Interview de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité, à "France 2" le 14 février 2005, sur l'avenir de l'agriculture dans le cadre de la politique agricole commune.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Q- Avec D. Bussereau, nous allons parler évidemment d'agriculture. Mais d'abord un mot sur ce qui s'est passé cette nuit en Polynésie : il semble que l'indépendantiste, O. Temaru, soit largement en tête devant le sortant, l'UMP, G. Flosse. Cela ne veut-il pas dire que, finalement, l'UMP a trop tardé à tourner la page Flosse ?
R- On est quand même à un moment où les résultats ne sont pas connus. Je crois donc qu'il ne faut avoir un peu de prudence dans le commentaire. Mais que quel que soit le résultat, G. Flosse a fait beaucoup pour la Polynésie française, il a été un chef de Gouvernement qui a beaucoup développé ce territoire. On verra si les électeurs ont souhaité l'en remercier ou, quelque part, ont fait un vote sanction. C'est très compliqué la vie politique polynésienne, parce qu'entre O. Temaru, G. Flosse et la troisième force, jusqu'à présent, les pronostics étaient assez modestes.
Q- Mais à terme, est-ce l'indépendance de la Polynésie qui se profile ?
R- Les Polynésiens comme l'ensemble de nos compatriotes ultramarins croient en la France. Ils voient bien que dans ce Pacifique en particulier extrêmement difficile, la Polynésie comme la nouvelle Calédonie, comme Wallis et Futuna, sont des pôles de stabilité économique, et je ne vois pas nos compatriotes de Polynésie faire un autre choix que celui de rester dans l'ensemble républicain, avec naturellement, toute l'autonomie qu'ils ont déjà par leur statut.
Q- L'agriculture : on est dans la dernière ligne droite avant le grand moment, qui est le Salon de l'agriculture...
R- Dans une semaine.
Q- ... dans une semaine... et avec un mauvais chiffre : le revenu agricole est en baisse, près de 4 % de moins en 2004. On a le sentiment que paysan en France, ce n'est plus un métier d'avenir ?
R- C'est difficile pour les agriculteurs français parce que les prix des produits sont liés aux cours internationaux, donc on a des revenus qui peuvent bouger en fonction de cela. Il y a eu longtemps une baisse du cours de la viande, avec l'ESB, ujourd'hui c'est reparti. Aujourd'hui, l'agriculture française cherche sa bonne place avec la réforme de la PAC et que donc, la loi d'orientation agricole que je vais préparer, comme H. Gaymard l'avait fait avant moi, sera certainement l'occasion de donner à nouveau de l'espoir et une certaine lisibilité aux agriculteurs sur l'avenir de leur métier.
Q- Justement, la PAC - la politique agricole commune. Les agriculteurs, eux, disent : cela va être encore pire avec cela.
R- La Politique agricole commune permet à la France chaque année de recevoir 8 milliards d'euros pour la "Ferme France". Donc, c'est considérable. Et face à ces 8 milliards d'euros, il y a un certain nombre, en effet, de conditions...
Q- Ils disent qu'il y a beaucoup trop de contraintes, on ne comprend plus rien !
R- Oui, il y a des contraintes environnementales en particulier, qui sont la contrepartie de ces 8 milliards d'euros, et ces contraintes environnementales sont un peu dans leur première année d'application plus importantes. Donc, il y a une certaine méfiance des agriculteurs vis-à-vis de cela.
Q- Ce que vous voulez dire c'est que, avec cette nouvelle PAC, pour avoir des aides, il faudra respecter les critères écologiques.
R- C'est déjà le cas. Aujourd'hui, un agriculteur c'est le meilleur défenseur de l'environnement sur le territoire. Simplement, on leur en demande un peu plus.
Q- Oui, simplement, les agriculteurs disent : on n'y comprend rien !
