Texte intégral
Je souhaite vous contacter aujourd'hui sur un sujet sur lequel je me suis peu exprimé depuis que j'exerce des fonctions ministérielles, pour vous dire pourquoi je suis un européen convaincu et que si certains doutent de l'intérêt de poursuivre aujourd'hui la construction européenne et de la doter d'une constitution, je mettrais toute mon énergie pour leur démontrer qu'ils se trompent !
Se battre pour le traité de l'Union européenne, c'est d'abord tenter de remédier au déficit d'informations ou d'intérêts de nos concitoyens vis-à-vis de la question européenne. Dans le domaine social, il est crucial de redonner une vision objective de l'Europe sociale et des avancées enregistrées avec le traité constitutionnel. Je suis extrêmement surpris que " les commentateurs français " du projet de constitution européenne ne soulignent pas la place centrale occupée par les valeurs communes à nos 25 démocraties qui figurent dans ce texte.
C'est une supercherie de dire que cette constitution est difficile à lire. Il s'agit d'un texte humaniste qui, pour la première fois dans l'histoire de la construction européenne, assure un équilibre entre le développement économique et la cohésion sociale.
Aucune autre région du monde ne pourrait signer un tel texte qui comporte à la fois la lutte contre l'exclusion sociale et les discriminations, l'égalité entre l'homme et la femme, le droit à la vie, la promotion de la cohésion économique et sociale et la défense des services publics. La non discrimination, la lutte contre le racisme, l'interdiction de la peine de mort : c'est dans le traité constitutionnel.
Cette charte de droits fondamentaux est intégrée à la constitution européenne, elle acquiert une valeur obligatoire et les citoyens européens pourront désormais faire respecter les droits qui y sont énumérés.
Ne pas souligner, en outre, cette évolution fondamentale de la construction européenne qui vise à développer une " économie sociale de marché compétitive " c'est adopter un comportement " d'enfant gâté vivant dans une démocratie développée ".
C'est être tellement habitué aux bienfaits de notre démocratie que l'on finit par oublier qu'elle reste une exception dans le monde et qu'à moins de 1.500 kms d'ici des hommes et des femmes souhaitent en bénéficier.
L'esprit de la constitution européenne donne incontestablement du sens à l'action communautaire, mais c'est dans la pratique que cela doit être visible pour les citoyens européens.
" Si c'était à refaire, je commencerais par la culture. " écrivait Jean Monnet à la fin de sa vie. Je voudrais insister sur cet aspect fondamental du projet européen, trop souvent négligé dans les débats qui agitent notre pays dans la pré-campagne du référendum.
Je ne suis pas devenu tout d'un coup un idéaliste mais l'homme d'action a aussi besoin de fixer le cap. J'admire Jean Monnet dont le verbe est absorbé dans l'action et débouche sur des décisions juridiquement suivies d'efficacité. Toutefois, ce que Jean Monnet et les autres pères fondateurs ont mis en branle dans les années cinquante, de manière très pragmatique, c'est une machine institutionnelle au service d'une pluralité d'objectifs économiques et politiques.
Cette construction " d'ingénieurs sociaux ", à mesure de son développement dans le temps et dans l'espace, ne cesse d'être chaque fois plus complexe et chaque fois plus incompréhensible pour le citoyen national et européen. Mais cette Europe technique n'a pas d'autre sens que l'efficacité.
Mais faute d'enracinement vital, d'idéal à atteindre en commun et de capacité à mobiliser les énergies et à susciter les enthousiasmes au sein des peuples, la construction est fragile et son devenir incertain.
C'est pourquoi, j'appelle de tous mes vux le réveil des intellectuels européens.
L'absurdité du premier conflit mondial avait grossi la cohorte des intellectuels européens défenseurs d'une nécessaire unité du continent. Jules Romains, Julien Benda mais aussi Paul Valéry, André Suarés pour la France, José-Ortega y Gasset en Espagne, Von Keyserling, Hermann Hesse pour l'Allemagne, Carlo Sforza ou Beneditto Groce en Italie défendent, à partir souvent d'engagements idéologiques diverses ou contradictoires, le principe d'une coopération pacifique entre les européens.
