour les salariés, c'est remettre en cause une organisation pour l'entreprise. Et si l'on veut faire évoluer ou adapter là où il y a eu des difficultés, la loi Fillon, qui a été votée il y a un an et demi, le permet. Et il y a actuellement, dans certaines entreprises, par la négociation, des adaptations de ces accords d'entreprise, mais non pas une remise en cause sur le fond de l'organisation du temps de travail dans les entreprises comme veut le faire cette proposition de loi.
Q- On voit, dans les statistiques, qu'à peu près 80 % des salariés travaillent déjà moins de 36 heures. Est-ce que cela veut dire que, de toute façon, il n'y a pas de besoins supplémentaires ? Est-ce que cela veut dire qu'ils travaillent plus quand ils sont au travail et qu'on leur met la pression ? Est-ce que cela veut dire qu'il y a recours à l'intérim ? Avez-vous des analyses de ces chiffres ?
R- Cela veut dire deux choses. D'une part, qu'il y a beaucoup de salariés aux 35 heures - c'est donc un élément important et c'était l'objectif de cette loi. Et d'autre part, que l'on a de plus en plus de temps de travail à temps partiel non choisi, c'est-à-dire que le salarié ne choisit pas, qu'on lui impose à l'embauche. Et ces personnes-là, bien évidemment qu'elles veulent travailler plus pour gagner plus. Mais personne ne s'occupe d'elles. C'est-à-dire que le Gouvernement nous propose de faire travailler plus ceux qui ont un temps de travail à temps plein et, bien évidemment, oublie toutes les personnes qui sont à temps partiel - et elles sont très nombreuses dans notre pays, en particulier dans le commerce et dans les services. Ce sont bien évidemment les grands oubliés de cette réforme.
Q- Mais la réforme du compte épargne temps, qui est un des pendants des 35 heures, avec l'idée d'échanger des heures de travail contre de l'argent, sur le papier, on peut imaginer qu'en effet, certains salariés le souhaitent et disent tout simplement qu'ils ont suffisamment de vacances et qu'ils prendraient bien un peu d'argent à la place ?
R- Je vous ferai remarquer qu'échanger du temps de travail contre de l'argent, ce n'est plus du compte épargne temps, cela devient un compte épargne "argent" ! Et le compte épargne temps a été créé pour se donner du temps libre si on le voulait, pour partir à la retraite avant si on le souhaitait, pour se former si on en avait envie. Là, on est en train de le transformer en argent, c'est-à-dire que c'est une autre optique. Que ce système soit négocié dans certaines branches ou dans certaines entreprises, on peut toujours dire que c'est une démarche que l'on pourrait toujours proposer à la négociation. Mais le problème est que le projet de loi ne va pas là. Il nous fait croire que les salariés vont avoir le choix entre du temps et de l'argent. Or c'est faux ! Qu'est-ce que cela veut dire "choisir" ? Cela veut dire aller voir son employeur et lui dire : "Monsieur, Madame, je veux travailler un peu plus si je le souhaite". Or on sait très bien que c'est ridicule ! C'est l'employeur qui décidera. Et jusqu'à 220 heures supplémentaires par an, c'est-à-dire amener tous les salariés à 40 heures, c'est l'employeur qui décidera comme il le veut entre l'argent et le temps. Et il n'y aura de toute façon jamais le choix pour le salarié.
Q- S'il y a une réforme du compte épargne temps, vous avez demandé qu'il soit géré en dehors de l'entreprise. La question est : demain, les entreprises, on sait, cela se crée et puis parfois cela disparaît, on a une carrière et on change d'entreprise. Est-ce que, pour les salariés, il faudrait qu'il y ait une sorte de gestion externe du compte épargne temps, ou rentrons-nous là dans un processus qui est trop "bancaire" pour vous ?