R- Voilà. On leur en demande un peu plus, et moi je m'efforce depuis quelques semaines d'essayer de simplifier tout cela ; les contraintes qui leur ont été imposées par l'Europe, de faire en sorte qu'elles soient simples d'application, qu'elles soient compréhensibles, qu'il n'y ait pas sanction quand il y a une petite erreur dans une exploitation. Il faut donc simplifier tout cela. Je crois que l'agriculture française souffre de beaucoup de paperasserie, de beaucoup de bureaucratie, et je vais m'efforcer pendant les mois à venir d'essayer de redonner un peu de souffle à tout cela.
Q- Mais concrètement, qu'allez-vous faire ?
R- Concrètement, par exemple, les mesures agro-environnementales qui sont demandées par la PAC, nous les avons simplifiées pour qu'elles ne posent pas de problèmes aux agriculteurs. Et concrètement, ils vont recevoir...
Q- Simplifier, cela veut-il dire édulcorer, moins contraignant ?
R- Cela veut dire, ne pas faire en sorte que l'agriculteur soit soumis, la même semaine, à plusieurs séries de contrôles, et de faire en sorte qu'en ayant un contrôle, si quelque chose ne va pas, commencer par le dire à l'agriculteur pour qu'il le corrige plutôt que de sanctionner. C'est un état d'esprit un peu nouveau que je cherche à instaurer dans nos relations avec les agriculteurs. Et ils le souhaitent beaucoup parce qu'ils en ont un peu assez de beaucoup de complications. Mais ces complications, je répète, c'est un peu la contrepartie de l'aide de l'Europe qui demande un certain nombre de règlements dans son application.
Q- En tout cas avec la baisse du niveau agricole, du niveau du revenu agricole, on voit de plus en plus d'agriculteurs qui s'en vont. N'y a-t- il pas un risque de désertification des campagnes ?
R- Il y a aussi, si vous regardez déjà les chiffres du recensement de l'Insee, vous vous apercevez qu'à une région qui est l'exception dans notre pays, partout les communes rurales reprennent de la population. Cela veut donc dire que la ruralité, c'est un concept moderne en France, et la loi sur les territoires ruraux...
Q- "Ruralité" oui, mais les paysans non !
R- Oui, alors, ruralité avec un peu moins de paysans, mais en même temps quand vous regardez les chiffres, l'installation des jeunes progresse plutôt bien. Et dans la loi d'orientation agricole, nous allons prendre des mesures pour donner envie à des jeunes de faire ce très beau métier d'agriculteur, nous en avons besoin pour notre environnement, nous en avons besoin pour la qualité de notre alimentation. Il faut quand même que l'on se dise que la France est un des premiers pays au monde pour l'exportation de produits agroalimentaires, on le doit à nos industries, à nos PME, mais on le doit aussi à la qualité des produits de nos agriculteurs. Il faut donc avoir un message optimiste vis-à-vis de l'agriculture française.
Q- Le risque n'est-il pas que l'agriculture se déplace vers les pays de l'Est, où les prix sont beaucoup moins chers ?
R- Oui, mais ce n'est pas pour autant que cela marche. J'étais il y a quelques jours en Hongrie, j'ai visité certaines exploitations, j'ai discuté avec les dirigeants agricoles hongrois ; ils ont plutôt une productivité qui est beaucoup moins bonne que la nôtre, et je me suis aperçu au contraire en Hongrie, que c'étaient des grandes maisons alimentaires françaises, les grands producteurs que chacun connaît bien, qui vendaient des produits alimentaires parce que la population de ces pays attend des produits de qualité. Donc, certainement, il y a de la production, certainement, elle se fait à des coûts de travail qui sont moins importants que chez nous, mais cela n'empêche pas que ce sont nos produits qui sont le plus demandés sur le marché. Donc, c'est plutôt un nouveau marché que des concurrents.