L'importance des défis d'aujourd'hui nécessite aussi que la pensée guide l'action. Nous avons besoin de nos intellectuels pour mieux appréhender :
- la mondialisation qui est source de tant d'opportunités nouvelles mais qui suscite aussi de vives inquiétudes ;
- le vieillissement démographique, qui est le résultat de l'allongement spectaculaire de l'espérance de vie mais qui peut aussi entraîner, sans réflexion ni réaction de notre part, une réduction de la population active et donc une perte de croissance.
- la diversité croissante de nos sociétés : diversité de générations, puisque pour la première fois dans l'histoire de l'humanité 4 générations vivent sous le même toit ; diversité des capacités physiques, mentales et sensorielles qui imposent de rendre notre société accessible à tous ; diversité des origines ethniques, avec l'enjeu que représente une immigration maîtrisée et l'intégration de ces populations ;
- la nécessité de développer une économie de la connaissance où les meilleurs savoirs et savoir faire seront à la portée de tous, où les économies d'échelle permettront d'atteindre, comme pour la téléphonie mobile ou le train à grande vitesse, des performances exceptionnelles, où de grands projets technologiques, qui tel Airbus, Galiléo, Iter, peuvent mettre tous les pays de l'Union en état d'innovation. Une économie de la connaissance où des réseaux universitaires branchés sur nos grands champions industriels pourront attirer les élites mondiales.
Cet appel me semble être reçu lorsque j'entends Bronislaw Geremek répondre : " culture et éducation d'abord " et rappeler : " que l'Europe a toujours occupé le premier rang au plan culturel, et si nous constatons aujourd'hui un certain déclin sur ce point, c'est qu'il est temps d'uvrer pour trouver des solutions au niveau scolaire. Que faire pour que nos écoles soient parmi les meilleures du monde ? " demande-t-il. " Que faire pour que la culture européenne se développe vers plus d'inventivité et devienne trans-nationale ? Faire de la culture et de l'éducation les pôles d'avenir de l'Union : ce défi premier et capital doit être pris à bras le corps par l'Europe toute entière car l'avenir de notre communauté toute entière en dépend. "
Je le redis à ma manière après bien d'autres, il faut dissiper la confusion entretenue sur le projet européen et sur les absurdités d'un mode de fonctionnement technocratique qui raffine à l'infini les procédures et les moyens sans jamais s'interroger sur les fins : c'est l'ambition que nous pouvons donner à une profonde cohésion sociale pour l'Europe, que permet ce projet de constitution.
Mais si je suis un européen convaincu, c'est aussi parce qu'à toutes les grandes étapes de ma vie publique, j'ai pu mesurer l'impact positif de la construction européenne :
- Maire de Valenciennes pendant douze ans, dans un bassin de vieille industrie touché de plein fouet par la crise, j'ai pu bénéficier d'une aide des fonds structurels européens bien supérieure aux aides de l'Etat, qui nous ont permis de relever la tête.
L'Europe était au rendez-vous non seulement pour nous sortir du désespoir mais aussi pour nous rendre attractif aux yeux des investissements internationalement mobiles qui cherchaient à se localiser au cur d'un grand marché, le marché européen. Vu du Japon, l'Europe est une chance, voire une opportunité qu'il faut saisir.
- Ministre de la Ville et de la Rénovation Urbaine, j'ai souhaité relancer le dispositif des zones franches urbaines afin d'attirer des activités économiques au cur des quartiers les plus défavorisés de nos agglomérations. On me prédisait un rejet absolu de Bruxelles sur cette initiative exclusivement française, on ne donnait pas cher de ma capacité à convaincre la célèbre DGIV, gardienne farouche de la concurrence. Or, je peux vous affirmer que dans la pratique, j'ai eu plus à souffrir de l'opposition de certains idéologues français que de l'aveuglement des technocrates bruxellois. Lorsque je me suis rendu personnellement devant la Commission, j'ai pu obtenir l'agrément de ce régime dérogatoire que constituent les zones franches urbaines en démontrant qu'elles étaient socialement utiles et économiquement compatibles avec les règles communautaires ;
- Ministre de l'Emploi, du Travail et de la Cohésion Sociale, j'exerce aujourd'hui des responsabilités dont la compétence première revient aux Etats membres, voire au niveau local. Mais je sais que dans ces domaines aussi, une politique nationale gagne en efficacité si les autres Etats membres travaillent tous dans le même sens ; sinon elle est moins efficace, quand elle ne sert pas à exporter les problèmes nationaux chez les voisins. Qui peut aujourd'hui concevoir une politique d'immigration sans prendre en compte la dimension européenne ?