R- On voit très bien que les entreprises ont peur de mettre en place le compte épargne temps, parce qu'elles sont obligées de capitaliser ce compte et que c'est un vrai problème pour la gestion de l'entreprise. Or il est évident que dans les branches professionnelles, là où il y a des négociations, on peut le faire, un compte épargne temps est possible au niveau de la branche. Cela a été fait par exemple dans les hôpitaux publics, où il y a eu un compte épargne temps créé, avec une caisse nationale du compte épargne temps, et les salariés, dans une limite, peuvent utiliser ce temps pour des temps de repos, des temps de formation, partir à la retraite avant. C'est une démarche positive, parce que l'on garde le système en temps et il y a un vrai choix du salarié à ce moment-là.
Q- Vous parlez des hôpitaux publics. Précisément, un certain nombre de membres de la majorité disent qu'il faudrait aussi dans la fonction publique permettre, toujours sur le même thème, si les fonctionnaires le souhaitent, de travailler plus et de gagner un peu plus. Et ils disent qu'après tout, même dans la fonction publique, il ne faut pas avoir peur de renégocier, si on le souhaite, les 35 heures. J'imagine que cela vous fait aussi bondir ?
R- C'est surtout une bagarre dans la majorité et une provocation entre personnes de la majorité. Là, le ministre de la Fonction publique m'a téléphoné pour me dire qu'il nous promettait que l'on n'ira pas jusque-là. On voit donc bien qu'il y a des désaccords dans la majorité...
Q- Le ministre vous a appelé pour vous rassurer ?!
R- Bien évidemment, parce que l'on voit bien qu'il y a un mécontentement fort dans la fonction publique. Mais que proposent ces députés qui veulent le faire ? C'est de dire aux fonctionnaires que demain, on va supprimer des fonctionnaires et que ceux qui vont rester vont travailler plus. Connaissez-vous un syndicat qui va accepter de faire travailler plus des fonctionnaires en échange de la suppression d'emplois ? Alors que les 35 heures, pour la CFDT, c'était baisser le temps de travail pour créer des emplois ! On nous propose l'inverse. C'est donc ridicule, ce n'est pas sérieux et aucun syndicat ne s'engagera dans cette démarche-là.
Q- Le front uni de samedi laisse-t-il augurer d'autres revendications, par exemple sur le pouvoir d'achat ? Est-ce le retour à un front syndical, uni, solide ?
R- On a suffisamment dit que les syndicats n'étaient pas assez unis, pour se réjouir quand ils sont ensemble dans la rue, sur une revendication commune. Mais il est bien évident que ce problème du temps de travail cache une revendication forte sur le pouvoir d'achat. D'ailleurs, c'est le Gouvernement, en faisant croire aux salariés qu'ils vont pouvoir gagner plus en travaillant plus, qui crée cette demande de pouvoir d'achat qui existe et que l'on doit prendre en charge. Et la meilleure chose que le Gouvernement pourrait faire sur ce sujet, c'est inciter les partenaires sociaux à négocier dans les branches professionnelles sur le pouvoir d'achat, donc sur du vrai, sur du réel, et de le faire pour ce qui concerne les fonctionnaires.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 février 2005)
R- La CFDT est très clairement contre ce projet de loi pour une raison simple : c'est que cela va beaucoup plus loin qu'une simple remise en cause des 35 heures. C'est une remise en cause du système d'organisation du temps de travail dans les entreprises. Tout va devenir monnayable : les 35 heures bien évidemment, les heures supplémentaires, les repos compensateurs qui ont été mis en place pour protéger la santé des travailleurs lorsqu'ils travaillent trop, et une partie des congés annuelles. Donc tout va pouvoir se vendre. C'est donc une remise en cause sur le fond et nous sommes clairement contre.
Q- Vous dites que cela va au-delà du temps de travail et qu'en effet, désormais, dans chaque entreprise, il y aura une sorte de négociation qui va même au-delà du code du travail en fait ?
R- Cette loi ne se concentre pas uniquement sur le problème des 35 heures.
