Interview de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, sur RTL le 4 mars 2005, sur le salon de l'agriculture comme vecteur d'expression des inquiétudes du monde agricole et sur les intentions de vote des agriculteurs concernant le traité constitutionnel européen.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Jean-Michel APHATIE : Bonjour Jean-Michel Lemétayer. Virginie Garin et Anne Le Henaff témoignent sur cette antenne, chaque jour avec attention, du déroulement du Salon de l'agriculture qui a ouvert ses portes samedi, et dont RTL est partenaire. Mais malgré tout, on a l'impression cette année que ce salon rencontre une certaine indifférence, un peu comme si ce vieux pays agricole était en train de tourner doucement l'une de ses pages, qui appartient peut-être maintenant à l'Histoire. Que pensez-vous du constat, Jean-Michel Lemétayer ?
Jean-Michel LEMETAYER : Je veux d'abord remercier RTL de ses engagements auprès de nous...
Q - C'est gentil...
R - ... Auprès du monde paysan, du monde rural, parce que chaque matin, toute la journée, vous faites connaître à vos auditeurs la diversité de notre agriculture. Ce matin, vous avez parlé des mirabelles, c'est très important. Alors je ne crois pas qu'on soit aussi indifférent que ça, sinon vous ne seriez pas là.
Q - Mais est-ce qu'il n'y a pas comme un désintérêt ? Est-ce qu'on ne va pas aujourd'hui au Salon de l'agriculture pour beaucoup de citadins, excusez-moi, "un peu comme on va au zoo", en se disant : "Tiens..."
R - Non, je ne le crois. Mais c'est vrai que nous sommes enfin sortis des crises qui ont interpellé l'opinion publique et les consommateurs. Je pense aux crises sanitaires d'il y a maintenant quelques années. Certains sondages, avant le Salon, ont montré que la confiance était largement revenue, la confiance des Français à l'égard des agriculteurs. Je pense à l'environnement, je pense à la sécurité de l'alimentation. Alors évidemment, on appuie un peu moins sur ce qui faisait mal il y a quelques années. Donc ça peut laisser cet aspect d'indifférence. Quand un salon est visité par 600.000 à 700.000 visiteurs - attendons les chiffres définitifs dimanche soir -, deuxième fréquentation de tous les salons qui se déroulent à Paris, je crois qu'on ne peut pas tellement dire que c'est de l'indifférence.
Q - C'était dans le journal "Le Monde" du week-end dernier, la chronique économique d'Eric Leboucher : "Allez vite au Salon de l'agriculture, c'est le dernier". C'était le titre de sa chronique. Sa démonstration, il l'appuyait sur les effets, dit-il, de la Politique agricole commune qui "va transformer dans les années qui viennent les paysans en gardiens du paysage". C'est terrible de lire ça pour vous, Jean-Michel Lemétayer, j'imagine ?
R - Après tout, je crois que quelques titres provocateurs et quelques articles de cette nature peuvent réveiller, non seulement la profession agricole, mais surtout l'opinion ! Nous ne cessons de combattre une Politique agricole qui, effectivement, voudrait nous transformer en jardiniers de la nature, alors que - et nous le redirons très fort à l'occasion de notre congrès dans deux semaines - nous voulons rester avant tout des producteurs. Et je ne cesse de dire que si la France est belle lorsqu'on la sillonne, lorsqu'on la survole, c'est parce qu'elle est d'abord cultivée !
Et d'ailleurs hier, nous étions avec les dirigeants, les responsables du Tour de France, ça parait complètement paradoxal, en partenariat avec Jean-Marie Leblanc et son équipe pour présenter le Tour 2005. Pourquoi ? Parce que tout simplement le cyclisme, entre autres, qui sillonne toutes nos routes de France, avec des images aussi à la télévision qui permettent de voir tantôt des prairies, des animaux, de la vigne, et tout cela, eh bien montre que c'est parce que justement il y a des hommes et des femmes qui travaillent la terre, qui l'entretiennent parce qu'ils y élèvent des animaux - je pense au Massif Central, par exemple, les montagnes - s'il n'y avait pas des bovins, s'il n'y avait pas des moutons, la France ne serait pas ce qu'elle est.
Et derrière ce titre aussi provocateur, ce titre me permet de dire notamment - j'ai eu l'occasion de le faire auprès du Président de la République et du Premier ministre hier encore - de poser clairement le problème de l'indépendance alimentaire. En faisant attention, à partir d'une certaine politique agricole que nous avons aujourd'hui, à ce que petit à petit, nous ne soyons plus autosuffisants dans certaines productions. Il ne viendrait pas une seule fois à l'idée au Président américain, que ce soit d'ailleurs George W. Bush aujourd'hui ou un Démocrate, de baisser la garde sur son agriculture. Eh bien nous demandons et nous disons : "Attention, attention".