Dans les fonctions que j'exerce, j'ai une conviction absolue : celle de la nécessité de réconcilier dans notre pays l'économique et le social, de mettre fin à la coupure qui les oppose dans nos structures politiques et administratives. C'est une aveuglante nécessité : cela fait plus d'un siècle que les chefs d'entreprise savent que des performances économiques qui se traduisent par un mauvais climat social sont très fragiles et qu'à l'inverse un bon climat social est un facteur de compétitivité essentielle.
On sait peu en France que l'Union européenne, qualifiée uniquement de libérale et de chantre de l'économie de marché, a mis en place un " modèle social européen " dont le Président de la république française vient de rappeler l'originalité lors de son déplacement au Japon. Il faut souligner que nul part ailleurs, des Etats ont adopté une stratégie globale et intégrée couvrant l'économique, le social et l'environnement. Nulle part ailleurs dans le monde, des pays libres proposent de se doter d'une constitution qui comporte non seulement des droits civiques et politiques mais aussi des droits économiques, sociaux et environnementaux.
Toutefois, dans les circonstances actuelles, le ministre français de la cohésion sociale mais aussi l'européen convaincu ne peut pas passer sous silence une grave menace qui pèse sur l'avenir de l'Union, conditionnant dès à présent sa vie et ses possibilités de développement. Je veux parler de l'accroissement des inégalités qui se développent dans nos villes entre les communautés, créant une véritable fracture territoriale, économique, sociale, ethnique, culturelle et religieuse qui se retrouvent aussi bien dans l'agglomération parisienne qu'à Rotterdam ou à Milan.
Je suis persuadé que réside là le plus grand danger pour l'avenir de notre démocratie.
L'Europe a démontré par le passé sa très grande capacité à réduire des inégalités très fortes entre les pays et les régions. Elle a su mettre en place une solidarité active pour l'Italie du Sud, la Grèce, le Portugal, l'Espagne ou l'Irlande. Elle saura le faire demain pour les nouveaux pays adhérents, non seulement pour mettre à niveau les infrastructures mais aussi pour améliorer la qualité des systèmes de formation. Mais aujourd'hui le défi est d'une autre nature. Je lance un appel solennel pour que l'Union européenne s'attaque avec les Etats membres à la prolifération des ghettos urbains. Elle a soutenu la mise en place du réseau URBACT facilitant l'échange d'expériences entre les grandes villes européennes, il faut aujourd'hui passer à la vitesse supérieure. Comment concevoir l'Europe de demain si des millions de migrants ou de fils ou de filles de migrants se sentent exclus dans leurs villes, marginalisés dans leurs pays et absents de toute préoccupation européenne ? Il y a là aussi matière à nourrir l'Europe qu'il nous faut construire et seul le nouveau traité nous ouvre cette perspective.
Depuis longtemps, les traités affirment qu'il existe une citoyenneté européenne. Le projet de constitution le réaffirme. Mais on se plaint à bon droit que les citoyens ne ressentent guère cette identité. Pourquoi ? La belle formule de Jean Monnet : " rien ne se crée sans les hommes, rien ne dure sans les institutions " doit aujourd'hui être complétée par un volet social fort. Nous pouvons le faire si demain, ensemble à 25 pays, nous nous donnons une constitution efficace dont la France a besoin.
C'est aussi cela la contribution de la France à l'Europe qu'il nous faut construire : une Europe qui contrairement à d'autres régions du monde ne permet pas les geôles de Guantanamo, l'esclavage des femmes et des enfants, l'application honteuse de la peine de mort.