On met dans le paquet de tout ce qui est monnayable, dans les entreprises, une partie des congés annuelles et tout ce qui a été créé pour protéger la santé du travailleur lorsqu'il travaille trop. C'est-à-dire que jusqu'à 48 heures par semaine, on va pouvoir tout vendre, tout acheter. Et c'est une remise en cause qui va aussi atteindre les problèmes de santé au travail.
Q- Pour autant, la loi sur les 35 heures avait un bilan un peu mitigé. Quand L. Jospin a perdu les élections présidentielles, quand on a fait les premiers bilans des 35 heures et des propositions de M. Aubry, vous n'étiez d'ailleurs des moindres à dire qu'il y avait des choses qui n'étaient pas formidables dans cette mise en place...
R- La CFDT n'a jamais dit que tout était parfait dans les 35 heures. Mais ce que l'on sait, c'est que partout où cela a été négocié - il y a eu 72.000 accords d'entreprises sur la réduction du temps de travail -, il y a eu une réorganisation du travail, il y a eu un équilibre entre l'organisation du travail, le temps de travail et les salaires. Et inévitablement, les remettre en cause aujourd'hui, c'est remettre en cause des acquis pour les salariés, c'est remettre en cause une organisation pour l'entreprise. Et si l'on veut faire évoluer ou adapter là où il y a eu des difficultés, la loi Fillon, qui a été votée il y a un an et demi, le permet. Et il y a actuellement, dans certaines entreprises, par la négociation, des adaptations de ces accords d'entreprise, mais non pas une remise en cause sur le fond de l'organisation du temps de travail dans les entreprises comme veut le faire cette proposition de loi.
Q- On voit, dans les statistiques, qu'à peu près 80 % des salariés travaillent déjà moins de 36 heures. Est-ce que cela veut dire que, de toute façon, il n'y a pas de besoins supplémentaires ? Est-ce que cela veut dire qu'ils travaillent plus quand ils sont au travail et qu'on leur met la pression ? Est-ce que cela veut dire qu'il y a recours à l'intérim ? Avez-vous des analyses de ces chiffres ?
R- Cela veut dire deux choses. D'une part, qu'il y a beaucoup de salariés aux 35 heures - c'est donc un élément important et c'était l'objectif de cette loi. Et d'autre part, que l'on a de plus en plus de temps de travail à temps partiel non choisi, c'est-à-dire que le salarié ne choisit pas, qu'on lui impose à l'embauche. Et ces personnes-là, bien évidemment qu'elles veulent travailler plus pour gagner plus. Mais personne ne s'occupe d'elles. C'est-à-dire que le Gouvernement nous propose de faire travailler plus ceux qui ont un temps de travail à temps plein et, bien évidemment, oublie toutes les personnes qui sont à temps partiel - et elles sont très nombreuses dans notre pays, en particulier dans le commerce et dans les services. Ce sont bien évidemment les grands oubliés de cette réforme.
Q- Mais la réforme du compte épargne temps, qui est un des pendants des 35 heures, avec l'idée d'échanger des heures de travail contre de l'argent, sur le papier, on peut imaginer qu'en effet, certains salariés le souhaitent et disent tout simplement qu'ils ont suffisamment de vacances et qu'ils prendraient bien un peu d'argent à la place ?
R- Je vous ferai remarquer qu'échanger du temps de travail contre de l'argent, ce n'est plus du compte épargne temps, cela devient un compte épargne "argent" ! Et le compte épargne temps a été créé pour se donner du temps libre si on le voulait, pour partir à la retraite avant si on le souhaitait, pour se former si on en avait envie. Là, on est en train de le transformer en argent, c'est-à-dire que c'est une autre optique. Que ce système soit négocié dans certaines branches ou dans certaines entreprises, on peut toujours dire que c'est une démarche que l'on pourrait toujours proposer à la négociation. Mais le problème est que le projet de loi ne va pas là. Il nous fait croire que les salariés vont avoir le choix entre du temps et de l'argent. Or c'est faux ! Qu'est-ce que cela veut dire "choisir" ? Cela veut dire aller voir son employeur et lui dire : "Monsieur, Madame, je veux travailler un peu plus si je le souhaite". Or on sait très bien que c'est ridicule ! C'est l'employeur qui décidera. Et jusqu'à 220 heures supplémentaires par an, c'est-à-dire amener tous les salariés à 40 heures, c'est l'employeur qui décidera comme il le veut entre l'argent et le temps. Et il n'y aura de toute façon jamais le choix pour le salarié.