Q- Un peu de politique : cette semaine, cela va être la loi sur l'école de F. Fillon ; il a reculé sur le bac, en disant que l'examen de cette partie de la réforme ne serait pas abordé. Pensez-vous qu'il a eu raison de reculer ?
R- La méthode de J.-P. Raffarin et du Gouvernement vis-à-vis de la réforme, c'est d'aller jusqu'au bout de nos réformes, et de le faire dans le dialogue. Et quand on s'aperçoit quelque part que le dialogue ou quelque chose ne fonctionne pas, on en tient compte. Et je crois que F. Fillon en tenu compte avec beaucoup de courage. Il poursuit sa réforme, simplement, il y a un point qui faisait débat et qui n'est pas clos, il continue d'en discuter. Et puis, il poursuit la réforme sur l'ensemble de l'Education. Cela me paraît une bonne méthode, même si, quelque part, c'est toujours difficile pour un ministre de ne pas aller jusqu'au bout de sa volonté réformatrice.
Q- Mais il n'y a pas que ce point qui fait débat, puisque les lycéens et les enseignants restent mobilisés. Ils réclament le retrait de l'ensemble de la réforme. S'il a cédé sur le bac, ne risque-t-il pas de céder sur le reste ?
R- Il n'a pas "cédé sur le bac" d'abord. Il a indiqué qu'il allait rediscuter tout cela avec les lycéens et les enseignants...
Q- Il a indiqué qu'on n'en parlerait pas mardi au Parlement.
R- Oui mais enfin mardi... Il y a mercredi après mardi. Donc, il a fait en sorte que le débat soit repris intelligemment sur le bac. Si les lycéens n'en veulent pas, il n'y aura pas la réforme du bac. Mais l'ensemble de la réforme de l'Education aura lieu parce que c'est un vrai besoin. Nous avons besoin d'enfants qui aient une véritable formation, une meilleure formation. Et on s'aperçoit que le système actuel ne leur donne pas exactement ce que nous attendons pour eux.
Q- Autre grosse actualité politique, c'est la Constitution européenne. On s'aperçoit que le "oui" à la Constitution est en baisse régulière. Comment expliquez-vous cela ?
R- On n'est pas dans la campagne encore pour l'instant. Donc, le reste, ce sont des réceptacles de mécontentements, de difficultés qui se font entendre, et cela fait plutôt progresser le "non". Je pense que, lorsqu'il y aura...
Q- Mais là, cela va vite, c'est 5 points de moins pour le "oui" chaque semaine !
R- Oui...Attendez, on ne peut pas...On ne va pas aller à l'infini comme cela. Je crois que le "oui" va l'emporter. Simplement, il faut que les partisans du "oui" - c'est le camp auquel j'appartiens - fassent une vraie campagne, que nous expliquons pourquoi. Et pour l'instant, on a plutôt entendu ceux qui disent qu'il ne faut pas voter, on a entendu la désunion au sein du PS, encore L. Fabius, qui a indique que malgré le référendum il votera "non". On a plutôt entendu les tenants du "non". Maintenant, il faut que celles et ceux qui sont en faveur du "oui" s'expriment, aussi bien dans la majorité parlementaire et présidentielle que dans l'opposition. Et puis, tous les Français, je dirais "de bonne volonté" qui savent que sans l'Europe on ne peut rien faire, et que la construction européenne c'est l'avenir de notre pays.
Q- Mais pensez-vous que l'on va vers un résultat très serré ?
R- Je pense que le résultat dépendra de la campagne. Et en tout cas, nous, qui défendons le "oui", nous allons aller discuter avec, non pas les gens qui votent "non" pour de mauvais Français ou des gens qui n'ont pas une vision de l'avenir. Nous allons essayer de discuter avec eux, nous allons essayer de les convaincre, et je suis persuadé que le vote de l'intelligence - pas l'intelligence au sens des plus intelligents votent "oui", les moins intelligents votent "non", mais de l'intelligence pour notre avenir -, finira par l'emporter.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 février 2005)