Le 29 mai votez oui à l'avenir.
(Source http://www.cohesionsociale.gouv.fr, le 2 mai 2005)
Se battre pour le traité de l'Union européenne, c'est d'abord tenter de remédier au déficit d'informations ou d'intérêts de nos concitoyens vis-à-vis de la question européenne. Dans le domaine social, il est crucial de redonner une vision objective de l'Europe sociale et des avancées enregistrées avec le traité constitutionnel. Je suis extrêmement surpris que " les commentateurs français " du projet de constitution européenne ne soulignent pas la place centrale occupée par les valeurs communes à nos 25 démocraties qui figurent dans ce texte.
C'est une supercherie de dire que cette constitution est difficile à lire. Il s'agit d'un texte humaniste qui, pour la première fois dans l'histoire de la construction européenne, assure un équilibre entre le développement économique et la cohésion sociale.
Aucune autre région du monde ne pourrait signer un tel texte qui comporte à la fois la lutte contre l'exclusion sociale et les discriminations, l'égalité entre l'homme et la femme, le droit à la vie, la promotion de la cohésion économique et sociale et la défense des services publics. La non discrimination, la lutte contre le racisme, l'interdiction de la peine de mort : c'est dans le traité constitutionnel.
Cette charte de droits fondamentaux est intégrée à la constitution européenne, elle acquiert une valeur obligatoire et les citoyens européens pourront désormais faire respecter les droits qui y sont énumérés.
Ne pas souligner, en outre, cette évolution fondamentale de la construction européenne qui vise à développer une " économie sociale de marché compétitive " c'est adopter un comportement " d'enfant gâté vivant dans une démocratie développée ".
C'est être tellement habitué aux bienfaits de notre démocratie que l'on finit par oublier qu'elle reste une exception dans le monde et qu'à moins de 1.500 kms d'ici des hommes et des femmes souhaitent en bénéficier.
L'esprit de la constitution européenne donne incontestablement du sens à l'action communautaire, mais c'est dans la pratique que cela doit être visible pour les citoyens européens.
" Si c'était à refaire, je commencerais par la culture. " écrivait Jean Monnet à la fin de sa vie. Je voudrais insister sur cet aspect fondamental du projet européen, trop souvent négligé dans les débats qui agitent notre pays dans la pré-campagne du référendum.
Je ne suis pas devenu tout d'un coup un idéaliste mais l'homme d'action a aussi besoin de fixer le cap. J'admire Jean Monnet dont le verbe est absorbé dans l'action et débouche sur des décisions juridiquement suivies d'efficacité. Toutefois, ce que Jean Monnet et les autres pères fondateurs ont mis en branle dans les années cinquante, de manière très pragmatique, c'est une machine institutionnelle au service d'une pluralité d'objectifs économiques et politiques.
Cette construction " d'ingénieurs sociaux ", à mesure de son développement dans le temps et dans l'espace, ne cesse d'être chaque fois plus complexe et chaque fois plus incompréhensible pour le citoyen national et européen. Mais cette Europe technique n'a pas d'autre sens que l'efficacité.
Mais faute d'enracinement vital, d'idéal à atteindre en commun et de capacité à mobiliser les énergies et à susciter les enthousiasmes au sein des peuples, la construction est fragile et son devenir incertain.
C'est pourquoi, j'appelle de tous mes vux le réveil des intellectuels européens.
L'absurdité du premier conflit mondial avait grossi la cohorte des intellectuels européens défenseurs d'une nécessaire unité du continent. Jules Romains, Julien Benda mais aussi Paul Valéry, André Suarés pour la France, José-Ortega y Gasset en Espagne, Von Keyserling, Hermann Hesse pour l'Allemagne, Carlo Sforza ou Beneditto Groce en Italie défendent, à partir souvent d'engagements idéologiques diverses ou contradictoires, le principe d'une coopération pacifique entre les européens.
