Interview de Mme Marine Le Pen, vice-présidente du Front national, à LCI le 31 mars 2005, sur la confirmation de sa participation à la campagne du FN contre la Constitution européenne.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

P.-L. Séguillon - Avant de vous recevoir, j'ai été voir sur le site du FN, vous y figurez avec tous vos titre : vice-présidente du FN, député européen, présidente du groupe du FN au Conseil régional. Toutes vos activités sont mentionnées, dont cette prestation ici même sur LCI. Est-ce que cela signifie qu'au fond, rien n'est changé, que la page est tournée et que les différends qui ont pu vous opposer au président du FN à l'occasion de ses propos sur l'Occupation allemande en janvier sont terminés ?
R - Les différends, avec le temps s'amenuisent. La relation entre un élu et son parti, c'est un peu comme dans un couple, de temps en temps, il faut savoir comment prendre l'air pour revenir dans de meilleures conditions. Ce qui est important aujourd'hui, c'est que je sois à mon poste, et en tant que présidente de groupe au Conseil régional où il se passe beaucoup de choses et surtout dans cette campagne du non, parce que je suis député français au Parlement européen. J'ai donc toute ma place. C'est la raison pour laquelle j'ai dit que je participerais non seulement activement à cette campagne mais que j'espérais également participer au bureau de campagne qui va être constitué dans les jours qui viennent.
Q - Vous avez l'assurance de participer à ce bureau de campagne ?
R - Oui, bien sûr. La question ne s'est jamais posée, en tout cas sur ce sujet-là. Donc, bien sûr, je participerai. Je mettrai toute ma force de conviction, parce que je crois vraiment qu'il s'agit là d'un sujet fondamental.
Q - Vous aviez été absente du bureau national, vous y siégez à nouveau ?
R - Cela n'intéresse pas les Français. Très honnêtement, aujourd'hui, on est à la veille d'un référendum.
Q - Ma question est simple, vous me répondez oui ou vous me répondez non...
R - Ce sont des petites histoires internes de fonctionnement d'un parti politique.
Q - C'est important du point de vue politique.
R - Cela n'intéresse pas les Français. Ce qui intéresse les Français, c'est leur avenir, ce qui va se passer au référendum, c'est toutes ces questions qui sont fondamentales, c'est leur pouvoir d'achat, c'est leur travail, c'est les délocalisations. C'est tout cela qui les intéresse. Si Marine Le Pen va au bureau exécutif ou quand est-ce qu'elle ira, ils s'en moquent totalement, croyez-moi !
Q - Donc vous y allez ou vous n'y allez pas ?
R - J'irai.
Q - La question politique, c'est de savoir quelle est la bonne stratégie pour le FN pour se faire entendre. Vous avez dit qu'il fallait dédiaboliser le FN, vous le pensez toujours ?
R - Oui.
Q - Et donc, vous regrettez ce qui risque de le diaboliser ?
R - Oui.
Q - Dans la campagne du FN pour l'Europe ou contre - si j'ai bien compris - le référendum...
R - On peut être pour l'Europe et contre le référendum.
Q - Vous êtes pour l'Europe ?
R - Oui, je suis pour l'Europe, mais pas elle là !
Q - Vous allez demander que l'on vote non au référendum, quel est l'argument essentiel qui vous semble le bon et qui pourrait être celui du FN ?
R - Il y en a énormément des arguments ! Je crois que la vraie question du référendum, ce n'est pas pour ou contre la Constitution, la vraie question, c'est : êtes-vous pour ou contre la disparition de notre nation. C'est ça la seule question qu'il faut poser aux Français. Or, là, on nous fait croire qu'en réalité, on nous demande si on est pour ou contre l'Europe. C'est, je crois, une escroquerie, comme tant d'autres d'ailleurs, dans laquelle les Français ne tomberont pas. Ils se sont déjà fait avoir à Maastricht ; on leur avait proposé la même brochure papier glacé, avec vue sur la mer, quatre étoiles, et ils se sont retrouvés avec des cafards, pas de vue sur la mer et douze heures de charter. Donc, ils ne se feront pas avoir avec cette nouvelle escroquerie. La vraie question, c'est : êtes-vous pour contre la disparition de notre pays ? Voulez-vous conserver notre pays, nos traditions, notre culture, notre histoire, ce qui fait que nous sommes français ou ne voulez vous pas le faire ?
Q - Donc, c'est en quelque sorte un réflexe patriotique...
R - Entre autres, mais ce n'est pas une honte d'être patriote ! C'est même, je trouve, une qualité ! Mais c'est surtout le fait que notre nation a mis des centaines et des centaines d'années à se construire. Elle s'est construite des valeurs qui sont des références dans le monde. Pourquoi vouloir abandonner tout cela ?
Q - L'immigration interne, en provenance des nouveaux entrants, c'est un argument que vous utiliserez ou pas ? Ou qu'il faut utiliser ou pas ?