Q- S'il y a une réforme du compte épargne temps, vous avez demandé qu'il soit géré en dehors de l'entreprise. La question est : demain, les entreprises, on sait, cela se crée et puis parfois cela disparaît, on a une carrière et on change d'entreprise. Est-ce que, pour les salariés, il faudrait qu'il y ait une sorte de gestion externe du compte épargne temps, ou rentrons-nous là dans un processus qui est trop "bancaire" pour vous ?
R- On voit très bien que les entreprises ont peur de mettre en place le compte épargne temps, parce qu'elles sont obligées de capitaliser ce compte et que c'est un vrai problème pour la gestion de l'entreprise. Or il est évident que dans les branches professionnelles, là où il y a des négociations, on peut le faire, un compte épargne temps est possible au niveau de la branche. Cela a été fait par exemple dans les hôpitaux publics, où il y a eu un compte épargne temps créé, avec une caisse nationale du compte épargne temps, et les salariés, dans une limite, peuvent utiliser ce temps pour des temps de repos, des temps de formation, partir à la retraite avant. C'est une démarche positive, parce que l'on garde le système en temps et il y a un vrai choix du salarié à ce moment-là.
Q- Vous parlez des hôpitaux publics. Précisément, un certain nombre de membres de la majorité disent qu'il faudrait aussi dans la fonction publique permettre, toujours sur le même thème, si les fonctionnaires le souhaitent, de travailler plus et de gagner un peu plus. Et ils disent qu'après tout, même dans la fonction publique, il ne faut pas avoir peur de renégocier, si on le souhaite, les 35 heures. J'imagine que cela vous fait aussi bondir ?
R- C'est surtout une bagarre dans la majorité et une provocation entre personnes de la majorité. Là, le ministre de la Fonction publique m'a téléphoné pour me dire qu'il nous promettait que l'on n'ira pas jusque-là. On voit donc bien qu'il y a des désaccords dans la majorité...
Q- Le ministre vous a appelé pour vous rassurer ?!
R- Bien évidemment, parce que l'on voit bien qu'il y a un mécontentement fort dans la fonction publique. Mais que proposent ces députés qui veulent le faire ? C'est de dire aux fonctionnaires que demain, on va supprimer des fonctionnaires et que ceux qui vont rester vont travailler plus. Connaissez-vous un syndicat qui va accepter de faire travailler plus des fonctionnaires en échange de la suppression d'emplois ? Alors que les 35 heures, pour la CFDT, c'était baisser le temps de travail pour créer des emplois ! On nous propose l'inverse. C'est donc ridicule, ce n'est pas sérieux et aucun syndicat ne s'engagera dans cette démarche-là.
Q- Le front uni de samedi laisse-t-il augurer d'autres revendications, par exemple sur le pouvoir d'achat ? Est-ce le retour à un front syndical, uni, solide ?
R- On a suffisamment dit que les syndicats n'étaient pas assez unis, pour se réjouir quand ils sont ensemble dans la rue, sur une revendication commune. Mais il est bien évident que ce problème du temps de travail cache une revendication forte sur le pouvoir d'achat. D'ailleurs, c'est le Gouvernement, en faisant croire aux salariés qu'ils vont pouvoir gagner plus en travaillant plus, qui crée cette demande de pouvoir d'achat qui existe et que l'on doit prendre en charge. Et la meilleure chose que le Gouvernement pourrait faire sur ce sujet, c'est inciter les partenaires sociaux à négocier dans les branches professionnelles sur le pouvoir d'achat, donc sur du vrai, sur du réel, et de le faire pour ce qui concerne les fonctionnaires.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 février 2005)