L'importance des défis d'aujourd'hui nécessite aussi que la pensée guide l'action. Nous avons besoin de nos intellectuels pour mieux appréhender :
- la mondialisation qui est source de tant d'opportunités nouvelles mais qui suscite aussi de vives inquiétudes ;
- le vieillissement démographique, qui est le résultat de l'allongement spectaculaire de l'espérance de vie mais qui peut aussi entraîner, sans réflexion ni réaction de notre part, une réduction de la population active et donc une perte de croissance.
- la diversité croissante de nos sociétés : diversité de générations, puisque pour la première fois dans l'histoire de l'humanité 4 générations vivent sous le même toit ; diversité des capacités physiques, mentales et sensorielles qui imposent de rendre notre société accessible à tous ; diversité des origines ethniques, avec l'enjeu que représente une immigration maîtrisée et l'intégration de ces populations ;
- la nécessité de développer une économie de la connaissance où les meilleurs savoirs et savoir faire seront à la portée de tous, où les économies d'échelle permettront d'atteindre, comme pour la téléphonie mobile ou le train à grande vitesse, des performances exceptionnelles, où de grands projets technologiques, qui tel Airbus, Galiléo, Iter, peuvent mettre tous les pays de l'Union en état d'innovation. Une économie de la connaissance où des réseaux universitaires branchés sur nos grands champions industriels pourront attirer les élites mondiales.
Cet appel me semble être reçu lorsque j'entends Bronislaw Geremek répondre : " culture et éducation d'abord " et rappeler : " que l'Europe a toujours occupé le premier rang au plan culturel, et si nous constatons aujourd'hui un certain déclin sur ce point, c'est qu'il est temps d'uvrer pour trouver des solutions au niveau scolaire. Que faire pour que nos écoles soient parmi les meilleures du monde ? " demande-t-il. " Que faire pour que la culture européenne se développe vers plus d'inventivité et devienne trans-nationale ? Faire de la culture et de l'éducation les pôles d'avenir de l'Union : ce défi premier et capital doit être pris à bras le corps par l'Europe toute entière car l'avenir de notre communauté toute entière en dépend. "
Je le redis à ma manière après bien d'autres, il faut dissiper la confusion entretenue sur le projet européen et sur les absurdités d'un mode de fonctionnement technocratique qui raffine à l'infini les procédures et les moyens sans jamais s'interroger sur les fins : c'est l'ambition que nous pouvons donner à une profonde cohésion sociale pour l'Europe, que permet ce projet de constitution.
Mais si je suis un européen convaincu, c'est aussi parce qu'à toutes les grandes étapes de ma vie publique, j'ai pu mesurer l'impact positif de la construction européenne :
- Maire de Valenciennes pendant douze ans, dans un bassin de vieille industrie touché de plein fouet par la crise, j'ai pu bénéficier d'une aide des fonds structurels européens bien supérieure aux aides de l'Etat, qui nous ont permis de relever la tête.
L'Europe était au rendez-vous non seulement pour nous sortir du désespoir mais aussi pour nous rendre attractif aux yeux des investissements internationalement mobiles qui cherchaient à se localiser au cur d'un grand marché, le marché européen. Vu du Japon, l'Europe est une chance, voire une opportunité qu'il faut saisir.
- Ministre de la Ville et de la Rénovation Urbaine, j'ai souhaité relancer le dispositif des zones franches urbaines afin d'attirer des activités économiques au cur des quartiers les plus défavorisés de nos agglomérations. On me prédisait un rejet absolu de Bruxelles sur cette initiative exclusivement française, on ne donnait pas cher de ma capacité à convaincre la célèbre DGIV, gardienne farouche de la concurrence. Or, je peux vous affirmer que dans la pratique, j'ai eu plus à souffrir de l'opposition de certains idéologues français que de l'aveuglement des technocrates bruxellois. Lorsque je me suis rendu personnellement devant la Commission, j'ai pu obtenir l'agrément de ce régime dérogatoire que constituent les zones franches urbaines en démontrant qu'elles étaient socialement utiles et économiquement compatibles avec les règles communautaires ;
- Ministre de l'Emploi, du Travail et de la Cohésion Sociale, j'exerce aujourd'hui des responsabilités dont la compétence première revient aux Etats membres, voire au niveau local. Mais je sais que dans ces domaines aussi, une politique nationale gagne en efficacité si les autres Etats membres travaillent tous dans le même sens ; sinon elle est moins efficace, quand elle ne sert pas à exporter les problèmes nationaux chez les voisins. Qui peut aujourd'hui concevoir une politique d'immigration sans prendre en compte la dimension européenne ?