R - Evidemment. Je crois qu'évidemment, il faut faire un constat d'abord de cette construction européenne, parce que je ne sais si vous remarquez mais les tenants du oui ne font jamais de constat. Or, si on fait le constat, on s'aperçoit qu'on a fait l'Europe de l'acier et du charbon, il n'y a plus d'acier et plus de charbon ; on a fait l'Europe de la pêche et de l'agriculture, il n'y a plus de pêche, on n'a plus d'agriculteurs et nous n'avons plus d'indépendance alimentaire. On a fait l'Europe, justement, en abaissant les frontières, eh bien il n'y a jamais eu autant d'immigration, autant de problèmes de mafia. On a fait l'euro, en nous expliquant que cela allait être fabuleux, et les Français se sont bien entendu rendu compte que leur pouvoir d'achat avait plongé. Il faut faire un constat et s'apercevoir que cette Europe, cette construction européenne est mauvaise et que constitutionnaliser ces mauvaises règles est une folie.
Q - Quelle différence faites-vous entre le non du FN, le non de L. Fabius, le non de n'extrême gauche, le non de P. de Villiers...
R - J'ai presque envie de vous dire qu'il y a probablement des différences mais elles ne m'intéressent pas. Ce qui m'intéresse, encore une fois, c'est que l'on mette un frein, un coup d'arrêt à la disparition de notre pays. Si dans cette lutte contre la disparition de notre pays, il faut que je me retrouve à côté de gens d'extrême gauche ou de gauche, somme toute, je m'en contenterais. Je ne vais pas faire la difficile quand il s'agit de l'avenir de mon peuple.
Q - Vous allez faire partie du comité de pilotage, si j'ai bien compris, du bureau de campagne. Pensez-vous que vous parviendrez à imposer vos idées auprès de B. Gollnisch, auprès de J. - M. Le Pen et qu'il y aura une unité d'argumentation ?
R - Sur la Constitution européenne et sur l'Europe, il n'y a pas de divergences au FN. Je tiens d'ailleurs à dire que c'est le seul mouvement où il n'en existe pas. Parce que quand on voit l'UMP et le PS, ils ont fini par ne pas être d'accord sur aucun des sujets entre eux maintenant. Nous, nous sommes parfaitement sur la même longueur d'onde sur ce sujet-là. Concernant le reste, nous verrons après. Je crois que la grande qualité d'un politique, c'est d'être capable de faire émerger des priorités. La priorité aujourd'hui, c'est le référendum.
Q - Vous allez publier un livre à l'automne.
R - Oui.
Q - C'est là que vous montrerez qu'il y a des divergences de vision, d'approche...
R - C'est ce qui vous intéresse, les divergences ! D'ailleurs, cela n'intéresse que les journalistes, somme toute, parce que les Français, cela les intéresse assez peu. Ce n'est pas le but du livre que j'écris. Le but du livre que j'écris, c'est évidemment d'exposer un petit peu ma manière, ma vision du combat politique. Quelles sont pour moi, justement, les priorités et effectivement, éventuellement, comment, à mon sens, il faut parvenir à faire passer ce message. Je ne vais pas aller dire "je ne suis pas d'accord avec un tel ou avec untel", cela n'a aucun intérêt.
Q - Je me doute bien que ces désaccords, s'ils existent, ont des fondements politiques, ce ne sont pas des désaccords de cuisine.
R - Oui, mais encore une fois, je sais que vous aimez bien cela, mais je vous supplie, vous, journalistes, de déterminer les [ ?].

Q - Allez-vous faire des meetings communs avec B. Gollnisch et J.-M. Le Pen ?
R - Pourquoi pas ?
Q - Vous allez faire une campagne nationale, pas seulement régionale, vous personnellement ?
R - On va faire une campagne nationale, mais moi je vais plaider, ce qui est assez naturel, pour que chaque député européen soit un peu le pilote de sa circonscription européenne. Ce qui me paraît être le plus efficace.
Q - Mais on pourra vous voir sur les estrades, à Lyon, à Marseille ou ailleurs à côté de J.-M. Le Pen ?
R - Est-ce que je vous ai autant manqué que cela, monsieur Séguillon ?
Q - Mais non, mais comme vous nous revenez, on vous attend !
R - Vous me verrez, je vous assure.
Q - Une dernière question, si vous me le permettez - pardonnez moi d'insister... Mais vous avez désapprouvé, soit désaveu moral, soit désaccord politique, les propos de J.-M. Le Pen en janvier ; ils lui valent deux informations judiciaires. Si d'aventure, il était empêché de se présenter en 2007, êtes-vous prête ?
R - Parler de la présidentielle me paraît totalement anticipé avant de connaître le résultat du référendum, parce que si c'est le oui qui l'emporte, le président de la République aura moins de pouvoir que le gouverneur de la Californie. Vous voyez bien que le statut même de président de la République n'aura somme toute plus aucun intérêt politique, puisque de toute façon, notre nation aura disparu.
Q - Sur le résultat su référendum, avez-vous un pronostic ?
R - J'espère, parce que je suis une grande optimiste...
Q - Un pronostic...
R - Je pense que le "non" peut passer et j'y crois fermement. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir en tout cas pour qu'il passe.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 1er avril 2005)