Q - Mais ça coûte cher de produire et visiblement, l'Europe en a un peu marre de vous subventionner. C'est un peu ça le problème ?
R - L'Europe, à mon avis, fait un choix, en tout cas qui n'est pas le mien : c'est d'avoir voulu rapprocher absolument les prix agricoles à l'intérieur de l'Union européenne, des prix que l'on peut trouver, en tout cas les moins chers que l'on peut trouver sur le marché international. Et ça c'est destabilisateur. Alors à partir de là, il faut mettre en place des compensations. Nous sommes en train de voir les modalités d'application de ce qui a été décidé à Luxembourg, il y a maintenant un an et demi, et c'est ça aussi qui irrite énormément les agriculteurs dans les campagnes. Mais je pense qu'il va falloir remettre les prix agricoles au centre des débats ! On n'encouragera pas des jeunes à s'installer s'il n'y a pas à la clef la valorisation du travail qui est fait.

Q - Et ce sont toutes ces inquiétudes qui vous font dire que, majoritairement aujourd'hui, les agriculteurs sont décidés à voter "non" au prochain référendum ? Vous l'avez dit comme ça.
R - Moi je ne suis pas un institut de sondages. Oui, j'ai souligné auprès du Président de la République et auprès du Premier Ministre que l'irritation dans les campagnes - qui est réelle et qui, semble-t-il, se traduit dans un sondage publié ce matin - pouvait amener les agriculteurs, alors qu'ils sont plutôt européens...
Q - ... Puisqu'ils en profitent de l'Europe...
R - ...Oui ils en profitent, mais...

Q - ... Et puis ils aiment l'Europe....
R - Ils ont surtout aussi participé à la construire, amener les agriculteurs effectivement dans ce vote à ne pas répondre à la question tout à fait posée et justement à sanctionner une politique qu'ils ne veulent pas.
Q - C'est ce que vous sentez, Jean-Michel Lemétayer ? Vous les connaissez vous les agriculteurs.
R - Je l'ai senti tout au long des semaines de ce début d'année. Je suis allé le dire précisément au Président de la République et au Premier ministre, et ils ont pu le vérifier eux-mêmes en sillonnant les allées du Salon.
Q - Oui puisque Jacques Chirac, samedi, quand il a inauguré le Salon, un agriculteur vient vers lui, ce n'était pas le premier, lui dit : "Moi je vais voter 'Non'", et Jacques Chirac lui dit : "Eh bien si vous voulez vous tirer une balle dans le pied, faites-le. Mais c'est une connerie, je vous le dis" ! Ça a été reçu comment cette vigoureuse réaction du Président de la République : "C'est une connerie, je vous le dis" !
R - Je crois qu'il faut savoir s'expliquer comme ça. C'est-à-dire que le Président de la République a sans doute voulu souligner... Vous avez dit tout à l'heure qu'on bénéficiait beaucoup de l'Europe. Certes, nous bénéficions de l'Europe sur un plan de conditions financières, de l'apport budgétaire, mais ce n'est pas suffisant. Si l'agriculteur demain ne peut pas vivre de son métier du fait de cette politique européenne, c'est normal qu'il interpelle nos dirigeants et les membres du gouvernement.
Q - Jean-Pierre Raffarin sera au Mans pour votre congrès, dans quinze jours. Vous allez le recevoir gentiment ou vous allez le chahuter ?
R - Ce sont les congressistes qui décideront. Nous ce que nous voulons, c'est que le Premier ministre vienne dire clairement les ambitions de son gouvernement pour notre agriculture et ses paysans. Nous sommes à la veille d'un débat d'une loi d'orientation agricole, et j'ai demandé à ce que ce soit justement une loi d'orientation, et non pas une loi de modernisation. Ce n'est plus l'heure de mettre des rustines ! L'heure est à dire clairement : "Voilà la politique d'accompagnement, d'adaptation, de modernisation que l'on veut mettre en place en France", tenant compte de l'environnement européen - qui a beaucoup changé, on est une Europe à vingt-cinq, à vingt-sept bientôt - des négociations internationales en fin d'année. Nous attendons du Premier ministre qu'il dise : voilà l'engagement du gouvernement pour faire en sorte qu'en 2015, en 2020, nous ayons cette agriculture performante, compétitive, avec des hommes et des femmes fiers de leur métier, assurant une alimentation de qualité à nos consommateurs - français notamment - européens.
Q - Bon, il faut qu'il ne s'attende pas à être un peu secoué, le Premier ministre ?
R - Eh bien, je lui dirai les choses clairement.
Q - Voilà. "On se parlera clairement". C'était Jean-Michel Lemétayer, invité d'RTL ce matin. Bonne journée.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 4 mars 2005)