Dans les fonctions que j'exerce, j'ai une conviction absolue : celle de la nécessité de réconcilier dans notre pays l'économique et le social, de mettre fin à la coupure qui les oppose dans nos structures politiques et administratives. C'est une aveuglante nécessité : cela fait plus d'un siècle que les chefs d'entreprise savent que des performances économiques qui se traduisent par un mauvais climat social sont très fragiles et qu'à l'inverse un bon climat social est un facteur de compétitivité essentielle.
On sait peu en France que l'Union européenne, qualifiée uniquement de libérale et de chantre de l'économie de marché, a mis en place un " modèle social européen " dont le Président de la république française vient de rappeler l'originalité lors de son déplacement au Japon. Il faut souligner que nul part ailleurs, des Etats ont adopté une stratégie globale et intégrée couvrant l'économique, le social et l'environnement. Nulle part ailleurs dans le monde, des pays libres proposent de se doter d'une constitution qui comporte non seulement des droits civiques et politiques mais aussi des droits économiques, sociaux et environnementaux.
Toutefois, dans les circonstances actuelles, le ministre français de la cohésion sociale mais aussi l'européen convaincu ne peut pas passer sous silence une grave menace qui pèse sur l'avenir de l'Union, conditionnant dès à présent sa vie et ses possibilités de développement. Je veux parler de l'accroissement des inégalités qui se développent dans nos villes entre les communautés, créant une véritable fracture territoriale, économique, sociale, ethnique, culturelle et religieuse qui se retrouvent aussi bien dans l'agglomération parisienne qu'à Rotterdam ou à Milan.
Je suis persuadé que réside là le plus grand danger pour l'avenir de notre démocratie.
L'Europe a démontré par le passé sa très grande capacité à réduire des inégalités très fortes entre les pays et les régions. Elle a su mettre en place une solidarité active pour l'Italie du Sud, la Grèce, le Portugal, l'Espagne ou l'Irlande. Elle saura le faire demain pour les nouveaux pays adhérents, non seulement pour mettre à niveau les infrastructures mais aussi pour améliorer la qualité des systèmes de formation. Mais aujourd'hui le défi est d'une autre nature. Je lance un appel solennel pour que l'Union européenne s'attaque avec les Etats membres à la prolifération des ghettos urbains. Elle a soutenu la mise en place du réseau URBACT facilitant l'échange d'expériences entre les grandes villes européennes, il faut aujourd'hui passer à la vitesse supérieure. Comment concevoir l'Europe de demain si des millions de migrants ou de fils ou de filles de migrants se sentent exclus dans leurs villes, marginalisés dans leurs pays et absents de toute préoccupation européenne ? Il y a là aussi matière à nourrir l'Europe qu'il nous faut construire et seul le nouveau traité nous ouvre cette perspective.
Depuis longtemps, les traités affirment qu'il existe une citoyenneté européenne. Le projet de constitution le réaffirme. Mais on se plaint à bon droit que les citoyens ne ressentent guère cette identité. Pourquoi ? La belle formule de Jean Monnet : " rien ne se crée sans les hommes, rien ne dure sans les institutions " doit aujourd'hui être complétée par un volet social fort. Nous pouvons le faire si demain, ensemble à 25 pays, nous nous donnons une constitution efficace dont la France a besoin.
C'est aussi cela la contribution de la France à l'Europe qu'il nous faut construire : une Europe qui contrairement à d'autres régions du monde ne permet pas les geôles de Guantanamo, l'esclavage des femmes et des enfants, l'application honteuse de la peine de mort.
Le 29 mai votez oui à l'avenir.
(Source http://www.cohesionsociale.gouv.fr, le 2 mai 2005)